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pour être temps, n'existe que parce qu'il va se perdre dans le passé, comment peut-on dire qu'il est, tandis que son existence n'est fondée que sur ce qu'elle tend à n'être plus '?

La question qui a pour objet la nature du temps paraît à saint Augustin une énigme difficile; il se propose cependant de l'expliquer. Le temps, c'est la succession des mouvements passés et futurs 2. En effet, il n'est autre chose que les changements par où passent les corps, qui rendent le temps visible et donnent le moyen de le mesurer. Il n'y avait donc pas de temps, lorsqu'il n'existait pas des êtres créés sujets au changement. Le temps suppose des créatures dont les mouvements successifs, qui ne peuvent exister simultanément, font des intervalles plus longs et plus courts, ce qui constitue le temps. Le temps a commencé avec le monde; Dieu l'a créé avec les êtres. Le créateur des temps est celui qui a fait les choses dont les mouvements mesurent les temps ".

Avant la création, les termes: jamais, maintenant, alors, passé, avenir, qui désignent différents points de vue de la durée, n'étaient nullement applicables". Ce qui se fait dans le temps se fait après et avant

1 Conf., lib. XI, cap. XIV, n. 17, tom. I.

2 De vera relig., tom. I.

3 Conf., lib. XII, cap. VIII, n. 8, tom. I.

De civit. Dei, lib. XI, cap. VI, tom. VII.

5 De civit. Dei, lib. XII, cap. XXV, tom. VII.

Conf., lib. XI, cap. XIII, n. 16; cap. XXX, n. 40, tom. I.

quelque temps, après le temps passé et avant le temps à venir. Or, avant la création il ne pouvait y avoir aucun temps passé, puisqu'il n'y avait point de créature dont les mouvements mesurassent le temps'.

Le temps a été créé, et néanmoins il a existé de tout temps. « On ne saurait nier que le temps lui-même n'ait été créé, et cependant personne ne doute que le temps n'ait été en tout temps puisque, s'il en était autrement, il faudrait croire qu'il y a eu un temps où il n'y avait point de temps; mais il n'est personne d'assez extravagant pour avancer pareille chose. Nous pouvons fort bien dire il y avait un temps où Rome n'était point, il y avait un temps où Jérusalem n'était point, il y avait un temps où Abraham n'était point, il y avait un temps où l'homme n'était point, et enfin,... nous pouvons dire aussi qu'il y avait un temps où le monde n'était point. Mais dire qu'il y avait un temps où il n'y avait point de temps, c'est comme si l'on disait : il y avait un homme, quand il n'y avait aucun homme, " ou: le monde était, quand il n'y avait pas de monde, ce qui est absurde. Si on ne parlait pas d'un seul et même objet, alors sans doute on pourrait dire il y avait un certain homme alors que tel autre n'était pas, et pareillement, en tel temps, en tel siècle, tel autre temps, tel autre siècle n'était pas; mais dire: il y a eu un temps qu'il n'y avait pas de temps, c'est, je le

De civit. Dei, lib. XI, cap. VI, tom. VII.

répète, ce que l'homme le plus fou du monde n'oserait faire'. »

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Le temps n'est point le mouvement des astres, it ne laisserait pas de couler quand les astres s'arrêteraient. En effet, si les astres s'arrêtaient et qu'ane roue de potier tournât, n'y aurait-il point de temps par où nous puissions mesurer ses tours et dire qu'ils sont réglés si elle tournait toujours également, ou qu'ils sont inégaux si elle tournait avec une inégale vitesse? Et quand nous dirions cela, ne parlerions-nous pas dans le temps? nos paroles ne seraient elles pas composées de syllabes longues et brèves? n'aurionsnous pas mis plus de temps à prononcer les unes que les autres ??

Le mouvement des astres n'est donc point le temps, mais il sert à distinguer les temps et à marquer les années et les jours; c'est l'esprit qui mesure le temps. Comment le mesure t-il? quelle est la règle dont il se sert? où la trouve-t-il? Saint Augustin répond à ces questions :

Ce n'est point parler juste que de dire qu'il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir; il faudrait peut être dire: il y a trois sortes de temps présent, présent du passé, présent des choses présentes, et présent de l'avenir; ces trois présences sont quelque

1 Cité de Dieu, liv. XII, chap. XV, pag. 364, 362, tom. II, trad.

de M. Saisset. (Voy. la note L, appendice des 2 et 3e parties.)

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chose de distinct dans mon âme, car je ne les aperçois que là: l'une est le souvenir présent du passé, l'autre est la considération actuelle de quelque chose de présent, et la dernière l'attente réfléchie de ce qui est. à venir. Si on me permet de dire que je vois distinctement trois sortes de présences, je conviendrai en ce sens qu'il y a trois sortes de temps existant, et je permettrai de mon côté qu'on dise qu'il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir, quelque impropre que soit cette façon de parler. Je demande uniquement qu'on veuille bien entendre ce qu'on dit, et qu'on ne se figure pas que l'avenir soit déjà et que le passé soit encore, car on ne laisse pas de s'entendre, malgré l'impropriété de ces expressions'.

» Je mesure le temps, je le sais bien; mais je ne mesure ni l'avenir qui n'est pas encore, ni le présent qui n'a point de durée, ni le passé puisqu'il n'est plus. Qu'est ce donc que je mesure? serait ce que, ne pouvant mesurer le passé, je mesure du moins le présent à mesure qu'il s'écoule 2? Si l'on pouvait concevoir un instant qui ne pût être divisé en aucun autre, quelque petit qu'il fût, ce serait ce qu'on pourrait appeler vraiment le présent. Mais le présent vole de l'avenir dans le passé avec tant de rapidité, qu'il ne s'arrête ni ne s'étend. S'il s'étendait, il serait moitié dans le passé

1 Conf., lib. XI, cap. XX, tom. I. (Voy. la note M, appendice des 2e et 3e parties.)

2 lbid., lib. XI, cap. XVI, XXVI, n. 33, tom. I.

et moitié dans l'avenir, ce qui fait voir que le présent est sans la moindre étendue'. »

«Par où est-ce que je mesure le temps? Est-ce par un temps court que je mesure un temps long, comme je mesure une poutre avec un pied? Il paraît, en effet, que c'est ainsi qu'on mesure une syllabe longue par une syllabe brève, et qu'on dit que la syllabe longue est double de la syllabe brève. On mesure de même la longueur d'un poème par celle des vers, celle des vers par celle des pieds, celle des pieds par celle des syllabes, et celle des syllabes longues par celle des brèves; toutes choses qu'on ne mesure point sur le papier comme la distance des lieux, mais sur le temps qu'on met à les dire. D'après cela, nous disons qu'un poème est long, puisqu'il est composé de tant de vers; qu'un vers est long, parce qu'il est composé de tant de pieds; qu'un pied est long, parce qu'il est composé de tant de syllabes; qu'une syllabe est longue, parce qu'elle est double d'une brève.

Mais cela ne fixe certainement pas la mesure du temps, puisqu'il se peut faire qu'en prononçant lentement un vers court et fort vite un vers long, on mette plus de temps à prononcer le premier que le second'. Il en est de même d'un poème, d'un pied et d'une syllabe; et c'est ce qui m'a fait dire que le temps

1 Conf., lib. XI, cap. XV, n. 20, tom. I.

2 Ibid., lib. XI, cap. XXVI, n. 33, tom. I. (Voy. la note N, appendice des 2e et 3e parties.)

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