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comme nous le montrerons, pour toute règle de certitude, elle lui dit : Tout ce que tu crois fortement être vrai est vrai. Dès lors tout est vrai et tout est faux ; puisque, s'il n'est point de vérité qui n'ait été crue par quelques hommes, il n'est point non plus d'erreur qui n'ait été crue par quelques autres. Mais si tout est vrai et tout est faux, rien n'est faux et rien n'est vrai; et la sagesse consiste dans un doute absolu.

Il n'est donc point d'égarement d'esprit que cette philosophie n'autorise. L'hérésie n'en est qu'une application. Elle consacre même la folie; car il n'est pas de fou qui ne doive, d'après ses principes, regarder comme autant de vérités certaines les rêves de son imagination troublée. En effet, qu'un homme dise, Je suis Descartes; que lui répondra le cartésien? Voyons s'il trouvera dans sa philosophie un moyen de lui prouver qu'il n'est pas Descartes.

LE CARTÉSIEN.

Ce n'est pas sérieusement que vous prétendez être Descartes; songez donc

que ce grand homme est mort depuis plus de cent cinquante ans.

LE FOU.

C'est vous qui plaisantez quand vous dites que Descartes est mort; car je suis Descartes, et certainement je vis.

LE CARTÉSIEN.

Quoi! vous êtes l'auteur des Méditations, des Principes de Philosophie, de ces magnifiques ouvrages que l'Europe admire depuis près de deux siècles? Allez, vous êtes un fou.

LE FOU.

Une injure n'est pas une raison, et ce n'est point par cette méthode de philosopher que je me suis acquis l'admiration dont vous parliez tout à l'heure. Si j'ai

B

tort, prouvez-le moi; je vous saurai gré de me détromper.

LE CARTÉSIEN.

Eh bien, encore une fois, il y a longtemps que Descartes n'est plus. Vous ne me croyez point? Allez en Suède, on vous y montrera son tombeau.

LE FOU.

Si je me pressois autant que vous de juger les autres sévèrement, je serois à mon tour tenté de croire que vous n'êtes guère sage. Comment pouvez-vous me proposer d'aller en Suède, pour me convaincre que je suis enterré ?

LE CARTÉSIEN.

Jamais homme, vous le savez, n'a vécu deux cents ans.

LE FOU.

Pardonnez-moi : mais, en tout cas, j'en

serois le premier exemple.

LE CARTÉSIEN.

Il suffit de vous voir pour être certain que vous ne sauriez avoir cet âge.

LE FOU.

Vos sens vous trompent en cette occasion: la preuve en est bien claire, puisqu'étant Descartes il est impossible que je n'aie pas plus de deux cents ans.

LE CARTÉSIEN.

Quelle obstination! Consultez tous les autres hommes, ils vous assureront comme moi que vous n'êtes point Descartes.

LE FOU.

Les hommes se trompent sur tant de choses, qu'ils pourroient bien encore se tromper sur celle-là. « Au reste, j'avoue<<< rois en ce cas que vous argumentez « très bien de l'autorité; mais vous de<«<<vriez vous souvenir que vous parlez à <<< un esprit tellement dégagé des choses

B.

« corporelles, qu'il ne sait pas même si << jamais il y eut des hommes avant lui, «<et qui partant ne s'émeut pas beaucoup de leur autorité » 1.

1

LE CARTÉSIEN.

Reconnoissez au moins celle de la rai

son.

LE FOU.

C'est à celle-là que je vous rappelle moimême; je la prends pour juge entre nous. Dites-moi donc, croyez-vous que vous existez?

LE CARTÉSIEN.

Étrange question! Sans doute je crois à mon existence mais quel rapport a

' In quo fateor te recte ab auctoritate argumentari; sed meminisse debuisses, ó caro, te hic affari mentem a rebus corporeis sic abductam, ut ne quidem sciat ullos unquam homines ante se extitisse, nec proinde ipsorum auctoritate moveatur. R. Descartes, Medit. de prima philosophia; responsiones quinte, p. 63. Amstelod. 1663.

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