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mon existence avec votre prétention d'être

Descartes?

LE FOU.

Vous verrez tout à l'heure; répondez seulement : Sur quelle preuve croyezvous à votre existence? Comment en êtes. vous certain?

LE CARTÉSIEN.

Parce que, quand je dis, je suis, j'existe, j'ai une claire et distincte perception de ce que je dis '.

LE FOU.

Vous convenez donc que tout ce que l'on perçoit clairement et distinctement est vrai??

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LE FOU.

Et comment êtes-vous sûr que vous avez une perception claire et distincte de votre existence?

LE CARTÉSIEN.

Parce qu'il m'est impossible d'en douter.

LE FOU.

A merveille! Je vois avec joie que vous avez parfaitement compris ma doctrine. Venez donc, mon cher disciple, et embrassez votre maître. Vous ne pouvez plus le désavouer maintenant ; car je vous déclare que j'ai une perception très claire et très distincte que je suis réellement Descartes ; et la preuve que cette perception est très distincte et très claire, c'est qu'il m'est impossible d'en douter.

LE CARTÉSIEN.

Je l'avois bien dit, il est fou, et, de plus, incurable. Quel dommage! car sa folie

même annonce une tête très philosophique.

Nul doute que cet homme n'ait perdu l'esprit : mais le cartésien n'a pas le droit de le déclarer fou; car, en affirmant qu'il est Descartes, il suit rigoureusement les principes de la philosophie cartésienne.

Le grand danger de cette philosophie est d'abandonner chaque raison à ellemême, et de ne donner à l'homme d'autre règle de vérité que ses propres jugemens. Dès lors il doit croire vrai tout ce qui lui paroît vrai, et faux tout ce qui lui paroît faux. Il n'est point d'erreur qui ne soit justifiée par ce priucipe, et aussi est-ce de ce principe que partent l'hérétique, le déiste et l'athée. Ils peuvent affirmer ou nier tout ce qu'ils veulent, en disant, cela est clair pour moi, ou cela ne l'est pas1. Toutes les preuves, tous les raisonnemens

I

Bossuet, quoique cartésien, avoit pressenti les inconvéniens de la philosophie cartésienne, qui commençoient

qu'il est possible de leur opposer, vien

nent se briser contre ces deux mots.

à se manifester de son temps. Il trouvoit qu'on en entendoit mal les principes; mais il n'explique nulle part comment il faut les entendre; nulle part il ne donne de règle qu'on puisse substituer à celles des perceptions claires et distinctes, et il est évident en effet que l'homme, considéré isolément, n'en peut trouver d'autre en lui-même; car quelle raison auroit-il d'affirmer comme vrai ce qui ne lui paroîtroit pas clairement être vrai? Sa croyance n'étant que l'expression de ce que son esprit perçoit, ou, ses perceptions étant la seule cause, le seul motif de ses croyances, il faudroit, dans le cas supposé, qu'il prononçât ce jugement: Je crois que telle chose est vraie, ou telle chose me paroit vraie, parce qu'elle me paroît vraie. Écoutons maintenant Bossuet: il va nous apprendre quels effets produisoient déjà les principes de Descartes, entendus comme tout le monde les entendoit, et de la scule manière dont il soit possible de les entendre sans se contredire et sans renverser entièrement la philosophie cartésienne : « Je vois..... un grand combat se préparer contre l'Église sous le nom de la philosophie cartésienne. Je vois naître << de son sein et de ses principes, à mon avis mal enten« dus, plus d'une hérésie ; et je prévois que les consé<< quences qu'on en tire contre les dogmes que nos pères << ont tenus, la vont rendre odieuse, et feront perdre à l'Église tout le fruit qu'elle en pouvoit espérer pour

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A cette philosophie aussi désastreuse qu'absurde nous substituons la doctrine du sens commun, fondée sur la nature de l'homme, et hors de laquelle, comme nous le faisons voir, il n'y a, ni certitude, ni vérité, ni raison.

Quoi qu'on ait pu dire, il ne faut pas de grands efforts d'esprit pour la comprendre; elle est à la portée de tous les

<< établir dans l'esprit des philosophes la divinité et l'im« mortalité de l'ame.

« De ces mêmes principes mal entendus, un autre in«< convénient terrible gagne sensiblement les esprits : car, << sous prétexte qu'il ne faut admettre que ce qu'on entend « clairement, ce qui, réduit à de certaines bornes, est << très véritable; chacun se donne la liberté de dire, e, j'en<< tends ceci, et je n'entends pas cela; et, sur ce seul fon« dement, on approuve et on rejette tout ce qu'on veut, << sans songer qu'outre nos idées claires et distinctes il « y en a de confuses et de générales qui ne laissent pas « d'enfermer des vérités si essentielles, qu'on renverse<< roit tout en les niant. Il s'introduit, sous ce prétexte, « une liberté de juger qui fait que, sans égard à la tradi<< tion, on avance témérairement tout ce qu'on pense. » Lettre CXXXIX, OEuvres de Bossuet, tom. xxxvii, page 375, édition de Versailles.

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