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CHAPITRE XI.

La Méthode de Descartes (1).

Quand un savant expose ses idées sur la Science et sur la Méthode, il met avant tout sous ses yeux ses recherches personnelles et les procédés qu'il a

(1) La Logique de Descartes n'est pas dans la Géométrie, comme le pensait Lipstorpius, ni dans ses Méditations, comme le prétendait Gassendi, ni dans le discours de la Méthode, comme on le croit vulgairement. Elle est essentiellement dans les Règles pour la direction de l'esprit, dont on ne trouve qu'un résumé dans le Discours; mais comme le Traité des Règles est inachevé, il est nécessaire de le compléter en exposant la méthode suivie par l'auteur en Géométrie, en Métaphysique (partie IV du Discours et Méditations), en Physique (Monde, Dioptrique, Météores), en Psychologie (Discours, Dioptrique et Méditations passim). Deux fragments de Logique pure nous ont aussi servi pour cette exposition de la Méthode Cartésienne; ce sont les Olympiques et le dialogue intitulé Recherche de la vérité par les lumières naturelles, qui n'est autre chose que le début d'un ouvrage que Descartes avait projeté sur l'Erudition (v. OEuvr., vol. XI, p. 535 sqq.). Ainsi l'Organum de Descartes comprendrait les Olympiques, les Règles, le Discours, le Dialogue et des fragments des Méditations et des Essais.

suivis, et prend naturellement pour idéal sa manière propre de concevoir la Science. Si vous étudiez séparément Platon, Aristote, Képler, Galilée, Descartes, Laplace, Lavoisier, Berthelot, Claude Bernard, Max Muller, vous voyez sous un point de vue particulier la Science et la Méthode. Réunissez tous les points de vue, vous contemplez le domaine entier de la Science et l'ensemble de tous les procédés féconds qui conduisent à la vérité ; vous avez la Méthode entière et parfaite, ou du moins vous en approchez beaucoup. Il est donc utile de bien constater et de bien faire connaître le point de vue auquel s'est placé chacun des grands génies dont le nom est illustré par des découvertes scientifiques. C'est ce que nous allons faire pour Descartes, en laissant à d'autres, ou en nous réservant pour nous-mêmes dans l'avenir, le soin de comparer les idées et les procédés divers des grands inventeurs, et de donner, non un Traité de Logique personnel, mais la Logique même de l'esprit humain.

L'analyse que nous venons de faire du Discours et des Essais, celle que nous avons faite plus haut des ouvrages qui ont précédé celui-ci, ont dû nous convaincre que Descartes ne reconnaît qu'une Méthode capable de conduire à la

Science, la Méthode à priori, armée de ses deux procédés, l'analyse et la synthèse. « Puisqu'il n'y >> a d'autre science que celle du nécessaire et de » l'absolue, il faut, en toute question, remonter >> jusqu'aux notions qui ont ce caractère, et les >> enchaîner ensuite les unes aux autres par des >> rapports également nécessaires. Tant qu'on » n'est pas arrivé là, on n'a fait autre chose qu'al>> ler puiser l'ignorance à une source plus haute; quand on a atteint ces sommets lumineux, l'es>> prit se repose satisfait dans la clarté et la séré»> nité de l'idée pure. La vraie Méthode est donc >> celle des Mathématiques, ou plutôt c'est l'esprit de cette Méthode, auquel elles servent d'enveloppe (1). »

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Ainsi la méthode mathématique enseignée dans les Règles, moins pour elle-même que pour l'éducation de l'esprit, résumée ensuite dans le Discours, et pratiquée dans la Géométrie et les Essais, peut s'appliquer à toutes les sciences, et d'abord à la science suprême, de laquelle toutes les autres tiennent leur certitude et leur unité, à la Métaphysique.

La Métaphysique est la science des principes

(1) V. plus hau!, p. 71 et 72.

de la connaissance et des principes de l'être, car les uns ne peuvent se séparer des autres. Les notions premières et irréductibles de l'entendement, comme celles de temps et d'éternité, d'espace et d'immensité, de pensée et de volonté, de Bien, de Beauté, de Perfection, les principes évidents de soi et parfaitement simples, comme ceux de causalité, de substance, d'ordre, d'unité, et tous ceux qu'on trouve à la base des différentes sciences, sont l'aperception des choses en elles-mêmes, la vue des éléments essentiels des êtres, l'intuition, incomplète sans doute, mais très-positive de l'être en soi. Les principes de la connaissance et les principes de l'être sont donc les mêmes, et, comme le dit Descartes, le vrai est identique à l'être. Si on est dans le doute sur ce point, ou pour la négative, il faut encore agiter la question de l'être à propos de la connaissance : les deux objets n'en font donc qu'un, et la même science les embrasse nécessairement dans son domaine.

La première chose que cette science ait à faire est l'inventaire exact, l'examen rigoureux et le classement méthodique de toutes les notions primitives de la raison pure. Descartes, tout en reconnaissant l'utilité et l'importance de ce travail au point de vue métaphysique et au point de vue

logique, ne l'a pas entrepris, faute de temps, et parce qu'il ne le croyait pas nécessaire à l'achèvement de son œuvre (1). Il se contente d'en appeler, quand cela est nécessaire, à la lumière naturelle. Leibnitz a laissé quelques indications utiles et quelques vues profondes sur ce point. Kant a tenté l'entreprise, mais ne l'a pas conduite à bonne fin; et il est loin même d'en avoir mesuré ou soupçonné toute l'étendue. Il s'agit ici, en effet, de la création de la vraie langue philosophique.

Le second travail à accomplir est d'opérer à priori le passage des idées à l'être fini, puis le passage de l'être fini à l'être infini, ou du relatif à l'absolu, et, enfin, de déterminer les attributs essentiels de l'être absolu et parfait, et des êtres relatifs et imparfaits. Kant, restant dans le domaine de l'abstraction pure, ne voit partout que des phénomènes; le moi n'est qu'un phénomène, et non un être ou noumène. Mais alors dans quel sujet place-t-il les formes à priori de l'entendement ? Dans aucun. Qui donc pense, doute et nie? Personne. Kant, plus naïf que le Cyclope, pense que son moi non-seulement s'appelle personne,

(1) Cf. OEuvr., vol. VI, p. 61 sqq., et Principes, part. I, no 10.

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