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donner ces idées, malgré l'attrait de leur simplicité. Un premier jugement, quoique bien naturel, a dû cé– der aux nombreuses considérations qui m'ont fait voir combien il était peu fondé. Il n'y a pas fusion d'un sentiment dans un sentiment. Ce n'est ni par des affaiblissemens successifs, ni par une énergie croissante que l'âme passe des uns aux autres. Ce qu'elle était dans la sensation, elle ne l'est plus dans le sentiment de son action, dans le sentiment de rapport, dans le sentiment moral. Le changement qui s'est opéré en elle n'est pas une simple transformation; c'est une existence nouvelle.

Voilà ce que j'ai essayé d'établir. On m'a opposé des argumens qui se sont trouvés sans force. J'en attends de nouveaux. Si vous prouvez que la séparation de nos divers sentimens est une fiction de mon esprit ; si des observations plus exactes que les miennes vous ont appris que ces sentimens sont unis par un lien caché qui a échappé à mes recherches, alors, entre les diverses formes de la sensibilité, il régnera un ordre plus parfait; ce sera un rapport intime, une dérivation immédiate, une vraie génération. Je m'empresserai de rectifier mes idées sur les vôtres, pour changer une simple succession de phénomènes en système régulier. Ma perte sera un gain réel; et ma défaite d'un moment deviendra, pour la vérité, un triomphe durable.

Laissons des suppositions qui ne peuvent se réaliser; et ne nous obstinons pas à vouloir mettre dans nos idées ce que la nature n'a pas mis dans ses ouvrages.

L'instinct du génie, je le sais (je voulais dire, je le

crois), l'instinct du génie le porte toujours vers la plus grande simplicité; mais cet instinct, pour être sûr, a besoin d'être dirigé par la réflexion.

Quoi de plus simple, après avoir reconnu dans notre âme quatre manières de sentir, que de vouloir les ramener à une seule, afin de n'avoir qu'une même origine pour toutes les idées ? D'un autre côté, après avoir été forcés de reconnaître aussi dans notre âme trois causes de nos idées, et après avoir observé que les idées produites par ces trois causes sont, ou sensibles, ou intellectuelles, ou morales, quoi de plus simple que d'attribuer à l'attention les idées sensibles, à la comparaison les idées intellectuelles, au raisonnement les idées morales?

Mais ces deux choses, si simples, sont des erreurs. Il n'est pas vrai que les seules idées sensibles soient dues à l'attention, ni que les idées intellectuelles exigent toutes une comparaison : il n'est pas vrai non plus que, pour avoir les premières idées morales, il soit nécessaire de raisonner.

L'auteur de la nature, en donnant à l'homme une volonté libre, l'a si visiblement destiné à être un agent moral, que les idées du juste et de l'injuste remontent au commencement de notre existence, et devancent le raisonnement. Je m'appuie sur une observation que jé prends dans Rousseau.

« Je n'oublierai jamais d'avoir vu un jour un de ces incommodes pleureurs ainsi frappé par sa nourrice. Il se tut sur le champ je le croyais intimidé; je me trompais. Le malheureux suffoquait de colère; il avait

perdu la respiration; je le vis devenir violet. Un moment après, vinrent les cris aigus. Tous les signes du ressentiment, de la fureur, du désespoir de cet âge, étaient dans ses accens. Quand j'aurais douté que le sentiment du juste et de l'injuste fût inné dans le cœur de l'homme, cet exemple seul m'aurait convaincu. Je suis sûr qu'un tison ardent tombé par hasard sur la main de cet enfant, lui eût été moins sensible que ce coup, assez léger, mais donné dans l'intention manifeste de l'offenser'. »

Il n'y a personne qui n'ait pu faire la même observation que Rousseau, et qui n'adopte la conséquence qu'il en tire, avec une légère modification toutefois sur l'expression sentiment inné. Le sentiment du juste, rigoureusement parlant, n'est pas inné, si, dans notre âme, quelque chose le précède, ne fût-ce que d'un moment. J'ai marqué ce moment, très-voisin de la naissance, où le germe du sentiment moral commence à se développer. Il faut que l'enfant puisse prêter une volonté à l'agent extérieur; mais rien ne lui est plus naturel; rien n'est plus prompt, puisque à peine il existe, qu'il se sent lui-même doué de volonté.

Plaisirs des sens, plaisirs de l'esprit, plaisirs du cœur voilà, si nous savions en user, les biens que la nature a répandus avec profusion sur le chemin de la vie.

Et qu'on se garde de mettre en balance ceux qui viennent du corps et ceux qui naissent du fond de l'âme.

1. Emile.

Rapides et fugitifs, les plaisirs des sens ne laissent après eux que du vide; et tous les hommes en sont dégoûtés avec l'âge.

Les plaisirs de l'esprit ont un attrait toujours nouveau: l'âme est toujours jeune pour les goûter; et le temps, loin de les affaiblir, leur donne chaque jour plus de vivacité. Keppler ne changerait pas ses règles contre la couronne des plus grands monarques. Est-il de jouissance au dessus de telles jouissances?

Oui, Messieurs, il en est de plus grandes. Quels que soient les ravissemens que fait éprouver la découverte de la vérité, il se peut que Newton, rassasié d'années et de gloire, Newton, qui avait décomposé la lumière et trouvé la loi de la pesanteur, se soit dit, en jetant un regard en arrière: Vanité! tandis que le souvenir d'une bonne action suffit pour embellir les derniers jours de la plus extrême vieillesse, et nous accompagne jusque dans la tombe.

Combien s'abusent ceux qui placent la suprême félicité dans les sensations! ils peuvent connaître le plaisir ils n'ont pas idée du bonheur.

CINQUIÈME LEÇON.

ÉCLAIRCISSEMENS SUR LA NATURE DES IDÉES.

Des idées dans leur rapport aux images, aux souvenirs et aux jugemens.

Les conclusions auxquelles viennent de nous conduire les trois leçons précédentes, quoique appuyées sur des faits que chacun peut vérifier, demandent à être appuyées encore. Je le sentais avant qu'on me l'eût témoigné par diverses questions, et par diverses objections qui m'ont été adressées. Je vais donc revenir sur des choses qui paraissent exiger de nouveaux développemens. Rappelons, d'abord, ce que nous avons voulu prouver.

L'âme agit sur les sensations; elle a des idées sensibles elle agit sur les sentimens qui lui viennent de l'exercice de ses facultés, et sur les sentimens de rapport; elle a des idées intellectuelles : elle agit sur les sentimens moraux; elle a des idées morales.

Abandonnée à elle-même, la sensibilité ne deviendra jamais l'intelligence. La moindre idée sensible excède les bornes d'une nature toute passive; des facultés qu'on n'a pas, des rapports qu'on n'a jamais sentis, ne peuvent être connus; et les idées morales ne se trouveront pas où manquent toute idée sensible, et toute idée intellectuelle '.

4. Part. II, leg. i et iv.

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