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l'autre qui sera juge entre eux? S'il en est un, qu'il paroisse, et qu'il montre ses titres.

On peut tout soutenir, tout contester, même sans recourir à des principes divers; car il n'en est point d'où l'on ne déduise des, conséquences contraires. Deux esprits, partant du même point, et marchant au même but, ne sauroient faire quatre pas sans se séparer. Que dis-je ? Notre propre esprit différant de lui-même, adopte et rejette, d'un moment à l'autre, le même jugement, d'une persuasion également pleine, et qu'aucun changement, si soudain qu'il soit, ne déconcerte. Etrange instabilité ! Tout passe à travers l'entendement, rien n'y séjourne; et lui-même, chancelant sur sa base inconnue, ressemble à une maison en ruine, que ses habitans se hâtent d'abandonner. Voilà notre état, plein d'obscurité, d'ignorance et d'incertitude. Je ne sais quelle puissance fatale se joue dédaigneusement de notre raila pousse et repousse en tous sens dans des ténèbres impénétrables.

son,

On ne sauroit se défendre d'une pitié profonde à la vue d'une foiblesse si extrême et si incurable. Et cependant cette raison hautaine osera vanter sa grandeur, et s'enorgueillir insolemment, au milieu de ses domaines fantastiques et de ses richesses imaginaires. Faisons-lui donc sentir une fois

sa prodigieuse indigence; dépouillons-la, comme un roi de théâtre, de ses vêtemens empruntés, et que, se voyant telle qu'elle est, nue, infirme, défaillante, elle apprenne à s'humilier, et à rougir de son extravagante présomption.

Il ne faut pas avoir beaucoup réfléchi sur soimême, pour savoir combien l'homme est aisément séduit par les plus légères apparences du vrai; et ce qu'il appelle se détromper, n'est souvent que céder à d'autres apparences non moins vaines. La vie n'est qu'une longue expérience de l'inanité de nos jugemens, que les intérêts, les passions altèrent, et que le temps seul, sans aucune autre cause, change et dénature entièrement. Soumis à l'influence de tout ce qui nous environne, et dépendans de notre organisation même, nos goûts, nos penchans, nos affections, nos haines, la maladie, la santé, le soleil qui se cache ou qui luit, la nue qui passe, les modifient de mille manières, et les déterminent à notre insu. De là cette perpétuelle fluctuation d'idées et de sentimens contraires, que chacun de nous, en s'observant, remarquè en soi. La vérité et l'erreur, sans fondement dans notre esprit, ressemblent à des ondes mobiles, qui, cédant au moindre souffle, se croisent, se mêlent, se confondent, et viennent incessamment se briser sur le même rivage.

"

Tout notre raisonnement, dit Pascal, se ré

» duit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est » semblable et contraire au sentiment; sembla» ble, parce qu'elle ne raisonne point; contraire,

parce qu'elle est fausse de sorte qu'il est bien » difficile de distinguer entre ces contraires. L'un >> dit que mon sentiment est fantaisie, et que sa

fantaisie est sentiment; et j'en dis de même de » mon côté. On aurait besoin d'une règle. La rai» son s'offre, mais elle est pliable à tous sens; » et ainsi il n'y en a point (1). »

On ne raisonne que sur ce que l'on connoît : or, nous ne connoissons rien qu'imparfaitement et incertainement; nos raisonnemens participent donc de l'incertitude et de l'imperfection de nos connoissances. Il Ꭹ a plus : la raison, versatile et bornée, ajoutant ses propres ténèbres à celles qui couvrent déjà les notions sur lesquelles elle opère, en augmente l'incertitude, et multiplie indéfiniment les chances d'erreur.

Ce n'est pas tout, et la certitude qui se tire du raisonnement est sujette à des difficultés bien plus terribles. Car, lorsque notre esprit compare, fère, conclut, que fait-il que mettre en œuvre les matériaux que lui fournit la mémoire? Entière

in

(1) Pensées de Pascal, tom. II, pag. 193, édit. de 1803.

ment à la merci de cette faculté mystérieuse, il dispose et combine les idées qu'il reçoit d'elle aveuglément. Or, dépourvus de tout moyen de vérifier ses rapports, nous ne saurions nous assurer que nos réminiscences ne sont pas de pures illusions. La mémoire seule atteste la fidélité de la mémoire. Nous en croyons son témoignage, sans l'ombre même d'une preuve, et le jugement par lequel, liant notre existence présente à notre existence passée, nous prononçons que nous sommes le même être identique, qui a été affecté successivement de telles sensations et de telles pensées, est un acte de foi si profond, si rigoureux, si dénué de motifs rationnels déterminans, qu'à peine comprend-on que cet acte soit possible à l'homme. Ainsi nous n'avons aucune certitude que la mémoire ne nous trompe point : nous savons seulement que, si elle nous trompe, notre raison n'est qu'une chimère, une ridicule parodie de je ne sais quelle intelligence supérieure, dont il semble que nous sentions le besoin et concevions la nécessité, en même temps qu'une force invincible arrête notre propre intelligence dans une inquiétante obscurité, qui la force à douter d'elle-même.

Ajoutez à cela l'impuissance absolue de raisonner, si l'on ne part d'un premier principe qu'on suppose sans le démontrer, d'un axiome que l'on

convient d'appeler évident, et qui peut n'être, comme je l'ai fait voir, qu'une erreur plus ou moins insurmontable pour nous. Ainsi notre logique manque de base; elle s'appuie uniquement sur des hypothèses gratuites, aussi douteuse ellemême que ces hypothèses; car d'où tirerons-nous l'assurance qu'il existe un rapport nécessaire, immuable, entre la vérité et certaines opérations de notre esprit? Les règles du raisonnement, relatives à notre nature, ne sont peut-être pas moins fautives que les premières notions d'où on les déduit, et nous ignorons si notre logique, au lieu d'être un instrument de vérité, n'est point une théorie de l'erreur. Dire que la raison en démontre l'infaillibilité, c'est ne rien dire; car cette démonstration prétendue suppose l'infaillibilité même qu'il s'agit de démontrer. Prouver la raison par la raison, est un sophisme commun à toutes les philosophies, et, comme le remarque Montagne, nul moyen d'éviter ce cercle vicieux. << Puisque les sens, dit-il, ne peuvent arrester »> notre dispute, estans pleins eux-mêmes d'incer» titude, il faut que ce soit la raison; aucune >> raison ne s'establira sans une autre raison; nous » voilà à reculons jusques à l'infiny (1). »

(1) Essais de Montagne. Liv. II, chap. 12.

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