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V. Nécessité d'une ferme répression. — Dungers de l'impunité
ou de l'excès d'indulgence.

De ce qui précède il ne faudrait pas conclure que la poésie latine se montrât de facile composition à l'égard des coupables, ni qu'elle prit parti pour eux contre la loi pénale. Bien loin de là: elle ne manquait pas à l'occasion, comme on va le voir, de faire entendre ses plaintes contre l'excès d'indulgence et d'appeler l'attention des gouvernants et des juges sur les dangers de l'impunité, sur la nécessité d'un régime de ferme répression.

<< Est-on bien venu à gémir de la perversité du siècle, disait Horace, quand on ne coupe pas le crime dans sa racine par des châtiments exemplaires ?>>

Quid tristes querimonia,

Si non supplicio culpa reciditur?

(Od., III, 24.)

« Que ceux-là, ajoutait-il, qui tiennent à mériter le glorieux titre de père de la patrie et à le voir inscrit sur leurs statues, osent refréner cette licence indomptée qui produit tant de méfaits et fait répandre tant de sang : >>

O! siquis volet impias

Cædes et rabiem tollere civicam,

Si quæret Pater urbium

Subscribi statuis, indomitam audeat

Refrænare licentiam.

(Ibid.)

D'autres poëtes s'élevaient avec Horace contre l'extrême tolérance de la justice, qui souvent laissait passer impunis et la tête haute des coupables qu'elle eût dû frapper sans ménagement :

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Et ce n'était pas seulement en cas de complète impunité

que les poëtes se récriaient ainsi ; à leurs yeux l'insuffisance de répression équivalait presque à l'exemption de toute peine, lors, par exemple, que la légèreté du châtiment contrastait avec la gravité du crime :

Pœna minor merita. . .

Nec par pœna tamen sceleri.

(Ov., Amor., II, 2.)

(SIL. ITAL., XIII.)

Dans une tragédie de Sénèque, un grand coupable s'étonnait de n'avoir à subir qu'une peine de courte durée pour réparation des forfaits dont il s'accusait :

. . . Itane tam magnis breves

Pœnas sceleribus solvis?. . .

(OEdip.)

Juvénal reprochait une pareille insuffisance à celle qu'on avait prononcée de son temps contre un autre grand criminel, qui, heureux de sa condamnation,

Jouissait du ciel même irrité contre lui :

.. Et hic damnatus inani

Judicio (quid enim salvis infamia nummis ? )
Exul ab Octava Marius bibit, et fruitur Dis

Iratis; at, tu, victrix provincia, ploras.

Ce Marius, dont parle ici Juvénal, était un proconsul d'Afrique, qui sous le règne de Trajan avait commis dans son gouvernement de graves et nombreuses exactions, et que le sénat avait condamné pour ce fait à l'exil, sur la plainte de la province, dont la cause avait été soutenue par Pline le jeune. La peine était infamante; mais, comme le coupable avait été laissé par le sénat en possession de tous ses biens, il jouissait, dans son exil, du fruit de ses déprédations et se riait ainsi du succès illusoire de ses accusateurs, qui en réalité n'avaient obtenu aucune réparation (1).

On était bien autorisé à qualifier d'illusoires de semblables

(1) Il est rendu compte dans une lettre de Pline le jeune (II, 2) de l'accusation portée contre ce Marius Priscus et ses complices, ainsi que des débats et de la condamnation.

peines, et même à en dire, avec Sénèque, qu'elles étaient tout profit pour le condamné :

Hæc pœna in lucro est.

(Troas.)

En effet, elles ne produisaient aucune intimidation. L'inanité du châtiment passait pour de la tolérance. Aussi les mêmes abus et les mêmes scandales se renouvelaient incessamment. A peine un gouverneur de province avait-il été puni de la sorte, que le successeur recommençait à pressurer ses administrés et les dépouillait du peu que leur avait laissé son devancier. C'est ce que notait Juvénal dans cet autre passage de ses satires :

. . . Quam fulmine justo,

Et Capito et Numitor ruerint, damnante senatu,
Piratæ Cilicum! sed quid damnatio confert,

Quum Pausa eripiat quidquid tibi Nasta reliquit?

(Sat. 8.)

Les funestes conséquences de la facilité avec laquelle on excusait certains actes, qui méritaient une répression exemplaire, sont encore signalées dans les deux vers sui

vants :

Criminis indultu secura audacia crevit.

(Anthologia.) (CLAUD.)

Et ruit in vetitum damni secura libido.

« Assuré qu'il est de son impunité, portent ces textes, le crime a redoublé d'audace. Les mauvaises passions se jettent dans tous les désordres, sans crainte du châtiment. »>

Ceci, sans aucun doute, s'entendait particulièrement, comme les passages qui précèdent, des méfaits commis par des hommes appartenant aux classes élevées de la société; car la justice répressive n'épargnait guère les criminels de bas étage. La législation pénale d'ailleurs, je le montrerai plus loin, se prêtait à ces ménagements pour les coupables de haute condition, et les plaintes qu'on vient de lire ne s'élevaient pas moins contre cette législation que contre les juges chargés de l'appliquer.

Parmi les représentants de la poésie latine, il en est un surtout qui s'attachait à mettre en lumière les dangers de ce régime de laisser faire et d'excessive indulgence: c'est Publius Syrus.

On trouve éparses dans le recueil des sentences de ce mimographe celles qui vont suivre, et qui toutes, sous des expressions diverses, se résument à dire que l'impunité est une prime d'encouragement donnée aux malfaiteurs : Nisi vindices delicta, improbitatem adjuvas.

Qui dubitat ulcisci, improbos plures facit.
Qui culpæ ignoscit uni, suadet pluribus.
Sæpe ignoscendo, das injuriæ locum.
Patiendo multa, veniunt quæ nequeas pati.

Invitat culpam, qui delictum præterit.

Veterem ferendo injuriam, invites novam (1).

Si Publius Syrus, qui écrivait sur la fin du septième siècle de Rome, revenait avec tant d'insistance sur la même pensée, s'il la reproduisait avec ce luxe de variantes, c'est que apparemment, à cause de l'insuffisance de la législation criminelle de l'époque, nombre d'attentats demeuraient impunis. Ces réflexions du poëte étaient donc autant d'avertissements donnés au législateur.

Voici d'autres sentences dans lesquelles il exprime qu'épargner les méchants c'est nuire aux bons; que d'ailleurs on n'y gagne rien; que c'est l'intimidation, et non la clémence, qui contient les malfaiteurs, et qu'à l'exemple du médecin qui redouble de rigueur dans ses prescriptions quand le malade est intempérant, on doit comprimer par le mal ceux qu'on ne peut maintenir par la douceur :

Parcit quisque malis, perdere vult bonos.

Bonis nocet, quisquis pepercit malis.

(1) Ces sentences de P. Syrus ont été imitées par nos poëtes dans les vers suivants :

Qui pardonne aisément invite à l'offenser.

(CORNEILLE, Cinna.)

Une faute impunie en fait commettre deux.

(BOURSAULT, Esope à la cour.)

On a dit aussi proverbialement dans le même sens : « Post folia cadunt arbores. » Après les feuilles tombent les arbres,

MOEURS JURID. LT JUD:C. - T. II.

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Metus improbos compescit, non clementia.
Crudelem medicum intemperans æger facit.

Quem bono tenere non potueris, contineas malo.

On peut citer encore dans le même sens les extraits suivants de Plaute et de Phèdre :

Vindicate, ne impiorum potior sit pollentia

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Il résulte manifestement de tous ces extraits que si la poésie latine, par la voix de ses plus éminents organes, réclamait une graduation des peines équitablement mesurée sur la gravité des délits, elle était loin de favoriser l'impunité; que, tout au contraire, elle se prononçait ouvertement contre l'imprévoyance des lois pénales et contre les défaillances des tribunaux répressifs, et qu'elle n'épargnait pas les arguments pour démontrer la nécessité d'un système de pénalités empreint d'une juste et salutaire rigueur.

De ces idées générales émises par les poëtes sur le but et les principes constitutifs de la législation criminelle, passons à l'exposé des remarques qu'ils ont faites sur les diverses espèces de crimes et délits, sur leurs caractères distinctifs, et sur leurs circonstances aggravantes ou atténuantes.

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