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quel Anglais ne le sera pas à Pope d'en avoir fait une si bonne de l'Iliade d'Homère? Certes ce sont-là deux bien grands traducteurs ; mais leurs vers, quelque pleins de beautés qu'ils soient, ne peuvent encore nous donner qu'une faible idée du génie de leurs sublimes modèles.

Le style de Perse est concis et serré; mais cette qualité, poussée quelquefois trop loin, le rend obscur à la première lecture, et l'a souvent fait juger avec beaucoup de sévérité. On rapporte que saint Jérôme ne pouvant comprendre certain passage de ses satires, les jeta brusquement au feu, en disant : сс << Brûlons-les , pour les rendre claires! » Saint Ambroise, dans le même cas, dit à son livre « Puisque tu ne veux pas être compris, je ne veux pas non plus te comprendre. » (Si non vis intelligi, non ego volo te intelligere.) D'autres, sans traiter Perse avec autant de rigueur, ne l'ont pas plus ménagé dans leurs jugemens, à cause de la difficulté qu'ils ont éprouvée à en apprécier le mérite. Quelques-uns même, et ceux-ci sont du plus petit nombre, ont blâmé la sécheresse et

la rigidité de sa morale, à leur avis peu consolante; le tout, sans doute, par les mêmes motifs que les premiers, mais avec moins de franchise, ou peut-être encore afin de n'être pas obligés d'avouer leur propre faiblesse. Quoi qu'on puisse dire de ces divers jugemens, il est facile de voir qu'ils ont été, le plus souvent, dictés par le dépit de la paresse ; et que notre poète n'offre pourtant pas au traducteur des difficultés si grandes qu'avec de la méditation et de la persévérance on ne puisse parvenir à les vaincre certes, elles en valent bien la peine. Une chose qui pourrait, en quelque sens, rendre plus juste l'accusation que l'on fait à Perse de son obscurité, ce serait cette foule d'interlocuteurs qu'il met en scène à tout propos, qui se croisent et se choquent de telle sorte entre eux et avec lui-même, que l'on est quelquefois tenté de changer leur place et réduit à les confondre. Ce défaut se présente sous un point de vue bien défavorable dans la cinquième satire sur la liberté où l'Avarice et la Volupté personnifiées viennent prendre place dans le dialogue avec le narrateur, de manière à ce qu'on

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les confond avec lui et ses personnages. Il est presqu'impossible, même avec le secours des traits ou des guillemets qu'il faut y adapter, quoiqu'ils ne soient pas dans le texte, d'exposer son tableau sous des couleurs parfaitement pures et nettes. Je crois pourtant y avoir assez heureusement remédié par l'opposition du singulier au pluriel du pronom personnel vous dont notre langue nous a laissé la faculté du choix, selon l'occasion et le besoin; ressource que n'avaient pas les Latins chez qui le tutoîment était général.

Tout en convenant sur ce point de l'obscurité de Perse, si on ne craignait pas de lui faire injure en voulant le disculper sur le reproche qu'on lui en fait trop exclusivement, que de moyens n'aurait-on pas pour arriver à ce but avec succès ? On ferait remarquer d'abord le soin qu'il a été obligé de mettre à cacher sous le voile de l'allégorie tous les traits qu'il voulait diriger contre Néron; et son livre en est plein. Ensuite on ferait observer la licence avec laquelle ses premiers éditeurs ont traité son manuscrit, qui n'était, dit-on, dans le principe, qu'une seule

satire dont ils jugèrent à propos de faire six pièces distinctes, ce qui peut bien n'avoir pas nui au mérite intrinsèque de l'ouvrage, mais dont l'opération était au moins sujette à bien des erreurs qui lui seraient étrangères. En troisième lieu, on objecterait pour sa défense la concision même, quoique souvent un peu outrée de son style; concision dont on lui fait un reproche, laquelle lui est propre et n'était nullement considérée, de son temps, comme un défaut, mais qui le devient en apparence par l'éloignement ou l'opposition de notre siècle avec celui auquel il écrivait, et plus encore par l'amour-propre de notre intelligence blessée.

Résumons-nous : en soumettant aux yeux du public éclairé une traduction en vers français des satires de Perse, je suis loin d'avoir eu la présomption de lui offrir un ouvrage qui pût avoir des droits incontestables à ses suffrages. Faire tous mes efforts pour identifier mes sentimens et mes expressions avec ceux de mon modèle; tâcher de bien comprendre sa pensée

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et ses principes de morale pour éviter d'introduire

de choquantes disparates à la place des modifications indispensables dont son style est condamné à subir les variétés par la traduction; me rapprocher de son caractère local et même de ses inspirations autant qu'il serait en mon pouvoir et que notre langage poétique nous le permet; ne m'en écarter, avec une juste réserve et un scrupuleux ménagement que lorsque le cas l'exigerait et lorsqu'il se présenterait à mon esprit des substitutions heureuses; ne jamais me détacher du lieu de la scène, des mœurs ou des usages de l'époque à laquelle il écrivait; ne produire enfin , par toutes les ressources que l'art peut fournir à mes faibles lumières 5 que ce qu'il m'est permis de me figurer que mon auteur eût écrit lui-même de son temps dans notre langue, s'il l'avait connue ; voilà quelles ont été les bas es sur lesquelles j'ai établi mon édifice qui, malgré toutes ces précautions, ne sera encore qu'un bien frèle monument pour la postérité. J'en ai fait l'essai pour me satisfaire moi-même et dans l'espoir d'être utile à mon pays; j'en serai content s'il me sait quelque gré des efforts que j'ai faits dans

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