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droit. Juvénal entrait mieux dans les vrais principes lorsqu'il écrivait sur le même sujet ces beaux vers que chacun connaît:

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Ambiguæ si quando citabere testis
Incertæque rei, Phalaris licet imperet ut sis

Falsus, et admoto dictet perjuria tauro,

Summum crede nefas animum præferre pudori.

Mais cet éloquent appel à la sincérité des déclarations testimoniales était impuissant à moraliser des hommes qui s'étaient fait un jeu du faux témoignage, et dont quelquesuns le pratiquaient comme une profession.

Dans un temps où, comme je l'ai dit déjà, la preuve orale tenait la plus large place parmi les moyens d'instruction des procès, en matière civile comme en matière criminelle, ce devait être là une des plus honteuses plaies de la justice. Les efforts que firent aux diverses époques du gouvernement romain les législateurs et les jurisconsultes pour raffermir l'autorité de cette preuve et pour en améliorer les éléments, prouvent assez qu'ils n'y avaient guère plus de foi que les poëtes et qu'à leurs yeux elle n'était rien moins qu'un infaillible critérium. Ils la maintinrent cependant, car ils la jugeaient indispensable : « Testimoniorum usus frequens « ac necessarius est, disait le Digeste» (1).

Si peu de confiance qu'elle leur inspirât, les poëtes l'admettaient également, parce que le plus souvent on ne pouvait s'en passer du moins ne la repoussaient-ils pas d'une manière absolue.

Voici quelques règles qu'ils ont posées en cette matière : Un seul témoin oculaire, dit Plaute, vaut mieux que dix témoins auriculaires :

Pluris est oculatus testis unus, quam àuriti decem (2).

(1) Cette preuve avait également prévalu dans notre droit coutumier, malgré tous les dénigrements dont elle était l'objet; car l'une de ses règles était que témoins passent lettres.

(2) De là ces deux proverbes cités par Loysel, dans ses Maximes du droit coutumier :

Un seul œil a plus de crédit
Que deux oreilles n'ont d'audivi.
Témoin qui l'a veu est meilleur
Que cil qui l'a ouy, et plus seur.

Pourquoi? Parce que, dit-il encore, les témoins auriculaires ne font que rapporter ce qu'ils ont ouï dire, tandis que les témoins oculaires savent de science personnelle et certaine ce dont ils rendent compte :

Qui audiunt, auditu dicunt; qui vident, plane sciunt.

A quoi se peut ajouter cette autre raison donnée par Térence, à savoir qu'il n'est guère de récit qui, passant de bouche en bouche et souvent mal reproduit, ne finisse par se dénaturer :

Nihil est quin, male narrando, possit depravarier.

Publius Syrus accordait aussi aux témoins de visu toute préférence sur les témoins de auditu. « On doit en croire les yeux plus que les oreilles, » écrivait-il dans l'une de ses

sentences:

Oculis habetur quam auribus major fides.

C'est ce que répétait Sénèque le philosophe : « Homines << amplius oculis quam auribus credunt. » (Epist. VI. )

Phèdre disait aussi dans le même sens qu'il fallait se garder de baser sa conviction sur une simple opinion émise par un tiers dont on n'avait pu apprécier par soi-même la moralité et cela parce que les hommes sont souvent portés par leur intérêt à témoigner sous l'inspiration de la faveur ou de la haine :

Opinione alterius ne quid ponderent;
Ambitio namque dissidens mortalium
Aut gratiæ subscribit, aut odio suo.
Erit ille notus quem per te cognoveris.

(III, 10.)

Ce poëte voulait donc qu'on se renseignât exactement sur le degré de confiance que pouvaient mériter les témoins.

C'est en effet ce que recommandait la jurisprudence; elle donnait aux juges le conseil de s'enquérir exactement de la position sociale des témoins produits, des garanties de probité qu'ils pouvaient offrir, et de vérifier s'ils se trouvaient dans des conditions d'impartialité vis-à-vis des parties pour ou contre lesquelles ils étaient appelés à déposer.

Le titre du Digeste De testibus contient ces recommandations, en conformité desquelles il fut défendu par la loi Julia de judiciis publicis d'entendre comme témoins les parents ou alliés des parties jusqu'au degré de cousins issus de germains, de même que les affranchis dans les affaires intéressant leurs patrons, et réciproquement.

Mais bien qu'il fût admis en règle que les témoins ne devaient déposer que de ce qu'ils avaient vu ou de ce qu'ils savaient par eux-mêmes, on leur posait les questions dans des termes qui leur laissaient une grande latitude pour se tenir plus ou moins en dehors de la vérité. On lit dans Cicéron (Academ. quæst., IV, 47) une formule d'interrogation ainsi conçue : « S. Tempane, quæro ex te arbia trarisne C. Sempronium Cos. in tempore pugnam inisse? » A quoi le témoin répondait simplement : « Arbitror ou non arbitror.» Je suppose cependant que si du vivant de Cicéron on s'en tenait encore à cette formule si peu compromettante pour le déposant, dans la suite, comme l'indique ce mot de Juvénal, « dices sub judice « vidi », on exigea plus de précision dans les déclarations affirmatives ou négatives.

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Quoique préférant les témoins qui avaient vu à ceux qui n'avaient que ouï dire, les poëtes n'entendaient pas assurément que la culpabilité d'un accusé ne se pût établir que par des témoignages de visu; ils ne partageaient pas en ce point l'incrédulité de Procnis, qui, atteinte d'un trait imprudemment lancé par son mari, ne voulut pas croire que celui-ci fût l'auteur du fait, ni le déclarer coupable de ce délit, parce qu'elle n'avait pas vu de ses yeux la main qui avait causé sa blessure:

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Ils reconnaissaient, au contraire, que tout pouvait faire

preuve, les témoignages indirects comme les témoignages directs; qu'en certains cas, par exemple, la commune renommée suffisait à la démonstration du fait nié par l'accusé,

Ipsa quidem fecisse negat, sed fama recepit;

(Ov., Fast., VI.)

et que de simples indices, qui pris isolément n'avaient aucune force probante, pouvaient, étant groupés et réunis en faisceau, opérer pleine conviction par leur multiplicité, par leur ensemble et leur concordance :

Tot concurrunt verisimilia.

(TER., Adelph., IV, 4.)

Sur ce dernier point, il existe une sentence d'Ovide qu'on peut citer comme règle; c'est celle-ci :

Sed quæ non prosunt singula, multa juvant.

(Remedia amoris.)

Elle se complète par cet autre vers, qui en est la contrepartie, et dont l'auteur m'est inconnu :

Et quæ non lædunt singula, multa nocent.

Quintilien définissait de même la preuve par indices: a Isolées, disait-il, les présomptions ont peu de poids; mais leur réunion est écrasante. Si elles ne produisent pas l'effet de la foudre, elles produisent celui de la grêle: <«< Singula « levia sunt et communia; universa vero nocent, etiam si non <«< ut fulmine, tamen ut grandine. »>

En ceci encore les poëtes étaient d'accord avec le droit, qui, lui aussi, admettait la preuve indirecte aussi bien que la preuve directe, pourvu qu'elle fût de nature à ne laisser aucun doute dans l'esprit du juge et à rendre impossible la disculpation de l'accusé: «Ut omnium qui interrogationibus « fuerint dediti, in unum conspirante concordanteque testi«monio, ita convictus sit reus..., ut vix ipse ea quæ commi«serit negare sufficiat. » (Cod.)

Il n'est pas question dans les poésies de la preuve par titres; elle était cependant aussi très-usitée dans les pro

cédures criminelles, et principalement dans celles qui s'instruisaient pour cause de péculat. Dans celles-ci, les accusateurs étaient autorisés à compulser les registres de l'accusé, ses tabulæ dati et expensi, les tabulæ auctionariæ, etc. En toutes autres affaires, ils pouvaient aussi produire à l'appui de l'accusation toute espèce d'écrits ou de titres, tels que les pactiones, literæ, syngrapha. Les pièces étaient remises par eux au préteur, après avoir été cotées et paraphées, adsignatæ. Ajoutons qu'ils avaient aussi la faculté de faire usage de dépositions écrites, lorsque les témoins ne se présentaient pas en personne. Tout ceci est attesté par les Verrines de Cicéron, et l'on en peut conclure que dans certaines causes les informations préparatoires devaient être assez développées.

Toutefois, ce que je viens de dire des moyens de vérification de la culpabilité des accusés s'applique à l'instruction orale qui avait lieu devant le tribunal appelé à statuer sur l'accusation, plus encore qu'à celle qui se pouvait faire en dehors de l'audience soit par un magistrat enquêteur, soit par les accusateurs; car je suis bien loin de supposer qu'il ait été de coutume chez les anciens de procéder à des informations aussi complètes et aussi soigneusement élaborées que celles qui se pratiquent de nos jours. Il me paraît au contraire trèsprobable que l'instruction préliminaire, lorsqu'elle avait lieu, se bornait généralement à l'interrogatoire de l'inculpé, ainsi qu'à la recherche des témoins et des éléments matériels de conviction, et que la preuve se produisait sans préjugé d'aucune sorte au grand jour des débats publics.

Je suis ainsi amené à m'occuper du jugement des procès criminels et de ses suites, ou plutôt à rapporter ce que m'ont appris les classiques latins, et principalement les poètes, sur l'organisation des juridictions répressives, sur la inanière dont elles étaient saisies des affaires de leur compétence et sur les formes de procéder qui s'observaient devant elles.

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