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logique que la jurisprudence de Rome est restée le modèle de la nôtre.

Connaître toute la matière du droit d'un pays, toute sa législation écrite ou coutumière, c'est posséder une érudition très-utile dans les affaires de la vie, et qu'on ne peut jamais acquérir complétement dans un pays comme le nôtre, où chaque période de dix ans enfante une masse énorme de dispositions législatives et réglementaires. Toutefois, personne ne songerait à ranger parmi les sciences proprement dites une érudition dont les objets sont si variables et les applications si particulières. Il y a des places dans les académies pour le médecin, l'agronome, l'économiste : il n'y en a point pour l'homme d'affaires et l'avocat.

Celui qui ne se borne pas à apprendre dans un but pratique les lois de son pays et de son temps, mais qui étudie les législations anciennes et contemporaines pour les comparer dans les matières qui leur sont communes, pour reconnaître des formes générales et saisir des analogies entre des formes différentes, celui-là s'élève à une véritable science. Enfin, celui qui recherche dans l'histoire, dans la constitution morale et physique de l'homme, dans ses rapports avec le monde extérieur, la raison des législations, les causes de leur décadence et de leur chute, et réciproquement la manière dont les législations influent sur le génie et sur l'histoire des peuples, celui-là conçoit l'étude des lois dans ce qu'elle a de plus éminent, et dans ce qui intéresse au plus haut degré l'humanité; il s'élève jusqu'à la philosophie des lois (22). Mais, de quelque point de vue qu'on veuille envisager la science des lois, on ne doit pas la confondre avec l'appareil de procédés lo

giques qui sert à développer systématiquement l'application des dispositions légales, et qui s'adapte de la même manière aux lois éternelles que la nature a gravées dans le cœur de l'homme, et aux lois éphémères nées d'une tourmente révolutionnaire ou des caprices d'un despote; aux lois qui statuent sur les plus grands intérêts de la société, et aux réglements inventés dans un esprit minutieux de fiscalité ou de monopole. Il s'agit donc de distinguer, en jurisprudence comme ailleurs, l'étoffe et la forme, les matériaux de l'organisation, et la force organisatrice.

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270. Pour rendre cette distinction plus facile à saisir, nous aurons recours à des exemples, et nous citerons les règles qui, dans notre droit français, régissent quant aux biens l'association des époux. D'où dérivent-elles? d'une coutume bien simple comme les mœurs des peuples qui l'avaient adoptée . Tous les fruits sont communs pendant le mariage; à la mort de l'un des époux, ses héritiers reprennent les biensfonds qui lui appartiennent en propre; l'autre époux en fait autant, et ils partagent par moitié les fonds acquis pendant le mariage par les époux, du produit de leur travail et de leurs économies. Enfin les meubles qui garnissent le ménage ou l'habitation commune, qui

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« Viri, quantas pecunias ab uxoribus dotis nomine acceperunt, tantas ex suis bonis, æstimatione facta, cum dotibus communicant. Hujus omnis pecuniæ conjunctim ratio habetur fructusque servantur; uter eorum vita superarit, ad eum pars utriusque cum fructibus superiorum temporum pervenit. » CES. De bell. gall., 1. vi, c. 19. Nous ne commettons pas l'erreur grossière qui consisterait à confondre l'espèce de communauté indiquée par ce texte fameux avec celle qui se trouve établie dans nos coutumes; mais peu importe, pour l'objet que nous avons en vue, qu'on fasse remonter plus ou moins haut l'origine de ces coutumes. Voyez M. PARDESSUS, Loi salique, p. 675.

s'usent et que l'on renouvelle sur les revenus communs, sont aussi devenus la propriété commune des époux; quelle qu'en soit la première origine, on les partage de même par moitié.

Chez d'autres peuples, où les mœurs imposent à la femme une plus grande dépendance et restreignent davantage sa vie extérieure, les choses ne se passent plus de la sorte. Quelquefois le mari achète sa femme; plus ordinairement la femme apporte à son mari une dot qui doit être rendue en cas de répudiation ou de veuvage; elle est reçue tantôt comme une esclave, tantôt comme un hôte sous le toit marital; elle reste étrangère à l'industrie et aux gains de son époux: voilà l'origine du droit dotal.

Lorsque, par les progrès de la civilisation, de l'industrie, du luxe, les mœurs ont perdu leur simplicité originelle, les affaires d'intérêt se compliquent; la coutume ne peut plus prévoir tous les cas; elle fournira bien encore les principes de solution, mais il faudra les combiner systématiquement pour les approprier à la multitude indéfinie de combinaisons ou d'espèces qui exigeront une solution.

271.Ainsi, il est clair que, dans les mœurs d'un peuple pauvre, rien de plus naturel que la différence établie par le droit coutumier français entre les biens immeubles propres à chacun des époux (tels que des champs, des maisons), et les meubles qui garnissent le toit domestique. Les uns restent distincts, les autres se confondent la nature des choses. Mais, supposons que ce peuple devienne industrieux et commerçant : alors se créeront de grandes valeurs, telles que des capitaux d'exploitation, des créances, des rentes pu

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bliques, des actions dans de vastes entreprises. Les mœurs ou la coutume, expression des mœurs, nous apprendront-elles ce qu'il faut statuer à l'égard de ces biens de nouvelle création? Non sans doute; et si l'on voulait remonter à l'origine naturelle de la coutume, statuer d'après son esprit, les circonstances seules détermineraient des arbitres doués d'un sens droit à prononcer, tantôt la séparation, tantôt la confusion des biens de cette espèce, à les comprendre dans la communauté ou à les en exclure, sans qu'ils pussent le plus souvent rendre un compte rigoureux des motifs de leurs décisions.

D'ailleurs, et sans qu'il soit besoin de supposer pour cela un développement très-avancé de civilisation, bien des combinaisons diverses viendront compliquer et rendre difficile l'application du principe coutumier. Les époux recueilleront des successions grevées de dettes ou de servitudes; ils auront des immeubles à revendiquer ou à saisir à titre de gages, des débiteurs à poursuivre personnellement. C'est alors que, pour fixer avec précision les droits respectifs des époux, le droit s'organise systématiquement et devient l'objet d'une science abstraite appelée jurisprudence. Le jurisconsulte conçoit par analogie des immeubles et des meubles fictifs; une fois en possession de certaines idées ou formes abstraites, il en poursuit indéfiniment les combinaisons logiques, en faisant sortir ainsi du simple et de l'abstrait la solution des espèces les plus complexes et les plus particulières.

272. Le droit romain nous offrirait partout des exemples de ces coutumes simples, grossières ou même barbares, qui ont donné lieu au développement

d'une jurisprudence savante et systématique, lorsqu'il ne subsistait déjà plus rien dans les mœurs de ce qui avait déterminé la coutume originelle. Bornons-nous à citer la distinction des choses mancipi et nec mancipi. Il était naturel que chez un peuple pauvre, agricole et illettré, la coutume exigeât quelques solennités ou démonstrations symboliques, telles que l'assistance du libripens et des témoins, pour transférer la propriété des biens les plus précieux, des fonds de terre, des esclaves, des chevaux et du gros bétail. Plus tard, lorsque les Romains connurent l'or et l'argent, lorsque le bronze et le marbre entrèrent dans la décoration de leurs demeures, lorsque l'écriture, devenue d'un usage vulgaire, leur offrit le moyen le plus commode et le plus sûr de constater leurs transactions, il n'y avait plus rien dans l'état de la société qui motivât cette distinction; mais un respect religieux pour les institutions des ancêtres la fit conserver comme principe de droit; et les conséquences abstraites que de rigoureux logiciens tirèrent d'un usage effacé donnèrent naissance à l'une des théories les plus délicates du droit romain, qui exerce encore aujourd'hui la sagacité des interprètes.

273. Enfin, pour citer un dernier exemple qui ne tienne plus à des coutumes singulières ou à des besoins spéciaux, nous remarquerons que les lois ont consacré un principe de morale publique et universelle, en excluant de la succession d'un défunt l'héritier qui s'est porté contre lui à des violences ou à d'autres offenses capitales. Il est conforme d'autre part aux sentiments d'humanité et de bienveillance, fruits de l'adoucissement des mœurs, de ne pas punir des en

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