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gions stériles, à la lueur incertaine du doute, dernier reflet de la vérité, qui s'éteint au bord du néant.

Cette cause générale d'erreur est surtout remarquable en notre siècle. On n'interroge que soi sur son origine, sur ses devoirs, sur ses destinées. L'homme ne demande rien aux hommes, et moins encore à Dieu : son intelligence se nourrit d'elle-même; pâture bientôt épuisée ! Nul ne veut croire ou obéir : dès lors, avec le respect pour le témoignage (*), se perd la notion de la loi, la notion de l'autorité et le principe de la certitude. Tout devient individuel. On ne peut plus même nommer la religion, parce qu'elle est nécessairement loi, et le lien de toute société. On dit la pensée religieuse, le sentiment religieux, expressions qui constatent l'indépendance de l'esprit, ou le droit de chacun d'avoir sa religion, comme chacun a son sentiment, sa pensée particulière.

(*) Notre jurisprudence criminelle attache beaucoup moins de force que l'ancienne au témoignage. L'esprit de la législation est d'accorder le plus de pouvoir possible à la pensée particulière et au sentiment particulier de chaque juré. C'est une conséquence naturelle de la souveraineté de la raison individuelle. On se défie de tout ce qui est général ou social, ou plutôt on ne le comprend plus. Chaque homme est toute la société.

Mais qu'est-ce enfin que ce sentiment religieux? Nous l'apprendra-t-on ? Profonde misère de l'homme! Ce sera tout ce qu'on veut, jusqu'aux foiblesses et aux infirmités de notre nature, les craintes sans objet, les vagues rêveries du cœur, la mélancolie, l'ennui même et le dégoût d'être (*). Il en faut bien venir à ces extravagances, quand on n'admet d'autre règle de vérité que ce qu'on sent. Et remarquez que personne n'est maître de communiquer le sentiment qu'il éprouve; que c'est quelque chose de si indéfini dans sa nature et dans ses nuances, qu'on ne sauroit même en donner d'idée nette par le discours. Nul homme ne se représentera jamais un sentiment dont il n'a pas été affecté: or, rien ne dépend moins de l'homme que de s'affecter d'un sentiment quelconque. Ainsi une religion de pur sentiment seroit une religion sans langage, sans voix, songe fugitif qui échapperoit éternellement à l'intelli

gence.

Que si l'on se borne à considérer le sentiment comme un moyen de reconnaître la certitude des

(*) On ne dit rien ici qui n'ait été sérieusement avancé · par des gens d'esprit. Selon leurs idées, pour faire entendre qu'un homme a de la religion, on diroit qu'il est mélancolique, et très-enclin à la rêverie. Ne croit-on. pas rêver soi-même ?

dogmes et des devoirs, on ne s'abuse pas moins grossièrement; car le sentiment ne prouve que l'existence de la pensée qui le détermine. J'ai l'idée d'un être puissant, il en résulte un sentiment de crainte; j'ai l'idée d'un être puissant et bon, il en résulte un sentiment d'amour. Mais l'amour, effet naturel de l'idée que je me forme de cet être, ne prouve nullement sa bonté; car, si je me trompois, le sentiment ne laisseroit pas d'être le même.

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Allons plus loin, le sentiment, passif de sa nature, ne nie rien, n'affirme rien, parce qu'affirmer ou nier, ce n'est pas sentir, c'est juger. Ainsi quiconque dit, je sens, prononce un jugement dont la vérité repose sur la même base que la vérité de nos autres jugemens.

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Il faut donc nécessairement remonter à la raison pour trouver la certitude; mais à la raison générale manifestée par le témoignage, c'est-à-dire, à une autorité hors de nous. Toute raison individuelle est faillible, parce qu'elle est finie; elle ne peut avoir que des opinions; les dogmes appartien-, nent à la société aussi, quand la société se dissout, à l'instant les opinions succèdent aux croyances. Il n'y a donc de certain que ce qui est de foi; et la seule foi certaine est celle qui repose, selon genre de vérité qui en est l'objet, sur la plus grande autorité ou sur la raison la plus générale.

le

Placez dans le sentiment le principe de certitude, Vous consacrez tous les genres de fanatisme et de superstition, tous les désordres et tous les crimes; car il n'en est point qui ne soit déterminé par un sentiment, que produit quelque erreur de l'esprit. Ainsi prétendre que le sentiment décide de la vérité, et par conséquent des devoirs, c'est offrir à celui qui hait, la vengeance pour règle de justice, et l'adultère pour morale, à celui qui convoite la femme de son ami.

- Placez dans la raison individuelle le principe de certitude, aussitôt vous voyez renaître les mêmes inconvéniens. L'homme, maître de ses croyances, l'est également de ses actions. Il peut tout nier, en disant Je ne comprends pas; et ensuite tout se permettre, en disant : Je ne crois point.

Il suffiroit peut-être de ces réflexions pour se convaincre que ni le sentiment ni le raisonnement ne sont le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie Religion. Mais l'importance de cette vérité exige qu'on en développe les preuves davantage. C'est ce que nous essaierons de faire dans les chapitres suivans.

CHAPITRE XVIII.

Que le sentiment ou la révélation immédiate n'est pas le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie Religion.

AUTANT l'homme est grand quand on le contemple dans ses rapports avec ses semblables, au milieu de l'ordre dont il fait partie, autant sa foiblesse inspire de pitié, lorsque, rompant les liens de cette noble dépendance, il ne veut plus relever que de lui-même. Fuyant toute société, et privé des biens auxquels il participoit commé être social, dépouillé, nu, il emporte au désert une triste souveraineté qui n'est que la servitude de toutes les misères. Il s'en ira ce souverain, cet esprit sans maître, cherchant çà et là dans la nuit quelques vérités écartées, pour nourrir sa raison mourante; mais en vain seul, il n'est rien, ne peut rien, pas même vivre. S'il en doute, qu'il remonte au moment de sa naissance, qu'il se représente ce qu'est l'homme au sortir du néant. Qu'apporte-t-il avec lui? Que possède-t-il? Inter

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