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Toi seul es de mes biens l'héritier légitime,
Je l'avoue et tu veux vite en jouir sans crime.
Pressé d'être à ton tour à tenir le flambeau,

Tu me prends pour un dieu, qui pour toi de nouveau
Veut, la bourse à la main, descendre sur la terre.

Tu veux savoir quel bien j'héritai de mon père,
Quels présents j'ai reçus, quels legs j'ai recueillis;
Tu m'offres des leçons comme un père à son fils;
« Placez; l'intérêt seul doit payer vos dépenses. >>

Ainsi je dois maigrir à force d'abstinences,
Me nourrir d'herbe fade ou de porc enfumé,
Pour que ton noble fils, gras, frais et parfumé,
Promène en nos palais sa luxure superbe,

Et conduise au sénat son fils encor imberbe

Qui tremble sous le poids de son riche embonpoint. Dieu m'en garde!

Mais, toi, ne te repose point;

Va, cours en Cappadoce, où tu pourras apprendre, L'art d'engraisser l'esclave afin de le mieux vendre; Double ton revenu; moi, je voudrais tripler

Et décupler le mien, même le centupler :

Mais avant d'écouter cette ardeur inquiète,
Je veux savoir d'abord où le désir s'arrête.

JUGEMENT SUR LA SIXIÈME SATIRE

On a dû remarquer que les six satires de Perse ont été dédiées ou simplement adressées à six de ses amis; et quelle illustre et vertueuse société : Sénèque et Lucain, Thraséas Petus et Arrie, Macrin et Cornutus, et Cosius Bassus !

Boileau dit à ce dernier : « Bon poëte lyrique, chantre des héros, rien n'est plus fort ni plus charmant que vos odes. Vos vers sont d'un style mâle et plein de majesté, soit que vous dépeigniez les galanteries de nos jeunes gens ou les belles actions de nos grands hommes. >>

Lorsque Boileau entre ensuite dans le fond du sujet, il divise très-ingénieusement les bonnes raisons qui dirigent la conduite des avares.

La première est d'économiser pour ne jamais manquer, mais aussi afin de pouvoir être libéral un jour, et de s'exhorter ainsi à la munificence à l'avenir. << Verba avari jam liberalitatem simulantis et quasi se ipsum ad munificentiam exhortantis. » Il ajoute :

« La seconde réponse des avares est qu'il faut con

server son bien pour en faire part à ses amis quand

ils seront affligés. >>

Boileau dit à celui dont un ami a perdu sa fortune : «Secourez cet ami, de peur qu'il ne soit obligé de mendier son pain par les rues, portant pendu à son cou la peinture de son triste sort. » Donnez-lui votre argent. « Et vous, vivez de ce que vous recueillez de blé. Faites-le moudre et semez-en d'autre. Voyez il pousse déjà.

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Ce dernier mot est touchant. C'est le cri de la satisfaction de la conscience, quand on a fait du bien et c'est la consécration du bien que l'on a fait.

La troisième réponse des avares : « C'est, d'ailleurs,>> dit Boileau, « qu'il ne faut pas s'attirer la haine de ses héritiers. >>

Toutefois lui-même, dans sa traduction, répond énergiquement à son héritier : « Quoi! mon parent, »> dit-il, «< vous voudriez donc qu'aux jours solennels, je ne mangeasse que de méchantes herbes et un morceau sec de tête de cochon, afin que vous, mon agréable héritier, vous puissiez vivre un jour délicieusement? >>

<«< Quoi! je me laisserais maigrir jusqu'à devenir un squelette, un corps desséché comme un habit usé à qui il ne reste plus que la trame, afin que mon héritier ait un ventre dodu et chargé de cuisine? »

C'est ici qu'il m'arrive, à moi personnellement, un événement singulier et remarquable.

J'ai publié, il y a quelques mois, une épître de Boi

leau, qui avait été imprimée, et qui pourtant était restée à peu près inconnue. Personne n'allait la chercher dans des recueils de quelques savants qui étaient dans le siècle dernier des journalistes sans lecteurs. Aucun éditeur des œuvres de Boileau ne l'avait lue et elle n'a été insérée dans aucune édition.

Je l'ai publiée, l'an dernier, simplement comme je la connaissais, sous le titre que Boileau lui-même lui a donné, Épître au Marquis de Termes. Mais aujourd'hui, en lisant attentivement sa traduction de Perse, qui était fort inconnue aussi et qui est, comme cette épître, une de ses œuvres posthumes trouvée sur les quais plus de cent ans après sa mort, je reconnais entre elles une parfaite ressemblance.

Ainsi, les phrases que je viens de citer ne sont-elles pas reproduites en vers presque littéralement dans l'épître?

Pour vous, mes héritiers,

Je ne suis pas d'humeur à prendre tant de soins.
Il me ferait beau voir, sans meubles, sans habits,
Me nourrir tristement d'oignons et de pain bis ;
Poussant encor plus loin ma sotte complaisance,
Vous rendre jour par jour compte de ma dépense,
Afin qu'après ma mort, au gré de vos désirs,
Vous puissiez vous plonger dans de honteux plaisirs.

Mais on peut faire un examen plus général.

Il est évident, dis-je, que la traduction de la sixième

satire de Perse et l'Épitre au Marquis de Termes ont été

composées ensemble.

D'abord, le commencement des deux pièces ne contient-il pas des pensées analogues inspirées par les mêmes sentiments?

<< Bassus, le froid vous oblige-t-il déjà de faire du feu à votre maison des champs qui est dans le pays des Sabins?

>> Moi, je suis dans la Ligurie; l'air y est bon et tempéré, malgré le froid qui règne sur nos côtes maritimes.

» Je vis ici fort en repos, sans m'inquiéter de ce que le peuple peut dire. Que le vent du Midi, si funeste aux troupeaux, souffle ou non, cela ne m'embarrasse point du tout.>>>

Tant qu'ici de concert Bacchus avec Pomone
Fourniront aux plaisirs que la campagne donne,
Épris d'un doux repos qu'on ignore à la cour,
Marquis, n'espère pas que je sois de retour,
Que lorsque les frimas, enfants de la froidure,
Reviendront en novembre engourdir la nature.

Loin de mes envieux et du bruit de Paris,
Dans ma maison d'Auteuil je dors, je bois, je ris;
Tantôt j'écris en vers, tantôt j'écris en prose.
Là, sans ambition, contemplant toute chose,
Sans dettes, sans procès, sans femme, sans enfants,
Rien ne saurait troubler les plaisirs que j'y prends.

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