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détruire, pas même la passion dépravée de l'erreur. On ne hait la vérité, et l'on n'aime l'erreur, que lorsqu'à force de travail, on est parvenu à se représenter l'erreur comme vraie, et la vérité comme fausse; que lorsqu'on a, pour ainsi dire, recouvert le néant d'un vain simulacre de l'être, comme on entoure un cercueil d'images de la vie, et d'emblèmes d'immortalité.

Cependant, quand nous venons à porter la main sur l'édifice de nos connoissances, à en sonder curieusement la base, nous ne trouvons que des abîmes, et le doute ténébreux sort des fondemens de l'édifice ébranlé. L'homme ne peut, par ses seules forces, s'assurer pleinement d'aucune vérité, parce qu'il ne peut par ses seules forces, se donner ni se conserver l'être. Il ne voit, dit Montagne, le tout de rien; et voilà pourquoi la philosophie, qui veut tout voir et tout comprendre, aboutit au scepticisme universel, ou à la destruction absolue de la vérité et de l'intelligence.

Nul moyen d'éviter cet écueil, dès qu'on cherche en soi la certitude; et c'est ce qu'il faut montrer à l'homme pour humilier sa confiance superhe il faut le pousser jusqu'au néant, pour l'épouvanter de lui-même; il faut lui faire voir qu'il ne sauroit se prouver sa propre existence, comme il veut qu'on lui prouve celle de Dieu; il

faut désespérer toutes ses croyances, même les plus invincibles, et placer sa raison aux abois dans l'alternative, ou de vivre de foi, ou d'expirer dans le vide.

Mais ôtons d'abord l'équivoque de ce mot de raison, par lequel on désigne deux facultés totalement distinctes, et qu'il est dangereux de confondre; la faculté de connoître et la faculté de raisonner. La raison, dans le premier sens, est le fonds même de notre nature intelligente. Etre intelligent ou raisonnable, c'est être capable de percevoir la vérité; et l'homme a plus ou moins de raison, ou sa raison est plus ou moins éclairée, plus ou moins étendue, selon qu'elle renferme plus ou moins de vérité. Il n'importe comment nous parvenions à la connoître, pourvu que nous soyons certains de la posséder. La certitude est la base essentielle de la raison car être incertain si l'on connoît, c'est ne pas connoître; le doute n'est qu'une ignorance aperçue. D'un autre côté, l'on peut avoir une idée très-nette d'une vérité sans la comprendre: ainsi, comprendre n'est point une condition nécessaire de la raison. En effet, nous connoissons avec certitude certaines vérités que nous ne comprenons nullement, comme l'action de la volonté sur les organes, la transmission du mouvement, et mille autres phénomènes semblables; et quiconque a ré→

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fléchi sur l'entendement humain, avouera sans hésiter que nous ne concevons rien parfaitement.

La raison, dans le second sens, est l'opération de l'esprit, par laquelle, comparant des vérités connues, nous en découvrons les rapports, et nous en tirons des conséquences. Ainsi, quand nous disons que la raison nous trompe, lorsque nous déplorons sa foiblesse et ses erreurs, cela ne doit pas s'entendre de la faculté de connoître, ou de la raison proprement dite, mais de la faculté de raisonner; facultés si différentes, que la perfection de la raison, ou la connoissance complète de la vérité, exclut le raisonnement; car raisonner, c'est chercher; et l'on ne cherche point ce qu'on possède, ce qu'on aperçoit pleinement par une claire intuition.

Cela posé, notre premier soin doit être de nous assurer s'il existe pour nous un moyen de connoître certainement, et quel est ce moyen; autrement, notre raison manquant de base, il nous faudroit douter de tout sans exception. Or, les seuls moyens de connoître que nous trouvions en nous sont les sens, le sentiment et le raisonnement. Voyons donc s'ils nous offriront la certitude qu'il nous importe si essentiellement d'obtenir.

De toutes les philosophies, la moins solide est celle qui rapporte aux sens l'origine de nos con

noissances, et fait dériver les idées mêmes des sensations: car qu'est-ce que nos sens peuvent nous apprendre de certain, et sur nous-mêmes, et sur les autres êtres? Qu'osérons-nous affirmer sur leur témoignage? La première leçon qu'ils nous donnent, c'est de nous en défier. Chacun d'eux, pris à part, nous abuse par de vaines illusions; ils se convainquent à toute heure mutuellement d'imposture ; et lorsqu'en modifiant l'un par l'autre leurs rapports divers, on parvient à les accorder sur un point, quelle assurance a-t-on que ce point, au lieu d'être une vérité, ne soit pas une erreur commune? Pourquoi, nous trompant séparément, ne nous tromperoientils pas tous ensemble? Comme des témoins suspeets, et mille fois reconnus pour menteurs, nous les interrogeons isolément, nous rapprochons, nous comparons leurs dépositions disparates, nous essayons de les concilier; mais quand nous y réussirions toujours, en serions-nous plus avancés ? Qui nous dit qu'un sixième sens, par un témoignage contraire, ne troubleroit pas leur accord? Sur quoi se fonderoit-on pour le nier? Supposonsnous des sens différens de ceux dont la nature nous a doués, nos sensations, nos idées ne seroient-elles pas aussi différentes? Peut-être suffiroit-il, pour ruiner toute notre science, d'une légère modification dans nos organes. Peut-être y a-t-il des êtres or

ganisés de telle sorte que, leurs sensations étant en tout opposées aux nôtres, ce qui est vrai pour nous, soit faux pour eux, et réciproquement. Car enfin, si l'on veut y regarder de près, quel rapport nécessaire existe-t-il entre nos sensations et la réalité des choses? Et quand il existeroit un tel rapport, comment les sens nous l'apprendroient-ils? Je vois dans mes sensations une suite de phénomènes dont la nature et la cause me sont également inconnues, et dont par conséquent je ne puis rien conclure. Qu'est-ce que sentir? Qui le sait? Suis-je même certain que je sente? Quelle autre preuve en ai-je que ma sensation même, ou plutôt je ne sais quelle croyance souvent trompeuse, puisqu'il m'arrive, durant le sommeil, de croire éprouver une sensation ou de plaisir ou de douleur, dont je reconnois au réveil l'illusion? Que dis-je au réveil? Et ne seroit-ce point encore une nouvelle illusion? un songe qui succède à d'autres songes? Le oui, le non a ses vraisemblances; et qui démontreroit que la vie entière n'est pas un rêve, une chimère indéfinissable, feroit plus que n'ont faire tous les philosophes jusqu'à ce jour. Dans ces étranges perplexités, ce qui me paroît le moins douteux, c'est que mes sensations, si j'en ai, sont en moi; qu'elles y sont fréquemment sans être produites par aucune cause externe, qu'ainsi il n'existe entre elles

pu

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