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la période ogivale; on en voit des exemples aux xшI*, xiv et xv siècles. Il est employé alors plutôt comme ornement que dans un but d'utilité, car l'évasement est parfois extérieur. Cette forme contribue à donner plus de légèreté à des surfaces uniformes trop étendues. Cet arrangement se remarque bien plus souvent dans les églises ogivales aux baies extérieures des clochers; dans ce dernier cas, l'inclinaison de l'appui peut aider à l'écoulement des eaux pluviales et favoriser l'effet des abat-son.

ABAT-VENT. - ABAT-SON. - On entend par abat-vent une suite de petits toits interrompus, saillants les uns sur les autres, ou d'auvents posés dans l'ouverture d'une fenêtre et fortement inclinés en dehors, pour garantir de l'action immédiate du vent, de la pluie, de la neige, les intérieurs que l'on ne veut pas priver de la circulation de l'air. Ils sont en bois, ordinairement recouverts de plomb ou d'ardoises on a coutume de les établir aux larges baies des tours et des clochers, à la hauteur du beffroi. Là, en même temps qu'ils préservent les charpentes et les cloches contre l'humidité et les intempé ries des saisons, ils empêchent les sons de se perdre dans l'air, en les dirigeant vers la terre c'est à cette dernière circonstance qu'ils doivent encore le nom d'abat-son.

ABAT-VOIX. —Espèce de dôme, de dais ou de plafond, placé au-dessus de la chaire à prêcher et destiné à empêcher la voix du prédicateur de se perdre dans les voûtes de l'église.

Dans les chaires les plus anciennes, on a remarqué l'usage de l'abat-voix : l'utilité en a donc déterminé l'établissement dès le principe. Toutes les chaires, cependant, ne reçurent pas ce couronnement plus ou moins élégant, plus ou moins léger, qui est devenu aujourd'hui le complément indispensable de toute chaire à prêcher.

Le style ogival n'a rien produit de plus splendide en ce genre que les magnifiques couronnements de chaire d'Ulm, de Mayence, de Strasbourg et de Vienne en Autriche; nous devons noter ici que l'abat-voix de la chaire de Strasbourg est un travail moderne. La chaire en bois de la cathédrale d'Ulm est un véritable chef-d'œuvre de goût et de patience la sculpture sur bois et l'art de la menuiserie y ont déployé toutes leurs ressources. La plupart des chaires sont surmontées d'un abat-voix où l'art n'a rien à revendiquer. Les plus belles chaires, après celles que nous avons nommées précédemment, sont assurément celles de la Belgique, exécutées avec un luxe prodigieux d'ornementation; mais un goût sévère et épuré n'a pas toujours présidé à leur décoration sur l'abat-voix, comme dans l'escalier qui conduit à la chaire, l'imagination a placé mille compositions capricieuses, où la fantaisie règne trop exclusivement. A Ulm, au contraire, l'ornementation est abondante et toujours réglée. La chaire et son couronnement datent de l'époque de la construction de l'église elle-même, c'est-à-dire du xv siècle.

La pyramide aiguë qui domine l'abat-voix s'élance avec hardiesse jusqu'à la voûte et se perd dans les hauteurs de l'église, comme une flamme céleste qui remonte à sa source en tournoyant. Cet immense dais est exécuté avec un soin prodigieux : le principal motif de décoration est un petit escalier qui tourne dans un berceau de trèfles et de feuillages, et qui va en se rétrécissant à mesure qu'il s'élève. S'il était possible d'arriver par un endroit quelconque à cet escalier isolé, un enfant ne pourrait se tenir sur la marche la plus basse qui est pourtant la moins étroite. A quoi sert donc cet escalier? L'architecte n'a-t-il eu aucune intention en le suspendant au-dessus de la tête du prédicateur? C'est ici l'occasion de montrer une des mille applications du symbolisme chrétien et de la signification mystique attachée aux formes matérielles d'un monument. L'architecte n'a-t-il pas voulu frayer ce chemin tout couvert de fleurs aux messagers de la pensée divine? N'est-ce pas la place qu'il avait réservée dans son église aux pieds des anges qui descendaient à la parole du prêtre et qui planaient de là sur la foule? Cette disposition gracieuse est merveilleusement en rapport avec les idées chrétiennes sur la prédication évangélique, sur la grâce qui descend d'en haut à l'invocation ardente du prêtre, sur la lumière que Dieu envoie du ciel pour éclairer l'intelligence des hommes simples et droits qui vienneut se presser autour de la tribune sacrée pour recevoir les douces et salutaires influences de la vérité.

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L'abat-voix de la chaire de Vienne en Autriche est plus simple que celui de la chaire d'Ulm, mais il est plein d'élégance ei parfaitement en rapport avec la tribune. Celle-ci est construite sur un plan hexagonal; le couronnement est également établi sur un hexagone; mais avant d'arriver au double feston trilobé qui termine le plafond, chaque pan est divisé en deux lobes arrondis. Il en résulte une étonnante richesse d'ornementation les ciselures ont été prodiguées sur toute la surface du ciel ou plafond de l'abat-voix. Au centre d'une belle étoile à sept divisions se trouve un écu d'armoiries, en cartouche, comme l'écusson allemand, et tout autour, sur plusieurs lignes concentriques, des entrelacs, des feuillages, des arabesques, des têtes d'anges ou des personnages allégoriques. A la base de l'aiguille du dais, huit petits contreforts forment autant d'encadrements où l'on voit plusieurs traits de l'Evangile sculptés en hautrelief: on y distingue la Nativité de N. S., l'Apparition des anges aux bergers, l'Adoration des mages. Au haut de la pyramide, dont les lignes d'angle sont ornées de feuilles grimpantes, s'appuie le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe; il descend sur plusieurs petits personnages agenouillés, qui représentent l'assemblée chrétienne attentive à l'enseignement du prédicateur chrétien. La composition entière est surmontée du signe de la croix.

Suivant la coutume catholique, on place

une colombe, emblème de l'Esprit saint, au milieu du ciel de l'abat-voix. On retrouve des vestiges de cet usage dans des monuments assez anciens. N'est-ce pas un témoignage éclatant de la confiance que les ministres de la vérité doivent avoir en la promesse de Jésus-Christ? « Ce n'est pas vous qui parlerez, dit-il à ses apôtres, mais c'est l'Esprit qui parlera par votre bouche. » N'estce pas encore un symbole expressif de la pureté du dogme prêché par le prêtre catholique? L'Esprit saint veille toujours sur l'Eglise, dépositaire fidèle de la doctrine révélée par Jésus-Christ et transmise par les apôtres.

Souvent, dans les églises modernes, ou dans les églises meublées à la moderne, l'abat-voix de la chaire est surmonté d'une figure ailée, sonnant de la trompette et avant le pied posé sur le globe terrestre. Cette image, qui représente mieux la Renommée paienne que l'Ange de la parole divine, devrait être bannie du lieu saint.

Nous avons eu l'occasion d'observer quelques chaires appartenant à un style archéologique caractérisé, dépourvues d'abat-voix. A Beaulieu, dans le comté de Hampshire en Angleterre, il y a une chaire des dernières années du XIII siècle ou du commencement du xiv, dont la tribune est peu saillante; le siége du prédicateur est dans l'épaisseur même de la muraille, ainsi que l'escalier qui y conduit. Au-dessus de la tête du prédica teur, une charmante petite voûte à croisées d'ogives remplace l'abat-voix. Une disposition analogue existe ancienne collégiale de Saint-Georges à Faye-la-Vineuse, au diocèse de Tours. Cette église, où l'antiquaire peut faire d'intéressantes observations, fut bâtie vers la fin du xire siècle, dans un style qui touche à la limite de l'art romano-byzantin qui expire et de l'art ogival qui naît. Dans la nef et à la muraille du nord on voit une chaire construite peu de temps avant la Renaissance. Comme à Beaulieu, elle est en partie creusée dans la muraille; elle consiste en une plate-forme, originairement entourée d'une balustrade à jour, reposant sur un riche encorbellement. L'abat-voix n'a jamais existé une petite voûte allongée, à nervures prismatiques, en tient lieu.

A Saint-André-lez-Troyes en Champagne, on admire une très-belle chaire à panneaux sculptés du xvI siècle. Le dossier est composé de deux larges panneaux à rubans et les montants qui les accompagnent sont terminés par des fleurons. Il n'y a nulle trace d'abat-voix.

Ordinairement les chaires, placées à l'extérieur des monuments religieux, étaient privées d'abat-voix. Quoique celle qui se voit à l'église principale de Saint-Lô en Normandie soit surmontée d'un clocheton, malgré quelques autres exceptions encore, la plupart de ces tribunes en plein air ressemblent, avec quelques modifications, à celle de Tours, bâtie es encorbellement, ornée de gracieux dessins de la Renaissance française, à laquelle on arrive par la cha

pelle du palais archiepiscopal et qui domine la place de Saint-Grégoire de Tours. Cette chaire, ainsi que certaines parties voisines, fut établie par l'archevêque Martin de Beaune, fils de l'infortuné baron de BeauneSemblançay, surintendant des finances : on y voit ses armoiries, qui sont de gueules avec un chevron d'argent et trois besans d'or.

ABBATIALE (Eglise).-I. Les grandes et riches abbayes qui florissaient au moyen âge en Italie, en France, en Allemagne, en Angleterre, se distinguèrent toutes par la magnificence des églises qu'elles se consacrèrent. Non-seulement l'architecture y déploya toutes ses ressources, mais encore la décoration y épuisa tous ses trésors de goût. Malgré le malheur des temps et les désastres occasionnés par les luttes civiles et religieuses, les églises abbatiales sont les seuls monuments qui puissent lutter en grandeur, en majesté, en mérite artistique avec les cathédrales et les collégiales.

Au moment où les principales églises abbatiales furent construites, la science et la piété se trouvaient unies dans les cloîtres. Les architectes de ces édifices dont les dimensions nous étonnent, dont la structure est si admirable, où toutes les règles de l'art furent si merveilleusement appliquées, étaient de simples moines. C'est surtout aux xi' et XIIe siècles, à cette époque, moins barbare assurément qu'on ne l'a prétendu, que les plus belles abbatiales furent fondées. Sous le règne de Robert, une nouvelle église fut élevée pour l'abbaye de Saint-Bénigne, à Dijon. Les fondations en furent jetées en 1001 par l'abbé Guillaume, qui dirigea lui-même les travaux, assisté de Hunaldus, jeune moine qu'il s'était attaché pour son habileté dans

Pendant que Henri Ier était sur le trône (1031-1060), fut fondée l'église abbatiale de Saint-Remi de Reims. Elle fut élevée par l'abbé Hermer et consacrée en 1049; plus tard, l'abbé Pierre de Celle reprit les travaux et acheva la construction, qui n'avait pas été entièrement terminée. A Séez, la cathédrale fut rebâtie en 1050, sous la direction du moine Azon. Avant cette époque deux moines bâtissaient, en qualité d'architectes, l'abbaye de Villeloin, au diocèse de Tours; on trouve dans le nécrologe de cette abbaye deux notes ainsi conçues : « Kal. jan. obiit Mainardus ædificator nostri hujus loci. » « Idibus Augusti obiit Mainerius ædificator nostri hujus loci. » Mais nous serions entraînés beaucoup trop loin si nous voulions citer les noms des moines qui se distinguèrent dans l'architecture, même en nous restreignant à un seul siècle. Nous aimons mieux placer ici un tableau tracé de main de maître, où les services rendus à l'art par les moines d'Occident sont admirablement exprimés. M. le comte de Moutalembert, dans un passage de son introduction à la vie de Saint-Bernard, parle ainsi :

« Dès l'origine de l'ordre monastique saint Benoît avait prévu dans sa règle qu'il y au

ait des artistes dans les monastères, et il n'avait imposé à l'exercice de leur art, à l'usage de leur liberté qu'une seule condition, T'humilité. Sa prévision fut accomplie et sa loi fidèlement exécutée. Les monastères bénédictins eurent bientôt, non-seulement des écoles et des bibliothèques, mais encore des ateliers d'art où l'architecture, la peinture, la mosaïque, la sculpture, la ciselure, la calligraphie, le travail de l'ivoire, la monture des pierres précieuses, la reliure et toutes les branches de l'ornementation furent étudiées et pratiquées avec autant de soin que de succès, sans jamais porter atteinte à la juste et austère discipline de l'institut.

« L'enseignement de ces arts divers formait même une partie essentielle de l'éducation monastique.

Les plus grandes et les plus saintes abbayes étaient précisément les plus renommées par le zèle qu'on y déployait pour la culture de l'art. Saint-Gall en Allemagne, le Mont Cassin en Italie, Cluny en France, furent pendant plusieurs siècles les métropoles de l'art chrétien. Plus tard, Saint-Denis, sous l'abbé Suger, leur disputa cet honneur. A l'ombre de son immense église, la plus grande de toute la chrétienté, Cluny, avec les innombrables abbayes qui relevaient d'elle, formait un vaste foyer où tous les arts recevaient ce développement prodigieux qui devait attirer les reproches exagérés de saint Bernard. Le Mont-Cassin suivait la même impulsion, et l'on voit que l'abbé Didier, lieutenant et successeur de saint Grégoire VII, conduisait de front la construction de son monastère sur une échelle colossale, et de vastes travaux de mosaïque, de peinture, de broderie et de ciselure en ivoire, en bois, en marbre, en bronze, en or, en argent, exé cutés par des artistes byzantins ou amalfitains, et qui lui valurent l'admiration expansive des contemporains. Un autre des lieutenants de Grégoire VII, saint Guillaume, abbé de Hirschau, en Souabe, se livrait avec ardeur à la culture dés arts: il établit deux écoles d'architecture, l'une à Hirschau même, l'autre au monastère de Saint-Emmeran de Ratisbonne.

« Au xr siècle surtout, on peut l'affirmer, à l'exemple de Didier et de Guillaume, la plupart des moines, célèbres par leurs verlus, leur science ou leur dévouement à la liberté de l'Eglise, l'étaient également par leur zèle pour l'art, et souvent aussi par leur talent personnel pour la ciselure, la peinture ou l'architecture. On dérogeait même à la règ'e en permettant ou en ordonnant aux moines artistes, lorsque leur conduite était exemplaire, de sortir de leur monastère et de voyager, afin de perfectionner leur talent ou d'étendre leurs études. Quand la charité l'exigeait, on les envoyait au loin, en véritables missionnaires de l'art, porter dans les contrées étrangères les traditions et les règles de la beauté monumentale, comme ceux qu'un abbé de Wearmouth envoya en qualité d'architectes au roi d'Ecosse Naitan, sur la demande de ce prince, pour enseigner aux

Pictes la construction des églises en pierre, selon l'usage des Romains.

« L'architecture ecclésiastique est redevable aux moines de ses plus durables progrès. L'ordre de Citeaux est celui de tous qui nous a laissé les édifices les plus parfaits. Mais pendant les six siècles qui séparent saint Benoît de saint Bernard, comme pendant tout le cours du xr et du xiv siècle, les moines surent appliquer à d'innombrables constructions la magnificence et la solidité que comporte cette reine des arts. Non-seulement ils élevèrent à Cluny la plus vaste basilique du moyen âge et de toute la chrétienté, mais ils couvrirent tous les pays de l'Europe catholique d'une profusion d'églises, de cloîtres, de salles capitulaires, dont il nous reste à peine les noms et quelques ruines : toutefois, parmi ces ruines, il en est qui méritent de compter au nombre des monuments les plus précieux. Nommons seulement entre les monastères remarquables par leur beauté architecturale, et dont on peut encore aujourd'hui apprécier les restes, Croyland, Fountains, Tintern, en Angleterre ; Walkenried, Heisterbach, Altenberg, Paulinzelle, en Allemagne; les chartreuses de Miraflores, de Séville, de Grenade, en Espagne; Alcobaça et Bathala, en Portugal; Souvigny, Vézelay, le Mont-Saint-Michel, Fontevrault, Pontigny, Jumiéges, Saint-Bertin, en France, noms à jamais chers aux véritables architectes, et qu'il suffit de prononcer pour frapper d'une ineffaçable réprobation les barbares auteurs de la ruine et de la profanation de tant de chefs-d'œuvre.

« Quand nous disons que ces innombrables églises monastiques, semées sur la surface de l'Europe, furent construites par les moines, c'est le sens littéral de ce mot qu'il faut entendre. Les moines étaient non-seulement les architectes, mais encore les maçons de leurs édifices. Après avoir dressé leurs plans, dont la noble et savante ordonnance excite encore notre admiration, ils les exécutaient de leurs propres mains et en général sans le secours d'ouvriers étrangers. Ils travaillaient en chantant des psaumes, et ne quittaient leurs outils que pour aller à l'autel ou au choeur. Ils entreprenaient les tâches les plus dures et les plus prolongées, et s'exposaient à toutes les fatigues et à tous les dangers du métier de maçon. Les supér.eurs aussi ne se bornaient pas à tracer les plans et à surveiller les travaux ; ils donnaient personnellement l'exemple du courage et de l'humilité et ne reculaient devant aucune corvée. Tandis que de simples moines étaient souvent les architectes en chef des constructions, les abbés se réduisaient volontiers au rôle d'ouvriers. On voit au 1x siècle que la communauté de Saint-Gall, ayant travaillé en vain tout un jour pour tirer de la carrière une de ces énormes colonnes d'un seul bloc qui devaient servir à l'église abbatiale, et tous les frères n'en pouvant plus, l'abbé Ratger seul persista à verser ses sueurs jusqu'à ce qu'invoquant saint Gall i} eut le bonheur de voir le bloc se détacher.

Lorsque l'église fut achevée avec toutes ses magnifiques dépendances, ce produit des labeurs monastiques excita une admiration universelle, et leurs voisins disaient : « On voit bien au nid quel genre d'oiseaux y habite. Bene in nido apparet quales volucres ibi inhabitant : cerne basilicam et cœnobii claustrum. (Ermenric.)

« Aux siècle, saint Gérard, abbé de Broigne, revenant de Rome, escortait lui-même, à travers les passages si difficiles des Alpes, les blocs de porphyre qu'il faisait transporter, à dos de mulets, d'Italie en Belgique, parce que, dit son biographe, la beauté lui semblait nécessaire à son église.

« Lors de la construction de l'abbaye du Bec, en 1033, le fondateur et le premier abbé, Herluin, tout grand seigneur normand qu'il était, y travailla comme un simple maçon, portant sur le dos la chaux, le sable et la pierre. Un autre Normand, Hugues, abbé de Selby, dans le Yorkshire, en agit de même, lorsqu'en 1096 il rebâtit en pierre tous les édifices de son monastère, qui étaient auparavant en bois revêtu d'une capote d'ouvrier, et mêlé aux autres maçons, il partageait tous leurs labeurs. Les moines les plus illustres par leur naissance se signalaient par leur zèle dans ces travaux. On voyait Hezelon, chanoine de Liége, du chapitre le plus noble de l'Allemagne, et renommé en outre par son érudition et son éloquence, se faire moine à Cluny pour diriger la construction de la grande église fondée par saint Hugues, et échanger ses titres, ses prébendes et sa réputation mondaine contre le surnom de Cimenteur, emprunté à son occupation habituelle. Ailleurs, on raconte que lors des vastes travaux entrepris à Saint-Vanne, vers l'an 1000, Frédéric, comte de Verdun, frère du duc de Lorraine et cousin de l'empereur, qui y était moine, creusait lui-même les fondations du nouveau dortoir, et emportait sur le dos la terre qui en provenait. Pendant la construction des tours de l'église abbatiale, comme il n'y avait pas assez de frères pour porter le ciment dans les hottes jusqu'aux étages supérieurs des nouvelles tours, Frédéric exhorta un moine de race très-noble qui se trouvait là à prendre sur lui cette corvée. Celui-ci rougit, et dit qu'une telle tâche n'était pas faite pour un homme de sa naissance. Alors l'humble Frédéric prit luimême la hotte remplie de ciment, la chargea sur ses épaules, et monta ainsi chargé jusqu'à la plate-forme où travaillaient les ouvriers. En redescendant, il remit la hotte au jeune réfractaire, en lui rappelant qu'il ne devait plus désormais rougir devant personne d'avoir à faire une corvée dont s'était acquitté en sa présence un comte, né fils de

comte.

« Au sein de ces édifices, dont les plans et la construction étaient l'œuvre des moines eux-mêmes, il s'organisait de vastes ateliers où tous les autres arts étaient réunis et cultivés; mais toujours sous cette stricte loi de J'humilité que le saint législateur de l'ordre avait imposée.

« On n'a pas assez remarqué la variété des travaux auxquels se livraient simultanément les moines artistes, ni la facilité extraordinaire avec laquelle ils reportaient leurs talents sur des objets divers. Le même homme était souvent architecte, orfèvre, fondeur, miniaturiste, musicien, calligraphe, facteur d'orgues, sans cesser d'être théologien, prédicateur, littérateur, quelquefois même évêque ou conseiller intime des princes. Parmi tant d'exemples que nous avons déjà cités, rappelons celui de Tutilon, moine de SaintGall, au 1x siècle, qui était renommé dans toute l'Allemagne comme peintre, architecte, prédicateur, professeur, latiniste et helléniste, astronome et ciseleur. Nous pouvons en ajouter plusieurs autres qui se rapportent au x siècle. Ainsi, Mannius, abbé d'Evesham, en Angleterre, est désigné comme habile à la fois dans la musique, la peinture, la calligraphie et l'orfévrerie: Foulques, grand-chantre de l'abbaye de Saint-Hubert des Ardennes, était aussi bon architecte qu'élégant miniaturiste. Un moine distingué que nous comptons aussi parmi les historiens, Hermann Contract, tout infirme et contrefait qu'il était, trouvait en outre le moyen de cultiver avec succès la poésie, la géométrie, la mécanique, la musique et surtout l'astronomie; il savait à fond le grec, le latin et l'arabe, et nul ne pouvait rivaliser avec lui pour la fabrication des instruments de musique et d'horlogerie. >>

Ce curieux passage à l'Introduction à la Vie de saint Bernard, par M. le comte de Montalembert, a été publié avant le livre luimême, dans les Annales archéologiques dirigées par M. Didron; nous engageons vivement les personnes qui désirent connaître cette partie de l'histoire ecclésiastique des abbayes, généralement mal appréciée par la plupart des écrivains, à voir dans son entier l'article intitulé: L'Art et les Moines, Anu. archéol., tom. vI, pag. 121 et suiv.

Quand une abbaye se fondait quelque part, ou qu'elle envoyait ailleurs une pieuse colonie, on commençait par bâtir un sanctuaire ; la croix était d'abord plantée à l'endroit où devait s'élever l'autel, la pierre fondamentale de l'édifice chrétien, ensuite on se mettait à l'œuvre et bientôt on consacrait à Dieu cette enceinte où les moines devaient passer leur vie, comme dans le vestibule du ciel, selon une belle expression empruntée aux siècles de foi. II.

L'église abbatiale de Cluny, la plus grande de toute la chrétienté, comme nous l'avons vu dans les pages précédentes, peut être choisie pour type de toutes les constructions du même genre. Nous n'avons pas besoin ici de chercher à reconstituer quelques-unes des anciennes abbatiales, construites antérieurement au XIe siècle: nous avons tenté ailleurs cette entreprise hérissée de difficultés, en essayant, d'après les auteurs ecclésiastiques, de restituer l'église dans toutes ses parties, au point de vue archéologique. La basilique de Cluny a des droits à étre ci

tée en tête de toutes les abbatiales, non-seulemént à cause de la magnificence que l'on y avait déployée, mais encore à cause de la date de sa construction; non pas que nous soyons embarrassés pour citer une abbatiale plus ancienne dans son architecture, puisque la charmante abbatiale de Preuilly, au diocèse de Tours, fut bâtie de 1001 à 1009. Mais l'abbatiale de Cluny est véritablement la métropole des établissements de même

nature.

L'église de Cluny ne suffisait plus dès le milieu du XI' siècle au nombre des habitants du monastère et à la splendeur de l'abbaye. Saint Hugues entreprit, en 1089, l'édifice colossal; il n'eut pas la joie de voir la solennelle dédicace de l'église entière, car cette dédicace fut retardée jusqu'en 1131. Mais sa dépouille mortelle y reposa du moins derrière ce maître-autel qu'il avait fait bénir par le pape Urbain II.

L'abbatiale de Cluny appartenait dans son ensemble au style romano-byzantin secondaire et de transition. Elle offrait au regard une des merveilles de cette architecture à plein cintre, où l'oeil saisit les premiers vestiges de la transformation importante que subit l'art de bâtir dans les premières années du XII siècle. Si elle avait échappé au marteau démolisseur des Vandales modernes, ce serait incontestablement le plus curieux monument de tous ceux qui précédèrent l'âge des cathédrales gothiques. Et pourtant, le xre siècle ne fut pas stérile: il répara les désastres occasionnés par les incursions des Normands; il édifia les grandes églises de Saint-Martin de Tours, de Saint-Hilaire de Poitiers, de Saint-Etienne, de la Trinité de Caen, la rotonde de Saint-Bénigne de Dijon, l'église de Saint-Martial de Limoges, etc.

Le caractère distinctif de l'abbatiale de Cluny, c'était la grandeur de ses étonnantes dimensions, l'austérité de sa construction, la gravité des ornements, la majesté de l'ensemble. Cette église avait 555 pieds de longueur, neuf pieds seulement de moins que l'église actuelle de Saint-Pierre de Rome, qui était alors beaucoup moins grande qu'au jourd'hui; trois autres églises abbatiales qui subsistent encore aujourd'hui ont des dimensions qui nous surprennent quoiqu'elles soient bien loin de pouvoir être comparées à celles de Cluny: Vézelay, Saint-Denis et Pontigny ont respectivement 375, 335 et 314 pieds de long.

La basilique de Cluny, selon l'usage des temples chrétiens, s'étendait de l'occident à l'orient, au bas de la montagne sur laquelle la ville et l'abbaye étaient construites. On descendait d'abord, par cinq larges degrés circulaires, à un vaste espace vide où s'élevait une haute croix de pierre; mais, avant d'y parvenir, il fallait traverser un très-beau portique romano-byzantin, à deux arches, placé en face de la basilique, et que l'on voit aujourd'hui debout, noirci, obscur, ignoré, dans le lieu même où fut le temple dont il formait comme la première et noble entrée. Deux autres rampes d'escaliers, de

36 pieds de longueur, conduisaient, interrompues par plusieurs plates-formes, jusqu'au portail de l'église, encadré entre deux grandes tours carrées. La tour méridionale était le siége de la justice, la tour septentrionale servait au dépôt des archives. Ces tours n'avaient que 140 pieds de hauteur et 41 de largeur, mais il était visible qu'elles n'avaient point été portées à toute l'élévation du plan primitif.

Après avoir franchi le premier portail, on se trouvait dans un immense pronaos ou narthex. Ce vestibule, semblable à celui de Vézelay, était entièrement fermé comme un véritable temple: il avait 110 pieds de long, 81 pieds de largeur, et se divisait en une nef principale et deux collatéraux. L'intérieur de ce pronaos avait trois étages d'architecture: on y distinguait l'ogive, dans un grand nombre d'arcades; les colonnes étaient surmontées de chapiteaux décorés de fleurs, d'oiseaux, de feuillages et de figures capricieuses d'animaux monstrueux; on y voyait aussi des pilastres diversement ornés, comme on les observe dans les églises de la Bourgogne. La voûte était en forme de pyramide à quatre pans, et avait près de 100 pieds d'élévation; elle ressemblait aux voûtes si curieuses de l'ancienne collégiale de Loches, en Touraine, en forme de pyramide à huit pans; cette modification du plan indique une plus grande perfection d'architecture à Loches qu'à Cluny.

En franchissant le portail intérieur, on était enfin dans le temple principal: on avait descendu 40 degrés. Mais les précautions des architectes avaient habilement écarté toute humidité par la distribution de longs canaux souterrains qui allaient se décharger, à l'orient, dans les beaux jardins de l'abbaye.

La grande basilique avait plus de 410 pieds de long. Bâtie en forme de croix archíépiscopale, elle avait ainsi deux croix ou transsepts; la première longue de 200 pieds, large de 30; la seconde, longue de 110 pieds et plus large que la première. La largeur moyenne de l'église était de 110 pieds: elle se partageait en 5 nefs.

Trente-deux piliers massifs, de sept pieds et demi de diamètre, portaient la voûte principale, plus élevée encore que celle du vestibule. Ces piliers étaient flanqués, de trois côtés, de colonnes engagées qui ne montaient pas plus haut que les voûtes des collatéraux; et du côté de la grande nef, c'étaient des pilastres au lieu de colonnes. Cependant on remarquait une disposition différente aux transsepts, où les colonnes s'élançaient d'un jet jusqu'à la grande voûte, avec les piliers euxmêmes qu'elles entouraient. Sur 28 autres piliers de la même dimension que ceux de la nef du milieu, s'appuyaient deux autres nefs de 55 pieds d'élévation, et les bas-côtés hauts seulement de 37. L'édifice entier reposait donc sur 60 piliers, sans parler du vestibule, et sur 68 en y comprenant le vestibule.

Un nombre prodigieux de plus de 300 fenêtres cintrées étroites, élevées, éclairaient

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