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souvent les plaideurs, afin de s'épargner les longueurs et les frais d'un procès en règle, y recouraient, d'un commun accord, de préférence à celle du préteur et des juges désignés par lui.

Il me paraît cependant que déjà du temps de Térence ces tribunaux conciliateurs n'avaient plus guère pour clientèle que les gens sages, toujours en minorité.

Dans les comédies de Plaute, les compromis aboutissent d'ordinaire à une amiable composition. On y voit même s'opérer des transactions, sans intervention d'un arbitre. Dans les Bacchides, par exemple, un personnage, afin de s'épargner un procès qui le menace, charge un tiers de transiger avec le réclamant à quelque prix que ce soit :

Paciscere ergo, obsecro te, quod tibi lubet,

et la transaction est aussitôt acceptée que proposée : Ducentis Philippis rem pepigi.

Dans les comédies de Térence, au contraire, outre qu'il y est beaucoup moins parlé d'arbitrages que dans celles de Plaute, cet esprit de conciliation réciproque ne se montre que rarement, et les tentatives d'arrangement qui s'y produisent échouent toujours, soit par l'insuffisance des offres, soit par l'obstination de l'une des parties. Un personnage de Phormio, remplissant le rôle d'esclave, s'interpose dans l'intérêt de son maître, pour arranger une affaire litigieuse. << Combien vous faut-il mettre dans la main, dit-il à la partie adverse, pour que mon maître se désiste de ce procès?»> Eho dic quid velis dari

Tibi in manum, ut herus his desistat litibus?

(IV, 3.)

Il voulait dire « Combien faut-il vous donner pour obtenir de votre part une concession aux prétentions de mon maître?»> Puis il ajoute : «Mon maitre est si bon homme que, pour peu que vous vous montriez équitable, vous n'aurez pas trois mots à échanger avec lui; tout s'accordera sur-le-champ: >>

... Sat scio,

Si tu aliquam partem æqui bonique dixeris,

Ut est ille bonus vir, tria non commutabitis

Verba hodie inter vos.

(Ibid.)

En effet, le bon homme avait déjà lui-même proposé l'arrangement en ces termes : « Quoique j'aie fort à me plaindre, plutôt que de me jeter dans un procès je vous offre cinq mines, à titre de transaction: »

Etsi mihi facta injuria est, verum tamen,

Potius quam lites secter,

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Minas quinque accipe.

(II, 3.)

Mais l'adversaire n'accepte aucune des propositions qui lui sont adressées.

On peut supposer d'après cela, car les pièces de théâtre. telles que celles de Plaute et de Térence sont certainement un indice des mœurs contemporaines, qu'au temps de ce dernier comique les conciliateurs perdaient le plus souvent leur peine, et, de guerre lasse, finissaient par dire comme un personnage d'une autre comédie du même poëte, qui s'était vainement entremis pour amener une transaction entre deux contendants: En définitive, puisque je n'y puis rien, qu'ils s'arrangent eux-mêmes comme il leur plaira : »

Postremo, inter se transigant ipsi, ut lubet.

(Hecyra, III, 5.)

Par suite, la plupart des litiges allaient au prétoire.

IX. Causes de la complication des formes de procédure. — Manie des procès.

Deux causes principales durent, ce me semble, amener ce résultat, à savoir la complication des affaires litigieuses et les progrès de l'esprit de chicane.

D'une part en effet les difficultés s'étant compliquées, les lumières d'un simple arbitre ne suffisaient plus à les résoudre; d'autre part, l'esprit de chicane venant à progresser et chacun se montrant jaloux à l'excès de ce qu'il croyait être son droit, les amiables compositions par l'intervention d'un conciliateur devenaient plus difficiles et plus rares.

Force était donc la plupart du temps, pour sortir de

procès, d'en passer par le préteur et par les juges qu'il désignait.

Et comme le flot des litiges allait toujours croissant, force fut aussi, pour opposer une digue au débordement de la manie processive, de rendre plus malaisé l'accès de la justice par de longues et dispendieuses circonvolutions de procédure.

On l'a dit avec raison, c'est à la folie des plaideurs qu'est due la savante stratégie du droit romain :

Stultitia nostra, Justiniane, sapis (1).

Rien n'était plus vrai; et les poëtes latins, tout en se plaignant des ruineuses lenteurs de la procédure judiciaire, avaient un trop bon esprit pour ne pas reconnaître que la faute en était plus encore aux justiciables qu'aux législateurs et à la jurisprudence. C'est pourquoi quelques-uns d'eux conseillaient à leurs contemporains d'éviter, autant que possible, de se laisser entraîner dans ce guêpier, d'où l'on ne pouvait se tirer sans dommage; c'est pourquoi aussi ils tenaient en grande estime les hommes assez sages pour se garer des litiges.

Térence disait, à titre de louange, de certains de ses personnages, qu'ils n'avaient pas l'humeur processive, qu'ils fuyaient les proces et n'en avaient jamais eu :

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Claudien faisait le même éloge d'un vieillard de Vérone:

Non rauci lites pertulit ille fori.

(Epigr. 2.)

(1) Ce fragment de distique est d'un poëte anglais du xvn° siècle, Jean Owen, auteur d'épigrammes en vers latins. Il a été imité par Boileau, dans

ce vers:

α

Des sottises d'autrui nous vivons au palais.

Légistes, dit La Bruyère, dans le même sens, quelle chute pour vous si nous pouvions nous donner le mot d'être sages! » (C. x1.) — A quoi Boileau ajoutait ceci :

Que de savants plaideurs désormais inutiles !!

On a vu plus haut que Martial se flattait d'être encore vierge de vadimonia. Ce genre de mérite, les poëtes se l'attribuaient communément.

Litigiosa fugit studiosus jurgia vates,

disait Faustus Andrelinus, poëte italien du quinzième siècle. Ausone, de même que Martial, s'offrait comme un exemple à suivre sous ce rapport, se glorifiant non-seulement de n'avoir ni augmenté ni diminué son bien par des procès, mais aussi de n'avoir ni prononcé de condamnations comme juge, ni même déposé comme témoin à la charge de personne, c'està-dire de n'avoir paru en justice pour quelque cause que ce fût :

Litibus abstinui; non auxi, non minui rem.

(Idyll.)

Judice me, nullus, sed neque teste, perit.
(ID., ibid.) (1)

Mais cette antipathie pour les

procès n'était rien moins

que générale. A en juger par les traits de mœurs que fournissent les comédies de Plaute et de Térence, les Romains devaient être, au contraire, en grande majorité fort enclins à la chicane; car il n'en est presque pas une seule où il ne soit question d'appels à la justice et de litiges.

Celles de Plaute surtout se font tout particulièrement remarquer par ce caractère. On y voit même que pour se dérober à certaines importunités ses personnages allèguent les procès qui les occupent, et font fermer leur porte aux visiteurs, sous prétexte qu'ils ont affaire au Forum. L'un d'eux charge son esclave de dire qu'il n'a pas moins de trois causes à faire juger en un seul jour

Illic nunc negotiosus est : res agitur apud judicem.

(PLAUT., Pseudol.)

(1) C'est ce que disait Cornélius Népos du célèbre Atticus, ami et correspondant de Cicéron : « Neminem suo nomine subscribens accusavit; in jus, de sua re, nunquam ivit; judicium nullum habuit. »

Montaigne s'applaudissait d'avoir pu de même échapper à tout procès. Enfin, j'ay tant faict par mes journées, à la bonne heure puis-je le dire, que me voicy encores vierge de procez, qui n'ont laissé de se convier plusieurs fois à mon service, pour bien juste tictre, s'il m'eust pleu d'y entendre. » (Essais, 3-10.)

Tres hodie lites judicandas dicito.
(PLAUT., Mercator.)

On sait qu'Horace parle souvent aussi des mille occupations dont on était assailli à la ville pour le compte d'autrui. Tantôt c'était un ami qui vous donnait rendez-vous au Putéal pour le lendemain, avant la deuxième heure du jour, à l'effet de l'assister dans quelque affaire contentieuse; tantôt c'étaient des scribes qui vous mandaient au plus vite, pour prendre connaissance d'une grave question d'intérêt qui venait de surgir:

Aliena negotia centum

Per caput et circum saliunt latus. Ante secundam

Roscius orabat sibi adesses ad Puteal cras.

De re communi scribæ magna atque nova te

Orabant hodie meminisses.

(Sat., II, 6.) (1)

Un poële, du même siècle qu'Horace, Manile, indiquant les diverses voies que prenaient les hommes pour arriver à

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(1) Voici un passage d'une lettre de Pline le jeune, qui peut servir de pendant au tableau tracé par Horace : « Si quem interroges. » Hodie quid egisti? respondeat : « In officio toga virilis interfui; sponsalia aut nuptias frequentavi; ille me ad signandum testamentum, ille în advocationem, ille in consilium rogavit. » (Epist., IX, 9.)

Mais ce n'était pas seulement des affaires d'autrui qu'avaient à s'occuper les citoyens de Rome. Ils attachaient plus d'importance encore à la surveillance de leurs affaires personnelles et de leurs propres intérêts. Qu'on en juge par le fait suivant, qui est rapporté dans l'histoire de Tacite. Lors de sa conspiration contre Galba, Othon, qui se trouvait auprès de ce prince au moment où celui-ci offrait un sacrifice à Apollon et faisait consulter les entrailles des victimes, se sépara tout à coup de l'assemblée pour aller se réunir aux conjurés. Il lui fallait un prétexte pour expliquer cette subite disparition, et voici celui qu'il avait imaginé. Son affranchi vint l'appeler en lui annonçant qu'il était attendu par son architecte et ses entrepreneurs; et comme on lui demandait ce qu'il avait à faire de si pressé, il répondit qu'ayant acquis des immeubles, dont la solidité lui paraissait plus que douteuse à cause de leur velusté, il avait besoin de les faire examiner au plus tôt : « Emi sibi prædia, vestustate suspecta, eoque prius exploranda. » (Hist., I, 27.) Cette raison ne donna l'éveil à personne. On trouvait tout naturel que, même en une pareille circonstance, Othon s'éloignât pour aller donner ses soins à une affaire contentieuse qui l'intéressait personnellement.

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