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Que pense-t-il de nous, lorsque sur le midi
Un hasard au palais le conduit un jeudi;
Lorsqu'il entend de loin, d'une gueule infernale,
La chicane en fureur mugir dans la grand'salle?
Que dit-il, quand il voit les juges, les huissiers,
Les clercs, les procureurs, les sergents, les greffiers?
Oh!
que si l'âne alors, à bon droit misanthrope,
Pouvoit trouver la voix qu'il eut au temps d'Ésope;
De tous côtés, docteur, voyant les hommes fous,
Qu'il diroit de bon cœur, sans en être jaloux,
Content de ses chardons, et secouant la tête :

Ma foi, non plus que nous, l'homme n'est qu'une bête 1!

'Le poëme de Machiavel que nous avons cité (l'Asino d'oro), se termine par cette vigoureuse apostrophe adressée à l'homme. C'est un pourceau qui parle (il fangoso animale):

Sol nasce l'huom d'ogni difesa ignudo,

E non ha cuoio, ò pienne, ò vello, etc.

Animaux à deux pieds, sans vêtements, sans armes,
Point d'ongle, un mauvais cuir, ni plume, ni toison,
Vous pleurez en naissant, et vous avez raison:
Vous prévoyez vos maux; ils méritent vos larmes.
Les perroquets et vous ont le don de parler :

La nature vous fit des mains industrieuses;

Mais vous fit-elle, hélas! des ames vertueuses!

Et quel homme en ce point nous pourroit égaler?
L'homme est plus vil que nous, plus méchant, plus sauvage.
Poltrons ou furieux, dans le crime plongés,

Vous éprouvez toujours ou la crainte ou la rage.
Vous tremblez de mourir, et vous vous égorgez!

Jamais de porc à porc on ne vit d'injustices, etc.

VOLTAIRE.

Le comte de Rochester, l'un de ces poëtes aimables qui firent, avec Waller, Cowley, Roscomon, etc., l'ornement de la cour galante

de Charles II, a composé contre l'homme (against Man) une satire évidemment imitée de Boileau, dont il faisoit le plus grand cas. C'est le même plan, le même ton : c'est, ainsi que dans la satire françoise, un docteur qui plaide contre le poëte la cause de l'homme. Voltaire en a imité (Lettres philosoph., art. ROCHESTER et WALLER), avec sa liberté ordinaire, un passage assez curieux; et M. Hennet a donné l'épître entière, tome III, page 44, de sa Poétique angloise; ouvrage très remarquable, et que l'on n'a point assez distingué. Voici un fragment de Rochester qui fera connoître à-la-fois et la manière du poëte anglois, et le talent de son traducteur.

Bless'd, glorious man, to whom alone kind heaven, etc.

L'homme seul, distingué par une ame immortelle,
Monarque enorgueilli de ce superbe don,
Sur tous les animaux règne par la raison;

La raison, qui des sens franchissant la barrière,
S'élance fièrement à la cause première;

Loin des bords enflammés de ce vaste univers,
S'élève dans les cieux, ou descend aux enfers;
Et perçant les secrets de la toute-puissance,

Fixe du genre humain la crainte et l'espérance.

Voyez aussi dans Pope, Essai sur l'Homme, ép. 11, v. 83 et suiv., distinction sublime établie par le poëte entre l'instinct et la raison.

la

SATIRE IX*.

A SON ESPRIT.

C'EST à vous, mon Esprit, à qui je veux parler1,
Vous avez des défauts que je ne puis celer:

* Poursuivi, harcelé, depuis la publication de ses premières satires, par les clameurs des écrivains qu'il avoit tirés à grands coups de sifflet du songe agréable où leur amour-propre les berçoit du premier rang sur le Parnasse, Boileau conçut le projet de cette ironique apologie, dans laquelle l'aveu de ses torts prétendus n'est qu'une satire nouvelle, plus fine et plus piquante encore, de la sottise de ses ennemis. Horace paroît avoir fourni à notre poëte le cadre ingénieux qu'il a si spirituellement rempli, dans la satire vii du livre second, où le poëte latin se fait adresser par son esclave, des reproches d'une autre nature, il est vrai, que ceux que Boileau fait à son esprit, mais dont l'objet est le même, et le résultat tout aussi infructueux : car Dave ne corrigea pas plus son maître, que Boileau son esprit. - Cette excellente satire fut composée en 1667, et publiée l'année suivante. L. Racine nous apprend que Boileau ayant été invité à lire ce chef-d'œuvre chez M. de Brancas, en présence de mesdames Scarron et de La Sablière, la pièce fut si peu goûtée, que l'auteur n'eut pas la force d'en achever la lecture. Desforges-Maillard (Lettre au président Bouhier) proposoit de

I

mettre,

C'est à vous, mon esprit, que je prétends parler,

pour faire disparoître l'espèce de faute, occasionée par la répétition vicieuse, selon lui, de la préposition. Mais, indépendamment de la foiblesse de la correction proposée, ne pourroit-on pas supposer au contraire à Boileau l'intention de s'emparer fortement, dès le premier vers, de l'attention du lecteur, en insistant à dessein sur cette apostrophe à son esprit ? Il faut y regarder plus d'une

Assez et trop long-temps ma lâche complaisance1
De vos jeux criminels a nourri l'insolence;

Mais, puisque vous poussez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

On croiroit, à vous voir dans vos libres caprices
Discourir en Caton des vertus et des vices,
Décider du mérite et du prix des auteurs,
Et faire impunément la leçon aux docteurs 2,
Qu'étant seul à couvert des traits de la satire
Vous avez tout pouvoir de parler et d'écrire.
Mais moi, qui dans le fond sais bien ce que j'en crois,
Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts,
Je ris, quand je vous vois, si foible et si stérile 3,
Prendre sur vous le soin de réformer la ville,

Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant, Qu'une femme en furie, ou Gauthier en plaidant 4.

fois, avant de trouver une faute contre la langue, dans celui qui a dit:

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin,
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

Cette locution, d'ailleurs, étoit si généralement reçue, que Molière, dans une pièce en prose, écrivit sans balancer: " Puis-je

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«< croire que ce soit à vous à qui je doive la pensée de cet heureux stratagème? » (l'Amour médecin, act. III, sc. vi. )

2

Horace, liv. II, sat. vII, v. I:

Jam dudum ausculto, etc.

Comme on l'a vu dans la satire précédente.

3 Pradon (dans ses Remarques, p. 51) trouve ces deux mots admirablement placés; et rien ne lui paroît mieux démontré, que la foiblesse et la stérilité de Despréaux, comparées sans doute à la force et à la richesse de Pradon!

Avocat célèbre alors par le mordant de ses saillies et l'amer

Mais répondez un peu. Quelle verve indiscrète Sans l'aveu des neuf sœurs vous a rendu poëte? Sentiez-vous, dites-moi, ces violents transports Qui d'un esprit divin font mouvoir les ressorts? Qui vous a pu souffler une si folle audace? Phébus a-t-il pour vous aplani le Parnasse? Et ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré 1, Qui ne vole au sommet, tombe au plus bas degré; Et qu'à moins d'être au rang d'Horace ou de Voiture 2, On rampe dans la fange avec l'abbé de Pure?

tume de ses sarcasmes: il s'étoit rendu par là si redoutable au barreau, que quand un plaideur vouloit intimider sa partie adverse, il la menaçoit de lui lâcher Gauthier. C'étoit, du reste, un écrivain sans goût, et dont les plaidoyers ressemblent assez à ceux de Me Petit-Jean et de l'Intimé.

I

Saint-Mare ne voit là qu'un pur remplissage, uniquement amené par la nécessité de finir le vers, et de rimer à degré. Il ne sent pas que c'est précisément parceque le Parnasse est un mont sacré, qu'il n'y a pas de milieu entre l'honneur de voler au sommet, et la honte de tomber au plus bas degré.

2

Voilà l'un des grands torts de Boileau, aux yeux de ses détracteurs du dix-huitième siècle ( car l'autorité du nom de Voiture ne permit, dans le dix-septième, aucune réclamation contre ce vers); il a mis Voiture au rang d'Horace ! D'abord, il est difficile de supposer qu'un homme qui s'est montré par la manière même dont il l'imite, aussi pénétré du génie d'Horace, ait songé sérieusement à lui comparer un écrivain aussi inégal, et d'un goût quelquefois aussi faux, que Voiture; mais ce même écrivain étoit l'un des plus beaux esprits de son siècle ; il avoit long-temps donné le ton, après l'avoir reçu lui-même de l'hôtel Rambouillet; et son règne n'étoit point passé, en 1667, quoique vingt ans se fussent écoulés depuis sa mort. Jeune encore, et connu seulement par ses premières satires, Boileau ne pouvoit, ne devoit peut-être pas heurter de front une opinion si généralement reçue : mais quand il

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