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Elle n'est donc pas infaillible par elle-même, ou bien elle n'a besoin d'être formée par personne.

que

pas

Nous ne voulons pas dire cela. Mais, tout en soutenant

la relation des sens, le sens intime, la raison individuelle, sont pour l'homme, même isolé, des moyens infaillibles de certitude, nous ajoutons néanmoins que, dans l'emploi que ce même homme fait de ces règles infaillibles de vérité, il peut se glisser bien des erreurs, dont les principales sources sont au nombre de six, savoir la précipitation, les préjugés, les passions, l'’illusion des sens, l'imagination, et l'ignorance'.

:

C'est bien fait, messieurs, d'apprendre aux jeunes gens qu'avec leurs trois moyens infaillibles de certitude il est encore possible qu'ils se trompent. Autrement ils se croiroient tous des oracles. Pour moi, je vous confesse que je me sens devenir dès ce moment un peu plus humble que je n'étois tout à l'heure. Car je vois bien, d'après ce que vous venez de dire, que, tant que je ne serai pas sûr d'être exempt de toutes ces sources d'erreurs, je ne serai sûr de rien, malgré mes trois moyens infaillibles d'être sûr de tout. Mais enfin que faut-il que je fasse pour me garantir de tant de causes d'erreur ?

Il faut observer certaines conditions, certaines règles qu'on enseigne dans les écoles. Par exemple, il faut, pour qu'il y ait certitude dans la relation des sens, que cette rela

* Voyez la Philosophie, imprimée à Lyon, chez Ruzand, et employée dans les principaux diocèses de France, t. 1, pag. 152, édit. de 1810.

tion soit constante, uniforme, et de plus conforme à la raison ou à l'expérience. Il faut que l'évidence même, pour être une vraie évidence, soit l'éclat rejaillissant d'idées. bien claires et bien distinctes, et non le feu follet de l'imagination, des préjugés, des passions; il faut, pour qu'un syllogisme prouve quelque chose, que les prémisses en soient bien vraies et la conséquence bien juste1.

Mais, messieurs, puisque d'après vous j'ai trois moyens infaillibles de certitude, et trois moyens infaillibles pour mon individu, même isolé, qu'ai-je besoin de toutes les règles de l'école ? Ne puis-je pas en faire moi-même de nouvelles qui seraient aussi bonnes que les vôtres ?

Monsieur, à vous permis d'être fou, si cela vous plaît. Mais si vous voulez être raisonnable, il faut que vous suiviez dans vos jugemens ces règles établies d'un commun accord par l'expérience des siècles et des hommes les plus.

sages.

Alors, messieurs, accordez-vous avec vous-mêmes. Vous m'assurez que j'ai en moi-même des moyens de certitude si infaillibles que, quoi qu'en dise M. de la Mennais, jamais je n'ai besoin, pour être pleinement certain, de recourir à une autorité plus grande que la mienne. Et maintenant vous me dites que pour être certain d'une chose quelconque, il faut absolument que je recoure et que je me conforme à certaines règles que l'imposante autorité de tous les siècles et de tous les hommes a établies d'un commun accord. Et encore, comment saurai-je d'une manière sûre que j'ai bien observé ou non toutes ces règles?

1 Voyez ibidem, pag. 74, 78 et 81.

Rien de plus facile. Craignez-vous, par exemple, que vos yeux vous aient trompé? Faites comme tout le monde, prenez de bonnes lunettes. N'êtes-vous point encore rassuré? Priez vos amis ou vos voisins d'y regarder à leur tour; appelez-y tous les hommes, si vous voulez, ce sera toujours mieux. De même, avez-vous des doutes si une proposition qui vous paraît évidente, un raisonnement qui vous paraît juste, l'est en effet? Faites comme nous, dans nos colléges, nos séminaires, nos académies; voyez ce qu'en penseront vos condisciples et surtout vos professeurs. N'en êtes-vous pas encore contens? Examinez ce qu'en ont dit les grands hommes, les bons auteurs de tous les pays et de tous les siècles. Leur accord, voilà le nec plus ultra de la certitude humaine.

Je suis ravi de vous entendre, messieurs; car, de tout ce que vous venez de dire, voici ce qui résulte, à mon avis. Si ma raison individuelle n'est pas formée sur la raison générale, mon sens privé sur le sens commun; si je ne suis pas sûr d'être exempt de toutes les causes d'erreur qui peuvent influer sur le jugement que je porte d'après la relation de mes sens, ou d'après mon sentiment intime; si une autorité infaillible ne m'assure point que j'ai fidèlement observé toutes les règles de certitude prescrites par l'autorité des siècles; je ne suis et ne serai jamais sûr de rien par moi seul, malgré tous les moyens de certitude que je puis trouver en moi-même ; c'est-à-dire que, par bien des tours et des détours où j'ai failli me perdre en vous suivant, vous m'amenez enfin au même terme où M. de la Mennais arrive en deux pas et en ligne droite; c'est-à-dire, enfin, que tous les argumens, toutes les objections que

vous lancez avec tant de vigueur contre M. de la Mennais vous retombent directement sur la tête, et de tout leur poids, sans compter l'espèce de contradiction qu'il y a entre vos principes et votre pratique.

Il y a même quelque chose de plus. Pour soutenir que la relation des sens est pour l'homme, même isolé, un moyen infaillible de certitude, vous êtes réduits, aussi bien que la philosophie de Lyon, à faire intervenir la sagesse et la bonté de Dieu, et ensuite vous vous servez de cette même relation des sens pour prouver l'existence de Dieu même ; ce qui ressemble tant soit peu à ce qu'on appelle un cercle vicieux; de sorte que, sans le respect que je vous dois, j'oserois presque dire que M. de la Mennais est plus d'accord avec vous que vous-mêmes.

La seule différence que je vois entre sa doctrine et la vôtre, c'est que d'une condition reconnue essentielle à toute certitude, le consentement commun, le sceau de l'autorité la plus grande, c'est que de cette condition reconnue essentielle, expressément ou tacitement, sous un nom ou sous un autre, par tout le monde et par vousmêmes, M. de la Mennais fait une règle générale et décisive, avec laquelle, comme avec une hache à deux tranchans, il abat d'un coup et par la racine l'athéisme, le matérialisme, le déisme, le protestantisme et toute hérésie quelconque, qui tombent dès lors avec toutes leurs objections comme des arbres déracinés avec leurs branches.

En effet, que dit en dernière analyse l'athée, le matérialiste, le protestant? « Je crois en moi seul contre tous; je crois sur l'autorité privée de mes sens, de mon sentiment individuel, de ma raison particulière, contre la rela

tion des sens, le sentiment commun, la raison générale de tous les hommes, ou de tous les chrétiens; je me crois moi seul plus instruit, plus raisonnable, plus sage que tous, et seul je proteste contre tout le genre humain, ou contre toute l'Église universelle ». Or que fait M. de la Mennais? Dans un seul chapitre, il montre à tous ces fous que, s'ils rejettent le bouclier de la foi humaine et divine, la certitude qui repose sur la plus grande autorité, toutes les armes qu'ils emploieroient pour attaquer ou se défendre se brisent entre leurs mains, ou se tournent contre euxmêmes ; et il réduit leur monstrueux orgueil à ne pouvoir plus dire ni oui ni non.

C'est ainsi que le grand Bossuet, employant la méthode prompte et décisive de Tertullien et des pères de l'Eglise, en agit avec M. Claude dans sa célèbre conférence devant mademoiselle de Duras. Cet habile ministre du calvinisme usoit de toutes les subtilités de son esprit pour éviter le coup, comme un oiseau léger qui saute de branche en branche pour échapper à la poursuite d'un ennemi redoutable. Mais l'aigle de Meaux, le tenant fixé dans ses serres puissantes, l'empêcha de donner le change, et le força de convenir de deux choses: 1o Que tout protestant se croyoit et devoit se croire lui seul plus capable et plus instruit que tous les pères, que tous les conciles, que toute l'Église ; 2o que, par une conséquence rigoureuse de ce principe fondamental de la réforme, un doute universel étoit inévitable1. Aussi mademoiselle de Duras, épouvantée de voir tant d'orgueil et tant de folie sous une apparence de science,

QEuvres de Bossuet, t. XXIII, p. 289 et 312, édit. de Versailles.

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