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vernés par la Providence d'une manière in-
effable et divine. Je m'en tiens à ces deux
points, dont Bayle convient avec moi, sans
aspirer à en savoir davantage. Quand Dieu
m'aurait caché le moyen dont il se sert pour
conduire notre liberté, s'ensuivrait-il qu'on
doit pour cela ou nier qu'il la conduise, ou
dire qu'il la détruise en la conduisant (Ib.).

II. L'homme, par le péché d'Adam, est dé-
chu de l'état parfait de sa première origine.

Ilya dans l'homme un principe qui n'est
pas corporel... Il y a dans l'homme une ame
qui est une substance distincte du corps et plus
parfaite que le corps, puisque c'est elle qui rend
T'homme raisonnable... L'âme de l'homme a été
créée dans l'ordre, aussi bien que les autres
choses, par un être infiniment parfait; et si
elle n'y est plus, c'est parce qu'abusant de sa
liberté elle est tombée dans le désordre.

N. Non seulement Bayle met en avant cette vérité fondamentale de la religion chrétienne, mais il la prouve; et pour la prouver il emploie les mêmes arguments que nous; savoir, l'autorité des livres saints et la considération de nos faiblesses. Il convient que l'homme a été créé dans l'ordre, et il ne conçoit pas que la chose ait pu être autrement, vu la régularité parfaite qu'il remarque dans cette sage et admirable mécanique qui règne dans toutes les autres parties de l'univers. Il montre ensuite que l'homme est déchu de cet état. Plus, ditil, on prouve la corruption de l'homme, plus on oblige la raison à croire ce que Dieu nous a révélé de la chute d'Adam. Si bien, ajoute-t-il, qu'il est plus utile qu'on ne pense à la religion de prouver que la malice des hommes est si prodigieuse qu'il n'y a qu'une grace particulière du Saint-Esprit qui la puisse corriger.

Dans tout ce chapitre Bayle s'efforce de se justifier devant ceux qui l'accusaient de s'être trop étendu en décrivant la faiblesse humaine : il montre qu'il ne l'a point faite dans l'intention de justifier les pécheurs, et de faire croire que le mal qu'ils ont fait il n'était pas en leur pouvoir de s'en abstenir, et que ce qu'il a dit, loin d'être nuisible à la religion lui est au contraire très-utile, en ce que c'est une preuve des plus fortes pour démontrer la chute de la nature humaine par le péché du premier Adam, et sa réparation par la grâce du second: grâce sans laquelle l'homme ne saurait sortir de l'esclavage du péché (Ib., p. 413, 414). Enfin, dans la page suivante, il tranche toute difficulté; car il dit expressément ces paroles: Quand même je me tromperais, il serait toujours vrai que je reconnais le péché originel, la corruption de l'homme, la nécessité de la grâce du Saint-Esprit, etc. Pouvait-il faire sur ces trois objets une profession de foi plus nette et plus précise?

III. Le dogme de la prédestination est ce
dogme qu'il faut adorer avec foi et avec
respect.

Le mieux est d'adorer dans le silence ce
profond abime... Notre pauvre raison se perd
2 là
la dedans. La foi doit être notre seul refuge
(Contin. des Pens. div., t. IV, p. 180 et 182).

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N. 1. Or que nous enseigne la foi? Que nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine; que celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé, mais que chacun ignore s'il persévérera jusqu'à la fin, que Dieu fait miséricorde à qui il lui plait, et laisse tomber qui il veut dans le crime qui accompagne l'endurcissement, et dans les malheurs qui en sont la suite; qu'en toutes ces choses, le Seigneur notre Dieu est essentiellement plein d'équité, et qu'il n'y a point en lui d'injustice (Ps. CI).

Sur cela, les hommes impatients et avides de tout savoir ont oublié leurs faiblesses et ont imaginé divers systèmes pour expliquer ces saints et redoutables mystères. Mais plus ils se sont efforcés de découvrir la raison de ces grandes vérités, moins ils en ont approché, et ceux mêmes qui se sont flattés d'avoir acquis cette connaissance s'en sont flattés vainement, et ils n'ont jamais pu l'acquérir (Eccl., VIII).

De là Bayle tire cette conséquence, la même qu'en tiraient S. Augustin, S. Prosper et tous les pères de l'Eglise, que l'unique parti à prendre est d'adorer dans un silence respectueux cet abime profond où se perd notre faible raison, de reconnaître humblement avec David que le Seigneur est juste dans toutes ses voies et saint dans toutes ses œuvres; avec S. Paul, que les pensées de l'Etre suprême sont absolument impénétrables; que les trésors de sa science et de sa sagesse étant inépuisables, et ses desseins tellement élevés au-dessus de notre sphère, que nos faibles regards ne sauraient y atteindre, il est inutile, il est insensé de vouloir en découvrir les secrets ressorts, et que le mieux est de les adorer dans le silence.

Quelle folie donc, ou plutôt quelle méchanceté dans Bayle d'avoir, comme il l'a fait, ramassé un tas énorme et confus d'objections et de subtilités contre la Providence, et d'efdans facer par là, autant qu'il est en lui, l'esprit de ses lecteurs, les idées claires et distinctes de la sagesse et de la bonté divines que Dieu lui-même a gravées dans nos âmes en les formant? En vain, pour excuser cette coupable licence, Bayle nous dit qu'il ne s'est comporté de la sorte qu'afin de faire sentir à l'homme l'infirmité de sa raison, et que ce sentiment le porte à recourir à un meilleur guide qui est la foi. Vaine défaite, qui est plutôt une dérision qu'une excuse. Donner des armes à des rebelles pour combattre contre leur prince, et s'excuser ensuite en disant qu'on ne l'a fait que pour les convaincre de leur faiblesse, et leur faire sentir par leur défaite que le parti de la soumission et de l'obéissance était meilleur que celui de la révolte, est-ce là se justifier? N'est-ce pas ajouter l'insulte à son premier attentat et y mettre le comble?

N. 2. Leibnitz a trouvé, comme Bayle, la réponse de S. Paul, O altitudo! très-raisonnable. Mais, plus constant que Bayle dans ses assertions, et plus réellement philosophe, il y persiste jusqu'à la fin et il ne les combat jamais. Voici les réflexions que fait ce grand philosophe sur les paroles de l'Apôtre: Dire

les causes libres ainsi que les causes nécessaires. Ces deux points établis, il s'y rattache invariablement, et rien ne l'obligera jamais à s'en départir. Resterait à savoir comment ces deux points doivent se concilier; mais c'est ce qu'il n'entreprendra jamais d'expliquer; que d'autres imaginent des systèmes où il leur semble que la chose est ex

avec S. Paul: 0 altitudo divitiarum, sapien tiæ et scientiæ Dei, etc. (Rom. XI), ce n'est point renoncer à la raison, c'est employer plutôt les raisons que nous connaissons: car elles nous apprennent cette immensité de Dieu dont l'Apôtre parle: mais c'est avouer notre ignorance sur les faits, c'est reconnaître cependant, avant que de voir, que Dieu fait tout le mieux qu'il est possible, suivant la sagesse in-pliquée clairement : lui, il ne s'engage point finie qui règle ses actions. La nature même des choses porte que cet ordre de la cité divine, que nous ne voyons pas encore ici-bas, soit un objet de notre foi, de notre espérance, de notre confiance en Dieu. S'il y en a qui en jugent autrement, tant pis pour eux : ce sont des mécontents dans le royaume du plus grand et du meilleur de tous les monarques (Théodicée, § 134).

Les sages admirent ce qu'ils voient dans l'ordre de la nature et de la grâce, et ce qu'ils ne voient pas, ils l'adorent, présumant qu'il est encore plus admirable. Pourquoi ne profiterions-nous pas des échantillons que Dieu nous a donnés de sa sagesse et de sa bonté infinie, pour adorer sa grandeur dans les choses qui sont hors de notre vue, comme nous l'adorons dans celles que nous voyons? Procéder ainsi, est-ce renoncer à la raison? Cet O altitudo de S. Paul est le cri de la raison aussi bien que de la foi.

IV. — L'incompréhensibilité du mystère de la gráce divine doit arrêter toute dispute sur cette matière.

Tous les chrétiens doivent trouver là (dans ces paroles de S. Paul: O altitudo!) un arrêt définitif, prononcé en dernier ressort et sans appel, touchant les disputes de la grâce, ou plutôt ils doivent apprendre par cette conduite de S. Paul à ne jamais disputer sur la prédestination et à opposer du premier coup cette barrière à toutes les subtilités de l'esprit humain, soit qu'elles s'offrent d'elles-mêmes pendant qu'on médite ce grand sujet, soit qu'un autre homme nous les propose (Dict.,art. Arminius). Le plus court et le meilleur est d'opposer d'abord cette forte digue aux inondations des raisonnements, et de considérer cette sentence définitive de S. Paul comme ces rochers inébranlables au milieu des ondes, contre lesquels les vagues les plus enflées ont beau s'élancer, elles écument, elles battent inutilement; elles n'y font que se rompre : tous les trails qu'on décochera contre un tel bouclier auront le sort de ceux de Priam.

Sic fatur senior, telumque imbelle sine ictu
Conjecit: rauco quod protinus ære repulsum,
Et summo clypei nequicquam umbone pependit.
(VIRG. Æn., liv. I.)

N. 1. Nous l'avons déjà remarqué quelques articles plus haut: telle est la conduite que tient tout catholique raisonnable et sage. Il sait que l'homme est libre d'une liberté réelle, véritable, et qui lui laisse le pouvoir d'obéir à Dieu et de ne lui pas obéir; de manière que par son obéissance il mérite, et par sa désobéissance il démérite. D'une autre part, il connaît que la providence de Dieu est infinie et qu'elle embrasse tout, savoir,

dans ces questions embarrassantes; il se retranche sagement sous la barrière que S. Paul lui présente, qui est l'infirmité de notre esprit et la considération de l'infinité incompréhensible de Dieu, O altitudo ! Comment en effet l'esprit humain pourrait-il comprendre l'action de la Divinité et sou empire sur les

créatures?

N. 2. Dans tout cet article, Bayle fait profession de blâmer Arminius, dont les disputes sur la grâce et sur la prédestination occasionnèrent dans la Hollande des troubles affreux, et conduisirent la république, encore naissante, à deux doigts de sa perte.

N. 3. Je trouve encore dans l'article Arminius une maxime de la plus grande sagesse, et qu'il me paraît utile de mettre sous les yeux des lecteurs. C'est au sujet des novateurs et de cette démangeaison qu'ils ont tous de produire au public leurs pensées extraordinaires. Avouons, dit Bayle, que la plus petite vérité est digne absolument d'être proposée, et qu'il n'y a point de fausseté, pour si peu considérable qu'elle soit, dont il ne taille mieux être guéri que d'en étre imbu. Mais lorsque les circonstances des lieux et des temps ne souffrent pas que l'on propose des nouveautés, vraies tant qu'il vous plaira, sans causer mille désordres dans les universités, dans les familles, dans la république, il faut cent fois mieux laisser les choses comme elles sont que d'entreprendre de les réformer. Si une foule d'écrivains moralistes et politiques qui font gémir nos presses, si Bayle luimême eût suivi cette maxime sage, ils auraient vécu plus tranquilles et plus heureux; et ils n'auraient pas passé, comme ils ont fait la plupart, une moitié de leur vie à combattre pour la défense de ce qu'ils ont écrit pendant l'autre moitié. Travail bien dégoûtant, ce me semble, et auquel l'homme de lettres, à la fin de sa carrière, doit regretter amèrement d'avoir sacrifié ses jours et ses talents. V. Les calvinistes ont réellement enseign le dogme affreux de la réprobation absolue. Ce que j'ai dit ne regarde pointles (chrétiens prédestinés et régénérés. Cela ne regarde pos les (ames) comprises dans le décret de la re probation absolue, qui, selon la théologie du synode de Dordrecht, sont incapables de ries faire pour l'amour de Dieu, et vivent et meurent dans l'esclavage du péché (Addition ass Pensées div., t. II, p. 477).

N. Mais, leur dit-on, si elles vivent et mew rent dans l'esclavage du péché, incapables és rien faire pour l'amour de Dieu, omettant le bien en faisant le mal nécessairement, com ment les péchés qu'elles ont commis peuventils leur être imputés? Calvin répond: Je nat que le péché, pour être nécessaire, nous dowe

être moins imputé, car si quelqu'un voulait disputer avec Dieu, et prétendait échapper à la rigueur de sa justice, sous ce prétexte qu'il ne pouvait pas faire autrement (qu'il en était incapable [Calvin. Inst. l. Il, c. 5, n. 1]), il a sa réponse prête, et nous l'avons déjà produite autre part: c'est que la servitude du péché qui l'attache nécessairement au mal, n'est point de la création de notre nature, mais de son déréglement et de sa corruption; car d'où vient cette impuissance, que les pécheurs prendraient volontiers pour excuse de leurs crimes, si ce n'est du péché d'Adam, qui, de son gré et librement, s'est engagé dans la tyrannie du démon.

qui!

Lorsqu'on disait à Calvin: Si le péché est nécessaire, donc il n'est pas péché (t. III, l. III, c. 3), il niait cette conséquence, dit le ministre Chamier; et la raison qu'il en apportait, ajoute le même ministre, est que cette nécessité de pécher ne vient point de la création de notre nature, mais de son déréglement et de sa corruption, qui est une suite de la désobéissance d'Adam..... Théodore de Bèze dit encore la même chose dans son livre de la Prédestination.

Ce n'est donc point sans raison que nous accusons les calvinistes d'avoir enseigné le dogme détestable de la réprobation absolue, et l'opinion non moins détestable qui conduit à ce dogme, savoir, que la nécessité de pécher ne répugne point à la liberté; que Dieu peut commander l'impossible et punir avec justice ceux qui n'ont pas obéi à ces comimandements barbares.

Nous avons fait cet article pour ceux qui auraient oublié combien la doctrine calvinienne est contraire à la vérité et nuisible aux bonnes mœurs.

CHAPITRE XI.

La concupiscence, les tentations, la piété. I. Les hommes sont tentés par la concupiscence et par le démon.

Il y a un germe de corruption dans l'âme de l'homme, qui peut être fort bien comparé avec un feu attaché à une matière combustible.Cefeu, poussé par un vent impétueux, fait des ravages épouvantables; mais il ne laisserait pas d'en faire beaucoup, quand même il ne serait aidé d'aucun vent.Toute la différence consiste en ce que son action se répand plus loin et plus subitement lorsque le vent le pousse que quand il ne le pousse pas. Le démon est comme un vent qui souffle sur le feu de notre concupiscence, et qui est cause, à la vérité, qu'elle produit et plus tôt et en plus grand nombre ses mauvais fruits; mais elle ne laisserait pas d'être bien féconde par ses seules forces. D'où paraît l'erreur de ceux qui s'imaginent qu'il ne leur vient jamais une méchante pensée qui ne leur soit inspirée par le démon, ne considérant pas qu'ils ont au-dedans d'eux-mêmes le principe de leur malice, comme l'a fort bien remarqué l'apôtre saint Jacques: unusquisque tentatur a concupiscentia sua abstractus et illectus í Sap. XVII), Cela n'empêche pas qu'effectivement le diable ne nous presse au mal (Pensées div. t. II, p. 514).

N. On ne dira pas de Bayle comme on l'a dit de ses pareils, qu'il ne croyait ni Dieu ni diable; ou bien il faudrait dire qu'il ne croyait pas une grande partie de ce qu'il enseignait. Le diable joue toujours un très-grand rôle avec ses systèmes, et l'on voit qu'il connaissait mieux que personne du monde les profondeurs de Satan. Selon lui, le paganisme 'est l'infâme et abominable ouvrage du prince des ténèbres (Bayle). Le diable est le chef des créatures rebelles (Pensées div., t. II)..... Le diable a séduit Mahomet, et il l'a suscité pour établir une fausse religion.... Le diable règne seul hors du christianisme (Dict., art. Xenophanes).... Il a toujours tenu un pied dans les conquêtes qu'a fait le bon parti (Ib., art. Mahomet).... La victoire du médiateur, consiste à faire marcher les hommes dans le chemin de la vérité et de la vertu: celle du du diable, à les conduire par les routes de l'erreur et du vice, etc. (Ib., art. Xénophanes).

Nous n'avons garde de rapporter ici la longue et insolente comparaison qu'il fait de l'empire de Jésus-Christ avec l'empire du démon. C'est un des morceaux les plus scandaleux que Bayle ait écrits; quoique dans le fond ce ne soit qu'une déclamation d'écolier, où l'on voit clairement qu'il a cherché moins à instruire qu'à s'amuser, en donnant un libre essor à son imagination. C'est un morceau de poésie qui, à l'impiété près, ressemble assez au poème de Milton.

II.

La conscience nous porte à la pénitence et à la dévotion.

Juger que l'on a offensé Dieu et qu'il faut l'apaiser par un renfort de dévotion, n'est-ce pas un culte de conscience (Addition aux Pensées div., t. II) ?

N. Malgré l'abus que Bayle fait de cette sage maxime, et les conséquences détestables qu'il en a inférées, nous avons cru devoir la rapporter comme une de ces pensées que la force de la vérité arrache quelquefois aux plus méchants hommes. Il reconnaît même que partout où l'on croit une religion, la conscience est nécessairement remuée par les phénomènes extraordinaires qui arrivent dans la nature, comme sont les tempêtes, les mortalités, les famines, et il attribué à la dispensation de la Providence l'effet que produit sur l'esprit des méchants la vue de ces phénomènes peu communs.

La méchanceté est timide, disait Salomon ; elle se condamne par son propre témoignage, épouvantée par la mauvaise conscience, ordinairement elle se figure les maux plus grands qu'ils ne sont. Le bruit des rochers qui s'écroulent; le hurlement des bêtes féroces, l'écho qui retentit du creux des montagnes, toutes ces choses frappent ses oreilles et la font mourir d'effroi. Comme elle s'est révoltée contre le Dieu de la nature, elle craint toujours que la nature ne s'arme pour venger son auteur (Sap. XVII).

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très-particulière du Saint-Esprit que certains hommes, prêts à pécher, sentent tout à coup une idée vive de la présence de Dieu, et une crainte si forte de sa justice, qu'ils suppriment la mauvaise action qu'ils voulaient commettre, et à quoi une passion violente les poussait.

Une faveur insigne de la miséricorde de Dieu est de nous faire surmonter les instincts de la corruption naturelle, et de nous dégoûter du vice, aulant et plus que la nature ne nous dégoûte de la vertu (Pensées div., t. IV, p. 514).

N. N'est-ce pas là enseigner clairement et sans équivoque la nécessité de la religion et son utilité? Et après avoir ou avancé ou adopté cette sage maxime, est-il encore permis de regarder le christianisme comme une superstition inutile, et qui n'influe aucunement sur les mœurs? Une religion qui procure de pareils secours, n'est-elle pas évidemment un principe réprimant?

IV. — La vraie dévotion est celle du cœur. C'est le cœur que Dieu demande principale ment; les génuflexions, les sacrifices ne sau raient lui plaire qu'autant que ce sont des signes d'une dévotion intérieure..... La partie du culte dont Dieu est le plus jaloux, c'est le sacrifice des passions, le cœur contrit, l'âme pénitente, l'amour en un mot (Contin.des Pensées div., t. III).

N. La nécessité du culte intérieur et du culte extérieur que nous devons rendre à Dieu est expressément enseignée dans ce passage en suivant cet enseignement, nous suivons celui de Jésus-Christ, qui exige de ses disciples, qu'adorant un Dieu qui est esprit, ils l'adorent en esprit et en vérité (Jean, IV); et celui de saint Paul qui, traçant aux Romains et aux Corinthiens le tableau d'une adoration parfaite et réglée sur les lois de la saine raison, rationabile obsequium (Rom. XII), les avertit de faire le bien, non seule ment devant Dieu par la pureté de leurs sentiments et le dévouement de leur cœur, mais aussi devant les hommes par la régularité et l'édification de leur conduite, providentes bona, non tantum coram Deo, sed etiam coram hominibus (II Cor. VIII). C'est ainsi que dans la première alliance les vrais adorateurs honoraient l'Etre suprême, ne se bornant pas à lui offrir des victimes et à fléchir le genou devant sa majesté infinie; mais se croyant obligés de plus à lui offrir le sacrifice d'un cœur contrit et humilié (Ps. L), et à le glorifier par la pureté de leur corps et l'innocence de leur âme. Lisez les Eléments de métaphysique sacrée et profane, par M. l'abbé Para. Item, Ebauche de la religion naturelle, par Wollaston, où sont clairement développés les principes de l'équité naturelle et de la nécessité des deux cultes, savoir, le culte intérieur et le culte solennel el public qui est dû à la Divinité.

V. —- Il ne suffit pas d'être chrétien, il faut etre un chrétien fervent et dévot.

Les gens de bien, dans le christianisme, n'é

prouvent-ils pas que cette persuasion confuse qui nous accompagne partout, que Dieu est présent en tout lieu, ne suffit pas pour résister aux tentations difficiles et pour ramener à leur devoir les passions tumultueuses et revoltées, mais qu'il faut se recueillir et s'alla cher attentivement à l'idée des grandeurs ¿ Dieu; et que si l'on remporte la victoire, c'est à cause qu'en la contemplant avec réflexion, on excite le respect, l'admiration et la crainte d'une majesté si souveraine et si parfaite (Pensées div., t. III).

N. Nous avouons qu'une foi faible, telle qu'elle est malheureusement dans un grand nombre de chrétiens, est presque une religion nulle, quant aux effets qu'elle peut produire. C'est ainsi qu'un homme qui a presque perdu toute honte et tout sentiment d'honneur est à peu près comme s'il n'en avait point du tout; et c'est le cas de dire parum reputatur pro nihilo; mais que s'ensuit-il de là? qu'il ne suffit pas d'avoir un peu de religion, mais qu'il en faut avoir le plus que l'on peut; comme ce n'est point assez d'avoir un peu d'honneur et un peu de probité, mais qu'il est essentiel d'en avoir beaucoup, et qu'on n'en saurait trop avoir.

Si donc il règne tant de déréglement dans le christianisme, ce n'est pas parce que la religion chrétienne n'est point capable de régler nos mœurs, mais parce qu'une foi faible, une foi mourante, une foi presque éteinte est nécessairement une foi stérile et inefficace; ranimez-la cette foi dans le recueillement de la méditation des grandeurs de Dieu, et vous reconnaîtrez aux victoires qu'elle vous fera remporter sur vos passions quelle est sa vertu et son efficace VI. — Les douceurs de la piété dédommagent les vrais dévots de tous les plaisirs du siècle dont ils se privent.

Un véritable chrétien se prive des plaisire du monde; ... mais on s'abuse grossièrement (si l'on croit qu'ils n'ont aucune satisfaction dans cette vie), car il n'y a point de douceurs dans le péché qui égalent les douceurs dont une ame dévote jouit dès cette vie (Pens. dir. t. II, p. 90).

N. 1. Le but que Bayle se propose par cette maxime, à laquelle il en ajoute beaucoup d'autres qui ne sont pas aussi vraies ni aussi édifiantes, est de montrer que les im pies n'ont aucun motif raisonnable pour détourner les hommes des pratiques de la religion; que le motif qu'ils allèguent quelquefois de délivrer leurs semblables d'un joug qui les rend malheureux, est un vain prétexte qui n'a ni ne peut avoir aucun fondement, les vrais chrétiens étant pour le moins aussi heureux sur la terre que le peuvent être ceux qui ont renoncé à leur religion; enfin il résulte de toutes les réflexions que fait Bayle dans cet article, que les impies qui se mêlent de faire des disciples n'y entendent rien; qu'ils devraient se contenter de jouir de leur prétendue sagesse, sans chercher, au risque de leur repos, à la communiquer aux autres, et qu'enfin il est très-vraisemblable que ce sont

ou des hommes vains qui ne se proposent que de faire parler d'eux, comme ce faquin qui brûla le temple des dieux, ou des hommes trompés qui se sont fait de fausses idées d'honnêteté et de générosité; ajoutons, ou des hommes honteux de penser autrement que les honnêtes gens, et qui, pour couvrir leur honte, voudraient que tout le monde pensât comme eux; intention perverse qui décèle toute la profondeur de leur méchanceté, nimis perverse errat, qui alios vult errare, ut error suus lateat (D. Hieronym.).

N. 2. Pour nous convaincre de plus en plus que Bayle ne doutait point des vraies douceurs qui accompagnent la piété chrétienne, lisons ce qu'il en dit ailleurs à l'occasion de M. de Bussy Rabutin et de madame de Sévigné. Le lecteur me passera cette longue citation que je n'ose abréger davantage, parce qu'on y voit et ce que Bayle pensait de la vertu des vrais chrétiens, et l'estime qu'en ont faite deux personnages du grand monde, infiniment recommandables par leurs talents, et enfin le jugement de Bayle sur l'excellent ouvrage d'Abbadie. M. de Bussy Rabutin se détacha peu à peu des vanités de la terre, il en comprit le néant, et il se trouva en fin tout pénétré de l'importance du salut et des vérités évangéliques. Les meilleurs chrétiens qui soient au monde ne pourraient pas être plus charmés que lui de l'excellent ouvrage de M. Abbadie sur la Vérité de la religion chrétienne..., il se résigna enfin à la providence de Dieu; lisez ce qu'il en écrivit le 26 de janvier 1680...: Pour

maux que cette providence m'a faits, en ruinant ma fortune, j'ai été longtemps sans vouloir croire que ce fut pour mon bien, comme le disaient mes directeurs, mais enfin j'en suis persuadé depuis trois ans, je ne dis pas seulement pour mon bien en l'autre monde, mais encore pour mon repos en celui-ci : Dieu me récompense déjà, en quelque façon, de mes peines par ma résignation, et je dis maintenant de ce bon maître ce que dans ma folle jeunesse je disais de l'amour:

Il paie en un moment un siècle de travaux :

Et tous les autres biens ne valeut pas ses maux.

Il écrivait cela à madame de Sévigné qui depuis longtemps lui avait communiqué une semblable pensée. Voici ses paroles: Ne vous semble-t-il pas que je me faufile avec les gens dévots autant que je puis? C'est en vérité que ie les trouve plus heureux et à la vie et à la mort, et que je voudrais bien attraper l'état où je les vois; c'est un vrai métier de malheureuse que celui de dévote, non seulement il console des chagrins, mais il en fait des plaisirs. Bayle conclut en disant : Ceci confirme ce que l'on a dit dans les Pensées diverses sur les comètes, et dans la remarque de l'art. Epicure (Ci-dessus, Pensées div., t. II, p. 90).

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bien manger et bien boire, bien jouir de tous les plaisirs des sens, préférer ses intérêts à ceux d'autrui, s'accommoder de tout ce qu'on trouve à sa bienséance, faire plutôt une injure que de la souffrir, se bien venger. Il ne faut pas prétendre que le commerce des méchants est ce qui inspire ces passions, elles paraissent non seulement dans les bêtes, qui ne font que suivre les instincts de la nature, mais aussi dans les enfants: elles sont antérieures à la mauvaise éducation; et si l'art ne corrigeait la nature, il n'y aurait rien de plus corrompu que l'âme humaine; rien en quoi tous les hommes se ressemblassent davantage, par un consentement unanime, qu'en ceci : C'est qu'il faut donner au corps tout ce qu'il souhaite, et satisfaire l'ambition, la jalousie, l'avarice et le désir de vengeance autant qu'on le peut.

N. Le paradoxe le plus choquant qui ait jamais été soutenu par des philosophes, est celui qui enseigne d'éloigner des enfants les leçons et les maîtres, et de les abandonner entièrement à la nature. Bayle lui-même, cet esprit si fécond en opinions nouvelles, ne se serait pas avisé de celle-là; et quoiqu'il fût de caractère à ne s'étonner de rien, la singularité de cette pensée extravagante l'aurait certainement surpris, et il en eût été scandalisé. Nous étions donc réservés à recevoir les premiers cet étrange enseignement! Et le siècle qui devait être le plus éclairé de tous les siècles, devait aussi donner l'exemple de la plus insigne folie qui ait été imaginée par l'esprit humain !... Eh! que voulezvous que la nature enseigne à votre enfant, si ce n'est à être vicieux? Le vice seul, disait Sénèque, n'a pas besoin de maître, comme les ronces et les épines n'ont pas besoin de culture. Il est vrai, dit ce vertueux philosophe, que l'homme nait avec le germe de toutes les vertus, omnium honestarum rerum semina animi nostri gerunt; mais c'est l'instruction, c'est une éducation sage qui peut les faire éclore, quæ admonitione excitantur; sans quoi attendez-vous qu'elles n'écloront, qu'elles ne fleuriront jamais ces heureuses dispositions avec lesquelles votre qui va s'éteindre pour jamais, si celui qui en fils est né sont une faible et légère étincelle est le dépositaire ne prend soin de l'animer par son souffle, et s'il ne lui aide à se développer et à s'étendre, non aliter quam scintilla flatu levi adjuta ignem suum explicat (Séneque, Ep. 95).

Depuis l'origine des siècles, personne que l'on sache n'avait encore eu la pensée d'élever ses enfants pour le vice et la débauche, hors un seul homme, dont le nom, couvert de honte, est lui-même un opprobre, c'est l'empereur Héliogabale : ce prince infâme chassa de sa cour tous les sages, et défendit, sous peine de mort, qu'aucun d'eux n'approchât de son fils, de peur, disait-il, qu'on ne gâtât son jeune cœur par des leçons de modestie et de sagesse, et qu'on n'en fit un homme raisonnable, ridiculas allegans causas, quod filium ejus corrumperent, neque agitare cum choros atque ebacchari sinerent, sed ad modestiam componerent et virilia officia edocerent

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