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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR

SUR LA SATIRE VIII.

L'HOMME, cette grande question, qu'il n'est pas donné à l'homme de résoudre; cette énigme étrange, dont le mot échappera toujours à quiconque le cherchera ailleurs que dans les vues secrètes de la Providence à notre égard; l'homme n'en a pas moins été l'objet, dans tous les temps, des méditations du philosophe, de la censure du moraliste et des traits satiriques des poëtes. Ces derniers, il faut en convenir, sont ceux de tous qui avoient le plus beau jeu; car, ce qu'il y a dans l'homme de moins problématique, ce sont ses ridicules et ses travers. On peut déguiser ses vices, masquer jusqu'à un certain point ses défauts; mais le ridicule trompe tous les efforts, nous échappe à notre insu, et s'offre ingénument au trait malin qui l'attend pour le frapper. La raison en est simple: on se sent vicieux, et l'on ne veut pas le paroître; mais personne ne se met en garde contre des ridicules qu'il ne se suppose pas.

Ce n'est point un ridicule que Boileau attaque ici; c'est une grande vérité morale qu'il entreprend de développer, en prouvant que l'homme qui méconnoît la voix de la raison, se place volontairement audessous de la brute, demeurée fidèle à l'instinct de la nature. Deux moralistes éloquents, Pascal et La Bruyère, ont fait, en prose, la satire de l'homme :

mais le premier l'attriste, l'abat, le décourage; le second le prend et le laisse tel qu'il est; et son motif, c'est que se fâcher de le trouver ainsi fait, « c'est «< ne pouvoir supporter que la pierre tombe, ou que « le feu s'élève. » Un philosophe, un écrivain bien supérieur à La Bruyère, et l'égal au moins de Pascal, Platon avoit senti, il y a plus de deux mille ans, tout ce qui se trouve d'imparfait dans l'homme moral, de pénible et de précaire dans ses rapports avec le reste de la création. Il entreprit de le consoler, et de justifier la Providence à son égard, en lui prouvant que l'homme occupe dans l'univers la place qui lui convient; que si tout n'est pas bien, tout est ce qu'il doit et ce qu'il peut être; et cette doctrine sublime de la résignation à un ordre de choses immuables, fut le plus beau présent que la philosophie eût fait jusqu'alors au genre humain, puisqu'elle ne lui avoit pas encore donné l'évangile. La poésie s'empara de ces grandes et belles idées, si admirablement développées, et en si beaux vers, dans l'Essai sur l'Homme de Pope, inspiré par le génie de Platon, et soutenu par la raison de Pascal. Mais à l'époque où Boileau écrivoit, l'antique et noble alliance de la poésie et de la philosophie ne s'étoit point encore renouvelée parmi nous : il eut la gloire de la tenter le premier; et ce devoit être un mérite, aux yeux des philosophes du dix-huitième siècle, qui lui ont si amèrement reproché de manquer de philosophie. Il y en a cependant beaucoup plus qu'on ne pense dans ses ouvrages, et dans la satire même qui nous occupe, quoiqu'elle ne semble rouler que sur un de ces pa

radoxes, où l'imagination se joue d'elle-même et du lecteur.

Cette pièce, l'une des meilleures de l'auteur, fut composée en 1667 ( immédiatement après la satire adressée à son Esprit), et publiée l'année suivante. Elle eut un succès prodigieux.

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SATIRE VIII.

A M. M.... (MOREL), DOCTEUR DE SORBONNE.

De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air 1,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.
Quoi! dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,

Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute,
Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme? Oui,sans doute.
Ce discours te surprend, docteur 2, je l'aperçoi.

' Boileau eut le singulier bonheur de trouver, dans le fameux Dryden, un digne appréciateur de son génie, un traducteur même de son Art poétique, et de former, dans Pope, le poëte le plus pur, le plus harmonieux de l'Angleterre. L'auteur de l'Essai sur l'Homme et de la Boucle de cheveux faisoit un grand cas de celui des Satires et du Lutrin; et l'on s'aperçoit aisément qu'il ne l'étudioit pas sans fruit. On reconnoît, par exemple, les deux premiers vers de cette satire, dans ceux-ci de l'Essai sur l'Homme, épît. III, v. 1 19: All that roam the wood,

Or wing the sky, or roll along the flood.

Nous avons déja vu, et nous retrouverons encore des traces sensibles d'imitation.

* Claude Morel, doyen de la faculté de théologie, et chanoine théologal de Paris. On le surnommoit la mâchoire d'âne; et Santeul le félicite, dans une pièce de vers latins, d'avoir triomphé des jansénistes, contre lesquels il écrivit beaucoup, comme Samson des Philistins.

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