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» c'est de quitter mon vieux père, ma femme et mes >> enfants. J'espère que Dieu ne les abandonnera pas. » Quand on essayait de le rassurer sur sa maladie, il répondait avec un doux sourire: « Je suis atteint mortelle»ment, mais j'offre ma vie en sacrifice pour ma famille;

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je compte sur la miséricorde du bon Dieu, et j'ai la » confiance que, dans quelques heures, je le verrai face » à face. » Les prières de l'Eglise furent récitées à haute voix près de son chevet, il y répondit lui-même, et quand elles furent terminées, notre confrère avait cessé de vivre. Il mourut le 21 juillet 1849.

Ce n'était pas à nous qu'il appartenait de posséder sa dépouille mortelle. L'amitié a ses droits; mais ceux de la reconnaissance sont plus sacrés encore. Les bons paysans de Colombier et de Villerpoz ne pouvaient ap précier comme nous l'homme politique, le savant, l'académicien; mais ils connaissaient mieux que nous le maître bienfaisant, l'ami du pauvre, le conseil et le modèle des familles. C'est parmi eux que sa tombe devait trouver le plus de prières, sa mémoire le plus de bénédictions. La nouvelle de sa mort répandit dans toute la contrée une profonde douleur. Dès que le jour de ses obsèques fut connu, un mouvement spontané fit déserter les champs et entraîna à la suite du convoi funèbre presque tous les habitants des campagnes voisines. Plusieurs paroisses du canton de Saulx, représentées par le curé et par le maire, venaient dans cette triste cérémonie payer une dette de reconnaissance ou déposer l'hommage du respect public. Un jeune homme qui portait encore le deuil de ses parents, se fit, par une exclamation invo

vrage produisit dans notre province. Les théories qu'il renferme trouvèrent des critiques; mais son mérite littéraire ne trouva que des admirateurs. Là, l'éloquence la plus persuasive s'unit quelquefois à l'observation la plus juste. Là, le style se fond de plus en plus avec la pensée, tantôt grave, nombreux, solennel; tantòt vif, rapide, animé. La phrase se colore d'elle-même, sans prétention comme sans efforts. L'idée se dégage, l'expression se précise. On sent un homme maître de son sujet, qui ne dit que ce qu'il doit dire, et qui le dit comme il doit le dire. Autant son histoire de l'Algèrie l'emporte sur ses romans par l'importance du fond et par la maturité de la forme, autant ses considérations sur la France sont supérieures à l'histoire de l'Algérie, pour la hauteur des vues comme pour l'énergie de l'expression. Une imagination vive et une douce sensibilité firent presque tous les frais de ses premières productions; il montra dans les suivantes tout ce que ces facultés gagnent à être réglées par un jugement plus sûr; enfin, la politique si large, si chrétienne, qu'il exposa dans son dernier ouvrage, disait assez avec quel succès il pouvait aborder les questions les plus élevées, et quel nom il devait se faire un jour dans la diplomatie et dans l'économie sociale. Ainsi, chacun de ses livres marquait un progrès, et ces progrès étaient si sensibles, qu'on les croirait séparés les uns des autres par un intervalle de dix années. Mais M. de Rotalier doublait le prix du temps par l'habitude du travail, et le prix du travail par l'habitude de la réflexion. Avouons-le, Messieurs, ses vertus servaient ses talents, et si, comme l'a

dit Vauvenargues, les grandes pensées viennent du cœur, M. de Rotalier, pour convaincre et pour émouvoir, n'avait qu'à s'inspirer de lui-même.

. Certes, ce sont les élans d'une âme généreuse qui animent les lignes suivantes, écrites en 1846. M. de Rotalier, en les traçant, cédait au sentiment d'une noble espérance. Relisons-les, parce que nous avons besoin, plus que jamais, d'espérer et de croire :

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« Pour moi, j'ai foi dans un brillant avenir pour ma patrie, et si mon regard s'effraie à l'aspect des injustices et des violences des partis; si je m'épouvante en voyant la plus sublime économie de nos lois, et les grands intérêts du monde confiés à des esprits choisis dans un but d'industrie ou d'affaires, je me rassure, » en pensant, non-seulement aux forces matérielles, mais encore aux forces intellectuelles et morales de la » France, et je me dis que, si les hommes y paraissent

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si petits, c'est que la majesté des choses y est trèsgrande. Ces mêmes pouvoirs politiques, composés d'une manière si médiocre, si chétifs devant la tâche » qui leur est confiée, si ignorants des nobles choses » qu'ils doivent décider, sentent autour d'eux une influence supérieure, éclairée, qui les soutient, les

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inspire, les pousse en aveugles dans la voie droite. » Ils décident une question, le font avec grandeur, et >> souvent ne l'ont pas comprise. C'est qu'une puissance » secrète les domine : cette puissance est celle de tous

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les esprits lucides qui n'ont point de part aux affaires, >> mais qui ont part aux idées. C'est celle de ces sublimes

» penseurs qui, loin de la triture des choses, conser

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› vent l'indépendance du jugement, l'audace de la conception, la virginité de l'honneur, et qui, sans misé>> rables calculs d'intérêt privé, jugent toutes les ques>>tions de toute la hauteur d'une intelligence que ne

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trouble aucune des fétides vapeurs de la corruption, ‣ et de toute la noblesse d'une âme que n'avilit aucun » désir secret et honteux. >

L'élévation des sentiments n'altérait pas chez notre confrère la justesse des vues. Peu d'hommes ont aperçu d'aussi loin et précisé aussi bien les périls de notre époque. Après avoir prouvé que les commotions purement politiques touchaient à leur fin, il se hâtait d'ajouter : N'oublions pas de dire qu'un autre danger se dresse › maintenant devant l'Etat, car les sociétés humaines > ne connaissent pas le repos, et leur vie consiste dans › de perpétuelles transformations. Les questions politi› ques à peine vidées, apparaissent les questions so›ciales. La foudre et les orages couvent aussi dans

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leurs flancs, et si l'on veut éviter qu'ils n'éclatent en › nouvelles révolutions, on devra s'appliquer à en ré>> soudre successivement les principales difficultés. Ce › sera le grand travail des nations modernes. C'est où › devront briller leur sagesse et leur génie : la gloire et › le salut sont lå. »

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L'écrivain supérieur qui s'occupait avec tant d'anxiété des destinées de son pays, ne pouvait rester indifférent à sa propre destinée. De nos jours, la plupart des hommes éminents reviennent à la religion par l'infortune; la foudre les éclaire en les frappant. M. de Rotalier fut plus heureux que son siècle, parce qu'il avait été plus

sage; il n'eut rien à apprendre, parce qu'il n'avait rien oublié. Dans la jeunesse comme dans l'âge mûr, sous la tente du soldat comme à l'ombre du foyer domestique, il se faisait une gloire égale d'honorer sa foi par ses discours, et de justifier ses discours par ses exemples. Devenu chef de famille, il sentit que ses devoirs avaient redoublé d'importance et de sainteté, et, sans cesser d'entourer de déférence son vénérable père, il prodigua à son fils, dès l'âge le plus tendre, des soins aussi touchants qu'assidus, et aussi religieux qu'éclairés.

Ne craignons pas, Messieurs, de suivre notre confrère dans le sanctuaire domestique. Sa modestie seule pourrait nous en interdire l'entrée, car nous sommes sûrs d'avance de n'y rencontrer que la vertu. On a dit trop souvent que l'intérieur du citoyen doit être muré. Laissant à d'autres le bénéfice de cette maxime que la sagesse moderne a inventée pour excuser la lâcheté de nos mœurs, M. de Rotalier, fidèle aux règles de la sagesse antique, croyait que l'honnête homme, dans la vie privée comme dans la vie publique, doit toujours être semblable à lui-même. Ceux qui l'ont vu de près, savent combien on profitait dans ce commerce intime. Jamais son âme ne connut d'autre passion que celle du bien. Jamais un mot, un mouvement, une ombre ne révéla en lui le ressentiment ou le souvenir d'une injure. Il brillait dans le monde par la variété de ses connaissances, par l'intérêt de sa conversation, par la politesse exquise de ses manières. Les formes aimables du temps passé s'alliaient dans ses causeries aux pensées graves et aux préoccupations inquiètes des

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