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Juvénal n'étendait pas aussi loin que Martial les devoirs du dévouement pour la cause d'un accusé auquel on était attaché par les liens de l'amitié; mais il admettait qu'un sentiment naturel de sympathie devait porter ses amis à partager son deuil et à pleurer son malheureux sort :

Plorare ergo jubet (natura) causam dicentis amici
Squalloremque rei . . .

(Sat. 15.)

Il y avait donc quelque chose de très-défavorable dans la position d'accusé.

Mais du moins reconnaissait-on que nul ne pouvait être condamné sans avoir été exactement informé de ce dont il était inculpé, et mis en mesure de se défendre : « Inaudita « causa quemquam damnari æquitatis ratio non patitur. » Ainsi s'exprimait la règle légale.

Même aux époques les plus tyranniques du gouvernement romain, cette règle était assez généralement respectée, lorsque les accusés étaient mis en jugement, et qu'on n'usait pas envers eux du procédé plus expéditif que voulaient employer les accusateurs de Messaline, lequel consistait à la frapper comme condamnée, avant même qu'elle eût été mise en accusation : « Posse opprimi damnatam, antea quam ream. » (TAC., Annal., II, 28.) Voici un exemple remarquable de ce respect du droit de la défense. Faustus, délateur de profession, ayant été dénoncé et traduit à son tour devant le sénat quelque temps après la mort de Néron, on proposa de l'envoyer à la mort, sans même lui permettre de se défendre, tant il était odieux à tous. Mais l'avis contraire prévalut; et quoique sa culpabilité ne fût douteuse pour personne, quelques jours de délais lui furent accordés, et son affaire fut instruite dans les formes ordinaires : « Traxeratque magnam senatus partem ut inau<< ditum dedi ad exitium postularent. Contra, apud alios, << nihil æque res proderat, quam nimia potentia accusa« toris dari tempus, edi crimina, et quamvis invisum et « nocentem, more tamen audiendum censebant. Et valuere a primo, dilataque in paucos dies cognitio... » (TAC., Hist., 16.)

Le droit de défense était donc, en principe, considéré comme inviolable; mais, comme, en fait, il fut sans doute fréquemment méconnu dans le cours des siècles, on ne doit pas s'étonner de rencontrer dans les poésies quelques protestations, telles que celles qui vont suivre, contre la violation dont il était l'objet :

... Proh Deum atque hominum fidem! Hoccine pacto indemnatum atque intestatum me arripi!

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Dans ces divers textes il est fait appel à la règle précitée, aux termes de laquelle nul ne peut être mis en accusation sans qu'on lui ait fait connaître ce dont il est accusé, ni condamné sans avoir été entendu. Si donc les poëtes exigeaient que la défense fùt sérieusement justificative, ils entendaient aussi que toute latitude lui fût laissée.

C'était généralement par des avocats qu'elle était présentée. Jusqu'au temps de César, rarement un accusé fut admis à en faire entendre plusieurs pour le soutien de sa cause. Mais après les guerres civiles de cette époque, et même encore du vivant de Cicéron, il eut, de même que les accusateurs, la faculté de se donner un nombre indéfini de défenseurs. M. Scaurus n'en eut pas moins de six, parmi lesquels figuraient Cicéron et Hortensius. D'autres accusés en eurent jusqu'à douze, dont la plupart, je pense, n'étaient là que pour le conseil.

Ordinairement, entre l'action des avocats de l'accusateur et celle des avocats de l'accusé, il s'écoulait un délai de quelques jours, afin de laisser à ces derniers le temps de se préparer à combattre les témoignages et les arguments produits à l'appui de l'accusation. L'accusé usait de ce délai

pour se procurer des laudatores, c'est-à-dire des témoins à décharge, qui d'habitude étaient au nombre de dix; l'avocat les faisait intervenir tantôt avant, tantôt pendant, tantôt après sa plaidoirie, laquelle se prolongeait souvent durant plusieurs audiences, lorsque l'affaire comportait de longs développements.

Je rapporterai, du reste, dans la dernière partie de ce livre les observations de mes auteurs sur la manière dont ces défenseurs s'acquittaient de leur mandat.

Pour ce qui concerne les divers moyens d'instruction auxquels il était le cas échéant procédé à l'audience, à la suite des plaidoiries, savoir: l'examen de l'accusé, les dépositions des témoins, sur lesquelles s'engageait l'altercatio ou la discussion des témoignages, l'épreuve de la question, etc., je ne puis que renvoyer le lecteur au chapitre relatif à l'instruction criminelle, où j'ai rassemblé tous ceux de mes documents qui s'en expliquent, et j'arrive à parler du jugement et de ses formes.

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Les plaidoiries terminées de part et d'autre, si dans le cas dont il s'agissait la loi n'accordait qu'une seule action, les juges étaient immédiatement appelés à se prononcer sur l'accusation. Ils jugeaient alors primo cœtu, comme il est dit dans ce passage de l'Auctor ad Herenn. (IV, 36): « Vos veriti estis, si primo cœtu condemnassetis, ne crudeles << existimaremini. » Si, au contraire, la loi autorisait dans l'espèce la comperendinatio, c'est-à-dire le renvoi à quelques jours du prononcé de la sentence, l'affaire pouvait être. continuée, et le surlendemain l'action recommençait des deux parts; mais cette fois, c'était l'accusateur qui avait la parole le dernier.

Le moment arrivait enfin où le præco faisait entendre le mot sacramentel dixerunt. A cet instant, les juges se levaient pour procéder au vote.

Quelles étaient les formes de ce vote?

Quand l'affaire était de peu d'importance, la sentence se prononçait ouvertement, d'après les bulletins de suffrage : elle s'appelait, dans ce cas, lata sententia.

Il en était autrement pour les accusations qui pouvaient entraîner l'application d'une peine capitale; pour celles-là, les formes de votation me paraissent avoir varié suivant les temps et les institutions. Mais ce qu'on voit toujours figurer comme image symbolique du jugement, c'est l'urne destinée à recueillir le vote'secret des juges qui avaient à statuer sur la question de culpabilité. La poésie donnait même habituellement le nom d'urna, à la justice répressive; elle est ainsi désignée dans ces deux fragments de Silius Italicus et de Claudien :

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Très-anciennement, suivant Ovide, c'était avec des cailloux blancs et noirs que l'on votait, et si la somme des noirs l'emportait sur celle des blancs, la condamnation devait s'ensuivre :

Mos erat antiquus nigris albisque lapillis

His damnare reos, illis absolvere culpa.

Tunc quoque sic lata est sententia tristis, et omnis
Calculus immitem demittitur ater in urnam,

Quæ simul effudit numerandos versa lapillos.

(Metam., XV, 1.)

Il semble que ce mode de votation judiciaire se pratiquait encore dans le siècle de Martial; car ce poëte en parle comme d'une pratique usitée de son vivant. On lit dans l'une de ses épigrammes :

Et si calculus omnis huc illuc
Diversus bicolorque digeratur,
Vincet candida turba nigriorem.

(XII, 34.)

Mais déjà on avait essayé d'autre chose à une époque antérieure ; au lieu de cailloux ou de boules, on distribuait à

chacun des juges trois tablettes. Sur l'une était inscrite la lettre A, qui voulait dire absolvo; sur l'autre, la lettre C, qui voulait dire condemno, et sur la troisième, les deux lettres NL, pour non liquet. Ceux qui étaient d'avis de l'absolution mettaient dans l'urne la première; ceux qui condamnaient, la seconde; ceux qui doutaient, la dernière. Chaque classe de juges avait son urne particulière.

Un poëte du siècle d'Auguste, Properce, fait mention de ce vote par tablettes ou par bulletins portant des lettres:

Quamlibet austeras de me ferat urna tabellas.

(IV, 11.)

C'est la preuve qu'il était d'usage à cette époque.

Sous Domitien, la tristis littera, nom que l'on donnait à celle des initiales qui exprimait la déclaration affirmative de culpabilité, était le theta grec. Le fait est attesté par Perse et Martial dans les deux extraits suivants, dont le dernier indique qu'on employait cette lettre depuis peu, comme signe de condamnation :

Et potis es nigrum vitio præfigere theta.

(Pers., IV.)

Nosti mortiferum quæstoris, Gallice, signum?
Est operæ pretium discere theta novum.
(Mart.)

Je complète ces indications par un passage des Métamorphoses d'Apulée, qui écrivait sous les règnes d'Adrien et de Marc-Aurèle. Voici comment cet auteur décrit le mode de votation sur une accusation capitale : « Quum jam sen«<tentiæ pares cunctorum stylis ad unum sermonem con« gruentibus ex more perpetuo in urnam æream debebant «< conjici ; quo semel conditis calculis, cum rei fortuna tran« sacto nihil postea commutari licebat, sed mancipabatur « potestas in manum carnificis... » (Metam., 10.) Il n'est pas là question du theta novum: peut-être, à l'époque où Apulée écrivait ses Métamorphoses, cette innovation ne s'était-elle pas introduite dans la province où cet auteur faisait fonctionner son tribunal criminel; mais on y voit apparaître et l'urne, dont l'usage était général et inva

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