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taille majestueuse, d'un esprit sans culture, plein de justesse et d'élévation, grand dans ses projets, constant dans ses résolutions, noble dans ses plaisirs, décent dans ses foiblesses, employant les arts, protégeant les lettres et les sciences, sachant apprécier les hommes et s'en servir, possédant l'art de donner du prix aux faveurs, et l'art, plus grand encore, de dispenser la louange et l'encouragement à Vaide de ces à-propos heureux dont Pexpression réunissoit toujours la grace et la dignité: voilà quel fut long-temps Louis XIV. L'Europe attaquée, ou menacée par les armes de la France; la France florissant par le commerce et les manufactures; des fêtes d'une magnificence sans bornes; des monuments utiles et immortels : un ministre qui dirigeoit avec génie les guerres qu'il allumoit par d'indignes motifs; un autre ministre, né pour réparer, comme le premier pour détruire, qui rendoit les peuples étrangers tributaires de notre industrie, en même temps qu'ils l'étoient de notre valeur : une cour brillante et voluptueuse, où l'esprit et la beauté se disputoient à l'envi les regards du maître; des héros, des écrivains illustres, des artistes célébres, des grands hommes en tout genre, qu'on eût dit qu'il avoit créés: voilà quel fut long-temps le siècle de Louis XIV. Racine, Quinault, Boileau, Molière, ne durent-ils pas célébrer un roi puissant dont l'éclat frappoit vivement leurs yeux, et de qui ils rece

voient plus que des bienfaits, puisqu'il les combloit de distinctions? Parmi ces éloges que la reconnoissance ennoblissoit tous, quels sont ceux que le talent a le plus embellis, que la délicatesse a le plus tempérés? Ne sont-ce pas ceux de Boileau? Que d'esprit, de grace, de finesse! quels tours piquants et imprévus! Ce n'est point un écrivain courtisan et en faveur qui flatte son maître; c'est un satirique forcé de louer; c'est un poëte que trop de victoires importunent parcequ'il faut qu'il les chante; c'est la Mollesse qui RETRACE LES OUTRAGES CRUELS QUE LE ROI LUI FAIT TOUS LES JOURS (1). Cependant quelles ingénieuses leçons mêlées à ces louanges! Boileau a vanté les douceurs de la paix, dont Louis XIV faisoit jouir la France pendant de trop courts intervalles. Ne voit-on pas que c'étoit moins le féliciter de ce qu'il faisoit si rarement, que lui conseiller de le faire toujours? Enfin l'épisode de Pyrrhus et de Cynéas n'est-il pas l'exemple le plus admirable d'une liberté noble et courageuse; et, s'il n'a point corrigé le conquérant, ne doit-il pas absoudre le flatteur?

La satire littéraire avoit jusqu'à Boileau trouvé grace à tous les yeux. Horace, Perse, Juvénal, chez les Latins; Regnier, parmi nous, n'avoient encouru

(1) Je me fatiguerois à te tracer le cours

Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.

Lutrin, ch. II.

aucun blâme pour avoir vengé le bon goût sur les écrivains qui l'outrageoient. Boileau hérita de leurs armes, et s'en servit comme eux. On lui en fit un crime. Il vit pendant quelque temps le sévère Montausier déchaîné contre lui. Il eut l'art de l'apprivoiser, et la vertu se réconcilia avec la satire; mais celle-ci devoit trouver de nos jours des censeurs plus inflexibles. Plus que jamais ELLE EST TRAITÉE D'HORRIBLE ATTENTAT ('), et l'on s'efforce de la proscrire, comme inutile, odieuse, injuste.Quoi! serionsnous réduits à en discuter ici l'utilité ; et les services que Boileau a rendus par elle à la littérature seroient-ils à ce point oubliés, ou méconnus? Aurionsnous besoin de démontrer qu'elle n'a rien d'odieux, lorsque, renfermée dans ses bornes véritables, elle attaque gaiement les écrits, sans outrager les personnes? Seroit-il nécessaire enfin de prouver qu'elle peut sans injustice censurer un auteur ridicule qui compromet volontairement son amour-propre, et qui, demandant des louanges à ses lecteurs, donne à chacun d'eux le droit de lui adresser des critiques? Sans doute on peut abuser de cette justice littéraire; tous ceux qui l'ont exercée n'en étoient pas dignes; et trop souvent on a fait servir au triomphe des plus viles passions un ministère qui ne devoit être employé qu'à la défense du bon goût et du génie. Mais

(1) Et d'attentat horrible on traita la satire.

Épitre à M. de Lamoignon.

doit-on envelopper dans une même aversion la satire et le libelle? N'y a-t-il donc aucune différence entre la sévérité éclairée d'Aristarque et la rage aveugle de Zoile, entre les bons mots de Boileau et les injures de Gacon? O vous, qui vous obstinez à confondre ce qui est si distinct, comparez un moment l'auteur de libelles et le satirique, et revenez enfin de votre erreur! L'auteur de libelles n'écrit point pour les progrès de l'art. Le plaisir de nuire, un vil intérêt, dirigent seuls sa plume. Toujours aux gages d'un parti, il n'a d'opinions que celles qui lui sont payées. Dans les ouvrages, il ne voit que des hommes; dans les hommes, que des adversaires, ou des soutiens de la cause à laquelle il s'est vendu. Il prône ceux-ci, comme il dénigre ceux-là, sans justice et sans mesure. Il encense la médiocrité pour offenser le talent. S'il exalte un homme de génie, c'est pour en ravaler un autre. Flattant bassement l'autorité qui le méprise, il croit acheter par les louanges qu'il lui adresse l'impunité de ses diffamations criminelles. Tandis qu'il ménage l'écrivain puissant, ou protégé, il poursuit avec un acharnement cruel celui qu'il voit dans la disgrace. Il rappelle des torts oubliés ou effacés; il insulte au malheur, à l'âge, aux infirmités. Homme odieux, il est encore écrivain méprisable. Il déprime des chefsd'œuvre, et le plus foible ouvrage est au-dessus de ses forces. C'est en mauvais vers, c'est le plus sou

vent dans quelques pages d'une prose incorrecte et grossière, qu'il déchire des poëmes sublimes. Il se dit le vengeur du goût, et son style l'outrage sans cesse. L'injure est tout son talent. Puisse-t-il s'y renfermer! Ses éloges flétrissent quiconque en est l'objet, et sa bouche, qu'un long usage de l'insulte a comme défigurée, ne peut s'ouvrir pour la louange sans devenir mille fois plus difforme encore. Le satirique, au contraire, n'a en vue que la gloire des lettres. Il y sacrifie tout. La séduction puissante de l'or, les timides suggestions de la crainte, l'empire des affections personnelles, rien ne peut lui faire taire une censure qu'il croit salutaire, lui arracher une louange qu'il ne croit pas méritée. Ce sont les écrits seuls qu'il juge. Le caractère de l'écrivain, son parti, ses liaisons, n'en affoiblissent à ses yeux ni les beautés ni les défauts. Il sait que l'autorité a sagement abandonné le monde littéraire à nos disputes; il iroit frapper jusque sous ses regards le sot ou l'ignorant qui auroit surpris sa faveur, et l'homme de génie, qui auroit eu le malheur de lui déplaire, n'en seroit pas moins l'objet de son admiration et de ses éloges. À côté du trait malin qui punit les fautes, il place le précepte qui peut les faire éviter. Il critique les méchants ouvrages, mais il en compose d'immortels. Son vers imprime à ce qui est ridicule une flétrissure ineffaçable; mais il sait aussi, quand il le faut, éterniser la gloire des

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