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expérience sensible qui ne pourrait avoir ici d'autre forme que la forme statistique. Le bonheur des particuliers, le bon ordre de l'État ne se définissent point par les règles de la logique d'Aristote, ne s'écrivent point en nombres et en formules algébriques, ne se constatent point par les chiffres de la statistique, quoique quelques-uns de leurs effets indirects puissent se constater de la sorte; mais il faut toujours que le sens philosophique intervienne, et pour comparer un type idéal le sort des individus et l'ordre de l'État, et pour apprécier les rapports des effets sensibles et mesurables avec le principe intelligible d'ordre ou de désordre qui les a produits.

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335.- Ainsi donc, partout dans les sciences nous retrouvons la spéculation philosophique intimement unie à la partie positive ou proprement scientifique, qui comporte le progrès indéfini, les applications techniques et le contrôle de l'expérience sensible. Partout nous aurions à constater ce double fait que l'intervention de l'idée philosophique est nécessaire comme fil conducteur, et pour donner à la science sa forme dogmatique et régulière; et que néanmoins le progrès des connaissances positives n'est point suspendu par l'état d'indécision des questions philosophiques. Réciproquement, il impliquerait que l'on pût attendre des progrès de la connaissance scientifique la solution positive et expérimentale d'une question philosophique. Si l'on ne pouvait pas discerner a priori le caractère philosophique d'une question, on le reconnaîtrait a posteriori et par induction, en voyant que les progrès des connaissances positives maintiennent la question dans son état d'indétermination scientifique.

Ainsi, comme il est manifeste que les progrès immenses, faits depuis Newton et Leibnitz dans une branche supérieure de l'analyse mathématique connue sous le nom de calcul infinitésimal, n'empêchent pas qu'on ne discute, comme on le faisait il y a bientôt deux siècles, sur les principes mêmes de ce calcul, tout esprit judicieux est suffisamment averti que de telles discussions portent, non sur un point de doctrine scientifiquement résoluble, mais sur une question philosophique nécessairement liée à l'exposé de la doctrine.

336. Il ne faut pas confondre avec les questions vraiment philosophiques les hypothèses sur des faits inaccessibles à l'observation, soit dans l'état provisoire de nos connaissances, soit à cause des limites que des circonstances mettent à l'extension de nos moyens d'observation et d'expérience. Il est plus que probable que l'observation ne décidera jamais ce qu'il faut penser de l'ingénieuse hypothèse de la pluralité des mondes, et qu'on n'exécutera pas les travaux qui pourraient nous faire connaître empiriquement la composition des couches intérieures et profondes de notre globe. Toutefois les obstacles qui rendent de pareilles observations impraticables tiennent à des circonstances accidentelles et accessoires plutôt qu'à des raisons essentielles : ils dépendent des limites de nos forces physiques et de l'imperfection des instruments matériels dont nous pouvons disposer, plutôt que des limites essentiellement imposées à toute connaissance fondée sur la perception sensible. Au contraire, il répugnerait à la raison qu'on pût, en augmentant suffisamment la puissance de nos télescopes, arriver à résoudre expérimentalement la question de savoir si le monde est ou

non limité dans l'espace; qu'on pût, en augmentant suffisamment le pouvoir grossissant de nos appareils microscopiques, arriver à saisir les premiers éléments de la matière, à trancher par l'expérience la question du vide, des atomes et de l'action à distance. Pour la science positive, il n'importe de quelle nature soient les obstacles qui s'opposent à l'extension de nos connaissances, dès qu'on les reconnaît pour être humainement insurmontables; mais en philosophie l'on distingue, parce que d'une part on s'y préoccupe bien moins des faits que de la raison des faits et de leur subordination, et que d'autre part on s'y propose de démêler la hiérarchie des facultés intellectuelles de l'homme hiérarchie qui se montre dans l'explication des causes de notre ignorance, comme dans celle des causes de notre savoir.

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337. Si l'on prend la peine de rapprocher toutes les observations répandues dans ce chapitre et dans le précédent, on sera amené, je pense, à discerner clairement, dans la nature intellectuelle et morale de l'homme, non plus, comme l'entendait Bacon (301) trois facultés principales (logiquement et, pour ainsi dire, anatomiquement distinctes), mais plutôt cinq formes principales de développement, appropriées à autant de syncrasies ou de tempéraments divers, et correspondant à autant d'idées générales, de rubriques ou de catégories, qu'on peut désigner ainsi :

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en les énonçant dans l'ordre qui rappelle assez bien leurs alliances, et qui est conforme à ce que nous savons de la marche générale de la civilisation. En effet, toute

civilisation a commencé par la religion et s'y est d'abord concentrée tout entière; l'art et la poésie sont nés à l'ombre et sous l'influence de la religion; l'histoire de la nature et de l'homme s'est dégagée plus tard des enveloppes mythologiques et poétiques; et partout la philosophie, en se rattachant d'abord aux symboles de la religion et de l'art, a devancé la science, qui semble la dernière conquête de l'esprit de l'homme et le produit d'une civilisation parvenue à toute sa maturité. L'histoire fait appel à l'art et à la philosophie; la science peut rarement s'isoler de la philosophie et de l'histoire; mais les alliances et les combinaisons de principes divers ne doivent pas être une raison de les confondre. Tous les efforts qu'on a pu faire pour les mettre en antagonisme n'ont jamais réussi à les déraciner de l'esprit humain, parce qu'ils tiennent essentiellement à sa nature et à la nature de ses rapports avec les objets extérieurs. On l'a dit maintes fois de la religion et de la philosophie, de la poésie et de la science : il faut le dire pareillement de la science et de la philosophie. Insistons donc sur ce point capital que nous avons eu surtout en vue à savoir, que la philosophie n'est point une science, comme on le dit si souvent, et que c'est pourtant quelque chose dont la nature humaine, pour être complète, ne peut pas plus se passer qu'elle ne pourrait se passer de la science et de l'art. Si nous avions réussi à mettre cette vérité dans un jour nouveau, nous croirions avoir quelque peu contribué, pour notre part, au redressement de certains préjugés et au progrès général de la raison.

DE

CHAPITRE XXII.

LA COORDINATION DES CONNAISSANCES HUMAINES.

338.

Nous sommes maintenant en mesure d'examiner comment Bacon a appliqué à la classification encyclopédique des connaissances humaines le principe de sa division tripartite, d'apprécier les critiques et les changements dont sa classification a été l'objet, et de proposer nous-même un essai de coordination synoptique, tout imparfaite que doive être nécessairement une coordination de cette nature (243), par les raisons que nous avons déduites. Après avoir posé ses trois grandes rubriques,

l'HISTOIRE, la POÉSIE, la SCIENCE, correspondant à trois facultés distinctes,

la MÉMOIRE, l'IMAGINATION, la RAISON,

Bacon divise l'HISTOIRE en naturelle et civile; la POÉSIE, en narrative, dramatique et parabolique; la SCIENCE, en philosophie et en théologie révélée. La philosophie traite de Dieu, de la nature et de l'homme; ce qui amène Bacon à réintroduire (par double emploi) dans la première subdivision de la philosophie la théologie révélée, qu'il semblait d'abord vouloir exclure de cette rubrique, la seule pour laquelle le besoin d'un tableau synoptique se fasse sentir: encore ne le détaillerons-nous que tout autant qu'il est nécessaire pour donner une notion sommaire des vues du grand philosophe anglais.

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