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vant M. de Caumont dans la première partie de son cours d'Antiquités nationales. H en est de même à Sorigny, à Manthelan et à Reignac.

Nous n'avons fait qu'effleurer une des plus graves questions de l'archéologie. Nous en avons dit assez pour appeler l'attention des antiquaires sur nos vénérables basiliques plébéiennes, comme les appelle saint Grégoire de Tours. Nous avons la ferme conviction que, malgré les ravages des siècles et les efforts des hommes, qui font plus de ruines que le temps, la Touraine possède encore de précieux débris de ses monuments chrétiens primitifs. On peut nier nos preuves, contester nos raisonnements, mais nous pensons qu'on ne le peut pas faire sans se jeter dans d'inextricables difficultés. N'avons-nous pas en notre faveur les principes les mieux affermis de la science des antiquit's religieuses? Comment soutenir que des édifices élevés suivant des systèmes opposés, dont les caractères sont essentiellement différents, appartiennent néanmoins à une même époque et à un même style architectonique ?

II.

L'âge des édifices à coupoles en France. a vivement préoccupé les antiquaires. Il n'existe peut-être aucun écrit sur notre architecture nationale où il n'en soit plus ou moins longuement question. Les principales églises à coupole du midi de la France sont au nombre de huit : Saint-Etienne de Cahors, Saint-Front de Périgueux, l'église de Souillac, Notre-Dame du Puy en Vélay, SaintPierre d'Angoulême, l'église du Roulet, près d'Angoulême, l'ancienne collégiale de Loches, au diocèse de Tours, l'église paroissiale de Rigny, dans le même diocèse. Ces églises sont couvertes de coupoles ou dômes sphériques, comme celles de Sainte-Sophie de Constantinople et de Saint-Marc à Venise. L'existence de ces monuments à coupoles bien formées est très-curieuse dans une certaine région de la France, qui a la Loire pour limite extrême. En deçà de ce fleuve, nous remarquons d'ailleurs que l'architecture romano-byzantine a pris des développements particuliers, qu'elle n'a jamais reçus dans le nord. ( Voyez RYZANTIN.)

On a longtemps hésité pour savoir à quelle époque il fallait rapporter ces curieux éditices, et nous devons avouer que la question n'est pas encore entièrement résolue, malgré le beau travail de M. de Vernheil sur la cathédrale de Saint-Front. Nous avons essayé de jeter quelque lumière sur ce sujet dans l'ouvrage intitulé: Les Cathédrales de France. Nous attachons une extrême importance, disions-nous, à la page 86, à la détermination de l'âge des monuments byzantins que nous avons précédemment nommés. On a débité tant de fables sur cette matière, que la vérité aura peut-être quelque peine à révaloir. La cathédrale de Saint-Front de Périgueux, mieux connue et plus exactement appréciée par M. de Vernheil, a été considérée comme une construction du x' ou du x1° siè

el, tandis que autrefois on avait osé reculer la date de sa fondation à une époque antérieure au XIe siècle, et même, chose incroyable, jusqu'au iv ou v siècle. L'opinion de M. de Vernheil, plus vraisemblable que celle de ses devanciers, n'est pourtant pas encore démontrée, car l'apparition de l'ogive dans les arcs principaux, au x1° siècle, dans cette partie de la France, serait un fait extraordinaire. La cathédrale d'Angoulêmo avait été regardée, dans sa portion antique, comme un débris d'un temple païen, et les moins obstinés ne voulaient pas admettre une date plus récente que la fin du vi° siècle, époque à laquelle le monument a été rebâti par les soins de Clovis. Cependant, en compulsant les titres relatifs à l'œuvre de SaintPierre, on a trouvé que l'église fut reconstruite entièrement, a primo lapide, au commencement du XII siècle. L'ancienne collégiale de Notre-Dame de Loches présente. deux belles coupoles en pointe qui ont conservé leur disposition primitive: leur construction ne remonte qu'au xII° siècle, ainsi que nous en avons la preuve par des pièces authentiques que nous avons entre les mains. De ces faits ainsi posés, nous tirons la conclusion que les églises à dômes byzantins du Périgord et du Quercy ne doivent pas être attribuées à une époque antérie aux premières années du xi' siècle.

Nous ne partageons pas l'opinion de M. Calvet, auteur d'une curieuse et savante Notice sur la cathédrale de Cahors, qui attribue aux coupoles de Saint-Etienne une antiquité beaucoup trop reculée, en les reportant à la date du VIIe siècle. La ressemblance de la disposition générale entre Saint-Front et Saint-Etienne démontre que ces deux édifices ont été bitis à peu de distance l'un de l'autre. On pourrait même aller plus loin et considérer Saint-Front comme le modèle de la basilique de Cahors, ce qui lui assurerait la priorité et par conséquent une plus grande ancienneté. En mettant de côté toutes les considérations archéologiques, on ne saurait concevoir par quelle protection spéciale la cathédrale de Cahors du VII° siècle aurait échappé aux malheurs des temps, à l'invasion des Sarrasins, aux troubles du règne du brave mais infortuné Vaifre, duc d'Aquitaine, aux fureurs des Normands et aux guerres continuelles qui désolèrent les deux premiers tiers du moyen âge. Vers le milieu du xi siècle, le pape Calixte II fit la consécration du nouvel autel de Saint-Etienne. Cet acte solennel, si important dans la liturgie catholique, n'indiquerait-il pas que l'on venait d'achever des travaux considérables dans la cathédrale? Ne serait-ce pas à cette époque que les voûtes, en particulier, auraient été achevées ?

III.

La cathédrale de Coutances est incontestablement un des monuments les plus remarquables de la période ogivale. On y voit, à un haut degré de perfection, toutes les formes usitées en France à la fin du xu siècle

et aù commencement du xu. A ne consulter que l'analogic, cet édifice est contemporain des cathédrales de Paris, de Chartres, de Tours, de Bourges, d'Amiens et de Reims. Le style est le même dans toutes ces grandes églises; les caractères architectoniques sont identiques. Certains archéologues normands, plus versés dans la connaissance des monuments littéraires que dans l'étude comparée des monuments d'architecture, ont prétendu que Notre-Dame de Coutances avait été commencée vers l'an 1030 et terminée en 1083, sauf quelques parties évidemment construites au XIV et au xv siècle. Ce serait un phénomène inexplicable que la construction de la cathédrale de Coutances, au milieu du x siècle, suivant un système d'architecture qui n'était même pas annoncé ailleurs par des essais, des ébauches, qui pussent le fire pressentir; de sorte que le style si compliqué du XIIIe siècle aurait pris subi

tement Daissance en basse Normandie et aurait créé un chef-d'œuvre pour son coup d'essai. Cette prétention, scutenue par MM. de Gerville et l'abbé Delamarre, a été combattue par M. Vitet, dans sa Description de la cathédrale de Noyon, et par nous-même, dans notre ouvrage intitulé: Les Cathédrales de France, publié en 1843. Chacun peut aisément comprendre de quelle importance pour la science archéologique est une diseussion de cette nature. Nous sommes forcé de l'abréger ici; nous exposerons néanmoins les principaux arguments qui ont été apportés de part et d'autre. Les antiquaires anglais ont apprécié la gravité des débats relatifs à cette question: ils y ont eux-mêmes pris part dans plusieurs écrits, malheureusement peu connus en France jusqu'à présent.

Dès 1824, M. de tierville publia un mémoire dans lequel il soutient que la cathédrale de Coutances est du milieu du xi siècle, sauf des restaurations que le temps et les guerres civiles avaient rendues nécessaires. Il signale spécialement quelques chapelles et la partie de la façade occidentale comprise entre les deux flèches, comme of frant des caractères d'une date moins ancienne. Le monument serait donc, dans son ensemble, le même qui fut presque entièrement édifié par les soins de l'évêque Geoffroy de Montbray, que les fameux Tancrède et les autres seigneurs normands a dèrent puissamment de leurs trésors.

«L'architecture de notre cathédrale, dit M. l'abbé Delamarre (1), qui, pour la beauté du travail, ne le cède peut-être à aucune autre en France, dérange les idées reçues sur la théorie de l'art : il me paraît nécessaire de prouver qu'elle fait exception. Les deux clochers, cette admirable lanterne qui est au-dessus du chœur, la plus grande portion du côté septentrional de ce chœur et pres

(1) Essai sur la véritable origine et sur les vicissitudes de la cathédrale de Coutances, par M. l'abbé Delamarre, vicaire général de Coutances, 1 vol. in-4o, extrait des Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, XII vol., 1840-1841.

que toute la partie centrale de l'édifice intérieurement, sauf les réparations faites aux colonnes et à leurs chapiteaux, sauf aussi celle de la voûte, me semblent du travail primit f. >>

M. l'abbé Delamarre appuie son argumentation sur des pièces historiques, dont plus'eurs ont disparu depuis quelques années, dont les autres sont conservées au palais épiscopal de Coutances, aux arch ves capitula res. Ecoutons les conclusions de son Mémoire:

« Il ne peut y avoir de doute sur la perpétuité de la cathédrale, depuis l'épiscopat de Sylvestre jusqu'à nos jours. Outre que les motifs péremptoires que j'a tirés du monument même, considéré à cette époque critique, revivraient dans toute leur force et se grossiraient en traversant les temps. qui nous en séparent; les délibérations cap.tulaires de plusieurs siècles, conservées jusqu'à présent, la belle collection des comptes annuels du chap tre, les visites officielles des chapelles par les chanoines, les prises de possession des divers titulaires, les procès séculaires du chapitre contre les évêques concernant les réparations mêmes de la basilique, nous offriraient des moyens irréfragables de prouver jour par jour et l'identité du monument et la nature, souvent même le prix des travaux intérieurs et extérieurs qui y ont été exécutés. J'ai parcouru dans les sources tous ces détails historiques, indiqués avec scrupule par l'habile correspondant des auteurs du Gallia Christiana, M. l'abbé Pourret, et aussi dans l'analyse remarquable qu'il a faite des délibérations capitulaires de trois siècles.

«Je crois avoir démontré que si les églises ogivales n'ont paru en foulè qu'à la fin du XII siècle et dans le xi, et que, si celles de ce genre, sans date certaine, qui n'ont pas encore revêtu le style flamboyant, doivent plus vraisemblablement se rapporter à cette époque, la force de l'analogie ne saurait, dans l'espèce, détruire les faits, peutêtre plus nombreux qu'on ne le suppose, de constructions ogivales plus anciennes; secondement, qu'une première lenteur dans le perfectionnement et dans la propagation du genre peut s'expliquer par la longueur même de semblables travaux et par les circonstances propres à ces temps reculés, où les communications et les rapports, étaient difficiles; troisièmement, que des exemples viennent appuyer ces hypothèses plausibles. « Nous avons vu ensuite, même dans les basiliques en plein cintre du xr siècle, témoin la nef de Bayeux, le fini du travail, la richesse des ornements, quand tel était le goût des fondateurs, briller à côté de monuments contemporains qui ne nous offrent que la massive simplic té des constructions de Guillaume. Nous avons cru trouver en partie, dans l'humble ferveur des moines de l'époque, la solution des objections tirées des monastères. La pensée d'élever une église entière dans le genre ogival existait d'ailleurs dans les contrées dont les Nor

mands faisaient alors la conquête sous la bannière du fameux Tancrède. A la vérité, cette og ve n'était pas ce qu'elle est dans la cathédrale de Coutances; mais l'idée mère était toujours là: l'ogive était dès lors généralisée dans des basiliques auxquelles le ciseau normand a profondément imprimé son cachet. Et si, dans ces contrées lointaines, ce style est demeuré stationnaire, même après qu'il était devenu si parfait chez nous, les sceaux, dans lesquels l'architecture des différents âges est toujours venue se refléter, nous montrent l'ogive même en lancette, enfantée, ou du moins reproduite dès avant le x siècle, par le génie fécond des artistes français. Ne dira t-on pas d'ailleurs que, dans ce même x siècle, nos architectes normands semblaient vouloir lutter avec la hauteur des cieux, en élevant ces majestueuses églises de Bénédictins, dont la date n'est pas contestée ?

« Ne trouvons-nous pas dans ces faits tous les éléments de l'heureuse conception de notre cathédrale, dont l'élégante et régulière simplicité accuse la fraîcheur et la jeunesse du genre? Et toutes ces vraisemblances ne prennent-elles pas la plus grande force de ces rapports continuels des nouveaux Normands avec la mère province, du voyage de Geoffroy de Montbray, dans ces pays éloignés, et de cette circonstance que les Tancrède ont sans doute tenu à honneur d'être les principaux fondateurs de la cathédrale qui abrite leur berceau? L'église de Mortain, les cathédrales de Séez, de Bayeux et de Chartres, ne sont-elles pas venues fortifier notre système, et les sceaux des prélats normands ne nous ont-ils pas révélé combien les arts étaient relativement avancés et combien l'ogive était belle et répandue au xXHI siècle dans notre religieuse province? Ne trouverait-on pas dans nos traditions le moyen de concilier l'opinion de ceux qui attribuent aux Croisades l'introduction de l'ogive en France, avec celle des antiquaires qui soutiennent qu'elle est un produit indigène du Nord de l'Europe?

« Et toutes ces probabilités et ces vraisemblances sur la date de notre cathé rale, ne se sont-elles pas changées pour nous en certitude, quand nous avons vu cette basilique offrant encore aujourd'hui les traits nombreux conservés dans une charte contemporaine, dont la lecture enchante par le naïf enthousiasme du témoin oculaire? Les caractères qu'il assigne à la basilique du XI° siècle et que je me suis attaché à faire ressortir dans mon Mémoire, conviennent si bien à celle que nous avons sous les yeux, qu'il est impossible de ne pas reconnaître l'évidence de l'identité. Nous avons fait jaillir du monument même l'impossibilité de construct ons lentes appartenant à plusieurs siècles, et qui auraient renouvelé radicalement tout le premier travail; nous avons d'ailleurs constaté, en suivant pas à pas les siècles et en scrutant la tradition jusque dans ses plis les plus cachés, qu'aucun évêque n'a depuis effectué la reconstruction

générale de la cathédrale de Coutances, mais qu'elle a constamment été livrée au culte. Si le mot de fabrique se fait entendre une fois. au XIII siècle, une foule de faits et des documents précis nous apprennent qu'il est impossible de supposer une rééditication entière, mais qu'on y ajoutait seulement quelques chapelles, qui confirment elles-mèmes l'existence antérieure du principal, monument. Que n'avons-nous pù dérouler cette masse d'actes qui dessinent si nettement les temps de calme où les cérémonies saintes y suivaient leur cours régulier, et tant de faits qui mettraient d'ailleurs dans un nouveau jour cette vérité, qu'aucune crise n'a nécessité autre chose que des réparations! Le x siècle et les siècles suivants, imprimant successivement leur sceau sur quelques-uns des accessoires de notre cathédrale, ont constaté qu'ils n'ont fait que passer devant elle en l'admirant. Je n'ai rencontré dans mes recherches aucune pièce, aucun acte qui fasse objection contre ce système complet qui présente tous les caractères de la vérité. J'ignore si ma conviction sera partagée par mes maitres et mes juges dans une science que j'ai peu cultivée. Quant à la mienne, elle demeure parfaite sur le fait local que j'ai essayé d'approfondir et auquel j'ai entendu me borner exclusivement, laissant à d'autres le soin d'explorer les manuscrits qui concernent les monuments remarquables qu'ils ont aussi sous les yeux : c'est le moyen d'établir de plus en plus l'archéologie sur ses véritables bases. Il ne restera encore à l'incertaine analogie que trop de monumen's à classer. »

On peut opposer au système de M. de Gerville et de M. Delamarre, une objection insoluble. Comment pouva t-on bâtir à Coutances un monument du x siècle dans un style qui ne régna qu'un siècle et demi plus tard dans les autres villes de la France occidentale, un monument complétement à ogives, tandis que les monuments bâtis au XI siècle par les hommes les plus illustres et les plus opulents, ne présentent que des arcades cintrées? Pour citer un exemple, Guillaume le Conquérant fonda une abbaye à Caen en 1066, et la reine Mathilde, son épouse, en fonda ne autre la même année et dans la même ville. Comme on n'épargna pas la dépense pour rendre ces deux monuments dignes des fondateurs et de l'événeinent extraordinaire en mémoire duquel ils furent élevés, il y a lieu de croire que l'on aura employé le style le plus moderne et le plus parfait. Nous voyons cependant qu'ils sont en un style plus ancien que celui de la cathédrale de Coutances, qui aurait été bâtie près de vingt ans plus tôt, suivant le document cité par M. de Gerville et si éloquemment défendu par M. l'abbé Delamarre.

Longtemps après la date ass gnée à la fondation de la cathédrale de Coutances, on construisit une vaste église pour l'abbaye de Bénédictins, fondée à Lessay, à la porte même de la ville de Coutances. On serait porté à croire que l'architecte chargé de cet

ouvrage, ayant pour ainsi dire sous les yeux un aussi beau modèle que la cathédrale de Coutances, aurait dû l'imiter dans quelques parties. Il n'en est rien pourtant. Nous ne voyons à Lessay que des arcades à plein cintre. L'église abbatiale appartient au style romano-byzantin, sans mélange.

On a dit: Geoffroy de Montbray, sous l'épiscopat duquel la cathédrale de Coutances fut batie, était allé en Pouille, près de Robert Guiscard et des autres barons normands, ses amis et ses parents. Il en rapporta des sommes considérables. Ne peut-on pas supposer qu'il ramena de ce pays des ouvriers pour construire sa cathédrale dans un style inconnu jusque-là en Normandie?

Cette explication, séduisante au premier abord, est loin de satisfaire quand on a examiné les belles vucs des monuments de la Sicile, publiées par M. Sittorf. Que voyonsnous, en effet, dans les églises bâties dans ce pays, au XII siècle, cent ans après la cathédrale de Coutances, notamment dans la curieuse église de Monréal, près de Palerme, élevée par Guillaume le Bon? Nous y trouvons des ogives, pour ainsi dire, de transition, qui n'ont pas à baucoup près l'élancement de celles de Coutances, et le goût byzantin domine dans les riches ornements qui décorent l'édifice. Bref, si le style ogival était comme dès le x1 siècle, il différait considérablement de celui que nous voyons à la cathédrale de Coutances, et ce dernier ne peut en être regardé comme l'imitation (1).

M. Vitet combat avec vivacité le sentiment de M. l'abbé Delamarre, et en termes qu'il ne se donne pas toujours la peine d'adoucir suffisamment. « Malheureusement, dit-il, l'auteur était mieux préparé aux recherches paléographiques qu'à l'étude des monuments. Il paraît en avoir peu vu, peu comparé de là vient qu'il fait si bon marché de toute classification chronologique, fondée sur l'étude et sur la comparaison des monuments euxmêmes. Il lui semble presque puéril d'attacher, en pareille matière, quelque importance aux analogies et aux différences, comme si, en quelque matière que ce soit, la science humaine pouvait reposer sur autre chose. Si M. Delamarre avait pour un moment laissé là les textes qu'il étudie si bien, et visité avec les yeux d'archéologue seulement quinze ou vingt monuments du x siècle pris au hasard; si, retrouvant dans tous ces monuments les mêmes principes générateurs, au travers de quelques différences secondaires, il avait ensuite porté S's regards sur un certain nombre de monuments de transition, et qu'il eût retrouvé en eux les germes encore incomplets de ces principes communs à tous les monuments du x sècle, ne se serait-il pas dit, en refermant prudemment ses nécrologes et ses archives capitulaires : Il y a quelque chose de moins trompeur que les écrits des hommes, ce sont les fois nécessaires et constantes de

(1) Voy. Cathédrales de Frane, par M. Bourassé, pag. 350 et suiv.; de Caumont, Antiq. mon., tom. IV.

l'esprit humain, et, parmi ces lois, il en est une qui n'est ni la moins constante ni la moins nécessaire, celle qui veut que l'homme et l'espèce humaine ne fassent rien de complet et d'achevé du premier coup? Les plus grands siècles comme les plus grands génies ont obéi à cette loi point de chef-d'œuvre sans ébauche. Et vous voulez que cet adinir ble système de l'architecture à ogives, avec tous ses effets, avec tous ses secrets, avec sa coupe de pierres si compliquée et si neuve, avec cette audacieuse légèreté, résultat d'une foule de combinaisons que nous voyons éclore successivement et laborieusement pendant plus d'un siècle, vous voulez que tout cela, sans que rien y manque, ait été improvisé un certain jour à Coutances, près de deux cents ans avant que, dans aucun autre lieu du globe, ce système eût été complétement réalisé, et quatre-vingts ans au moins avant que partout ailleurs on sengeât à introduire quelques pauvres ogives au milieu des antiques pleins cintres! A quelle cause attribuer un tel prodige? L'auteur ne le dit pas, et c'est à peine s'il le cherche, tant il parait avoir peu conscience qu'il y a là quelque chose qui révolte la raison. Il croit soutenir une opinion comme une autre, et bouleverse avec une tranquillité parfaite nonseulement toutes les données de l'histoire, mais les conditions de notre nature. Parce qu'il a lu, dans je ne sais quel registre, dont on ne trouve plus nulle part l'original, registre désigné sous le nom de livre noir, qu'en 1030 une église a été fondée à Coutances, il se croit en droit d'affirmer que cette église est bien celle qui existe aujourd'hui, et prétend que ce n'est pas lui qui est tenu d'en administrer la preuve, mais que c'est à ceux qui voient dans cette église une oeuvre du xin siècle à fournir la démonstration écrite de ce qu'ils avancent (1). »

IV.

Outre la controverse au sujet de l'âge de la cathédrale de Coutances, de beaucoup la plus connue, il en existe encore d'autres au sujet de la cathédrale de Séez, de celle de Laon, de la collégiale de Mortain, de l'abbatiale de Fécamp. Il y a quelques années la discussion à ce sujet était bien plus animée qu'aujourd'hui. Depuis que la critique monumentale s'est exercée sur ces questions pour la première fois, la science à fait des découvertes, la force de l'analogie s'est affermie. D'un autre côté, les documents historiques ont été compulsés, et l'on est parvenu à concilier ensemble et les prétentions de l'archéologie et celles de l'histoire. Ainsi, pour ce qui concerne la cathédrale de Séez, d'un style fort remarquable, quoique moins pur que celui qui règne à Coutances, il est certain que l'edifice actuel est postérieur à 1114, époque à laquelle s'écroula l'église qui n'était pas encore achevée, quoiqu'on y travail

(1) Monographie de Notre-Dame de Noyon, par M. L. Vitet, de l'Académie française. In-4o, de l'Imprimeric royale. 1846.

lat depuis l'année 1053. La nouvelle église ne fut consacrée qu'en 1126, et alors elle était loin d'être terminée, puisqu'on y travaillait encore quatre-vingts ans plus tard. Par conséquent ce monument. dont on attribue la construction en'ière à Yves de Bellesmes, ne fut terminé qu'à la fin du xu siècle et au commencement du siècle suivant.

Quant à la belle cathédrale de Laon, dont nous avons écrit la monographie, il est constant qu'elle fut ruinée par l'incendie en 1112, à la suite de violentes querelles qui accompagnèrent l'établissement de la commune. En 1151, l'évêque Barthélemy de Vir mourut sans voir la fin des travaux de sa cathédrale: preuve convaincante que cette église n'était pas terminée en 1214, comme on l'a prétendu un peu trop légèrement. Ne suffit-il pas de visiter ce grand et magnitique monument pour être convaincu qu'il n'avait pu être bâti en deux années ? Nous croyons être en droit d'affirmer que Notre-Dame de Laon date du xi et du x siècle.

Les églises de Mortain et de Fécamp appartiennent en grande partie au style de transition elles sont plus anciennes environ d'un demi-siècle que les cathédrales de Coutances, de Séez et de Laon. A Mortain, il ne reste évidemment de la construction de 1082 qu'une seule porte, et cette porte est à plein cintre. Pour ce qui regarde l'église abbatiale de Fécamp, on oublie, lorsqu'on veut y voir un monument fini en 1108, qu'en 1167, un violent incendie réduisit en cendres tout le monastère et que l'abbé Henri de Sully travaillait encore à relever l'église de ses ruines lorsqu'il mourut en 1188.

Nous devons conclure de tout ce que nous avons dit sur l'âge des monuments que l'histoire et l'archéologie doivent se donner la main, comme deux sœurs, et qu'il est imprudent de les séparer quand on cherche à établir l'époque de la fondation d'un grand édifice. La science des antiquités est présentement assez fermement établie, pour que l'historien refuse ou dédaigne d'en tenir compte dans ses appréciations. Les erreurs dans lesquelles sont tombés ceux qui en ont méconnu l'autorité doivent servir à mettre en garde les érudits qui feuillettent sans cesse les chartes et les titres historiques. sans étudier les monuments d'architecture. D'ailleurs on ne saurait trop insister sur cette recommandation, c'est qu'il faut étudier les monuments d'une manière comparative. Si l'on se renferme dans une étroite région, sans tenir compte de ce qui s'est fait à une époque contemporaine, au moins dans les contrées limitrophes, on s'égare à peu près infailliblement.

AGENCEMENT. - Dans le langage artistique on entend par agencement l'arrangement, la disposition des parties d'une figure, des draperies sur une statue ou dans un tableau, ou de plusieurs personnages sculptés ou peints groupés ensemble. Ce mot signifie encore la disposition des accessoires d'un tableau ou d'un bas-relief. Enfin, il désigne quelquefois la manière dont les ornements

sont mis en rapport entre eux, dont certains membres d'architecture sont combinés ensemble.

Les sculpteurs, durant la période romanobyzantine de transition, au x siècle, ont déployé beaucoup de goût dans l'agencement des feuillages fantastiques, des bandelettes perlées, des ornements capricieux et des monstres qui forment les chapiteaux des colonnes. Cet e ornementation est communément pleine d'originalité. Il en est de même pour celle qui est employée à la décoration du portail principal des églises. II y a certaines façades de monuments romano-byzantins qui peuvent le disputer à tout ce que l'art de la Renaissance a créé de plus parfait, soit par l'heureux agencement des rinceaux, des arabesques, des végétations fantastiques, soit par l'agréable symétrie des motifs de décoration, soit par l'harmonie qui règne entre toutes les parties.

Quant aux draperies qui recouvrent les statues des églises, l'agencement en varie aux diverses périodes du moyen âge. On sait que la statuaire n'a commencé à prendre quelques développements qu'au x siècle, et qu'elle semble avoir atteint son plus haut degré d'expression au XIIIe siècle. A SaintMaurice d'Angers, à Notre-Dame de la Couture au Mans, à Saint-Etienne de Bourges, aux portails latéraux, les riches statues byzantines qui ornent les voussures des portes sont vêtues de longs habits à plis fins et serrés, embellis de franges élégantes, bordés de galons d'un travail oriental. L'agencement des draperies est généralement fort simple. Les connaisseurs estiment beaucoup les statues du XII siècle qui se trouvent dans l'ancienne église conventuelle de Fontevrault et représentant Henri II et Richard Cœur de Lion, rois d'Angleterre, avec Eléonore de Guienne et..... leurs femmes. Ces statues ont été quelque peu mutilées; mais elles peuvent être prises comme type de l'état de l'art au milieu du xe siècle. (Foy. STATUES, PORTAIL, VOUSSURE, TOMBEAU.)

AGNEAU. L'agneau est le symbole de la douceur et de la simplicité. On a très-fréquemment représenté Notre-Seigneur sous cette figure symbolique, dès l'origine du christianisme, pendant la durée du moyen âge et jusqu'à nos jours. Si l'on rencontre souvent les quatre évangélistes, saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean, représentés sous l'emblème d'un jeune homme, d'un lion, d'un boeuf et d'un aigle, on ne trouve pas moins souvent Jésus-Christ figuré par un agneau. Saint Jean-Baptiste, en voyant paraître le Messie, s'est écrié : Voici l'agneau de Dieu; voici celui qui efface les péchés du monde. Le Christ, en mourant sur la croix, est l'Agneau symbolique dont parlent les prophètes, l'Agneau qui marche à la mort et se laisse égorger sans se plaindre. Le Christ, en répandant le sang qui nous a rachetés, c'est l'agneau égorgé par les enfants d'Israël, avec le sang duquel on marque du tau mystérieux les maisons qui seront préservées de la colère de Dieu. L'a

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