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nous n'hésiterons point à répondre, comme Nicole: Je le crois.

On vient d'entendre le cartésien; veut-on entendre le philosophe dégagé de l'esprit de système? « L'homme est si éloigné de con<< noître la vérité, qu'il en ignore même les << marques et les caractères. Il ne se forme << souvent que des idées confuses des termes « d'évidence et de certitude; et c'est ce qui fait << qu'il les applique au hasard à toutes les vaines << lueurs dont il est frappé 1. »

Ne trouvez-vous pas que ces réflexions s'accordent merveilleusement avec la philosophie de Descartes, enseignée par Nicole dans l'Art de penser? Comprenez, si vous pouvez, comment l'homme, qui est si éloigné de connottre la vérité, qu'il en ignore même les marques et les caractères, trouve néanmoins en lui-même, et dans ses propres idées, une marque certaine de la vérité.

I

1 Nicole, Traité de la foiblesse de l'homme, chap. IX. * Une philosophie anti-naturelle a dû tout réduire en art, et la pensée même, qui est la nature de l'homme intelligent. Je m'étonne qu'après leur livre sur l'art de penser, ces philosophes n'en aient pas fait un sur l'art d'étre.

Ces sortes de contradictions auxquelles les meilleurs esprits échappent moins que d'autres, lorsqu'ils sont prévenus en faveur de quelque fausse opinion, ne doivent pas leur être reprochées trop sévèrement. On n'y doit voir que l'ascendant de la vérité qui les entraîne, et rien n'ajoute plus à son éclat que cette espèce de force toute-puissante avec laquelle elle se fait jour à travers les préjugés. Ainsi, ce même Nicole qui, selon la philosophie de son temps, met dans l'homme individuel le principe de certitude, ne laisse pas de faire observer, lorsqu'il parle comme moraliste, cette grande loi de notre nature, plus ou moins méconnue par tous les philosophes : « Notre juge<«<< ment, qui est toujours foible et timide quand <<< il est tout seul, se rassure quand il se voit << appuyé de celui d'autrui 1».

1

Que si l'on veut une nouvelle preuve de l'impuissance où l'on est d'arriver à la certitude par les principes de la philosophie enseignée depuis Descartes dans l'école, voici ce qu'écrivoit Euler, un de ses plus illustres dé

Essais, tom. II, pag. 42.

fenseurs « Je souhaiterois pouvoir fournir à <<< votre altesse les armes nécessaires pour <«< combattre les idéalistes et les égoïstes, et « démontrer qu'il existe une liaison réelle entre <<< nos sensations et les objets mêmes qu'elles «< représentent*; mais plus j'y pense, plus je << dois avouer mon insuffisance.... Il est aussi << difficile de disputer avec les idéalistes, et il « est même impossible de convaincre de l'exis<< tence des corps un homme qui s'obstine à <<< la nier ».

Il seroit, je crois, superflu de citer d'autres philosophes de l'école cartésienne. On vient d'entendre les chefs. Il ne reste plus qu'à examiner leur doctrine en elle-même pour en montrer l'insuffisance et les graves in

convéniens.

* Il auroit pu en dire autant de la liaison des idées purement spirituelles avec leurs objets. C'est précisément la même question et la même difficulté.

1 Lettres à une princesse d'Allemagne, tom. II, pag. 74; édit. de 1788.

CHAPITRE IX.

Danger de la philosophie qui place dans la raison de l'homme individuel le principe de certitude.

On vient de voir que les philosophes qui, toute foi mise à part, comme s'exprime Pascal, cherchent, dans leur raison seule, une premiere vérité certaine pour servir de base à l'edifice de leurs connoissances, ne peuvent pas même, de leur aveu, parvenir à la certitude de leur existence; et qu'en ne voulant rien admettre sans preuve rationnelle ils se mettent dans l'impuissance absolue de rien prouver. Ce seroit déjà certes assez, pour abandonner une philosophie tellement sceptique par son essence, que quiconque la suivroit rigoureusement douteroit de son être même *

; une

*Parce que, avec cette philosophie, on étoit croyant sous Louis XIV, il ne faut pas s'imaginer qu'elle soit

philosophie si opposée à la nature de l'homme, qu'il lui faudroit, pour être conséquent, renoncer à toute croyance, en sorte que, soit qu'il affirme, soit qu'il nie, soit qu'il parle, soit qu'il agisse, il contredit ouvertement les maximes qui doivent, à ce qu'il prétend, ré

étrangère au scepticisme moderne. On ne tire pas d'abord toutes les conséquences d'un principe, surtout quand il est très général, et que ces conséquences sont opposées à une foi reçue auparavant. C'est ce qui explique comment les protestans conservèrent une partie des croyances chrétiennes, qui néanmoins ont toujours été s'affoiblissant parmi eux. Une personne très respectable, encore vivante, nous a raconté que, dans sa jeunesse, elle avoit eu des liaisons avec Diderot, dont elle admiroit alors la philosophie. Un jour elle lui dit : « Monsieur Diderot, << vous et vos amis vous devez être bien contens du pro« grès que font vos doctrines. Contens, monsieur ! étonnés, répondit l'encyclopédiste. Quand nous avons « commencé, nous n'avions d'autre dessein que d'argu<<< menter comme on argumente dans l'école. On disoit, « cela est prouvé. Nous avons dit, examinons, et cela << est devenu ce que vous voyez ». Que Diderot fût sincère ou non, ses paroles n'en sont pas moins remarquables; car, s'il n'a pas dit ce qu'il vouloit faire, il a dit certainement ce qu'il a fait. Il a cherché, par la méthode philosophique, la vérité de toutes choses; et cela est devenu ce que nous voyons.

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