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Ce poëte en effet s'est appliqué à dépeindre dans son martyrologe les diverses espèces de tortures qu'avaient subies des chrétiens en expiation de leur persistance dans la nouvelle foi religieuse dont ils faisaient profession. Le martyre avait commencé pour eux dès le règne de Néron. Il est dit dans les Annales de Tacite qu'on se faisait un jeu de leur mise à mort; que tantôt on les couvrait de peaux de bêtes sauvages pour les faire dévorer par des chiens; que tantôt on les clouait à une croix ; que parfois même, après les avoir enduits de matières inflammables, on les faisait brûler en guise de torches pendant la nuit : «Et pereuntibus addita ludibria, « ut, ferarum tergis contecti, laniatu canum interirent, aut «< crucibus affixi, aut flammeandi, atque, ubi defecisset dies, << in usum nocturni luminis urerentur. » (XV, 44.)

Ces quelques lignes de l'historien, confirmées par Suétone (chap. XVI), n'en disent-elles pas plus encore que les récits de Prudence, et ne montrent-elles pas que l'application de toute espèce de supplice était licite contre certains justiciables livrés au pouvoir discrétionnaire du juge? Au reste, ce n'était pas seulement à l'égard des chrétiens que l'on sévissait de la sorte. Surtout aux époques de proscription, de guerres civiles, et de violentes réactions politiques, nul n'était à l'abri de ces extrêmes rigueurs. On peut même croire, d'après un texte de Juvénal, que les chrétiens n'étaient pas seuls exposés à être brûlés de la manière indiquée par la citation qu'on vient de lire: «Si vous osez, dit le poëte, vous attaquer à Tigellinus, nom sous lequel il désigne un favori de Domitien, on fera de vous une de ces torches qui brûlent et fument tout debout, attachées à un pal enfoncé dans la gorge : »

Pone Tigellinum. . . tæda lucebis in illa

Qua stantes ardent qui fixo gutture fumant.
(Sat. 1.)

Il faut dire pour l'intelligence de ces deux vers que le patient, enduit de poix et de bitume, était lié à un pal qu'on faisait pénétrer dans sa gorge, sous le menton, de telle sorte qu'il ne pût baisser la tête et fût obligé de se maintenir tout droit, afin de mieux remplir son office de torche. C'est ainsi

qu'on brûlait les martyrs. Mais la réflexion de Juvénal donne lieu de supposer que d'autres condamnés au feu subissaient leur supplice de la même manière. Elle prouve d'ailleurs que les poëtes traitaient ces tristes détails en historiens fidèles à la réalité des choses.

Que ces poëtes eussent en horreur de pareilles atrocités répressives, il n'est pas permis d'en douter. S'ils s'attachaient à les buriner dans leurs œuvres, c'était évidemment pour vouer à l'exécration publique ceux qui s'en rendaient coupables. Tous maudissaient cette justice sauvage qui semblait prendre plaisir à multiplier les tortures, à prolonger le supplice et l'agonie du patient, à retourner, comme dit Ovide, le poignard dans ses plaies, et à faire de nouvelles blessures dans ses blessures mêmes :

Versavitque manus, vulnusque in vulnere fecit.

(Metam.)

Pour certains crimes, tels que le parricide, ils ne désapprouvaient pas une aggravation des douleurs du dernier supplice; mais en général tout ce qui était au delà de la mort simple leur paraissait pure cruauté :

Omitte pœnas languidas longæ more.

(SEN., Thebais.)

Ils ne voulaient point de ces exemples appelés par TiteLive: « Exemplum parum memor legum humanarum, » point de ces tortures qui traînent la peine en longueur, « quæ pœnam trahunt, » suivant l'expression de Sénèque. C'est assez visible d'après les extraits qui précèdent.

Du reste, pas un d'eux, que je sache, ne protestait contre la peine de mort en elle-même, contre le droit qu'a la société de retrancher de son sein tout coupable dont la vie ou l'impunité serait un danger pour elle. Je ne crois pas qu'il se puisse trouver dans leurs œuvres un seul argument en faveur du système contraire. Cela me paraît utile à

noter.

Une autre observation ressort de cette revue des divers supplices usités dans l'antiquité, c'est que ces exemples de pénalités atroces n'ont malheureusement pas été perdus

pour les temps modernes. Il ne faudrait pas remonter bien haut dans l'histoire de notre justice criminelle pour y trouver la preuve qu'elle s'était approprié et qu'elle appliquait fréquemment la plupart des moyens de torture, dont je viens de retracer le lugubre tableau, et qu'elle en avait même cruellement perfectionné quelques-uns.

II. Peine des travaux forcés aux mines, ou in opus publicum.

La peine des travaux forcés aux mines n'était guère moins rigoureuse que la peine capitale. Du moins considérait-on que les condamnés qui la subissaient étaient grandement exposés à périr d'une mort lente, surtout lorsqu'ils étaient employés à l'extraction du minerai d'or et d'argent.

Ne savez-vous pas, disait Lucrèce, quelles exhalaisons pestilentielles respirent ceux qui fouillent les entrailles de la terre pour y découvrir des filons d'or ou d'argent? Ne remarquez-vous pas comme leur visage s'altère, et n'avez-vous pas ouï dire que les malheureux qui sont contraints à subir de pareils travaux n'ont que peu de temps à vivre et succombent fatalement dans un bref délai?

Denique ubi argenti venas aurique sequuntur,
Terraï penitus scrutantes abdita ferro,
Quales exspirat Scaptesula subter odores,
Quidve mali fit ut exhalent aurata metalla,
Quas hominum reddunt facies, qualesve colores
Nonne vides? Audisve perire in tempore parvo
Quam soleant, et quam vitaï copia desit
Quos opere in tali cohibet vis magna ?

(Lib. 6.)

Ainsi, suivant Lucrèce, c'était une opinion reçue de son temps qu'on envoyait véritablement à la mort la plupart des condamnés à la pœna metalli. Cette opinion, on le conçoit, je ne l'apprécie pas au point de vue médical, et me borne à la produire ici comme témoignage du degré de sévérité que l'on attachait à ce genre de châtiment:

De même que les forçats de notre temps, les condamnés aux travaux publics portaient des fers aux pieds et trainaient une chaîne. Ovide constate le fait dans ce passage de

l'une de ses épîtres ex Ponto, où, parlant de l'espérance, qui toujours soutient les malheureux, même dans les situations les plus désespérées, il dit que le fossor ne perd jamais l'espoir d'être débarrassé de ses liens, et que c'est là ce qui lui fait supporter sa misérable existence :

Hæc (spes) facit ut vivat vinctus quoque compede fossor,
Liberaque a ferro crura futura putet.

(Ex Ponto, I, 6.)

Cette appellation de fossor était, je pense, une de celles par lesquelles on désignait les condamnés employés à l'exploitation des mines. Je crois aussi que c'est de ces mêmes condamnés que parle Juvénal dans le passage suivant de sa onzième satire, où il dit que de son vivant il n'était pas jusqu'au fossor, couvert de haillons et chargé de chaînes, qui ne dédaignât les légumes dont se nourrissait Curius:

.. Oluscula quæ nunc

Squallidus in magna fastidit compede fossor.

J'ajoute que dans certaines provinces de l'empire on employait les condamnés in opus publicum à des travaux dans les bains, à la vidange des égouts, à la réparation des routes et des rues. Le fait est ainsi constaté par Pline le jeune « Solent ii ejusmodi (damnati) ad balineum, ad pur«<gationem cloacarum, item munitiones viarum et vicorum << adhiberi.» (Epist. ad Traj., X, 41.)

III. Autres punitions corporelles. — Flagellation.

Sur la pratique des punitions corporelles, telles que la flagellation et la fustigation, la poésie latine nous fournit quelques indications qui autorisent à penser qu'elle appréciait peu ce genre de peines.

En effet, rien ne devait être plus sujet à l'abus. Dans l'esprit des législateurs la fustigation et la flagellation n'étaient que des peines correctionnelles, puisqu'ils les appelaient fustium admonitio, flagellorum castigatio; mais dans l'exécution elles étaient souvent un véritable supplice, alors surtout que cette exécution se faisait par les mains de bourreaux pareils à ceux que Plaute, dans un passage cité plus haut, qualifie de tortores acerrimi. Les citations suivantes, qui ont

trait à la manière dont se pratiquaient l'une et l'autre corrections, pourront donner une idée de leur douceur :

Et mea crudeli laceravit verbere terga,

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On comprend qu'appliquée de la sorte sur un sujet de faible complexion, la correction pouvait et devait assez fréquemment aboutir à un résultat mortel, comme dans le cas indiqué par ce fragment de poésie :

Ad mortem cæsus.

Flagellis

Anciennement on flagellait même des citoyens romains. J'ai noté plus haut qu'au début de la république les deux fils de Brutus avaient passé par les verges avant d'être décapités; d'où il me semble résulter que cette peine était ordinairement l'accessoire ou le préalable d'une exécution capitale. Mais plus tard, par les lois Porcia et autres, les citoyens de Rome en furent affranchis; elle ne demeura plus applicable qu'aux coupables d'une condition inférieure. Et à ce propos je dois faire une observation, qui m'est suggérée par un passage d'Horace; c'est que, lorsqu'un condamné devait être frappé de verges, un crieur public proclamait à haute voix le crime qui allait être expié. Ce passage, sur lequel je reviendrai plus loin, est ainsi conçu :

Sectus flagellis hic triumviralibus

Præconis ad fastidium.

(Epod., IV., 4.)

Le poëte parle ici d'un riche et puissant affranchi, qui alors qu'il était esclave avait subi de nombreuses flagellations et lassé la voix du crieur public, chargé de proclamer ses méfaits (1).

(1) En Algérie, où l'on retrouve la trace de beaucoup de coutumes romaines, cet usage existait avant 1830. Je l'ai même vu se pratiquer encore en 1841, à l'occasion de l'exécution capitale d'un indigène. Un crieur public le précédait, dans le trajet de la prison au lieu du supplice, et criait à haute voix en langue arabe la cause de sa condamnation. Il y avait véritable

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