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d'un tel dessein est admirable; la lente persévérance et la force de volonté et de génie déployées pour en poursuivre l'exécution sont plus admira

bles encore.

<< Comme un homme qui marche seul, et dans >> les ténèbres, dit-il, je me résolus d'aller si len>>tement et d'user de tant de circonspection en >> toutes choses que, si je n'avançais que fort peu, »je me garderais bien au moins de tomber. » Même je ne voulus point commencer à rejeter >> tout à fait aucune des opinions qui s'étaient pu glisser autrefois en ma créance, sans y avoir été >> introduites par la raison, que je n'eusse aupa>> ravant employé assez de temps à faire le projet » de l'ouvrage que j'entreprenais, et à chercher

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la vraie méthode pour parvenir à la connais>> sance de toutes les choses dont mon esprit se>> rait capable. >>

Parmi les nombreuses inadvertances de Baillet, je dois relever la suivante qui montrera quel est le défaut de critique et même de jugement de cet historiographe. Baillet voit dans le projet de l'ouvrage dont il est ici question, le plan et le commencement de quelque traité entrepris par Descartes et analogue à ceux dont nous avons donné les titres plus haut. Evidemment, il ne s'agit de

rien de tel. Descartes veut, avant de jeter à bas l'édifice de ses croyances, faire le projet d'une autre construction, tracer le plan de l'œuvre immense qu'il entreprend, mais qu'il n'embrasse pas encore dans son ensemble, et dont la nécessité seule se révèle clairement à lui (1), il veut surtout découvrir la méthode qu'il doit suivre pour arriver sûrement à la réalisation de ses desseins. C'est donc la méthode qui l'occupe d'abord ; c'est elle en effet qui doit être le germe vivant et organisateur de toute philosophie.

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« J'avais un peu étudié, étant plus jeune, ajoute-t-il, entre les parties de la philosophie, » à la logique, et entre les mathématiques, à l'analyse des géomètres et à l'algèbre, trois arts » ou sciences qui semblaient devoir contribuer quelque chose à mon dessein. Mais, en les » examinant, je pris garde que, pour la logique, >> les syllogismes et la plupart de ses autres ins>>tructions servent plutôt à expliquer à autrui les >> choses qu'on sait, ou même, comme l'art de » Lulle, à parler sans jugement de celles qu'on

(1) Cf. OEuvr., p. 137 et 140. Il veut bâtir dans un fonds qui soil tout à lui. C'est là l'ouvrage qui lui a plu et dont il donne le modèle dans son Discours.

» ignore, qu'à les apprendre; et bien qu'elle con>> tienne en effet beaucoup de préceptes très-vrais » et très-bons, il y en a toutefois tant d'autres » mêlés parmi, qui sont ou nuisibles ou super>> flus, qu'il est presque aussi malaisé de les en » séparer que de tirer une Diane ou une Mi» nerve hors d'un bloc de marbre qui n'est point » encore ébauché. Puis pour l'analyse des an>> ciens et l'algèbre des modernes, outre qu'elles »> ne s'étendent qu'à des matières fort abstraites >> et qui ne semblent d'aucun usage, la première » est toujours si astreinte à la considération des >> figures, qu'elle ne peut exercer l'entendement >> sans fatiguer beaucoup l'imagination ; et on » s'est tellement assujetti en la dernière à cer>> taines règles et à certains chiffres, qu'on en a >> fait un art confus et obscur qui embarrasse l'esprit au lieu d'une science qui le cultive: ce qui >> fut cause que je pensai qu'il fallait chercher >> quelque autre méthode, qui, comprenant les » avantages de ces trois, fût exempte de leurs » défauts. >>

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Il se livre alors à des méditations intenses qui absorbent ses pensées pendant les journées silencieuses et les longues nuits d'hiver. Enfin, dans

une de ces heures fortunées et fécondes où le génie recueille le fruit de ses efforts, il découvre la méthode applicable à toutes les sciences, la vraie, l'unique méthode sans laquelle il n'y a pas de science véritable. Cette méthode est celle qu'emploient les sciences mathématiques, ou plutôt c'est l'esprit de cette méthode, le procédé fondamental et universel auquel elles servent d'enveloppe (1). La vraie science, en effet, est celle du nécessaire et de l'absolu, et on ne connaît les vérités nécessaires et absolues que par l'intuition rationnelle et la déduction à priori. La vraie méthode est donc celle qui décompose les difficultés, c'est-à-dire les propositions complexes en propositions plus simples, et celles-ci à leur tour en d'autres encore plus simples, jusqu'à ce que l'esprit se trouve en face de vérités parfaitement claires, dont il saisit à priori le caractère nécessaire et absolu ; et qui ensuite combine ces vérités simples, et les ajoute les unes aux autres de manière à reformer par la synthèse des propositions complexes qui alors se présentent comme des vérités nécessaires, éternelles, immuables, absolues. La vraie méthode

(1) Cf. Disc. de la Méth. et Règles pour la direction de l'esprit. OEuvr., XI, p. 219 sqq.

est donc la synthèse à priori, précédee et éclairée par l'analyse. Elle est employée par les mathématiques; mais elle doit franchir le cercle étroit de ces sciences et s'appliquer à toutes les autres, aux sciences de la nature, à la science de l'homme, à la science de Dieu. Puisqu'il n'y a de science que celle du nécessaire et de l'absolu, il faut en toute question remonter jusqu'aux notions qui ont ce caractère, et les enchaîner ensuite les unes aux autres par des rapports également nécessaires. Tant qu'on n'est pas arrivé là, on n'a fait autré chose qu'aller puiser l'ignorance à une source plus haute; quand on a atteint ces sommets lumineux, l'esprit se repose satisfait dans la clarté et la sérénité de l'idée pure. La méthode expérimentale ou inductive n'est que l'auxiliaire, la servante de l'analyse ; elle sert à retrouver le simple sous le complexe, le nécessaire sous le contingent, l'absolu sous le variable et le conditionnel; elle prépare la synthèse à priori.

Ici se montre la nécessité de signes simples et distincts, pour désigner les notions simples et parfaitement claires, et permettre de les enchaîner sans fatigue les unes aux autres. A la hauteur où il s'est élevé, Descartes se rend compte de la vraie nature du langage; et, en particulier, il voit quelle

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