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existence, qu'il tire de cette pensée, lui vient précisément de l'autorité qui lui a enseigné à dire je pense, ou le mot équivalent qui, dans toutes les langues, signifie cette opération de l'esprit qui nous représente les objets, leurs rapports et leurs propriétés; et que sans cette première instruction, que l'homme certainement ne s'est pas donnée à lui-même, il ne pourroit, pas plus que l'animal, dire je pense, ni par conséquent ajouter donc je suis; et loin d'avoir aucune certitude de sa pensée et de son être, il ne pourroit pas plus que la brute avoir la conscience de l'un ni de l'autre. Son existence, sans doute, seroit une vérité, mais pour lui elle ne seroit pas une certitude; il n'y penseroit pas, et elle seroit pour lui comme si elle n'étoit

pas.

Il faut, avant tout, bien s'entendre sur ce qui est vérité ou erreur. La vérité est tout ce qui conserve, l'erreur tout ce qui détruit; la vérité aboutit à la vie, l'erreur à la mort et cela est vrai au sens moral comme au sens physique.

Il y a des vérités relatives à notre conservation purement individuelle et physique pour lesquelles la nature nous avertit sans autre autorité que la sienne, mais elles sont en plus petit nombre qu'on ne pense.

Je marche un précipice s'ouvre sous mes pas, je m'arrête et me détourne; une pierre est prête à m'écraser, je fuis; je suis fatigué, je m'assieds; il pleut, je me retire sous un abri. Les animaux en font autant, et je n'ai besoin, pour cela, ni de pensée, ni de réflexions, ni de l'autorité des leçons, ni de celles des exemples.

Mais si je veux satisfaire des besoins plus composés, si j'ose ainsi parler, de ces besoins qui supposent l'homme

en quelque état de société; si je veux me loger et me vêtir, est-ce par mes propres réflexions ou par l'autorité de l'exemple que je préfère telle ou telle manière à telle autre? Même pour le premier de tous les besoins, celui de se nourrir, la nature apprend-elle à l'homme, comme elle apprend à l'animal, à distinguer les substances nuisibles des alimens salutaires; et pourroit-il, au premier âge de la société, choisir entre ceux-ci et ceux-là, si celle qui lui a donné de son sein la première nourriture ne lui avoit indiqué, au moins par son exemple, les alimens qui doivent la remplacer?

On dira peut-être que c'est par la raison même, et non par autorité, que nous parvenons à la connoissance des vérités mathématiques. Mais, outre qu'elles nous ont été primitivement enseignées par des maîtres comme toutes les vérités rationnelles, outre qu'elles ne peuvent être l'objet de nos pensées, de nos réflexions, de nos recherches, que par le moyen du langage qui nous a été transmis par la société, il faut ici distinguer la vérité intrinsèque d'une chose, de sa certitude extérieure et publique, et cette distinction me paroît jeter un grand jour sur la question qui nous occupe.

:

Tout ce qui est est vrai ou vérité, car l'erreur n'est rien, n'est pas il est vrai indépendamment de notre faculté de connoître et même de notre acquiescement; mais il ne devient adsolument certain pour nous que lorsqu'il est non seulement connu de quelques esprits, mais qu'il est universellement reconnu pour vrai, et les mots latins qui servent à exprimer la certitude, certum facere, certum fieri, indiquent tout seuls que la certitude nous vient d'ailleurs que de nous-mêmes.

Les propriétés du carré de l'hypothénuse étoient vraies de toute éternité, mais les hommes n'en ont eu la certitude que lorsque la démonstration en a été universellement connue et approuvée. Combien, dans les sciences, de vérités cachées, peut-être soupçonnées, et à qui il manque la certitude qui naît du consentement universel! Et si la démonstration d'une vérité géométrique n'étoit pas universellement reçue des savans, cette vérité, toute vérité qu'elle seroit, auroit-elle pour nous aucune certitude?

Je passe aux vérités morales ou sociales, les seules qui aient été l'objet des méditations de M. l'abbé de la Mennais. Pour fortifier sa démonstration, il s'est longuement étendu sur la foiblesse, l'incertitude, les erreurs de nos sens, de notre sentiment, de nos jugemens: mais dans quels philosophes, même religieux, ne trouve-t-on pas les mêmes observations? Que n'ont pas dit sur ce même sujet et Montaigne et Pascal, et Malebranche, qui veut que nous voyions tout en Dieu, et même le monde sensible? Et M. l'abbé de la Mennais n'a fait que dire d'une manière plus absolue que ces trois moyens de connoître, suffisans pour l'objet que la nature s'est proposé, suffisans, si l'on veut, à notre existence passagère, faillibles eux-mêmes, et tout le monde en convient, étoient insuffisans pour donner à la société cette certitude absolue, infaillible, dont elle a besoin pour soumettre les hommes. au joug de ses croyances et de ses lois.

que

Et d'abord considérez les vérités morales sont certaines d'une certitude morale, qui repose elle-même sur l'autorité des témoignages ; et ici s'applique, ce me semble, le mot de l'apôtre: Fides ex auditu: quomodo au

dient sine prædicante?« La foi vient par l'ouïe: com« ment entendront-ils, si on ne leur parle »? Qui est-ce qui auroit connu la première vérité de l'ordre moral, l'existence de Dieu, si Dieu lui-même ne s'étoit révélé aux hommes; et si la société, une fois instruite de cette vérité, fondement de toute existence sociale, n'avoit transmis à ses enfans, à mesure qu'ils venoient au monde, quelque connoissance de cette révélation primitive? Comment les hommes auroient-ils pu connoître le grand fait de la rédemption du genre humain, moyen de toute perfection et de tout ordre, si des histoires authentiques, conservées d'âge en âge, une tradition non interrompue et d'incontestables monumens, n'en avoient fixé l'époque et raconté les principaux événemens? Les hommes, sans doute, ont des moyens de connoître la vérité, puisque l'intelligence qui les distingue des animaux n'est que la faculté de connoître la vérité, et que la raison qui doit les distinguer entre eux n'est que la vérité connue. Mais l'homme, quel que soit son génie, qui découvre ou croit découvrir une vérité, a-t-il en lui-même l'autorité nécessaire pour la faire recevoir des autres hommes, et leur en donner cette certitude qui triomphe de leurs penchans les plus chers et de leurs habitudes les plus invétérées? Même pour les vérités de l'ordre physique qui sont dans les rapports matériels des êtres sensibles, une fois qu'elles sont montrées • aux hommes, s'ils les retrouvent dans leur propre raison, s'ils les adoptent, le consentement universel établit la certitude, et cette vérité prend son rang parmi les vérités les plus anciennes ; et si, comme nous l'avons déjà dit, elle étoit contredite, et si elle n'étoit pas universelle

ment reconnue, elle seroit encore incertaine, quoiqu'elle pût être une vérité; et il manqueroit quelque chose à sa certitude, parce qu'elle auroit encore quelque côté obscur par où elle ne pourroit être aperçue.

Ainsi le raisonnement, les sens, le sentiment de chaque homme, sont faillibles, et dès lors il ne peut en tirer une certitude infaillible; et cependant leur faillibilité et leur foiblesse sont sans danger pour lui, parce qu'elles peuvent être redressées et averties par les sens, le sentiment, la raison des autres. Mais les sens, le sentiment, le raisonnement de l'universalité des hommes est infaillible, parce qu'ils sont appuyés sur l'autorité de la raison générale, qui est en Dieu, père et conservateur des sociétés humaines, qui a voulu que l'homme ne pût pas vivre isolé, et qui a fait de sa foiblesse individuelle la raison de sa sociabilité et le lien le plus fort de toute existence sociale. Et ne trouvons-nous pas une analogie de cette vérité même dans l'ordre physique, où des entreprises, impossibles à la force individuelle de tous les hommes du monde pris un à un, sont facilement exécutées par les

forces réunies d'un certain nombre? Si l'homme avoit en lui-même la vérité, la certitude, la force, il pourroit vivre seul, et seroit à lui-même toute sa société.

Les vérités de l'ordre moral, ces vérités qui contrarient nos passions, même lorsque notre raison n'a rien à leur opposer, ont besoin, et plus que les autres, de l'autorité du consentement universel pour être reçues. Et qui peut inspirer ce consentement universel à des vérités qui ne tombent pas sous les sens, et qui ont contre elles et les illusions des sens et les révoltes de l'orgueil, si ce n'est

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