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XXI

NOTITIA HISTORICA.

Il ne se passa presque point de choses considérables dans l'Eglise de France durant son épiscopat, auxquelles il n'eût beaucoup de part. Il fut du concile d'Etampes en 1099, et de celui de Poitiers l'année suivante, où le roi Philippe et Bertrade furent excommuniés de nouveau, et où les bons évêques eurent beaucoup à souffrir de la part du comte de Poitiers (38). Le légat Richard, évêque d'Albane, en ayant convoqué un autre à Troyes en 1104, Yves s'excusa d'abord d'y aller, et ne laissa pas de s'y trouver (39). Le sujet de l'assemblée était l'absolution du roi, qui fut néanmoins différée à un autre temps. Le trentième de juillet de la même année se tint un autre concile à Beaugency pour le même sujet. Yves y assista encore, et rendit compte au pape Pascal II de ce qui s'y était passé (40). L'absolution du roi ayant été encore retardée, Yves engagea le souverain pontife à l'accélérer, et à user de quelque indulgence envers ce prince. Il se justifia par là du blâme dont le chargeaient quelques-uns, d'avoir eu le plus de part à son excommunication. Dès auparavant il avait donné des preuves du contraire, puisqu'il avait agi auprès d'Urbain II, pour suspendre l'exécution de ce dessein, et en avait fait donner avis au roi par le premier officier de sa cour (41). Entin Philippe fut solennellement absous à Paris au commencement de décembre 1105, et voulut qu'Yves fût de la cérémonie (42). Avant cette époque, il lui avait déjà rendu l'honneur de ses bonnes grâces, comme il paraît par un diplôme accordé à sa prière en faveur de l'église de Chartres (43).

Au bout de trois ans, ce prince étant mort le vingt-neuvième de juillet 1108, on conseilla aussitôt après ses funérailles, à son fils Louis le Gros de se faire sacrer sans délai (44). Ce fut Yves, ce prélat si respectable et si rempli de sagesse, dit l'abbé Suger, qui ouvrit cet avis. En conséquence, on manda Daïmbert archevêque de Sens, qui en fit la cérémonie à Orléans le second jour d'août suivant, assisté de tous ses suffragants, du nombre desquels était notre prélat. A peine était-elle finie, que les députés de l'église de Reims, qui prétendait être la seule en droit de sacrer nos rois, arrivèrent et firent leur opposition. Yves se chargea de leur répondre et de justifier le sacre de Louis (45). C'est ce qu'il exécuta par une belle lettre circulaire adressée à l'église Romaine et à toutes celles qui avaient connaissance de la plainte du clergé de Reims; y montrant que sa prétention n'est fondée ni sur la raison, ni sur la coutume, ni sur la loi. Yves ne borna pas là son affection pour son prince. Il engagea encore à se marier, pour l'affermissement de la maison royale, et la tranquillité de l'Eglise et de l'état (46).

En 1112 Josceranne, archevêque de Lyon, indigné, comme plusieurs autres, du traité conclu l'année précédente entre le pape Pascal et l'empereur Henri V, touchant la concession des investitures faites à ce prince, voulut assembler un concile à Anse pour s'y opposer (47). Y ayant invité les évêques de la province de Sens, Yves ne fut point d'avis qu'ils y assistassent; et ils ne s'y trouvèrent point en effet. Il craignait sans doute de rallumer un feu qui paraissait éteint, et qui se ralluma bientôt après. Ne pouvant y apporter d'autre remède, il en écrivit d'une manière pathétique à Brunon, archevêque de Cologne, qu'il savait avoir grand crédit à la cour impériale, afin qu'il l'employât à faire cesser un schisme, qui depuis plus de trente ans divisait le sacerdoce et l'empire (48).

Ce zèle et cette sollicitude pastorale pour le bien de l'Eglise en général éclataient dans toutes les occasions où il s'agissait du violement du bon ordre, même de la part des papes et de leurs légats (49). Nous en avons diverses preuves dans le recueil de ses lettres. En cette sorte de rencontre l'amour des règles l'emportait sur toute considération; et Yves ne reconnaissait pas même ses meilleurs amis. Il était fort lié avec Hugues, archevêque de Lyon légat du saint siége, et lui avait donné des marques de son attachement, lorsque le pape Urbain l'eût rétabli dans cette dernière dignité, dont il avait été destitue par Victor III (50). Néanmoins Hugues, s'étant avisé d'arrêter le sacre de Daïmbert, archevêque de Sens, jusqu'à ce qu'il eût reconnu la primatie de Lyon sur cette autre métropole, Yves lui écrivit à ce sujet avec une vigueur vraiment épiscopale (51). Hugues s'en tint offensé, et en porta ses plaintes au pape, qui en conçut du refroidissement pour notre généreux evêque (52). Mais celui-ci n'en devint que plus ferme, comme il paraît par sa lettre à ce pontife, et en prit occasion de faire voir qu'il ne tenait à l'épiscopat, que pour en soutenir l'honneur et le droit des églises; fermeté qui lui aurait peut-être attiré la disgrâce du pape et de l'archevêque, sans la médiation de Geoffroi, abbé de Vendôme, qui, se trouvant alors à Rome, justifia Yves auprès du pontife Romain, et passant ensuite par Lyon à son retour en France, fit sa paix avec le légat Hugues (53).

Au bout de quelques temps, Yves ayant appris qu'on voulait donner à l'église de Beauvais pour évêque Etienne de Garlande, dont il connaissait l'incapacité et les autres défauts, mit tout en œuvre pour traverser son élection et empêcher son sacre; en quoi il réussit (54). Au contraire il favorisa et appuya de tout son pouvoir celle qu'on fit ensuite de Galon, abbé de Saint-Quentin, dont le mérite lui était parfaitement connu (55).

Ce n'est pas seulement par rapport au maintien des canons et de la discipline ecclésiastique, en ce qui regarde le spirituel, que paraissait la généreuse intrépidité de notre prélat; elle se montrait encore en ce qui concerne les coutumes ou devoirs temporels des églises envers les souverains. Yves en a laissé des exemples bien marqués. Le roi Philippe lui ayant ordonné de se trouver avec les troupes de l'église de Chartres en un certain endroit où il devait avoir une entrevue avec Henri, roi d'Angleterre et duc de Normandie, mais y ayant joint des conditions qui n'étaient pas d'usage. Yves prit la liberté de lui en faire des remontrances aussi fortes que respectueuses (56). De même Etienne, comte de Chartres et de Blois, exigeant de l'église de Chartres un devoir inusité, Yves s'y opposa avec une vigueur digne d'un évêque attaché aux intérêts de son église (57).

Tant d'occasions où il donna des marques éclatantes de son habileté dans toutes sortes d'affaires, de

(38) Conc. ib., p. 716, 720, 722; Ivo, ap. 95,

100.

(39) Conc. ib., p. 740; Ivo, ep.

(40) Ivo, ep. 144.

(41) Ep. 23.

(42) Conc., lib., p. 742.

141.

(43) Spic., t. XIII, p. 296, 297, Mart., ampl. Col.,

t. I, p. 831.

(44) Sug. lib., p. 293.

(45) Ivo, ep. 173.

(46) Ep. 239.

(47) Mab. ib., 1. LXXII, n. 23.

(48) Ivo, ep. 214.

(49) Ep. 18.
(50) Ep. 24.

(51) Ep. 60.

(52) Ep. 67.

(53) Goff., Vind. 1. 11, ep. 18.

(54) Ivo, ep. 87, 89, 97, 98.

(55) Ep. 102, 104, 105, 110.

(56) Ep. 28.

(57) Ep. 49.

son amour et de son zèle dans le maintien du bon ordre, firent passer sa réputation dans les pays étrangers. Rome qui le connaissait mieux que les autres, le craignait et le respectait en même temps. L'Angleterre révérait son mérite, sa vertu, et avait souvent recours à ses lumières. C'est ce qu'on voit par les liaisons qu'avait Yves avec le roi Henri I, la reine Mathilde et plusieurs évêques du royaume. Mathilde entre autres avait pour le pieux évêque une estime singulière, dont on découvre de grands traits dans les lettres qu'il lui écrivait (58). A sa considération, elle fit à l'église de Chartres un riche présent de cloches, dont le prélat sut lui faire un remerciement d'un excellent goût pour ce temps-là.

Si l'Eglise entière et les pays étrangers tirèrent tant de secours de l'épiscopat d'Yves, celle de France en particulier, et principalement le diocèse de Chartres en tirèrent encore davantage. Pour en donner une jeste idée, il faudrait faire ici une analyse presque entière du recueil de ses lettres. On y verrait par ses avis et ses décisions à toutes sortes de personnes, qu'il fut en son temps le conseil des évêques et l'oracle des simples fidèles. On y verrait par les instructions et les éclaircissements qu'elles contiennent, combien il aimait la pureté de la foi et des mœurs, et l'observation de la bonne discipline, et combien il a travaillé en faveur de l'une et de l'autre. Ce n'est point pousser les choses trop loin, que de dire à sa gloire, qu'on fut particulièrement redevable à ses soins de l'espèce de renouvellement qui se fit alors dans l'église gallicane, tant parmi les clercs que les laïques, et que ses écrits servirent à maintenir dans la suite.

Quelque sévère au reste que fût Yves dans ses décisions sur les points de morale et de discipline, șa conduite était pleine de lumière, de sagesse, de modération, de douceur. Ce fut par là qu'il sut gagner le cœur de ceux dont il avait combattu les passions. On a pu en remarquer un exemple en la personne du roi de France Philippe I. On en a un autre à l'égard d'Etienne comte de Chartres et de Blois qui, après avoir eu quelques contestations avec le zélé prélat, lui rendit tellement ses bonnes grâces, qu'à sa prière il abolit la pernicieuse coutume établie par ses prédécesseurs, de piller, à la mort de l'évêque de Chartres, la maison épiscopale et tous les domaines de sa dépendance (59): mais sa douceur n'alla jamais à tolérer le vice. Entre les autres preuves qu'il en donna, il le fit voir particulièrement dans ce qu'il mit en usage pour faire cesser la conduite scandaleuse que tenaient un seigneur de son diocèse, nommé Guillaume, et Adélaïde proche parente d'Adèle, comtesse de Chartres (60). Ce fut par sa sagesse et sa douceur qu'il ouvrit les yeux à l'infortuné Roscelin qui, après avoir renoncé à ses erreurs, embrassa la pénitence, comme on l'a vu dans son histoire (61).

A tant d'excellentes qualités, Yves joignait encore un cœur compatissant envers ceux qui étaient dans l'oppression, ou en quelque autre genre de peine. Dans ces occasions, il se faisait un plaisir et un mérite d'employer en leur faveur le crédit qu'il avait auprès des grands. Entre grand nombre de traits de cette générosité bienfaisante que nous fournissent les lettres du tendre prélat, il suffit de dire que saint Godefroi évêque d'Amiens, Geoffroi archevêque de Rouen, et Hubert évêque de Senlis, se trouvant dans le cas, en sentirent d'heureux effets (62) le premier auprès de Louis le Gros, les deux autres auprès du pape Pascal II. Ce pontife ayant été obligé de se réfugier en France, Yves eut l'onneur de le recevoir chez lui, où il célébra la fête de Pâques en 1107, et l'y retint le plus qu'il lui fut possible (63). Geoffroi, abbé de Vendôme, contraint de quitter son monastère par les vexations du seigneur du lieu, trouva une retraite aussi grâcieuse qu'honorable auprès ne notre généreux évêque (64).

Mais rien ne fut au-dessus du soin qu'Yves prit de l'instruction de son clergé et de son peuple, autant que les besoins de l'Eglise et de l'état auxquels il était obligé de se prêter, le lui pouvaient permettre (65). Sitôt qu'il eut pris possession de son église, il se mit à instruire, à corriger, à détruire et à planter. Il avait du talent et du zèle pour le faire; el il trouva de quoi exercer l'un et l'autre. Les sermons qui nous restent de lui, tant imprimés que manuscrits, et qui ne sont apparemment que la moindre partie de ceux qu'il prononça devant son peuple, font foi qu'il lui distribuait souvent le pain de la parole. Non content de lui parler de vive voix, il lui adressait aussi quelquefois des lettres pastorales, dont nous avons un beau modèle dans le recueil de ses antres lettres (66).

Pour ce qui est de sa conduite particulière, quelque occupé qu'il fût du soin de son troupeau et de lart d'autres affaires étrangères, il était aussi intérieur et recueilli en Dieu que lorsqu'il vivait à Saint-Quentin de Beauvais (67). C'est cette piété que Robert de Torigni n'a pas oublié de relever dans l'éloge de ce grand évêque, qui le portait à se plaindre dès le commencement de son épiscopat, d'être obligé de se prêter à des occupations tumultueuses, qui le privaient de l'union intime avec Dieu, et de cette aimable tranquillité que demande la prière (68). C'est encore cette piété qui lui inspira de favoriser tant de pieux établissements où Dieu devait être servi en esprit et en vérité. Outre ce qu'il avait déjà fait en faveur de SaintQuentin de Beauvais, il fonda de nouveau à la porte de sa ville episcopale l'abbaye de Saint-Jean en Vallée pour des Chanoines réguliers (69). Le célèbre Bernard, moine de Saint-Cyprien de Poitiers, s'étant retiré au diocèse de Chartres, et y ayant obtenu du seigneur du lieu un fonds pour y construire un monastère, Yves se porta à cet établissement avec tant de zèle et de succès, qu'il a mérité d'en être regardé comme le fondateur conjointement avec le B. Bernard (70). Le monastère se nomma Tiron, du nom de la petite rivière voisine, et devint dans la suite chef d'ordre. Celui de Hautes- Bruyères de religieuses de l'ordre de Fontevrault doit aussi sa fondation au même prélat, qui établit encore un hôpital pour les malades, et fut bienfaiteur de l'ordre de Cluny (71), et des abbayes de Marmoutier, de Bonneval et de Bourgmoyen à Blois (72).

Yves, dans ses pieuses libéralités, n'oublia point sa propre église (73). On a déjà parlé du service signalé qu'il lui rendit, en la faisant décharger de ces criantes coutumes, qui étaient de vrais pillages. Il prit soin d'embellir la cathédrale, et de la fournir de livres et d'ornements. Il renouvela et aggrandit considérablement la maison épiscopale, à laquelle in joignit une maison de campagne pous les divers usages des

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(66) Ep. 44.

(67) Baillet, 23 dec., p. 288.

(68) Rob., Add. ad. Sig., p. 750; Ivo, ep. 6.
(69) Vit., n. 16.

(70) Ep. 283; Mab, ib. 1. LXXI, n. 39, 111.
(71) Ivo, Vit., ib.

(72) Ep. 211; Mab. ib., n. 16.

(73) Rob., add. ad Sig., ib; Ivo, Vit., n. 2.

évêques. Les écoles étaient fort fréquentées dès le temps de saint Fulbert, et le lieu où elles se tenaient devait être fort spacieux. Yves le fit rebâtir tout à neuf, et laissa encore à son église et à ses chanoines diverses autres marques de sa généreuse bienveillance. Enfin, il eut quelque part à la fondation de l'abbaye de Saint-Victor, à Paris, qui se fit en 1113 (74): au moins la souscription se lit elle au bas de la charte du roi Louis le Gros pour cet établissement.

Il reste à dire quelque chose des liaisons de notre saint prélat. Sans parler des papes, des rois, des princes et princesses, il en avait avec presque tous les grands personnages de son temps. On en voit paraître la plupart dans les inscriptions de ses lettres; mais nous ne rappellerons ici que ceux avec qui il était lié d'une manière plus intime. De ce nombre étaient saint Bernard de Tiron, dont il vient d'être parlé, et le B. Robert d'Arbrisselles. Il avait donne au premier la bénédiction abbatiale; et, à la considération de l'un et de l'autre, il s'était employé à la fondation de l'abbaye de Tiron et du monastère de Hautes-Bruyères. S'étant lié d'amitié, dès qu'il étudiait au Bec, avec saint Anselme, ils continuèrent toujours leur union, depuis que celui-ci fut abbé, et ensuite archevêque de Cartorbéry (75). Ils eurent la mutuelle consolation de se voir, lorsqu'en 1103 Anselme vint en France, pour de là aller à Rome (76). Ayant pris sa route par Chartres, l'évêque Yves le reçut avec beaucoup d'honneur, et lui persuada avec la comtesse Adèle, d'attendre l'automne pour ce long voyage, afin d'éviter les chaleurs de l'été. A son retour sur la fin de juin de l'année 1105, Anselme passa ne nouveau à Chartres, et eut le plaisir d'y voir encore son bon ami (77); il y tit même un séjour considérable; puisqu'y ayant souscrit une charte en faveur des chanoines de Bourmoyen de Blois, le vingt-quatrième de juin, il n'en partit que pour se rendre à l'Aigle, le vingt-deuxième de juillet suivant.

Il y avait aussi une étroite union entre Yves et Lambert, évêque d'Arras, comme il paraît par une lettre du premier, insérée parmi celles de l'autre, qui lui en a écrit une des siennes, pour le remercier d'un service signalé qu'Yves venait de rendre à l'Eglise d'Arras, et des autres qu'elle en avait déjà reçus en d'autres occasions (78). Depuis que notre prélat eut béni Geoffroi, abbé de Vendôme, ce qu'il fit le vingt-troisième de septembre 1093, il se forma entre eux une amitié persévérante, qui est attestée par les dix-neuf premières lettres du second livre du recueil de celles de Geoffroi, toutes écrites à l'évêque de Chartres (79). L'épitre par laquelle Hugues de Sainte-Marie, moine de Fleuri, et l'un des savants de son siècle, lui dédia en 1110 sa grande chronique, montre qu'ils avaient ensemble des liaisons de littérature (80).

Yves vécut jusqu'à la vieillesse, et mourut plein de gloire, de mérites et en odeur de sainteté (81). Mais les écrivains tant anciens que modernes sont fort partagés sur le jour précis et l'année de sa mort. Les uns la placent dès l'année 1114; d'autres lui assignent l'année suivante. Ceux-ci la marquent au premier de janvier 1116; ceux-là, comme Robert de Torigny, la renvoient en 1117; enfin, d'autres la fixent au vingt-troisième de décembre (82) 1116; et leur opinion mérite la préférence, étant celles des historiens llelinand de Froidmond et d'Albéric de Troisfontaines (83). Yves pouvait être alors dans la soixante-dix-septième année de son âge, et avait passé vingt-cinq ans et un mois dans l'épiscopat, à compter du jour de son ordination. Il fut enterré dans le chœur de l'église abbatiale de Saint-Jean en Vallée, dont il était le fondateur, comme il a été dit (84). On a trois épitaphes consacrées à sa mémoire: l'une est de la façon de Philippe, abbé de Bonne-Espérance; mais on ignore qui sont les auteurs des deux autres. Celle que nous copions ici, et que nous préférons aux autres, par la raison qu'elle exprime mieux le caractère de ce grand évêque, a été tirée d'un ancien manuscrit du président Barnabé Brisson, et se trouve imprimée en divers recueils.

EPITAPHE.

Mente, manu, lingua, doctrina corporis usu,
Prudens, munificus, affabilis, utilis, insons;
Firma columna domus Domini, quam jure salubri
Fovit, munivit, instruxit, jugiter auxit,
Consilio, scriptis quo viveret ordine, rebus
Cujus opem gratis æger, rem sensit egenus,
Istius urbis apex, memorandus episcopus Ivo.

Пlac situs exspectat adventum judicis urna.

Outre ces trois épitaphes qui contiennent un précis de l'histoire de notre prélat, le P. Fronteau, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, a composé sa vie qui est imprimée à la tête de son décret dans la dernière édition, et que les successeurs de Bollandus ont fait entrer dans leur grande collection d'actes des saints, avec quelques remarques de leur façon (85). M. Baillet, de son côté, en a publié une autre au vingt troisième de décembre, entre ses Vies des saints (86). Enfin un troisième écrivain donna vers le même temps un petit volume in-12 portant ce titre : L'esprit d'Yves de Chartres dans la conduite de son

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pape Anastase IV, vers le milieu de se siècle, et le fait disciple de Gilbert de la Poirée. André Thevet dans sa cosmographie s'en est encore bien plus éloigné, en le renvoyant à la fin du xve siècle, sous le roi de France Charles VIII (•).

(83) Hist. Chr. p. 454, I; Ivo, Vit., n. 2, 18; Cist. Bibl., t. VII, p. 178; Kob., add. ib.; Alb. Chr. par. 11, p. 228; Mab., ib., 1. LXXII, n. 125; Egas. Bul., t. I, p. 613; Cave, p. 541.

(84) Rob. add. ib.; Gall. Chr. vet. t. III, p. 488, 2; Boll. ib., p. 248.

(85) Boll., 20 Maii, p. 247-252.
(86) Bail., ib., p. 282-288.

diocèse, et dans les cours de France et de Rome. L'écrit a été imprimé à Paris chez Anisson en 1701, et représente assez bien en quatorze chapitres la conduite d'Yves dans les trois différents états qu'annonce le frontispice. Les bibliographes et autres écrivains qui ont parlé de cet excellent évêque sont presque sans nombre. Nous avons profité de ce qu'ils en ont dit de meilleur; mais sans nous arrêter aux Vies entières dans lesquelles nous n'avons pas trouvé tout ce qui nous paraît nécessaire pour le représenter tel qu'il était; nous en avons dirigé une autre tirée pour la plus grande partie de ses propres écrits, et pour le reste, d'auteurs contemporains.

Yves se rendit aussi recommandable par sa sainteté de vie que par son grand savoir: nec minus sanctitate quam scientia venerandus (87). Son savoir est suffisamment connu par les écrits qui nous restent de sa façon; et sa sainteté lui attira dès les premiers temps beaucoup de vénération de la part des peuplss, nommément de celui de Chartres (88). On fut cependant plusieurs années sans célébrer aucune fête en son honneur, et l'on paraît ignorer s'il a jamais été canonisé dans les formes. Seulement le pape Pie V, en 1570, donna une bulle, pour transférer au vingtième de mai la fête qui se faisait alors en sa mémoire le vingt-troisième de décembre, par la raison que ce dernier jour tombant toujours en Avent, ne convient pas à la solennité des fêtes. Un autre indice de sa sainteté est le traitement que lui firent subir les Calvinistes au temps de leurs ravages, en réduisant en cendres ses reliques, comme celles des autres

saints.

Il ne faut pas au reste confondre Yves, évêque de Chartres, avec un autre Yves, cardinal, prêtre du titre de Saint Laurent in Damaso, auparavant chanoine régulier de Saint-Victor à Paris, et mort en 1442, ou l'année suivante (89). La même observation est à faire à l'égard d'un troisième Yves surnommé de Chartres, et qualifié docteur, qui avait étudié sous Gilbert de la Poirée, depuis évêque de Poitiers. Celui-ci le cita pour sa défense au concile de Reims en 1148, avec Rotrou un autre de ses disciples, alors évêque d'Evreux et dans la suite archevêque de Rouen.

On a dit plus haut qu'Yves, évêque de Chartres, eut la consolation de voir avant sa mort quelquesuns de ses disciples élevés aux piemières dignités de l'Eglise mais nous n'avons de connaissance particulière que des suivants : Jean, romain de naissance, reçut quelque temps des instructions d'Yves à Saint-Quentin de Beauvais (90). En étant ensuite sorti, il se rendit moine au Bec, et devint depuis évêque de Tusculum et légat du Saint-Siége. Un autre de ses disciples de même nom que le précédent, après avoir perfectionné sous lui ce qu'il avait déjà appris à l'école d'Utrecht, fut évêque de Térouane, et vécut si saintement dans l'épiscopat, que l'église le compte au nombre des saints qu'elle honore (9192). Il paraît par la manière dont Yves recommande au pape Urbain II, et à Richer, évêque de Sens, Guillaume élu évêque de Paris en 1095, qu'il le regardait comme un de ses élèves (93). Galon, successeur de Guillaume, avait aussi l'avantage, ainsi qu'on l'a montré à son article, d'être élève de la même école. Wulgrin d'abord chancelier de l'église de Chartres, puis élu évêque de Dol au concile de Troyes en 1107, est reconnu pour un de ses disciples (94). On met aussi de ce nombre Samson de Mauvoisin, archevêque de Reims, mort en 1161 (95); Odon successivement chanoine régulier, ensuite abbé de Saint-Quentin de Beauvais après Galon. se donne clairement lui même pour élève de notre saint prélat, dans une assez longue lettre qu'il lui adresse, pour lui exposer l'état de sa conscience (96).

Thevet, dans son Histoire des hommes savants, a cru nous donner le portrait au naturel de l'êvêque Yves, qu'il a fait graver en taille-douce, sur un autre que lui avait fourni un ancien livre de la bibliothèque du cardinal Georges d'Amboise (97). Yves y est représenté avec les cheveux qui lui tombent jusque sur les épaules, une calotte qui lui couvre presque toute la tête, une ample et longue robe, à laquelle est attaché un capuchon pendant par derrière.

§ 2.
SES ÉCRITS

Robert de Torigny, abbé du Mont-Saint-Michel, qui écrivait dans le siècle où mourut Yves de Chartres, atteste dans le petit éloge qu'il a fait de lui que ce prélat avait laissé beaucoup d'illustres monuments de sa science et de son habileté (98); et cependant il n'en spécifie aucun. L'anonyme de Molk, qui publia vers le même temps son catalogue d'écrivains ecclésiastiques, nomme quatre de ces monuments (99); et Sigebert plus ancien que l'un et l'autre, comme étant contemporain d'Yves, les réduit à son décret et au recueil de ses lettres (100). Mais il est venu dans la suite une foule de savants qui, s'intéressant à la gloire de ce grand évêque, ont fait des recherches à ce sujet, et en ont découvert plusieurs autres. On en a imprimé les principaux; et les autres ne sont encore que manuscrits. En voici le dénombrement à la tête duquel nous placerons ceux qui ont déjà été imprimés.

1o Le plus célèbre de tous est sa collection des canons, sur quoi il y a diverses observations à faire La plupart, ou même presque tous les écrivains qui ont entrepris d'en parler, n'en reconnaissent qu'une seule collection; mais il en faut distinguer et admettre deux, par les raisons qu'on va voir :

Yves, n'étant encore qu'abbé de Saint-Quentin de Beauvais, et faisant alors une de ses principales occupations de l'étude de l'antiquité ecclésiastique, comprit de quelle utilité serait un bon recueil de canons et autres règles en usage dans l'Eglise. Il y en avait déjà plusieurs avant ce temps-là, comme nous l'avons remarqué en parlant de ceux de Reginon de Prom, de Bouchard de Vormes, à l'article d'Olbert,

(87) Trit., Script., c. 349.

(88) Ivo, Vit., n. 1; 2-2, 20.

(89) Ibid., n. 18; Aub., Hist. des card., t. I, p.

p. 127, 128.

(90) Hug. Fl. Chron., p. 261.

(91-92) Boll., 27 Jan., p. 796, n. 1, 2.

(93) Ivo, ep. 43, 50.

(94) Ep. 176, 178.

(95) Marl., Metrop. Rem. t. II, p. 329.
(96) Ivo, ep. not., p.
230.

(97) Thev., t. II, p. 125.

(98) Robb., add. ad. Sig., p. 750.

(99) Mell., Script., c. 95.

(100) Sig., Script., c. 167.

XXIX

NOTITIA HISTORICA.

abbé de Gemblou. Mais Yves qui en connaissait les défauts, quoiqu'il ne les ait pas tous évités lui-même, les jugeant insuffisants, conçut le dessein d'un autre recueil, et se mit tout de bon à l'exécuter. La manière dont il s'y prit pour en venir à bout, est remarquable; et c'est de lui-même que nous l'apprenons dans l'assez grande préface qu'il a mise en tête (101). Ayant rassemblé en un corps, avec le travail qu'on peut imaginer, les extraits des règles ecclésiastiques que lui purent fournir tant les lettres ou décrétales des papes et les actes des conciles, que les traités des Pères et les constitutions des rois catholiques, il les rangea ensuite en un certain ordre. Le motif qui le porta à entreprendre ce pénible travail fut de rendre service au public, en faisant ensorte que ceux qui n'avaient pas ces écrits en main pussent prendre dans son recueil ce qui leur conviendrait; el, afin que chacun y pût trouver aisément ce qu'il aurait à chercher, il y a observé l'ordre suivant: il dit qu'il y traitera d'abord de la foi, qu'il nomme le fondement de la religion chrétienne, ensuite des sacrements, puis de la conduite des mœurs, enfin de ce qui concerne les différentes affaires, c'est-à-dire celles dont il appartient à l'Eglise de connaître. A ces quatre chefs principaux l'auteur rapporte tout ce qu'il a cru devoir disculer dans son ouvrage, sous divers livres, ou parties, subdivisées en plusieurs titres.

Prévoyant qu'il se pourrait trouver des lecteurs qui n'entendraient pas assez ce qu'il dit, ou qui croiraient y apercevoir de la contradiction, il a soin de les avertir de ne se pas presser de les blâmer, mais de considérer attentivement ce qui est dit suivant la rigueur du droit, ou suivant l'indulgence, par la raison que tout le gouvernement ecclésiastique est tondé sur la charité. C'est par ce principe, ajoute-t-il, en le montrant fort au long, que l'Eglise se tient tantôt à la sévérité des règles, et tantôt s'en relâche par condescendance (102). Ce qu'Yves dit ici a trait à la méthode qu'il a suivie dans sa collection, en y insérant sur le même sujet des canons de l'une et l'autre espèce, c'est-à-dire de rigoureux et de modérés. Mais, de peur qu'on ne crût que cette condescendance ou modération pût avoir lieu dans tous les cas, il fait observer qu'il est de deux sortes de préceptes, comme de deux sortes de défenses. Il y en a de droit divio, qui sont établis par la loi éternelle, et d'autres qui ne sont que de discipline. établis par les hommes en vue d'un plus grand bien (103). Les premiers, dit-il, sont immuables et par conséquent ne souffrent point de modération; mais il n'en est pas de même des autres.

Tel est, en général, le plan sur lequel Yves dirigea ses deux collections. Il donna à la première le titre de Pannormie, forme de deux mots, l'un grec, l'autre latin, comme pour exprimer un corps de toutes les lois ou règles du droit ecclésiastique (104). Quelques puristes, trop délicats en ceci, voudraient qu'on lût Pannomie; mais les anciens manuscrits ne le souffrent pas. D'autres, en plus grand nombre, ont tenté d'enlever à Ives l'honneur de cet ouvrage, prétendant qu'il n'en a composé d'autre sur cette matière que son décret; mais c'est ce qu'ils ne réussiront jamais à persuader aux personnes instruites. Les raisons sur lesquelles ils établissent leur sentiment sont trop faibles à cet égard. Ils disent, d'une part, qu'à la fin de cet ouvrage il y a diverses choses prises des décrétales de Calixte II et d'Innocent, son sucesseur, après Honorius, qui ne furent papes que plusieurs années après la mort d'Yves (105). Ils allèguent, d'ailleurs, que la Pannorinie n'est autre chose que l'abrégé du décret de notre auteur, que fit en son temps un certain Hugues, qualifié évêque de Châlons-sur-Marne, comme le rapporte Vincent de Beauvais. Rien de plus faible que ces prétendues raisons. Par rapport à la première, il n'est point étrange qu'il soit arrivé à la Pannormie ce qu'ont souffert dans tous les siècles tant d'autres ouvrages originaux qui, après être sortis des mains de leurs auteurs, ont reçu des additions étrangères, au moins dans plusieurs de leurs exemplaires. C'est justement le sort qu'a eu la Pannormie, comme il serait aisé de la justifier par les deux forts anciens manuscrits de ce recueil, que dom Mabillon atteste avoir vus aux abbayes d'Anchin et de Blandimberg (106). Ils portent l'un et l'autre le nom d'Yves de Chartres, et ne contiennent rien des alditions alléguées. On a encore la mêine preuve dans l'ancien manuscrit de Saint-Victor, et dans un autre qu'avait en main dom Antonio Augustinus (107).

L'autre raison sur laquelle on lui dispute cet ouvrage n'a pas plus de solidité. Ce n'est point un Hugues, évêque de Châlons, qui fit l'abrégé dont il s'agit, puisque cette Eglise n'a point eu d'évêque de ce nom depuis le temps d'Ives de Chartres, mais Haimond de Bazoches qui la gouvernait au milieu du x siècle (108). Et bien loin que cet abrégé ne fût autre que la Pannormie, ainsi qu'on le suppose, il nous est une preuve du coutraire, en ce qu'il montre qu'il existait auparavant, en ayant été tirée, et non du Décret du même auteur. C'est Alberic de Trois Fontaines qui l'atteste, et qui mérite d'autant plus de créance qu'on sait certainement qu'il ne parle dans sa Chronique que d'après les historiens qui l'avaient précédé. « Ce Barthélemi, évêque de Châlons, dit Albéric sur l'année 1151, mourut dans son pèlerinage de Jérusalem; et l'on élut pour évêque l'archidiacre Haimond de Bazoches, homme recommandable par sa noblesse et sa vertu, qui a fait le manuel des décrets suivant la Pannormie d'Yves de Chartres. Témoignage aussi clair que décisif, et qui ne demande point de commentaire.

Celui de Vincent de Beauvais, pris dans son vrai sens, ne l'est pas moins à cela près qu'au lieu lieu d'Haimond, il nomme Hugues, l'évêque de Châlons, abréviateur de l'ouvrage de notre prélat (109). En effet, après avoir parlé du travail de celui-ci, qu'il qualifie aussi abrégé, par rapport aux sources d'où il avait été tiré, il ajoute que l'auteur l'intitula Punnormie; mais que comme il n'était pas d'une petite étendue, l'évêque de Châlons entreprit de l'abréger, et en fit un petit livre portatif, qui fut intitulé la Somme des décrets d'Yves. Voilà justement le Manuel ou Enchiridion dont parle Albéric, comme tiré de la Pannormie qui, par conséquent, en était fort différente.

C'est ce que le savant M. Baluze avait déjà prouvé par un autre raisonnement (110) L'abrégé fait par l'évêque de Châlons, dit-il, sur le témoignagne de Vincent de Beauvais qu'on vient de lire, portait pour titre la Somme des décrets d'Yves. Or la Pannormie, dans trois anciens manuscrits de l'abbaye de SaintAubin d'Angers, et dans un quatrième de la bibliothèque de Saint-Victor, à Paris, est intitulée uniformé ment partout Pannormie, et jamais Somme des décrets. Il en est de même des éditions qui en ont été faites; ce qui montre que les manuscrits dont on s'est servi retenaient le même titre. Nous l'avons vue nous-mêmes intitulée de la même sorte, dans un autre ancien manuscrit de l'abbaye de Saint-Ouen, à

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(107) Bal., De emendatione Gratiani, pr., n. 23. (108) Alb. Chr., par. 11, p. 320.

(109) Douj., ib.,

n.

(110) Bal. ib., n. 20.

2.

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