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et l'objet réel ou présumé auquel je les rapporte, aucune liaison nécessaire. Je ne puis donc m'assurer, par mes sens, de l'existence des objets extérieurs, de l'existence de mon propre corps, de l'existence de mes sens mêmes, sur le témoignage desquels reposent toutes mes connoissances. Quel amas d'obscurités! quel chaos! Tout ce qui est, disent-ils, est matière; et à l'instant les voilà contraints d'avouer que l'existence de la matière n'est qu'une simple probabilité (*). Ils ne sont donc pas même

(*) C'est ce que disent nettement Helvétius et Condorcet. Voyez l'ouvrage de ce dernier intitulé: Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix. Disc. prélim., p. xu. D'Alembert jugeoit impossible de répondre aux objections de Barclay contre l'existence des corps. Hume, rejetant à la fois le témoignage des sens et l'évidence du sentiment intime, est contraint de nier et l'existence de la matière, et celle des substances spirituelles. Selon Kant, Dieu, l'univers, l'ame, ne peuvent être connus de nous. Il ne voit dans les corps que de purs phénomènes : nous ne savons point ce qu'ils sont, mais seulement ce qu'ils nous paroissent être. (Kritik de Reinen Vernunft s. 306, 518, 527, etc.) Notre propre moi, considéré comme objet n'est non plus, pour nous, qu'un phénomène, uné apparence. Nous ne pouvons rien apprendre sur son essence intime. (Ibid. S. 135, 157, 399, etc.) Il est clair que, dans ce système, nul ne peut affirmer qu'il

certains qu'ils existent ; et le doute, envahissant jusqu'au fonds le plus intime de leur être, il ne leur reste pour toute science, pour toute vérité, que cette parole, qu'encore, s'ils l'entendent bien, ils ne prononceront qu'avec défiance et en hésitant : Il est probable que je suis.

Le sentiment, et sous ce nom je comprends l'évidence, n'est pas une preuve plus certaine de vérité que les sensations. De combien de manières diverses la même idée n'affecte-t-elle pas les hommes, et quelquefois le même homme en différens temps? Le sentiment du vrai et du faux, du bien et du mal, varie selon les circonstances, les intérêts, les passions. Rien ne nous est aujourd'hui si évident, que nous puissions nous promettre de ne le pas trouver demain ou obscur ou erroné. Je ne sais quoi emporte au hasard notre acquiescement, et nous roule, d'un mouvement aveugle, dans un cercle éternel d'évidences contradictoires. Il arrivera, nous ne savons comment, que, dans notre foiblesse et nos ténèbres, une idée, dont la nature et l'origine nous sont inconnues, dompte soudain notre âme et s'en empare; aussitôt nous nous prosternons en esclaves devant cette idée qui nous a existe. Ceux qu'étonneroit un pareil excès d'extravagance, verront plus loin que c'est le résultat nécessaire de toute philosophie, qui ne considère que l'homme seul,

conquis, et parce que nous n'avons pas su lui résister, nous la déclarons irrésistible; nous la couronnons, si je l'ose dire, et la sacrons reine de notre entendement. Tout ce qu'on appelle axiome n'a pas d'autre droit à la soumission de notre esprit.

La force avec laquelle le sentiment nous entraîne, ne prouve rien en faveur des principes que nous adoptons sur son autorité; car qui nous assure qu'il soit une règle infaillible du vrai? Au contraire, nous savons qu'il nous égare souvent, puisque souvent il se contredit, également invincible de quelque côté qu'il incline. Qu'est-il d'ailleurs en lui-même? Quelles sont les causes qui le déterminent? Sont-elles en nous ou hors de nous? changeantes ou immuables? aveugles ou intelligentes? Toutes questions que le sentiment ne résout pas, et de la solution desquelles dépend néanmoins la certitude des premiers principes. Nous nous y reposons par foiblesse, plutôt que par un jugement éclairé; et nous ne savons pas même si, nous paroissant invariables, ils ne varient cependant point sans cesse, ainsi que nous comme la disposition des objets doit varier pour produire le même phénomène d'optique, selon la position de l'observateur, et les diverses modifications de ses organes; considération qui nous conduit à concevoir la possibilité que nos sentimens les plus in

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times et nos principes les plus évidens, ne soient que de pures illusions.

Je consens toutefois à y reconnoître, par rapport à nous, quelque réalité ; je veux que nous sentions véritablement ce que nous nous imaginons sentir qu'en conclure, et en sommes-nous plus près du but où nous tendons? Ce que nous sentons, nous le sentons en nous; nos sentimens n'ont de relation nécessaire qu'à nous; rien ne démontre qu'ils ne soient pas de simples modes de notre être; rien ne démontre que la conscience du bien et du mal, du vrai et du faux, soit déterminée par une cause externe, immuable, et ne dépende pas uniquement de notre nature particulière; rien ne démontre, en un mot, qu'il y ait des vérités essentielles, qu'il y ait quelque chose hors de

nous.

Qui ne s'effraieroit de se voir égaré dans cette vaste ignorance, incertain de tout et de soi-même ? Car encore n'ai-je admis, à quelques égards, la réalité de nos sentimens, que par une supposition toute gratuite. Au fond, nous n'en avons aucune preuve. Le sentiment n'en est pas une, puisque c'est lui qu'il faut prouver. Ainsi nous ne sommes pas plus assurés de nos sentimens que de nos sensations, et notre être tout entier nous échappe, sans que nous puissions le retenir. Nous avons

beau dire je sens, nous avons beau dire je suis, nous n'en demeurons pas moins dans l'impuissance éternelle de nous démontrer à nous-mêmes que nous sentons et que nous sommes : tant le néant nous est naturel, tant il nous presse de toutes parts!

En vain appelons-nous le raisonnement à notre secours fragile barrière contre le doute! ou plu tôt impétueux torrent qui brise toutes les digues emporte et submerge toutes les certitudes, quand il vient à se déborder sur nos connoissances. Rien ne l'arrête, rien ne lui résiste; il ébranle la nature même. Quelle est la vérité que le raisonnement ait laissée intacte? Que ne nie-t-on pas à son aide, et que n'affirme-t-on point? Il sert eț trahit indifféremment toutes les causes; il ôte tour à tour et donne l'empire à toutes les opinions. Chaque siècle, chaque pays, chaque homme a les siennes, aussi inconstantes que les rêves du sommeil, et souvent opposées entre elles. On les voit, comme de légers météores, briller un instant, et se replonger dans une nuit éternelle. Nous nous rions des idées de nos pères, comme ils s'étoient ri des pensées des leurs, et comme nos enfans se riront de nos opinions. Qu'est-ce donc que le vrai, et qu'est-ce que le faux? Cela est convaincant, dit l'un; rien de plus absurde, répond

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