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des lieux; et telles expressions ou tournures de style nous paraissent aujourd'hui en France triviales ou déplacées, qui, il y a dix-huit siècles, et dans une autre nation, pouvaient fort bien être trouvées élégantes, énergiques et même sublimes.

Je pourrais citer un grand nombre de passages qui, à cet égard, ne laisseraient dans Perse aucun espoir de salut à la traduction littérale ; mais je me bornerai à en transcrire encore un seul au lecteur, pour lui faire juger jusqu'à quel point je puis être fondé ou non dans l'observation que je lui fais. Le poète latin, tournant en ridicule un autre avare, s'exprime ainsi dans sa sixième satire :

solis natalibus est qui

Tingat olus siccum muria vafer in calice empta,
Ipse sacrum irrorans patinæ piper,.,....

(C'est à dire en prose française) : « L'un d'eux, » seulement le jour anniversaire de sa naissance » assaisonne un légume sec avec un peu » saumure que, par calcul, il a achetée au pot;

de

» et arrose lui-même le plat avec une pincée de » son poivre auquel il semble ne toucher que » comme à un objet sacré. »

Je conviens que ce tableau, quoiqu'un peu trivial et puéril, peint fidèlement l'action d'un avare qui, le jour de sa fête, traite chez lui quelques convives; mais notre poésie a de rigoureuses lois que nous sommes obligés de suivre, bon gré mal gré, et desquelles nous ne saurions nous écarter sans encourir le danger d'être condamnés par les gens de goût et par les littérateurs éclairés qui sont les juges infaillibles des écrivains et de leurs traducteurs,

« Qu'on interroge, dit Dalembert, ceux de » nos grands poètes qui ont fait passer avec >> succès dans notre langue quelques beaux endroits » de Virgile ou d'Homère : combien de fois » ont-ils été forcés de substituer aux idées qu'ils >> ne pouvaient rendre, des idées également heu>> reuses et puisées dans leur propre fonds, de >> suppléer aux vers d'image par des vers de

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›› sentiment, à l'énergie de l'expression par la

» vivacité des tours, à la pompe de l'harmonie >> par des vers pensés ? »>

Il cite pour exemple ces vers de Virgile sur les malheureux qui se sont donné la mort:

Qui sibi lethum

Insontes peperêre manu, lucemque perosi

Projecêre animos.

Détestant la lumière, ils ont, dit le poète, jeté la vie loin d'eux. L'habile traducteur y a substitué ces deux beaux vers:

Ils n'ont pu supporter, faibles et furieux,

Le fardeau de la vie imposé par les Bieux.

« Peut-être est-il difficile, poursuit Dalembert, » de décider auquel des deux poètes on doit » donner la préférence; mais il est aisé de voir » que les vers français ne sont nullement la >> traduction des vers latins. Traduire un poète >> en prose, c'est mettre en récitatif un air me» suré ; le traduire en vers, c'est échanger un » vers mesuré en un autre qui peut ne lui céder » en rien, mais qui n'est pas le même. D'un

» côté, c'est une copie ressemblante, mais faible; » de l'autre, c'est un ouvrage sur le même sujet plutôt qu'une copie. »>

Rien n'est plus juste que ce raisonnement et ces comparaisons seulement la dernière proposition me paraît un peu exagérée; et il me semble qu'il n'est pas impossible de remédier en partie à l'inconvénient qui résulte de la traduction en vers. Un poète qui sait bien manier są langue, un littérateur dont le style et le goût auront déjà été exercés par le travail, saura employer à propos

dans ses traductions les ressources de l'art et les tournures dont son modèle se serait lui-même servi s'il avait écrit de son temps; et, par cela même les vers qu'il traduira seront quelque chose de plus qu'un ouvrage sur le même sujet. Mais ce n'est qu'en possédant ce rare don de la nature, plutôt qu'en faisant de longs efforts pour y suppléer, que l'on pourra parvenir à traduire un poète quelconque, je ne dis pas avec perfection, mais seulement avec succès.

Car, qu'on ne croie pas, quel que soit le talent de l'interprète, de jamais trouver une

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traduction sans défauts, c'est-à-dire qui soit à la fois fidèle et correcte. Il d'excellentes tra

y a

ductions de Virgile et d'Homère; mais il n'y en a pas plus de parfaites qu'il n'existe de parfaites copies des tableaux de Raphaël et de MichelAnge. Le génie de l'artiste est sa propriété comme une découverte appartient à celui qui en est l'inventeur; et si le second reçoit un brevet de son souverain, la gloire est celui du premier, qui est couronné le par temps et la renommée. Ce n'est pas que je veuille ôter au bon traducteur le droit qu'il a sur la reconnaissance publique, ⚫ ainsi que le degré de mérite qui peut lui être départi au contraire; mais ce n'est que de la reconnaissance, ou tout au plus un mérite relatif. Toutefois, on devrait lui en accorder d'autant plus que sa tâche est pénible, et qu'en lui rapportant peu de gloire elle offre le double avantage d'instruire les hommes et de satisfaire à leur curiosité.

Quel Français un peu éclairé ne sera pas reconnaissant à Delille de nous avoir laissé une si belle traduction des Géorgiques de Virgile?

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