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reste à faire voir comment ce principe de scepticisme devient une cause d'erreur.

Le doute est pénible à l'homme, et si opposé à sa nature, qu'il n'y eut jamais, comme l'observe Pascal, de pyrrhonien effectif et parfait. Il a beau s'armer contre toutes les croyances, elles le subjuguent malgré lui, et son intelligence, qui s'éteindroit, s'il pouvoit arriver à un doute universel, se conserve par la foi; foi naturelle, foi indestructible, qui triomphe de tous les efforts d'une raison égarée par l'orgueil.

Mais cet orgueil, qui cède si difficilement l'empire, veut au moins que, forcé de croire, l'homme demeure juge de la vérité; et il n'est point de philosophie qui ne suppose que chaque esprit se suffit à soi-même, et doit trouver en soi la règle du vrai. Abandonné dès lors à ses ténèbres et à sa foiblesse, sans que nul ait le droit de le redresser, il se contemple et s'admire dans sa triste indépendance. Sans guide comme sans maître, il s'avance dans les régions intellectuelles, prononçant en dernier ressort sur tout ce qu'il rencontre, et se créant à lui-même les lois qui le doivent régir, ou plutôt ne reconnoissant de loi, de certitude, de vérité,

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que ses pensées du moment et ses fugitives perceptions.

Considérez de quelle manière l'erreur naît et se conserve. Qu'est-elle d'abord? le jugement d'un homme qui croit en soi ; l'acquiescement de l'esprit à ce qui lui paroît vrai, sans s'être assuré qu'il paroît également vrai à d'autres esprits. Qu'est-elle ensuite, quand l'opposition devroit au moins produire une juste et salutaire défiance? l'obstination à en croire sa raison, de préférence à une raison plus générale. Il n'existeroit nulle erreur dans le monde, si, toujours persuadé de la foiblesse de son jugement, l'homme n'acquiesçoit jamais complètement à son seul témoignage, et ne refusoit point de rectifier ses pensées sur celles d'autrui, avec une confiance proportionnée à l'autorité qui les contredit.

Les fausses opinions, les fausses religions, ne se sont établies et perpétuées que par une semblable révolte contre l'autorité générale ; que parce qu'un homme premièrement, et ensuite d'autres hommes, ont préféré leur raison particulière à la raison de tous, à la raison du genre humain dans les choses hu

maines, et à la raison de Dieu dans les choses divines. Qu'est-ce qu'un hérétique? C'est un homme qui se sépare de la société chrétienne, de l'Église, et renonce à la foi commune. Qu'estce qu'un déiste, un athée? C'est un homme qui se sépare de la société humaine, et renonce au sens commun. Mais si chacun de ces hommes a en soi une règle infaillible de ses jugemens, si vous leur dites que c'est leur raison particulière qui doit déterminer leurs croyances, de quel droit prétendrezvous qu'ils ont mal jugé? de quel droit les condamnerez-vous? de quel droit exigerez-vous qu'ils soumettent leur raison à d'autres raisons qui ne sont pas plus infaillibles que la leur? Soyez au moins conséquens. Ou ils sont juges de la vérité, ou ils ne le sont point: s'ils sont juges de la vérité au même titre que vous et que tout autre homme, ni vous ni aucun autre homme ne peut leur faire une obligation de déférer à son jugement; s'ils ne sont pas juges de la vérité en dernier ressort, dites-le donc nettement, et renoncez à votre philosophie individuelle, pour revenir à la philosophie du genre humain, au sens com

mun.

La règle des cartésiens étant admise, nul n'a le droit de dire absolument, Ceci est vrai, cela est faux; mais seulement, ceci est vrai, cela est faux pour moi; car un autre peut très bien juger faux ce que nous jugeons vrai, et réciproquement. Or, en ce cas, il n'y a pas de motif pour que mon jugement prévale sur celui d'autrui, ni celui d'autrui sur le mien; il n'y en a pas non plus qui doive m'empêcher d'affirmer comme vrai ce qui me paroît vrai, dès qu'on ne reconnoît point de tribunal au-dessus de la raison particulière. J'affirmerai donc, si je suis conséquent, la vérité de mon jugement; un autre affirmera de même la vérité d'un jugement contraire; et l'on aura autant de vérités que de têtes; c'està-dire qu'en toutes choses tout sera vrai et tout sera faux, comme tout est faux et tout est vrai en religion pour les hérétiques, qui, rejetant l'autorité de l'Église, ne reconnoissent d'autre règle que leur raison, ou l'Écriture interprétée par leur raison.

Si, pour sortir de cet embarras, on a recours au consentement commun ou à l'autorité de la raison humaine, de deux choses l'une: ou l'on restera personnellement juge de

ce qu'elle prononce, et alors on retombe dans les mêmes inconvéniens; ou il faudra obéir à ses décisions, et croire', sur son témoignage, que l'on perçoive clairement ou non, et alors c'est abandonner entièrement la philosophie cartésienne.

Voulez-vous, au contraire, la suivre rigoureusement, l'adopter tout entière avec ses principes et ses conséquences. D'abord il vous sera impossible d'éviter le scepticisme; ensuite, vous serez contraint de laisser chacun penser comme il peut et comme il veut, car enfin chacun a, comme vous, sa raison qui est sa règle. En vertu de cette règle, l'erreur aura le même fondement et les mêmes droits que la vérité; on lui devra le même respect, la même croyance, pourvu qu'elle soit assez profonde pour obscurcir complètement l'esprit. En vain tous les hommes viendroient dire à un homme ainsi aveuglé: Tu te trompes. Cet homme, s'il croit avoir une perception claire et distincte de ce qu'il pense, répondra et devra répondre à tous les hommes: C'est vous-mêmes qui vous trompez. Il devra se croire seul lui-même plus éclairé, plus infaillible que le genre humain. Ce n'est pas là

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