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L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement,
La même erreur les fait errer diversement:

Chacun suit dans le monde une route incertaine,
Selon que son erreur le joue et le promene;
Et tel y fait l'habile et nous traite de fous,

Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.
Mais, quoi que sur ce point la satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie;
Et, se laissant régler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connoître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être ;
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur,
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, idolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l'abondance 1,
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien

Souvent chacun s'égare en ses routes diverses, etc.

Cette comparaison est littéralement traduite d'Horace, liv. II, sat. III, v. 48 et suiv.:

Velut silvis, ubi passim

Palantes error certo de tramite pellit, etc.

Mais le germe de tout cela étoit dans cette pensée de Simonide, reproduite par Platon dans son Protagoras, que la folie est infinie dans ses espèces.

I VAR. Au milieu de ses biens rencontrant l'indigence.

A grossir un trésor qui ne lui sert de rien 1.
Plus il le voit accru, moins il en sait l'usage 2.

Sans mentir, l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venants 3,

Ici se trouvoient treize vers, froide et prolixe paraphrase de ce passage d'Horace, liv. I, sat. 1, v. 68 et suiv. :

Tantalus a labris sitiens fugientia captat

Flumina, etc.

Dites-moi, pauvre esprit, ame basse et vénale,
Ne vous souvient-il plus du tourment de Tantale,
Qui, dans le triste état où le ciel l'a réduit,
Meurt de soif, au milieu d'un fleuve qui le fuit?
Vous riez savez-vous que c'est votre peinture,
Et que c'est vous par-là que la fable figure?
Chargé d'or et d'argent, etc.

Desmarets fit de ce morceau une critique sévère, mais fondée, et dont Boileau sentit tellement la justesse, qu'il supprima tout cet endroit, qui n'étoit digne en effet ni d'Horace, ni de Boileau.

2 Combien le tour d'Horace (liv. I, sat. 1, v. 73) est plus vif, plus animé!

3 VAR.

Nescis quo valeat nummus, quem præbeat usum!

Qui, prodigue du sien,

A trois fois en dix ans dévoré tout son bien.

Cet étrange fou ressemble assez au Nomentanus d'Horace, qui, comme l'original dépeint par Boileau, se trouvoit embarrassé, honteux de sa richesse:

Segnis ego; indignus qui tantum possideam,

et qui la prodiguoit, en conséquence, non point à tous venants, mais aux ministres nombreux de son luxe et de ses plaisirs :

Aufer!

Sume tibi decies: tibi tantumdem; tibi triplex, etc.

Lib. II, sat. III, v. 236.

Et dont l'ame inquiéte, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.

Qui des deux en effet est le plus aveuglé?

L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé, Répondra chez Frédoc1 ce marquis sage et prude, Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude, Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept, Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet. Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance 2 Vient par un coup fatal faire tourner la chance, Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés, Et les yeux vers le ciel de fureur élancés 3,

' Frédoc tenoit, place du Palais-Royal, une maison de jeu, honorée alors du nom d'Académie, mais que celui de tripôt eût dans tous les temps beaucoup mieux qualifiée.

2

Qui croiroit que le plus aimable des poëtes latins, Ovide, et dans un ouvrage de pure galanterie, l'Art d'aimer (liv. III, v. 373), a le premier esquissé le tableau des excès et des fureurs du jeu, sí énergiquement reproduit ici par Boileau?

Ira subit, deforme malum, lucrique cupido;
Jurgiaque, et rixa, sollicitusque dolor.
Crimina dicuntur : resonat clamoribus æther:
Invocat iratos et sibi quisque deos.

Nulla fides; tabulæque novæ per vota petuntur :

Et lacrymis vidi sæpe madere genas.

3 On ne sera peut-être pas fâché d'opposer à ce portrait du joueur, celui que Regnard en a tracé, dans la satire contre les maris :

Vois cette table ronde,

Autel que l'avarice éleva dans le monde,

Où tous ces forcenés semblent avoir fait vœu

De se sacrifier au noir démon du jeu.
Vois-tu sur cette carte un contrat disparoître ?

Sur cette autre, un château prêt à changer de maître?

Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses serments tous les saints de l'église.
Qu'on le lie; ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les cieux 1.

Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice.
Sa folie, aussi bien, lui tient lieu de supplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison:
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie.
Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie 2.
Mais bien

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que ses durs vers, d'épithètes enflés,

Quel soudain désespoir saisit ce malheureux,
Que vient d'assassiner un coupe-gorge affreux?
Mais fuyons! sous ses pieds tous les parquets gémissent:
De serments tout nouveaux les plafonds retentissent;
Et, par le sort cruel d'une fatale nuit,

Je vois enfin Galet à l'aumône réduit.

Que pourroit-on ajouter à la vigueur énergique de ce dernier trait, à moins de s'écrier avec Juvénal (sat. I, V. 92), N'est-ce là que de la fureur? Simplexne furor? Il n'y a pas jusqu'à cette césure, Qu'on le lie; ou je crains, etc. qui n'ajoute encore à l'effet du tableau.

2 Jean Chapelain, si justement décrié comme poëte, et voué, depuis plus d'un siècle, à l'immortalité du ridicule, étoit d'ailleurs un littérateur fort recommandable. Il joignoit à la connoissance des langues grecque et latine, celle de l'italien et de l'espagnol, qu'il possédoit parfaitement: témoins sa traduction de Gusman d'Alfarache, et la préface qu'il mit en tête de l'Adone du cavalier Marini. Mais sa Pucelle gâta tout. Ce poëme, si fastueusement annoncé, si impatiemment attendu depuis plus de vingt ans, démentit, à l'impression, les éloges qu'on lui prodiguoit d'avance, et porta à la réputation de l'auteur un coup dont elle ne s'est jamais relevée. « Il avoit commencé par être l'oracle des auteurs : il finit, dit Voltaire, par en être l'opprobre.

Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés',
Lui-même il s'applaudit, et, d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que feroit-il, hélas! si quelque audacieux
Alloit pour son malheur lui dessiller les yeux,

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Lui faisant voir ses vers et sans force et sans graces

Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses 2,
Ses termes sans raison l'un de l'autre écartés,
Et ses froids ornements à la ligne plantés?

Qu'il maudiroit le jour où son ame insensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmoit sa pensée!
Jadis certain bigot, d'ailleurs homme sensé 3,
D'un mal assez bizarre eut le cerveau blessé,
S'imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l'harmonie.
Enfin un médecin fort expert en son art
Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard:

'Allusion aux Mercuriales de Ménage, qui trouva fort mauvais que l'on qualifiât de grimauds les gens de lettres qui se rassembloient chez lui tous les mercredis, et parmi lesquels se trouvoient en effet des personnes également recommandables par leur mérite littéraire, leur naissance, ou leurs dignités.

* Boileau en donnoit, entre autres, pour exemple le vers suivant :

De ce sourcilleux Roc l'inébranlable cime;

qu'il disposoit typographiquement, de manière que le monosyl-
labe Roc se trouvoit en effet appuyé sur les deux grands mots
sourcilleux, inébranlable, qui lui servoient comme d'échasses.
3 Imité d'Horace, liv. II, ép. 1, v. 128:

Fuit haud ignobilis Argis,

Qui se credebat miros audire tragœdos,

In vacuo lætus sessor plausorque theatro, etc.

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