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Mais la postérité d'Alfane et de Bayard',

Quand ce n'est qu'une rosse 2, est vendue au hasard,
Sans respect des aïeux dont elle est descendue,
Et va porter la malle, ou tirer la charrue.

Pourquoi donc voulez-vous que, par un sot abus,
Chacun respecte en vous un honneur qui n'est plus?
On ne m'éblouit point d'une apparence vaine:

certaine 3.

La vertu d'un cœur noble est la marque
Si vous êtes sorti de ces héros fameux,
Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux,
Ce zéle
pour l'honneur, cette horreur pour le vice.

I

Alfane étoit la monture du géant Gradasse, qui vint du fond de la Séricane pour conquérir l'épée de Renaud de Montauban. Bayard est le nom du cheval de ce même Renaud, l'aîné et le plus vaillant des quatre fils Aimon. - Ménage dérivoit Alfana du mot latin equus; ce qui inspira au chevalier d'Aceilly l'épigramme suivante, applicable, et souvent appliquée à toutes les étymologies ridiculement forcées :

Alfana vient d'equus sans doute;

Mais il faut avouer aussi

Qu'en venant de là jusqu'ici,

Il a bien changé sur la route!

2 Juvénal relève cette idée commune par une image aussi juste que poétique: Si rara jugo Victoria sedit. « Quand la victoire a ra<< rement pris place sur le char qu'il guidoit. »

Il n'y a jamais eu qu'une voix là-dessus : Sénèque (ép. XLVII); Juvénal (sat. vIII, v. 20); et Montesquieu, plus énergiquement qu'eux tous, quand il a dit, que l'honneur est l'enfant et le père de la vraie noblesse. Tout en convenant que noblesse et vertu sont choses qui ont bien quelque cousinage, Montaigne prétend (liv. III, ch. v) que l'on fait tort à l'une ou à l'autre de les confondre.

Respectez-vous les lois? fuyez-vous l'injustice 1?
Savez-vous pour la gloire oublier le repos 2,

Et dormir en plein champ le harnois sur le dos?
Je vous connois pour noble à ces illustres marques 3.
Alors soyez issu des plus fameux monarques,
Venez de mille aïeux; et, si ce n'est assez,
Feuilletez à loisir tous les siècles passés 4:
Voyez de quel guerrier il vous plaît de descendre;
Choisissez de César, d'Achille, ou d'Alexandre:
En vain un faux censeur voudroit vous démentir,
Et si vous n'en sortez, vous en devez sortir.
Mais, fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne,
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,
Ce long amas d'aïeux 5 que vous diffamez tous
Sont autant de témoins qui parlent contre vous 6;

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Justitiæque tenax factis dictisque mereris ?

2 VAR. Savez-vous sur un mur repousser les assauts?

3 Juvénal, ibid., v. 25 et suiv.:

Agnosco procerem! salve, Gætulice, etc.

Feuilleter les siècles! expression de génie, s'écrie Le Brun. Mais il auroit pu ajouter qu'elle est empruntée d'Horace, liv. I,

sat. III, V. I12:

Tempora si fastosque velis evolvere mundi.

5 Belle expression, dont Racine s'est ressouvenu dans Phèdre, acte I, sc. 1:

Un long amas d'honneurs rend Thésée excusable.

• Cela peut paroître foible et froid, à côté du satirique latin, qui nous représente ce long amas d'aïeux se levant tous à-la

Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie
Ne sert plus que de jour à votre ignominie.
En vain, tout fier d'un sang que vous déshonorez,
Vous dormez à l'abri de ces noms révérés ';

En vain vous vous couvrez des vertus de vos pères:
Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères;
Je ne vois rien en vous qu'un lâche, un imposteur,
Un traître, un scélérat, un perfide, un menteur?,
Un fou dont les accès vont jusqu'à la furie,

fois, pour reprocher à d'indignes descendants l'abus de leur gloire et de leur nom :

Incipit ipsorum contra te stare parentum

Nobilitas !

Sat. VIII, v. 137.

Mais le sommeil de Boileau n'est pas long; et le vers suivant, Claramque facem præferre pudendis,

ne pouvoit être plus heureusement rendu :

Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie,
Ne sert plus que de jour à votre ignominie.

L'éclat d'une gloire ternie me paroît sur-tout d'un bien rare bonheur, dans cette circonstance. C'est aussi la belle pensée de Salluste (Jugurth., c. LXXXV): « Majorum gloria posteris lumen est, «< neque bona, neque mala in occulto patitur.

"

I

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Tous ces hommes, dit Sénèque (Traité des bienfaits, liv. III, « c. xxviii), dont les vestibules sont ornés de portraits, d'une

« longue suite de noms, de longues généalogies, ont plutôt de l'illustration, que de la noblesse.» Noti magis, quam nobiles. C'est ce que Juvénal appelle énergiquement, aliorum incumbere famæ, et Boileau, se parer du mérite d'autrui.

2

L'abus étoit suffisamment qualifié par les termes de lâche et d'imposteur: tout le reste n'est plus que de la déclamation. J'aime mieux la concision de Juvénal: at tu, nil, nisi Cecropides. « Mais vous, que vous reste-t-il après le nom de Cécrops? Rien. »

Et d'un tronc fort illustre une branche pourrie.

Je m'emporte peut-être, et ma muse en fureur Verse dans ses discours trop de fiel et d'aigreur: Il faut avec les grands un peu de retenue. Eh bien! je m'adoucis. Votre race est connue, Depuis quand? répondez. Depuis mille ans entiers ; Et vous pouvez fournir deux fois seize quartiers 1. C'est beaucoup. Mais enfin les preuves en sont claires, Tous les livres sont pleins des titres de vos pères; Leurs noms sont échappés du naufrage des temps. Mais qui m'assurera qu'en ce long cercle d'ans, A leurs fameux époux vos aïeules fidéles, Aux douceurs des galants furent toujours rebelles 2? Et comment savez-vous si quelque audacieux N'a point interrompu le cours de vos aïeux, Et si leur sang tout pur, ainsi que leur noblesse, Est passé jusqu'à vous de Lucréce en Lucréce3?

'C'étoit en effet la plus haute preuve que l'on pût faire de noblesse. Boileau avoit mis d'abord, du moins trente quartiers. Ensuite plus de trente quartiers. Mais l'une et l'autre leçon étoit éga lement inexacte.

2

Ce doute injurieux, dont l'effet seroit de compromettre toutes les existences sociales, en les ébranlant dans leur base la plus sacrée, n'est, il est vrai, que la boutade d'un poëte satirique; mais tout ce qui tient à l'ordre moral, tout ce que l'on n'attaque point impunément, devroit rester à l'abri de pareilles atteintes. 3 Pope a transporté littéralement ce vers dans son Essai sur l'Homme, épître IV, v. 197:

Boast the pure blood of an illustrious race,

In quiet flow from Lucrece to Lucrece.

Malherbe avoit dit avant Boileau : « Il ne faut qu'une Julie, pour pervertir le sang des Césars. "

Que maudit soit le jour où cette vanité 1

Vint ici de nos mœurs souiller la pureté!

Dans les temps bienheureux du monde en son enfance,
Chacun mettoit sa gloire en sa seule innocence:
Chacun vivoit content, et sous d'égales lois,

Le mérite y faisoit la noblesse et les rois;

Et, sans chercher l'appui d'une naissance illustre,
Un héros de soi-même empruntoit tout son lustre.
Mais enfin par le temps le mérite avili

Vit l'honneur en roture, et le vice ennobli;

Et l'orgueil, d'un faux titre appuyant sa foiblesse,
Maîtrisa les humains sous le nom de noblesse.

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Sans doute la vanité a plus d'une fois abusé de ces nobles et graves institutions, en les usurpant, au défaut des services et du mérite réel; mais elles furent méritées d'avance par celui qui les obtint le premier, en déployant un grand caractère dans des circonstances difficiles; en montrant un courage qui sauva la patrie. Il étoit brave, on l'appela BARON OU VARON (voyez Vossius, de vit. Serm., II, 3): il parut capable de défendre les marches ou frontières, par où l'ennemi pouvoit envahir l'état, et on le nomma MARQUIS (Marchisus); COMTE (Comes), lorsqu'il accompagnoit immédiatement le souverain à la guerre ; et Duc enfin (Dux), lorsqu'il mérita l'honneur de guider lui-même les troupes à l'ennemi. Telle est l'origine de ces dénominations, si simples dans le principe, et devenues ensuite des distinctions héréditaires, pour perpétuer, s'il eût été possible, avec le souvenir des grandes choses, le noble sentiment qui les avoit d'abord produites. « Nous devous à la * vertu notre hommage, dit Sénèque, non seulement lorsqu'elle * est sous nos yeux, mais lors même qu'elle en a disparu. Comme < ses bienfaits ne se sont pas bornés à un siècle, mais lui survi« vent, notre reconnoissance ne doit pas se restreindre à une seule * génération. » (Traité des bienfaits, liv. IV, ch. xxx.) On n'a pas eu d'autre but dans l'institution de la noblesse.

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