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scepticisme, et qu'il eût détruit d'une main ce qu'il a de l'autre si solidement édifié; mais il seroit possible que, dans un siècle où l'on a tout ôté à la foi pour donner tout à la raison, entraîné loin de son terrain par la nécessité de suivre ses adversaires, il eût dépassé les bornes, et ôté trop à la raison pour le donner à la foi ; et ce ne seroit pas le premier exemple de ces excès souvent involontaires auxquels de bons esprits se sont quelquefois laissés aller, et qui sont moins la faute des hommes que celle des temps. où ils vivent et des doctrines qu'ils ont à combattre.

Réfléchissons toutefois à la terrible guerre que les vérités sur lesquelles est fondée la société soutiennent depuis trois siècles, et à ce furieux combat marqué de nos jours par une audace inouïe et des succès si déplorables, et nous reconnoîtrons que cet abandon presque général de la vérité, ces défections honteuses, cette extinction de la foi, d'autant plus alarmante qu'elle est politique et en quelque sorte nationale, semblent indiquer qu'il manqué quelque développement aux vérités, fondemens de l'ordre public; car la vérité, même la vérité morale, n'est publiquement combattue que parce qu'elle est méconnue, et l'on ne nie pas plus la légitimité de la défense du meurtre et du vol, que les propositions élémentaires de la géométrie; et nous ne nous étonnerons plus qu'il paroisse de loin en loin dans le monde social, non des vérités nouvelles, elles sont toutes aussi anciennes que Dieu et que l'homme, mais des manières nouvelles de les présenter, non nova, dit saint Augustin, sed novè, appropriées aux temps et aux esprits, qui les offrent aux hommes sous des rapports qu'ils n'avoient pas encore aperçus, qu'il ne leur avoit pas

même été nécessaire d'apercevoir, et qui, renfermés dans la vérité comme dans le sein de leur mère, en sortent quand il faut et comme il le faut; et ainsi s'approche peu à peu le moment où les hommes verront la vérité face à face, et non comme en figure et sous des voiles, nunc quasi per speculum et in enigmate, tunc autem facie ad faciem.

Et ne pourrions-nous pas trouver un exemple de ce développement successif des vérités nécessaires dans ce sublime ouvrage Du Pape, récemment publié par l'homme célèbre dont l'amitié m'honore et le suffrage m'encourage, M. le comte de Maistre, ministre d'état du roi de Sardaigne? Je sais qu'il a essuyé en France les mêmes contradictions que celui de M. l'abbé de la Mennais. Mais on auroit dû, ce me semble, considérer que les opinions qu'on a reprochées à l'auteur étranger, plutôt nationales que personnelles, et qui sont celles de toute l'Europe catholique, la France exceptée, n'ont jamais été condamnées par l'Église ; qu'on est, hors de France, et même en France, libre de les adopter, libre de les combattre; que de grands esprits les ont hautement défendues; que d'autres grands esprits, sans combattre celles-là, en ont, et avec quelque timidité, soutenu de contraires; que celles-ci ont été en France beaucoup plus appuyées par l'autorité laïque que par l'autorité ecclésiastique; et en laissant à part ces opinions, que l'autorité religieuse a jugées jusqu'ici indifférentes, on auroit reconnu que M. le comte de Maistre a présenté la papauté, centre et premier moyen de toute la civilisation du monde et de toute perfection morale de la société, sous les points de vue les plus magnifiques, les

plus nouveaux et les plus vrais ; qu'il a appris aux gouvernemens ce qu'elle étoit dans le monde même politique, et ce qu'elle devoit être; et qu'il a, plus que tout autre écrivain, mis sur le chandelier cette lumière qui doit éclairer toutes les nations. Ces grandes vérités, Leibnitz lui-même, quoique né dans une communion séparée, les avoit entrevues; mais il étoit nécessaire de les montrer dans tout leur jour, depuis que tous les pouvoirs de la société, et celui-là plus que tous les autres, étoient devenus l'objet de la haine la plus envenimée et de l'attaque la plus furieuse qu'ils eussent jamais essuyée.

D'autres écrivains avoient essayé de faire voir l'intime alliance des vérités religieuses et des vérités politiques, conduits à cette démonstration par la séparation totale qu'on avoit voulu introduire entre elles pour mieux les ruiner toutes: M. l'abbé de la Mennais a considéré d'une manière rationnelle les vérités religieuses; il a voulu faire cesser le divorce qui existoit entre la philosophie et la religion, en montrant ou plutôt en démontrant que la plus haute et la meilleure philosophie consiste à soumettre sa raison à l'autorité de la religion.

On peut ramener à un seul point la question qui s'est élevée entre M. l'abbé de la Mennais et ses adversaires.

L'homme a en lui-même, et dans sa nature, intelligente à la fois et corporelle, trois moyens de parvenir à la connoissance de la vérité : les sens, le sentiment ou sens intime, et le raisonnement. Jusque-là l'auteur est d'accord avec ses contradicteurs. Mais ces trois moyens sont insuffisans pour le conduire à la certitude, non à cette certitude en quelque sorte provisoire, ou, si l'on veut, spécu

lative, qui fait que l'homme se rend à lui-même témoignage et se croit suffisamment assuré de la vérité de ce qu'il invente ou de ce qu'il découvre ; mais de cette certitude définitive, absolue, publique, pratique, cette certitude dont l'individu n'a pas besoin pour exister, mais dont la société a besoin pour établir l'ordre, et qui est le fondement de toutes les lois qu'elle nous impose et de tous les sacrifices qu'elle nous commande. Car remarquez encore qu'autre chose est la croyance, autre chose est la certitude. On croit beaucoup de choses; la croyance suffit à l'homme pour tout ce qu'il veut entreprendre. Mais pour donner des lois et imposer des croyances à la société, j'entends des croyances vraies et salutaires, il faut la certitude. Quand Christophe Colomb alloit chercher un nouveau monde, il avoit la croyance de le trouver, et cette croyance, toute impérieuse qu'elle étoit, n'étoit pas une certitude. Mais pour donner des lois à la société humaine, il faut avoir la certitude de leur bonté absolue; et où peutelle se trouver, sinon dans l'autorité des lois primitives naturelles, divines, dont tous les législateurs ont tiré, comme des conséquences, leurs lois positives?

C'est ici que commence la contradiction, et l'on a cru voir que M. l'abbé de la Mennais ruinoit toute autre certitude que celle qui nous vient de la foi, et qu'il ôtoit trop à la raison pour le donner à l'autorité, et trop à l'homme pour en investir la société.

Remarquons d'abord que les sens, le sentiment, le raisounement, ne sont en eux-mêmes des moyens de connoître la vérité qu'autant que nous réfléchissons sur le rapport de nos sens, sur les aperçus de notre raison, ou

que nous avons la conscience de nos sentimens. Mais nous ne pouvons avoir cette conscience, ni réfléchir sur ce que nos sens nous rapportent ou que notre raison aperçoit, sans penser; ni penser sans signes ou expressions au moins mentales de nos pensées, c'est-à-dire que nous ne pouvons penser sans paroles, et que, les paroles ou le langage nous ayant été transmis d'autorité, sans contradiction de notre part, même sans raisonnement et par un acquiescement indélibéré, il est vrai de dire que même les moyens de connoître, ou si l'on veut la faculté d'en faire usage, nous ont été transmis d'autorité, et nous sont venus de la société d'êtres semblables à nous en intelligence.

En général, cette doctrine de la liaison intime, nécessaire, indispensable, de la pensée et de la parole, a quelque peine à entrer dans les esprits qui, ne voyant la parole que dans l'articulation extérieure, ne réfléchissent pas assez qu'il faut, comme je l'ai dit ailleurs, penser sa parole pour pouvoir parler sa pensée; que les idées sont en nous sans doute, mais les que nous ne apercevons que dans les expressions qui les revêtent et leur donnent en quelque sorte un corps.

a

Quand on a accusé M. l'abbé de la Mennais de ruiner tous les fondemens de la croyance humaine, lorsqu'il nié la certitude de l'axiome de Descartes, je pense, donc je suis, en tant que cette certitude ne nous viendroit que de nous-mêmes; on n'a pas fait attention que l'homme ne pourroit, même mentalement, dire je pense, sans paroles intérieurement prononcées, auxquelles il donne le sens que lui ont enseigné ceux qui les lui ont apprises, et que dès lors cette certitude, cette conscience de sa propre

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