L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement, Chacun suit dans le monde une route incertaine, Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous. Et met toute sa gloire et son souverain bien Souvent chacun s'égare en ses routes diverses, etc. Cette comparaison est littéralement traduite d'Horace, liv. II, sat. III, v. 48 et suiv.: Velut silvis, ubi passim Palantes error certo de tramite pellit, etc. Mais le germe de tout cela étoit dans cette pensée de Simonide, reproduite par Platon dans son Protagoras, que la folie est infinie dans ses espèces. I VAR. Au milieu de ses biens rencontrant l'indigence. A grossir un trésor qui ne lui sert de rien 1. Sans mentir, l'avarice est une étrange rage, Ici se trouvoient treize vers, froide et prolixe paraphrase de ce passage d'Horace, liv. I, sat. 1, v. 68 et suiv. : Tantalus a labris sitiens fugientia captat Flumina, etc. Dites-moi, pauvre esprit, ame basse et vénale, Desmarets fit de ce morceau une critique sévère, mais fondée, et dont Boileau sentit tellement la justesse, qu'il supprima tout cet endroit, qui n'étoit digne en effet ni d'Horace, ni de Boileau. 2 Combien le tour d'Horace (liv. I, sat. 1, v. 73) est plus vif, plus animé! 3 VAR. Nescis quo valeat nummus, quem præbeat usum! Qui, prodigue du sien, A trois fois en dix ans dévoré tout son bien. Cet étrange fou ressemble assez au Nomentanus d'Horace, qui, comme l'original dépeint par Boileau, se trouvoit embarrassé, honteux de sa richesse: Segnis ego; indignus qui tantum possideam, et qui la prodiguoit, en conséquence, non point à tous venants, mais aux ministres nombreux de son luxe et de ses plaisirs : Aufer! Sume tibi decies: tibi tantumdem; tibi triplex, etc. Lib. II, sat. III, v. 236. Et dont l'ame inquiéte, à soi-même importune, Qui des deux en effet est le plus aveuglé? L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé, Répondra chez Frédoc1 ce marquis sage et prude, Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude, Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept, Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet. Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance 2 Vient par un coup fatal faire tourner la chance, Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés, Et les yeux vers le ciel de fureur élancés 3, ' Frédoc tenoit, place du Palais-Royal, une maison de jeu, honorée alors du nom d'Académie, mais que celui de tripôt eût dans tous les temps beaucoup mieux qualifiée. 2 Qui croiroit que le plus aimable des poëtes latins, Ovide, et dans un ouvrage de pure galanterie, l'Art d'aimer (liv. III, v. 373), a le premier esquissé le tableau des excès et des fureurs du jeu, sí énergiquement reproduit ici par Boileau? Ira subit, deforme malum, lucrique cupido; Nulla fides; tabulæque novæ per vota petuntur : Et lacrymis vidi sæpe madere genas. 3 On ne sera peut-être pas fâché d'opposer à ce portrait du joueur, celui que Regnard en a tracé, dans la satire contre les maris : Vois cette table ronde, Autel que l'avarice éleva dans le monde, Où tous ces forcenés semblent avoir fait vœu De se sacrifier au noir démon du jeu. Sur cette autre, un château prêt à changer de maître? Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise, Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice. que ses durs vers, d'épithètes enflés, Quel soudain désespoir saisit ce malheureux, Je vois enfin Galet à l'aumône réduit. Que pourroit-on ajouter à la vigueur énergique de ce dernier trait, à moins de s'écrier avec Juvénal (sat. I, V. 92), N'est-ce là que de la fureur? Simplexne furor? Il n'y a pas jusqu'à cette césure, Qu'on le lie; ou je crains, etc. qui n'ajoute encore à l'effet du tableau. 2 Jean Chapelain, si justement décrié comme poëte, et voué, depuis plus d'un siècle, à l'immortalité du ridicule, étoit d'ailleurs un littérateur fort recommandable. Il joignoit à la connoissance des langues grecque et latine, celle de l'italien et de l'espagnol, qu'il possédoit parfaitement: témoins sa traduction de Gusman d'Alfarache, et la préface qu'il mit en tête de l'Adone du cavalier Marini. Mais sa Pucelle gâta tout. Ce poëme, si fastueusement annoncé, si impatiemment attendu depuis plus de vingt ans, démentit, à l'impression, les éloges qu'on lui prodiguoit d'avance, et porta à la réputation de l'auteur un coup dont elle ne s'est jamais relevée. « Il avoit commencé par être l'oracle des auteurs : il finit, dit Voltaire, par en être l'opprobre. Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés', Lui faisant voir ses vers et sans force et sans graces Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses 2, Qu'il maudiroit le jour où son ame insensée 'Allusion aux Mercuriales de Ménage, qui trouva fort mauvais que l'on qualifiât de grimauds les gens de lettres qui se rassembloient chez lui tous les mercredis, et parmi lesquels se trouvoient en effet des personnes également recommandables par leur mérite littéraire, leur naissance, ou leurs dignités. * Boileau en donnoit, entre autres, pour exemple le vers suivant : De ce sourcilleux Roc l'inébranlable cime; qu'il disposoit typographiquement, de manière que le monosyl- Fuit haud ignobilis Argis, Qui se credebat miros audire tragœdos, In vacuo lætus sessor plausorque theatro, etc. |