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choses grandes ou utiles. Il possède au plus haut degré l'art de blâmer; mais nul ne loue avec plus de grace, et son suffrage est le plus sincère et le plus flatteur de tous. Les sots dont il se moque, les vicieux qu'il peut démasquer, le craignent, le haïssent, et, pour s'en venger, l'appellent un méchant; mais il est chéri des gens éclairés et vertueux, qui n'ont rien à redouter de sa sévérité, et qui trouvent en lui un homme de bien.

Les obligations que ce titre impose, Boileau ne les bornoit point à la pratique des vertus vulgaires et indispensables. Pardonne, ô Boileau! si j'étale à tous les yeux, comme un monument de ta gloire, de belles actions qui ne coûtoient rien à ta générosité, et que ta modestie auroit voulu cacher. En me permettant de les divulguer, tu serviras l'humanité, qu'honore l'assemblage de tes talents et de tes vertus. Il est utile de retracer de tels exemples. Ils corrigent l'influence pernicieuse qu'a trop souvent exercée sur les mœurs publiques la réunion du vice et du génie.

Le bien que Boileau fit sans faste, je le dirai avec simplicité. Patru, dans l'indigence, se voit forcé de vendre ses livres, sa dernière et sa plus douce propriété. Boileau, jusqu'alors peu favorisé lui-même des dons de la fortune, les lui achète au-delà de leur valeur, et exige qu'il en jouisse durant toute sa vie. La pension du grand Corneille venoit d'être

supprimée. Boileau vole auprès du roi. « Je ne puis, « lui dit-il, toucher la pension que votre majesté << m'a faite, tant qu'un aussi grand homme que « M. Corneille restera privé de la sienne. » La pension est rétablie, et l'on porte deux cents louis d'or à l'auteur des HORACES. Boileau ne rencontra que deux fois de ces occasions qu'on pourroit appeler les bonnes fortunes de l'homme généreux; mais on le vit, bienfaisant par principes et non point par saillies, offrir constamment sa bourse et son crédit aux hommes de lettres qui avoient à se plaindre des rigueurs du sort. L'ingratitude ne rebutoit point sa bonté. Linière faisoit des couplets au cabaret contre Boileau, et souvent le vin qui les lui inspiroit étoit payé par Boileau lui-même.

Il étoit d'un commerce doux et facile. Son père avoit dit de lui: «< Colin est un bon enfant, il ne dira

de mal de personne. » Cette prédiction nous fait rire aux dépens de l'honnête greffier, qui fut un si mauvais prophète. Son erreur est facile à justifier. Le père de Despréaux enfant ne put juger que du caractère de son fils, et il en jugea bien. Le génie du satirique, sorte d'instinct qui devoit un jour lui faire trouver dans tout mauvais poëte un ennemi à combattre sans ménagement, à immoler sans scrupule, ce génie sommeilloit encore. Le cœur fut et resta toujours bon, l'esprit seul devint impitoyable. « Vous êtes tendre en prose, et cruel en vers, lui dit

« à lui-même madame de Sévigné. » Ce mot charmant explique tout; et je devois peut-être me borner à le transcrire.

Après ses actions, le témoignage le plus sûr qu'un homme puisse donner de ses mœurs et de son caractère, ce sont ses amis. Tout ce que la cour, l'église, la magistrature, et les lettres, ont eu de plus distingué par le mérite et par les vertus, le grand Condé, La Rochefoucauld, Lamoignon,d'Aguesseau, Arnauld, Bourdaloue, Molière, voilà les noms que Boileau peut citer, voilà les garants qu'il peut offrir. Ces noms, qui sont à peine un choix parmi ceux des illustres personnages dont Boileau fut aimé, iront dans la postérité déposer en faveur de ses qualités sociales, en même temps que ses écrits y porteront la preuve de ses talents supérieurs.

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J'ai parlé de ceux qui furent les amis de Boileau, et je n'ai pas nommé celui de tous qui lui fut le plus cher, et dont il fut le plus aimé. Ici, comme dans son cœur, Racine doit avoir une place à part. Boileau, ce maître d'une sévérité inflexible, avoit dans Racine un disciple de l'amour-propre le plus ombrageux. Cependant une intimité confiante devint le caractère de leur attachement; le brusque ascendant de l'un et la timide déférence de l'autre se confondirent dans une douce et vive affection. Quel fut donc le principe, le lien d'une amitié si tendre? les services et la reconnoissance. Boileau, dans l'au

teur des FRÈRES ENNEMIS et d'ALEXANDRE, devina l'auteur d'ANDROMAQUE et de BRITANNICUS. Ses conseils et son exemple, plus profitables au jeune poëte que ne l'avoit été jusque-là le commerce assidu des anciens, le ramenèrent au bon goût et à la noble simplicité du style; il mit des entraves salutaires à sa facilité; il revoyoit attentivement ses ouvrages, et plus d'une fois l'autorité du critique, secondée par le zèle de l'ami, exigea, obtint, d'utiles sacrifices (1). Des femmes!... Qui le croiroit? Des femmes avoient conspiré contre leur poëte, contre celui qui les aima le plus, puisqu'il les connut le mieux. PHEDRE avoit succombé sous les efforts de la cabale. Boileau, dans cette belle épître, source éternelle de consolation pour le génie persécuté, vengea son ami de l'ingratitude du siècle, et souleva pour lui l'équiTABLE AVENIR (2). Plus tard, Racine, rappelé au théâtre par la piété qui l'en avoit écarté, voit son ATHALIE reçue avec dédain. Le décri étoit universel, et l'opinion même de l'auteur étoit entraînée par celle du public. Boileau, seul contre le public et l'auteur, dit à Racine : « On en reviendra, ATHALIE

(1) On trouve dans les Mémoires de J. Racine, par son fils, un exemple bien frappant de l'utilité des conseils que Boileau don noit à son ami, et de la docilité avec laquelle celui-ci les suivoit. L'inflexible aristarque demanda la suppression d'une scène de' Britannicus, écrite et versifiée comme le reste de la pièce, et Racine consentit au sacrifice.

(2) Vers de l'Épître à Racine.

<< est votre plus bel ouvrage », et il obtint de lui qu'il ne regarderoit point comme indigne de sa plume cette ATHALIE, qui est peut-être en effet son. chef-d'œuvre. Voilà comment Boileau savoit remplir les devoirs de l'amitié. Racine avoit-il assez de toute sa tendresse pour s'acquitter envers lui? Mais en mourant il lui dit : « Je m'estime heureux de « ne pas vous survivre. » Mot sublime! ce mot a tout payé.

O vous qui suivez la carrière des lettres! Racine et Boileau sont vos maîtres; leurs écrits sont vos modéles; proposez-vous aussi leur amitié pour exemple. Songez que la jalouse ignorance a sans cesse les yeux sur vous; qu'humiliée de vos succès, elle triomphe de vos défaites. Sa haine seule seroit impuissante peut-être; mais vous la servez. Malheureux alors d'avoir des talents, vous en faites des armes que vous tournez les uns contre les autres. Cessez de donner à votre ennemie le honteux spectacle de vos combats et de vos blessures mutuelles. Partagez-vous la gloire, ne vous la disputez point. L'émulation accélère vos pas, l'envie les égare en vous aveuglant. Ah! soyez unis; aimez-vous : il y va de votre bonheur. Dans vos succès, qui jouira avec vous du plaisir que la gloire procure, plus vivement que ceux qui l'ont goûté pour eux-mêmes? Dans vos revers, qui vous offrira des consolations

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