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ILLUSTRATIONS.

LE DANTE.

et les noirs penchaient pour les guelfes attachés aux papes.

Toutes ces factions aimaient la liberté, et fesaint pourtant ce qu'elles pouvaient pour la détruire. Le pape Boniface VIII. voulut profiter de ces divisions pour anéantir le pouvoir des empereurs en Italie. Il déclara Charles de Valois, frère du roi de France Philippe-le-Bel, son vicaire en Toscane. Le vicaire vint bien armé, chassa les blancs et les gibelins, et se fit détester des noirs et des

Voltaire, Dictionnaire Philosophique. Vous voulez connaître le Dante. Des Italiens l'appellent divin: mais c'est une divinité cachée; peu de gens entendent ses oracles; il a des commentateurs c'est peut-être encore une raison de plus pour n'être pas compris. | Sa réputation s'affermira toujours parce qu'on ne le lit guère. Il y a de lui une vingtaine de traits qu'on sait par coeur : cela suffit pour s'épargner la peine d' ex-guelfes. aminer le reste.

Ce divin Dante fut, dit-on, un homme assez malheureux. Ne croyez pas qu'il fut divin de son temps, ni qu'il fut prophète chez lui. Il est vrai qu'il fut prieur, non pas prieur de moines, mais prieur de Florence, c'est-à-dire l'un des

sénateurs.

Il était né en 1260, à ce que disent ses compatriotes. Bayle, qui écrivait à Rotterdam, currente calamo, pour son libraire, environ quatre siècles entiers après le Dante, le fit naître en 1265,* et je n'en estime Bayle ni plus ni moins pour s'être trompé de cinq ans : la grande affaire est de ne se tromper ni en fait de goût ni en fait de raisonnemens. Les arts commençaient alors à naître dans la patrie du Dante. Florence était comme Athènes, pleine d'esprit, de grandeur, de légèreté, d'inconstance et de factions. Le faction blanche avait un grand crédit : elle se nommait ainsi du nom de la signora Bianca. Le parti opposé s'intitulait le parti des noirs, pour mieux se distinguer des blancs. Ces deux partis ne suffisaient pas aux Florentins. Ils avaient encore les guelfes et les gibelins. La plupart des blancs étaient gibelins du parti des empereurs, Dante naquit en effet à Florence, en 1265,

au mois de mai.

Le Dante était blanc, et gibelin; il fut chassé des premiers, et sa maison rasée. On peut juger de là s'il fut le reste de sa vie affectionné à la maison de France et aux papes; on prétend pourtant qu'il alla faire un voyage à Paris, et que pour se désennuyer il se fit théologien, et disputa vigoureusement dans les écoles. On ajoute que l'empereur Henri VII. ne fit rien pour lui, tout gibelin qu'il était ; qu'il alla chez Frédéric d'Aragon, roi de Sicile, et qu'il en revint aussi pauvre qu'il y était allé. Il fut réduit au marquis de Malaspina, et au grand-kan de Vérone. Le marquis et le grand-kan ne le dédommagèrent pas; il mourut pauvre à Ravenne, à l'âge de cinquantesix ans. Ce fut dans ces divers lieux qu'il composa sa Comédie de l'enfer, du purgatoire et du paradis; on a regardé ce salmigondis comme un beau poëme épique. Il trouva d'abord à l'entrée de l'enfer un lion et une louve. Tout d'un coup Virgile se présente à lui pour l'encourager; Virgile lui dit qu'il est né Lombard; c'est précisément comme si Homère disait qu'il est né Turc. Virgile offre de faire au Dante les honneurs de l'enfer et du purgatoire, et de le mener jusqu'à la porte de saint Pierre; mais il avoue qu'il ne pourra

pas entrer avec lui.

Cependant Charon les passe tous deux dans sa barque. Virgile lui raconte que, peu de temps après son arrivée en enfer, il y vit un être puissant qui vint chercher les ames d'Abel, de Noé, d'Abraham, de Moïse, de David. En avançant chemin, ils découvrent dans l'enfer des demeures très agréables: dans l'une sont Homère, Horace, Ovide . et Lucain; dans une autre on voit Electre, Hector, Énée, Lucrèce, Brutus et le Turc Saladin; dans une troisième, Socrate, Platon, Hippocrate et l'Arabe Averroes.

Enfin paraît le véritable enfer, où Pluton juge les condamnés. Le voyageur y reconnaît quelques cardinaux, quelques papes, et beaucoup de Florentins, Tout cela est-il dans le style comique? Non. Tout est-il dans le genre héroïque ? Non. Dans quel goût est donc ce poëme? Dans un goût bizarre.

Mais il y a des vers si henreux et si naïfs, qu'ils n'ont point vieilli depuis quatre cents ans, et qu'ils ne vieilliront jamais. Un poëme d'ailleurs où l'on met des papes en enfer réveille beaucoup l'attention; et les commentateurs épuisent toute la sagacité de leur esprit à déterminer au juste qui sont ceux que le Dante a damnés, et à ne se pas tromper dans une matière si grave.

On a fondé une chaire, une lecture pour expliquer cet auteur classique. Vous me demanderez comment l'inquisition ne s'y oppose pas. Je vous répondrai que l'inquisition entend raillerie en Italie; elle sait bien que des plaisanteries en vers ne peuvent point faire de mal: vous en allez juger par cette petite traduction très libre d'un morceau du chant vingt-troisième; il s'agit d'un damné de la connaissance de l'auteur. Le damné parle ainsi :—

Je m'appelais le comte de Guidon ;
Je fus sur terre et soldat et poltron:
Puis m'enrôlai sous saint François d'Assise,
Afin qu'un jour le bout de son cordon
Me donnât place en la céleste église ;
Et j'y serais sans ce pape félon,
Qui m'ordonna de servir sa feintise,
Et me rendit aux griffes du démon.
Voici le fait. Quand j'étais sur la terre,
Vers Rimini je fis long-temps la guerre,
Moins, je l'avoue, en héros qu'en fripon.
L'art de fourber me fit un grand renom.
Mais quand mon chef eut porté poil grison,
Temps de retraite où convient la sagesse,

Le repentir vint ronger ma vieillesse
Et j'eus recours à la confession.
O repentir tardif et peu durable!
Le bon saint-père en ce temps guerroyait,
Non le soudan, non le Turc intraitable,
Mais les chrétiens qu'en vrai Turc il pillait.
Pour saint François, son froc et sa ceinture;
Frère, dit-il, il me convient d'avoir
Incessamment Préneste en mon pouvoir.
Conseille-moi, cherche sous ton capuce
Quelque beau tour, quelque gentille astuce,
Pour ajouter en bref à mes états
Ce qui me tente et ne m'appartient pas.
J'ai les deux clefs du ciel en ma puissance,
De Célestin la dévote imprudence
S'en servit mal, et moi je sais ouvrir
Et refermer le ciel à mon plaisir.
Si tu me sers, ce ciel est ton partage.
eut Préneste, et la mort me saisit.
Je le servis, et trop bien: dont j'enrage.
Lors devers moi saint François descendit,
Comptant au ciel amener ma bonne âme;
Mais Belzebut vint en poste, et lui dit:
Ce conseiller du saint-père, il est mien;
Monsieur d'Assise, arrêtez: je réclame
Bon saint François, que chacun ait le sien
Lors tout penaud le bon homme d'Assise
au grand diable d'enfer.
Je lui criai: Monsieur de Lucifer,
Je suis un saint, voyez ma robe grise;
Je fus absous par le chef de l'église.
J'aurai toujours, répondit le démon,
On est lavé de ses vieilles sottises,
Un grand respect pour l'absolution:
Pourvu qu'après autres ne soient commises.
J'ai fait souvent cette distinction
Le diable sait de la théologie.
A tes pareils; et grace à l'Italie,

Or, sans respect pour tiare et tonsure,

M'abandonnait

Il dit, et rit: je ne répliquai rien
A Belzebut; il raisonnait trop bien.
Lors il m'empoigne, et d'un bras raide et ferme
Il appliqua sur mon triste épiderme
Vingt coups de fouet, dont bien fort il me cuit:
Que Dieu le rende à Boniface huit.

LA DIVINE COMÉDIE.

Rivarol. Étude sur Dante. Étrange et admirable entreprise! Remonter du dernier gouffre des Enfers, jusqu'au sublime sanctuaire des Cieux; embrasser la double hiérarchie des vices et des vertus, l'extrême misère et la suprême félicité, le temps et l'éternité; peindre à-la-fois l'ange et l'homme, l'auteur de tout mal, et le saint des saints! Aussi on ne peut se figurer la sensation prodigieuse que fit sur toute l'Italie ce Poème national, rempli de hardiesses contre les Papes; d'allusions aux événemens récens et aux questions qui agitoient les esprits; écrit d'ailleurs dans une langue au berceau, qui prenoit entre les mains du Dante une fierté qu'elle n'eut plus après lui,

et qu'on ne lui connoissoit pas avant. L'effet qu'il produisit fut tel, que lors que son langage rude et original ne fut presque plus entendu, et qu'on eut perdu la clef des allusions, sa grande reputation ne laissa pas de s'étendre dans un espace de cinq cents ans, comme ces fortes commotions dont l'ébranlement se propage à d'immenses distances.

Il est difficile de se figurer qu'on puisse faire un beau Poème avec de telles idées; et ce qui doit nous mettre en garde contre ces sortes d'explica tions, c'est qu'il n'est rien qu'on ne puisse plier sous l'allégorie avec plus ou moins de bonheur. On n'a qu'à voir celle que le Tasse a lui-même trouvée dans sa Jérusalem.

défauts.

L'Italie donna le nom de divin à ce Mais il est temps de nous occuper Poeme et à son Auteur; et quoiqu'on du Poème de l'Enfer en particulier, de l'eût laissé mourir en exil, cependant son coloris, de ses beautés et de ses ses amis et ses nombreux admirateurs eurent assez de crédit, sept à huit ans après sa mort, pour faire condamner le Poète Cecco d'Ascoli à être brûle publiquement à Florence, sous prétexte de magie et d'hérésie, mais réellement parce qu'il avoit osé critiquer le Dante. Sa patrie lui éleva des monumens, et envoya, par décret du Sénat, une députation à un de ses petits-fils, qui refusa d'entrer dans la maison et les biens de son aïeul. Trois Papes ont depuis ac cepté la dédicace de LA DIVINA COMEDIA, et on a fondé des chaires pour expliquer les oracles de cette obscure divinité.*

Les longs commentaires n'ont pas éclairci les difficultés, la foule des Commentateurs n'ayant vu par-tout que la théologie: mais ils auroient dû voir aussi la mythologie, car le Poète les a mêlées. Ils veulent tous absolument que le Dante soit la partie animale, ou les sens; Virgile, la philosophie morale, ou la simple raison; et Beatrix, la lumière révélée, ou la théologie. Ainsi, l'homme grossier représenté par le Dante, après s'être égaré dans une forêt obscure, qui signifie, suivant eux, les orages de la jeunesse, est ramené par la raison à la connoissance des vices et des peines qu'ils méritent; c'est-à-dire, aux Enfers et au Purgatoire: mais quand il se présente aux portes du Ciel, Béatrix se montre, et Virgile disparoît. C'est la raison qui fuit devant la théologie.

• Le Dante n'a pas donné le nom de Comédie aux trois grandes parties de son Poème, parce qu'il finit d'une manière heureuse, ayant le Paradis pour dénoûment, ainsi que l'ont cru les Commentateurs: mais parce qu'ayant honoré l'Enéide du nom d'ALTA TRAGEDIA, il a voulu prendre un titre plus humble, qui convint mieux au style qu'il emploie, si différent en effet de celui de son maître.

Au temps où le Dante écrivoit, la Littérature se réduisoit en France, comme en Espagne, aux petites poésies des Troubadours. En Italie, on ne faisoit rien d'important dans la langue du peuple; tout s'écrivoit en latin. Mais le Dante ayant à construire son monde idéal, et voulant peindre pour son siècle et sa nation, prit ses matériaux où il les trouva: il fit parler une langue qui avoit bégayé jusqu'alors, et les mots extraordinaires qu'il créoit au besoin, n'ont servi qu'à lui seul. Voilà une des causes de son obscurité. D'ailleurs il n'est point de Poète qui tende plus de piéges à son Traducteur; c'est presque toujours des bizarreries, des énigmes ou des horreurs qu'il lui propose: il entasse les comparaisons les plus dégoûtantes, les allusions, les termes de l'école et les expressions les plus basses: rien ne lui paroît méprisable, et la langue française chaste et timorée s'effarouche à chaque phrase. Le Traducteur a sans cesse à lutter contre un style affamé de poésie, qui est riche et point délicat, et qui dans cinq ou six tirades épuise ses ressources, et lui dessèche ses palettes. Quel parti donc prendre? Celui de ménager ses couleurs; car il s'agit d'en fournir aux dessins les plus fiers qui aient été tracés de main d'homme; et lorsqu'on est pauvre et délicat, il convient d'être sobre. Il faut surtout varier ses inversions: le Dante dessine

C'est un des grands défauts du Poème, d'être fait un peu trop pour le moment: delà vient que l'Auteur ne s'attachant qu'à présenter sans cesse les nouvelles tortures qu'il invente, court toujours en avant, et ne fait qu'indiquer les aventures. C'étoit assez pour son temps pas assez pour le nôtre.

quelquefois l'attitude de ses personnages par la coupe de ses phrases; il a des brusqueries de style qui produisent de grands effets; et souvent dans la peinture de ses supplices il emploie une fatigue de mots qui rend merveilleusement celle des tourmentés. L'imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d'une chose incroyable, à l'effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau: il arrive de-là que ce monde visible ayant fourni au Poète assez d'images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le Lecteur de l'un à l'autre ; et ce mélange d'événemens si invraisemblables et de couleurs si vraies, fait toute la magie de son Poème.

Le Dante a versifié par tercets, ou à rimes triplées; et c'est de tous les Poètes celui qui, pour mieux porter le joug, s'est permis le plus d'expressions impropres et bizarres : mais aussi quand il est beau, rien ne lui est comparable. Son vers se tient debout par le seule force du substantif et du verbe, sans le concours d'une seule épithète.*

Il est vrai que dans cette immense galerie de supplices, on ne rencontre pas assez d'épisodes; et malgré la briéveté des Chants, qui sont comme des repos placés de très-près, le Lecteur le plus intrépide ne peut échapper à la fatigue. C'est le vice fondamental du Poème.

Enfin, du mélange de ses beautés et de ses défauts, il resulte un Poème qui ne ressemble à rien de ce qu'on a vu, et qui laisse dans l'âme une impression durable. On se demande, après l'avoir lu, comment un homme a pu trouver dans son imagination tant de supplices différens, qu'il semble avoir épuisé les ressources de la vengeance divine; comment il a pu, dans une langue naissante, les peindre avec des couleurs si chaudes et si vraies; et dans une carrière de trente-quatre Chants se tenir sans cesse la tête courbée dans les Enfers.

Au reste, ce Poème ne pouvoit paroître dans des circonstances plus malheureuses: nous sommes trop près ou trop loin de son sujet. Le Dante parSi les comparaisons et les tortures loit à des esprits religieux, pour qui ses que le Dante imagine, sont quelquefois paroles étoient des paroles de vie, et horribles, elles ont toujours un côté qui t'entendoient à demi-mot: mais il ingénieux, et chaque supplice est pris semble qu'aujourd'hui on ne puisse plus dans la nature du crime qu'il punit. traiter les grands sujets mystiques d'une Quant à ses idées les plus bizarres, elles manière sérieuse. Si jamais, ce qu'il offrent aussi je ne sais quoi de grand et n'est pas permis de croire, notre théode rare qui étonne et attache le Lec-logie devenoit une langue morte, et teur. Son dialogue est souvent plein s'il arrivoit qu'elle obtint, comme la de vigueur et de naturel, et tous ses mythologie, les honneurs de l'antique ; personnages sont fièrement dessinés. alors le Dante inspireroit une La plupart de ses peintures ont encore espèce d'intérêt son Poème s'élèveroit aujourd'hui la force de l'antique et la comme un grand monument au milieu fraîcheur du moderne, et peuvent être des ruines des Littératures et des Relicomparées à ces tableaux d'un coloris gions: il seroit plus facile à cette possombre et effrayant, qui sortoient des térité reculée, de s'accommoder des ateliers des Michel-Ange et des Car-peintures sérieuses du Poète, et de se raches, et donnoient à des sujets empruntés de la Religion, une sublimité qui parloit à tous les yeux.

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autre

pénétrer de la véritable terreur de son
Enfer; on se feroit chrétien avec le
Dante, comme on se fait payen avec
Homère.*

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NOTES SUR LE DANTE.

Par Alphonse de Lamartine. Nous allons froisser tous les tismes; n'importe, disons ce que pensons.

fatués par ses vers, prendraient parti contre on ne sait quels rivaux ou quels ennemis inconnus qui battaient alors le fana-pavé de Florence. Ces amitiés ou ces nous inimitiés d'hommes obscurs sont parfaitement indifférentes à la postérité. Elle aime mieux un beau vers, une belle image, un beau sentiment, que toute cette chronique rimée de la place du VieuxPalais (Palazzo - Vecchio) à Florence.

On peut classer le poème du Dante de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis parmi les poèmes populaires, c'est-à-dire parmi ces poésies locales, nationales, temporaires, qui émanent du génie du lieu, de la nation, du temps (genius loci), et qui s'adressent aux croyances, aux superstitions, aux passions infimes de la multitude. Quand le poète est aussi médiocre que son pays, son peuple et son temps, ces poesies sont entraînées dans le courant ou dans l'égout des âges avec la multitude qui les goûte; quand le poète est un grand homme d'expression, comme le Dante, le poète survit éternellement, et on essaie, éternellement aussi de faire survivre le poème ; mais on n'y parvient pas. L'œuvre, jadis intelligible et populaire, aujourd'hui ténébreuse et inexplicable, résiste, comme le sphinx, aux interrogations des érudits, il n'en subsiste que des fragments plus semblables à des énigmes qu'à des monuments.

Pour comprendre le Dante, il faudrait ressusciter toute la populace florentine de son époque: car ce sont ses croyances, ses haines, ses popularités et ses impopularités qu'il a chantées. Il est puni par où il a péché : il a chanté pour la place publique, la postérité ne le comprend plus.

Tout ce qu'on peut comprendre, c'est que le poème exclusivement toscan du Dante était une espèce de satire vengeresse du poète et de l'homme d'État contre les hommes et le partis auxquels il avait voué sa haine. L'idée était mesquine et indigne du poète. Le génie n'est pas un jouet mis au service de nos petites colères; c'est un don de Dieu qu'on peut profaner en le ravalant à des petitesses. La lyre, pour nous servir de l'expression antique, n'est pas une tenaille pour torturer nos adversaires, une claie pour traîner des cadavres aux gémonies; il faut laisser cela à faire au bourreau: ce n'est pas ceuvre de poète. Le Dante eut ce tort; il crut que les siècles, in

Au lieu de faire un poème épique vaste et immortel comme la nature, le Dante a fait la gazette florentine de la postérité. C'est là le vice de l'Enfer du Dante. Une gazette ne vit qu'un jour; mais le style dans lequel le Dante a écrit cette gazette est impérissable. Réduisons donc ce poème bizarre à sa vraie valeur, le style, ou plutôt quelques fragments de style. Nous pensons à cet égard comme Voltaire, le prophète du bon sens : "Otez du Dante soixante ou quatre-vingts vers sublimes et véri tablement séculaires, il n'y a guère que nuage, barbarie, trivialité et ténèbres dans le reste.

Nous savons bien que nous choquons, en parlant ainsi, toute une école littéraire récente qui s'acharne sur le poème du Dante sans le comprendre, comme les mangeurs d'opium s'acharnent à regarder le vide du firmament pour y découvrir Dieu. Mais nous avons vécu de longues années en Italie, dans la société de ces commentateurs et explicateurs du Dante, qui se succèdent de génération en génération, comme les ombres sur les hiéroglyphes des obélisques de Thèbes ; nous avons vécu même de longues années à Florence, parmi les héritiers des hommes et parmi les traditions des choses chantées, vantées ou invectivées par le poète, et nous pouvons affirmer qu'aucun d'eux n'a fait que déchiffrer des choses souvent bien peu dignes d'être déchiffrées. La persévérance même de ces commentateurs est la meilleure preuve de l'impuissance du commentaire à élucider le texte. Un secret une fois trouvé ne ce cherche plus avec tant d'acharnement. De jeunes Français se sont évertués maintenant à poursuivre ce qui a lassé les Toscans eux-mêmes. Que le dieu du chaos leur soit propice!

Quant à nous, nous n'avons trouvé, comme Voltaire, dans le Dante, qu'un

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