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» Après ces cruelles tortures, il ne restait plus qu'un souffle de vie au missionnaire. On sembla le ménager pour le dernier supplice. Les bourreaux se reposèrent; et, suivant l'usage du pays, on offrit de la nourriture aux condamnés. Le mandarin criminel dit à ses satellites, avec un sentiment de respect dont il ne pouvait se défendre en présence de l'innocence opprimée : « Demandez à M. l'Européen ce qu'il veut manger. » Nonseulement M. Marchand refusa le choix des mets; mais il remercia même absolument pour ceux qu'on lui présentait, en ajoutant: « Je ne mangerai plus rien. » Et tandis que les chefs des rebelles, restés constamment en dehors de la maison des supplices, prenaient leur dernier repas, lui, abattu par la douleur, affaibli par le sang qu'il avait perdu, et tout occupé de la pensée de sa mort prochaine, demeurait recueilli sous les yeux de la multitude.

» La tâche du mandarin criminel était remplie. Dès que le repas des rebelles fut achevé, il livra les victimes au mandarin exécuteur. Celui-ci les fit dépouiller sur le champ du lambeau de toile qui leur ceignait les reins. Pour étouffer leurs cris, on leur mit un caillou dans la bouche, et, par-dessus, un frein en bambou, que l'on assujettit solidement derrière la tête. Ainsi baillonnés, on les affermit sur leurs brancards, et le cortége prit le chemin de Tho-Duc, grande chrétienté choisie pour le lieu de l'exécution. La foule, qui s'était pressée jusque-là autour des condamnés, se divisa en ce moment; une partie regagna la ville, et l'autre se joignit au cortège. Il était composé de quelques mandarins,

d'une troupe de bourreaux et d'une centaine de soldats.

» Après environ une heure de marche, on arrive au lieu du supplice. On fait écarter la foule, accourue du voisinage et venue de la capitale. Les soldats se rangent en cercle, et la contiennent à une distance de trente pas. On fiche solidement en terre, sur une même ligne, cinq potences, qui rappellent par leur forme les croix antiques. On approche les brancards de chacune d'elles, en les rangeant selon l'ordre de culpabilité des victimes, à partir de la gauche du spectateur placé en face des patients. M. Marchand est déposé devant la seconde, et le jeune fils de Khoï devant la cinquième. Les cages renfermant les crânes des deux rebelles, qu'une mort naturelle ou violente avait soustraits à la vengeance de Minh-Mang, sont placées à la suite des potences, pour subir le dernier supplice en effigie. Cela fait, les bour reaux s'emparent des patients, les détachent de leurs brancards, les dressent le dos contre la potence, les y assujettissent fortement par le milieu du corps, attachent leurs bras aux deux branches de la croix, et, se plaçant de chaque côté des victimes, avec des surveillants pour les stimuler, ils attendent, le coutelas d'une main et les pinces de l'autre, le signal donné par un roulement de tambour. Dès qu'il a cessé, ils se mettent à l'œuvre. Les deux qui accostent M. Marchand, pincent ses mamelles, les tranchent d'un seul coup, et jettent par terre deux lambeaux de chair d'un demi-pied de long. A ces premières plaies, le missionnaire ne fait aucun mouvement. Les bourreaux, se piquant d'une émulation infernale, le

saisissent par derrière, et lui enlèvent deux énormes morceaux de chair. Le patient s'agite, et lève les yeux au ciel. Descendant ensuite au gras des jambes, les bourreaux enfoncent leurs pinces aussi avant qu'elles peuvent pénétrer, et le fer emporte encore deux lambeaux de chair. A ce moment, la nature épuisée succombe. La tête du missionnaire s'incline; il pousse un léger soupir, et rend son âme à Dieu!

» Ce fut dans ces cruels supplices que M. Marchand triompha, le jour de la fête de saint André, un lundi de l'année 1835, à l'âge de trente-deux ans. »

A MON AMI CHARLES WEISS,

AVRIL 1850.

Par M. de Saint-Juan.

On n'entend plus gronder les funestes autans,
Sur l'aile des zéphyrs arrive le printemps.
Dans nos champs dépouillés, la timide verdure
Craint encor d'affronter un retour de froidure;
Mais l'on entend déjà sur les bords des ruisseaux
S'appeler en chantant les tribus des oiseaux.
Aux fentes des rochers qui couronnent Bregille
Du patron des Anglais la violette brille (1).
Pourquoi rester ici, cher Weiss, loin de Salans?
Partons, j'offre mon bras à tes pas chancelants,
Il saura te conduire au travers des prairies,
Quand nous irons cueillir les herbes refleuries.
C'est ainsi que de Rome, Horace, tous les ans,
S'empressait de quitter les festins malfaisants,
Pour aller demander tantôt à Lucrétile,
Tantôt à son Tibur un bonheur plus facile.
A l'ombre des bosquets par lui-même plantés,
Et qu'en vers immortels son génie a chantés,
Il était plus heureux qu'Auguste ni Mécènes,
Dans la pourpre ennuyés de leurs grandeurs si vaines,

(1) La violette de saint Georges.

Qu'il nous en resterait à peine un souvenir,
S'il n'en eût dans ses vers ébloui l'avenir.

Par un don que la muse accorde aux grands poëtes,
Les noms toujours sacrés de leurs douces retraites
Ne périront jamais, et tant qu'un soleil pur
Brillera dans les cieux, Lucrétile et Tibur,
Sans cesse répétés, vivront dans la mémoire ;
Je ne demande point pour Salans tant de gloire,
Mais que son nom, connu des vrais amis des vers,
Les attire parfois sous mes ombrages verts.
Que notre Désaugiers (1) par des chansons nouvelles
Y vienne réveiller les échos infidèles ;
Qu'émule de Chaulieu, Dusillet quelquefois.

Y puisse respirer la fraîcheur de mes bois.

En vantant dans mes vers son riant paysage,
Je n'ai point pour Salans désiré davantage.

Sois exact, mon cher Weiss, je t'attends, et demain,
De ce lieu bien-aimé reprenons le chemin.

(1) Viancin.

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