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auroit suppléé à l'enseignement primitif, à la parole qui lui révéla sa propre existence, alors que sa pensée, sa volonté, tout dormoit en lui? Obligée d'agir avant d'être ou de se créer elle-même, la raison qui n'existe que par la vérité, puisqu'elle n'est que la vérité connue de nous, seroit demeurée éternellement inerte, éternellement ténébreuse; jamais la lumière ne se fût levée sur le monde intellectuel. Et quand les esprits, emportés par le désir de l'indépendance, veulent vivre dans cet état contre nature, quand ils refusent de croire et prétendent tout soumettre à l'examen particulier, cette brillante lumière peu à peu pâlit et s'éteint. Représentez-vous un homme à qui l'on vient dire «< Oublie tout ce que tu as appris de » tes semblables, oublie tout ce que tu sais. Rejette de ton esprit jusqu'à la dernière idée, fais » le vide; et puis cherche dans ce vide la vé» rité. » N'est-ce pas comme si l'on disait à l'âme :

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Meurs, et puis cherche dans le néant une vie qui n'appartienne qu'à toi. » Se peut-il imaginer de contradiction plus évidente? Car sans vérité, point d'action, point de volonté, point de vie; et si la raison retient une vérité, une seule, ce sera nécessairement une vérité de foi, et dès lors celles qu'on en déduira n'auront d'autre fondement et d'autre certitude que cette foi elle-même.

Supposera-t-on que l'homme naît avec certaines vérités empreintes dans son entendement, lesquelles, fécondées ensuite par la raison, deviennent le principe de ses connoissances postérieures? Ce seroit reproduire l'hypothèse des sentimens innés, hypothèse absurde et complétement réfutée par l'expérience. La modification qu'on y apporteroit, en réduisant le nombre des vérités de sentiment, et accordant à la raison le privilége d'en déduire les autres vérités nécessaires, ne feroit qu'y ajouter des embarras nouveaux et de nouvelles contradictions: car ce système mixte, sans lever aucune difficulté, seroit sujet à toutes celles que présente chacun des deux autres. On demanderoit toujours au sentiment de se manifester d'une manière uniforme, générale, invincible, et à la raison de fournir la preuve de son infaillibilité.

Mais prenons l'homme tel qu'il est, formé par la société, enrichi des connoissances, éclairé des vérités qu'il reçoit d'elle. Il n'établit pas plutôt sa raison individuelle juge de ces vérités, qu'elles lui échappent successivement. La raison veut d'abord concevoir, et rien de plus juste, dès qu'on fait de la raison le fondement des croyances. De là sa première règle, de ne croire que ce qu'elle conçoit. Ecoutons Rousseau :

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A l'égard des dogmes, ma raison me dit qu'ils doivent être clairs, lumineux, frappans par » leur évidence. Si la religion naturelle est insuffisante, c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes vérités qu'elle nous enseigne. C'est » à la révélation de nous enseigner ces vérités » d'une manière sensible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa portée, de les lui faire concevoir, afin qu'il les croie (1).:

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Il s'ensuit qu'en admettant même que l'homme puisse concevoir parfaitement un dogme quelconque, c'est-à-dire, clairement concevoir l'infini, ou connoître Dieu comme il se connoît luimême; encore les esprits n'étant ni également forts, ni également droits, ni également cultivés, l'un concevra plus et l'autre moins, et par conséquent les dogmes et les devoirs qui en dérivent, varieront pour chacun selon la justesse et l'étendue de sa raison. Celui-ci devra croire ce que

(1). Emile, t. III, p. 17 et 18.-Ailleurs, Rousseau parle ainsi : «< Plus je m'efforce de contempler son es>> sence infinie (l'essence de Dieu), moins je la conçois ; >> mais elle est, cela me suffit; moins je la conçois, plus je l'adore. » (Ibid., t. II, p. 342. ) Il y croyoit donc, puisqu'il l'adoroit, et il y croyoit sans la concevoir. Quelle logique, ou quelle bonne foi!

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celui-là devra rejeter, ne le concevant pas. Autant de raisons, autant de symboles, de morales, de religions. Cependant nous avons vu qu'il n'en existe qu'une vraie, et qu'il n'y a point de salut hors d'elle (1). Voilà donc la plupart des hommes perdus à jamais pour avoir usé scrupuleusement de l'unique moyen que Dieu leur ait donné de découvrir les lois auxquelles ils doivent obéir. L'objection n'auroit pas moins de force, quand un seul se perdroit; et supposé que la raison particulière soit la règle de la foi, on ne doit pas hésiter à dire avec Rousseau : « S'il étoit une re» ligion sur la terre hors de laquelle il n'y eût » que peine éternelle, et qu'en quelque lieu du » monde un seul mortel de bonne foi n'eût pas » été frappé de son évidence, le Dieu de cette religion seroit le plus inique et le plus cruel des » tyrans (2).

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Or il est certain que l'homme meurt ou subit une peine éternelle, s'il viole essentiellement l'ordre moral ou les lois de sa nature intelligente (*). Il est encore certain que, dès qu'ils commencent à raisonner sur ces lois, à les soumettre à leur ju

(1) Voyez le chap. XVI.
(2) Emile, t. III, p. 9.
(*) Voyez le chapitre XVI.

gement, les hommes se divisent et ne sont point également frappés de leur évidence. Donc ce n'est pas par le raisonnement qu'ils doivent parvenir à les connoître; sans quoi il faudroit accuser Dieu d'absurdité ou de tyrannie.

Afin de nous en mieux convaincre, parcourons les annales de la philosophie chez les divers peuples; voyons de quelles lumières ils furent redevables à cette puissante raison qu'on nous présente pour guide.

On trouve chez les anciens deux choses qui étonnent presque également, ou plutôt deux doctrines si opposées qu'évidemment elles ne sauroient avoir la même origine; les vérités les plus hautes et les plus monstrueuses erreurs, les préceptes les plus purs et les maximes les plus dissolues, des croyances sociales et des opinions destructives de la société. Les unes étoient de la tradition, les autres de la raison; et quand la tradition s'affoiblit et que la raison prit sa place, le monde s'affaissa et faillit s'écrouler dans l'abîme.

Nous avons tant ouï parler du paganisme, nous sommes si familiarisés, dès l'enfance, avec sa mythologie, son culte, que cela nous empêche d'être frappés comme nous devions l'être de ce grand égarement de l'esprit humain. Que faisoit la rai

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