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possible. Je me défendrai donc au moral comme au physique ; pour retenir la vérité, qui est la vie impérissable de mon ame, de même que pour ne pas laisser éteindre la vie d'un corps mortel, je n'aurai besoin que de ne pas lutter contre je ne sais quelle horreur naturelle de la destruction. Ma réponse à celui qui me diroit, Cessez de croire, sera la même que je ferois à celui qui me diroit, Cessez de respirer.

Cependant, si, me repliant sur moi-même, je considère l'ensemble des vérités que je tiens de la raison sociale, je trouve que, formant une série de connoissances, elles se lient, s'enchaînent, se rattachent toutes à un premier principe. Il existe un premier être, à la fois raison de luimême et de tous les êtres : de cette vérité féconde jaillit la lumière dans laquelle je vois toutes les vérités; elle est comme le flambeau qui éclaire le monde moral, et qui, en s'éteignant, laisseroit tout dans ténèbres.

En effet tout est contingent hors de Dieu, tout vit d'une vie empruntée. Source unique de l'être, s'il n'est pas, rien n'existe, je n'existe pas moi-même. Comment serois-je? je n'étois pas hier. Qui m'a donné de vivre ? moi-même ? Non. Des êtres d'un jour ? Mais eux-mêmes, qui les avoit faits? Je ne vois que le néant, et tant que je ne remonte pas à l'idée d'un premier être en qui se trouve la cause de lui-même et de tous les êtres, tant que je ne nomme pas Dieu, je ne trouve la raison de rien, tout m'échappe, je m'évanouis avec tout le reste.

De plus, si j'efface de ma raison l'idée de Dieu, d'une intelligence souveraine en qui se trouve la source de la vérité comme la source de l'être, dois-je chercher la vérité?

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suis-je assuré qu'elle existe? Cette soif de la vérité que je ressens, ce penchant irrésistible qui m'entraîne à la poursuivre, ne me prouve rien, tant que je ne sais pas si je suis l'ouvrage d'un Dieu sage et bon, qui n'a pas voulu me tourmenter par des desirs sans objet. Et d'ailleurs quand la vérité seroit quelque chose, est-elle faite pour moi? quels moyens aurois-je d'arriver à elle? Ma raison? Mais qu'est-ce que ma raison, si elle ne vient pas de Dieu? est-ce un témoin de vérité que je possède au dedans de moi-même, ou une voix de mensonge qu'un génie malfaisant a mise au dedans de moi pour m'abuser? Me voilà donc forcé encore de douter de tout, dans l'impuissance où je suis de m'assurer que je possède des moyens certains de connoître quelque chose.

Hors de Dieu il n'y a donc que doute, il n'y a que néant. Il existe un Dieu, voilà donc le fondement nécessaire de toute certitude rationnelle. Aussi, cette vérité première, proclamée par tous les hommes, dans tous les siècles, placée à la tête des croyances de tous les peuples, n'est pas seulement attestée par le témoignage le plus général qui puisse exister, mais elle semble être le fond de la raison humaine; pour la nier il faudroit renoncer à la qualité d'être raisonnable, il faudroit s'exclure de la société des hommes.

L'homme social croit donc à l'existence de Dieu, sans raisonner, entraîné par la raison de tous les hommes qui atteste Dieu existe. Il croit à l'existence de Dieu, parce que qu'il sent qu'en ébranlant cette vérité première il ébranleroit le fondement de toutes les vérités ; que, ne pouvant plus se rien prouver, se rendre raison de rien, il seroit

forcé de douter de tout, de tomber dans un état contraire à sa nature.

J'admire cette loi par laquelle Dieu s'est placé à la tête de toutes les vérités comme à la tête de tous les êtres. Auteur du monde moral aussi-bien que du monde physique, comme cet artiste célèbre de l'antiquité, Dieu a gravé son nom sur son ouvrage, et on ne peut effacer ce nom divin sans que tout périsse. Dans l'esprit de l'homme, comme dans le monde matériel, si Dieu se retire, il n'y a plus que le néant. L'idée de Dieu, que l'homme porte au fond de son ame, n'est donc pas l'ouvrage de l'homme; ce n'est pas la raison qui bâtit ce fondement nécessaire de la raison. Dieu ne se livre pas au hasard d'un syllogisme; il n'attend pas, pour régner sur l'intelligence de l'homme qu'il a créé, que l'homme ait déduit péniblement une conséquence de ses prénisses d'après les règles d'une logique incertaine. C'est au milieu des hommages de la raison de tous les peuples et de tous les siècles que Dieu se montre à la raison de chaque homme, qu'il la subjugue ; c'est ainsi que cette grande vérité, d'où partent les rayons qui éclairent toutes les vérités, commence notre intelligence, en est le fonds, que nous ne pouvons détruire sans détruire notre être. Lorsque l'athée, après avoir long-temps secoué en vain cette idée importune, se flatte, dans le délire de son orgueil, de l'avoir enfin arrachée, au même instant son esprit éperdu s'étonne de voir cette vérité première entraîner avec elle toutes les vérités ensemble.

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Ainsi l'existence de Dieu est le premier principe des connoissances de l'homme, parce que l'homme ne peut nier Dieu sans nier la raison humaine qui atteste que Dieu

existe, sans se condamner à rejeter, s'il est conséquent, le témoignage de sa propre raison, sans devenir sceptique. L'existence de Dieu est le premier principe de nos connoissances, parce que cette vérité est la raison dernière de toutes les vérités, qu'on ne peut l'ébranler sans les ébranler toutes, que dans cette vérité première se trouve la lumière nécessaire qui nous découvre toutes les vérités. Enfin l'existence de Dieu est le premier principe de nos connoissances, parce que tous les hommes croient à l'existence de Dieu avant tout raisonnement, qu'ils ont sur cette vérité une certitude de fait inébranlable à tous les sophismes. Descartes ne croyoit pas moins fermement à l'existence de Dieu, avant d'avoir cherché à la démontrer par l'idée de l'être infini. Les trois quarts du genre humain ne connoissent aucunes des preuves métaphysiques, physiques, et morales, par lesquelles les philosophes démontrent qu'il existe un premier être; très peu d'esprits sont capables d'apprécier la force de ces preuves: cependant tous sont certains que Dieu existe ; ils savent que leur conviction est la conviction de tout le genre humain, et c'est assez pour leur faire mépriser tous les sophismes qu'on pourroit leur opposer. Que faut-il de plus que cette certitude de fait, constante, inébranlable, dans tous les hommes, pour établir l'édifice de nos connoissances? Pourquoi renverser cette base divine pour nous procurer la jouissance de la replacer de nos propres mains au risque d'échouer dans cette vaine entreprise? Pourquoi nous déposséder d'une vérité nécessaire, le plus beau présent que nous tenons de la société, pour l'exposer à des chances où beaucoup d'hommes avant nous l'ont perdue, ou du moins ont cru la perdre?

De la règle de nos jugemens.

Le philosophe qui trouveroit au dedans de lui-même une première vérité dont il lui seroit possible de s'assurer indépendamment de tout témoignage extérieur, feroit plus, comme nous l'avons vu, que n'ont fait tous les autres philosophes ; mais il ne seroit guère plus avancé. Il lui faudroit trouver encore un moyen de déduire de ce principe des conséquences certaines, sans quoi une vérité unique, stérile entre ses mains, seroit à la fois le commencement et le terme de sa science. Après avoir jeté un fondement inutile, il se verroit obligé de renoncer à élever le reste de l'édifice.

Aussi tous les philosophes anciens et modernes se sont appliqués à chercher une règle immuable qui dirige d'une manière infaillible les jugemens de l'homme, un criterium qui lui serve à discerner avec certitude la vérité de l'erreur. Cette règle, ils l'ont cherchée dans l'homme isolé: n'est-ce pas la raison qui fait qu'ils ne l'ont pas encore trouvée ?

Et d'abord n'y a-t-il pas une véritable contradiction à vouloir trouver dans la raison individuelle la règle qui doit servir à réprimer les écarts de la raison? Ou la raison de chaque homme est infaillible, et alors elle n'a pas plus besoin d'une règle qui la dirige que la raison de Dieu même ; ou bien elle est sujette à tomber dans l'erreur, et alors qui vous assure qu'elle ne s'égare pas au moment même où elle croit trouver un moyen de ne pas s'égarer? On ne s'arrête pas à cette difficulté. La raison individuelle peut errer; comment ne pas en convenir, lorsqu'on voit

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