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In partem quæ peste caret, tum pondere turris

Procubuit subitò, et cœlum tonat omne fragore.

La circonstance exprimée dans ces vers inspire un véritable intérêt. On voit l'effroi des Troyens, on les voit se rassembler, se presser vers le côté qui n'est point encore embrasé, et trouver la mort en cherchant à l'éviter. On entend le fracas de la tour qui s'écroule, dans ce beau vers: Procubuit subitò, et cælum tonat omne fragore. Les Troyens ensevelis sous les décombres de l'édifice qui leur servoit d'asile, présentent une image terrible et attendrissante; ce tableau est heureusement varié par la fuite d'Hélénor et de Lycus, qui seuls sortent vivans de cet immense tombeau, et périssent bientôt sous le fer des ennemis.

Is primam ante aciem, digna atque indigna relatu
Vociferans, tumidusque novo præcordia regno,
Ibat, et ingentem sese clamore ferebat.....

Ces vers peuvent nous révéler un des secrets de la versification latine; le verbe ibat est rejeté adroitement au troisième vers après tumidus vociferans : « A la tête des assail» lans, vomissant toutes sortes d'injures, et fier de son al»liance, il marchoit. » Ce mot, il marchoit, renvoyé ainsi à la fin de la période, forme une chute heureuse; la phrase se relève ensuite avec éclat, par ces mots : et ingentem sese clamore ferebat. Cette coupe savante, qui ne sembloit appartenir qu'à la langue latine, a été introduite dans la poésic

française par nos plus grands maîtres. Dans le Lutrin :

L'oiseau plein d'allégresse

Reconnoît à ce ton la voix de sa maîtresse ;

Il la suit; et tous deux, d'un cours précipité,

De Paris à l'instant abordent la cité.

Dans le récit de Théramène :

Il veut les rappeler, et sa voix les effraie;

Ils courent; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.

Nous pourrions citer un grand nombre d'autres exemples, mais ceux-ci nous paroissent suffisans pour faire connoître aux jeunes poëtes le parti qu'on peut tirer de notre langue.

Le discours de Numanus est un des morceaux les plus admirés de ce neuvième livre. Ce n'est point aux Atrides, s'écrie-t-il, ni au fourbe Ulysse que vous avez affaire, mais à une nation chez laquelle la vigueur est héréditaire. Virgile prend delà occasion de faire connoître le courage et les mœurs guerrières des peuples de l'ancienne Italie. On pourroit penser que le discours de Numanus est un peu trop long pour un guerrier qui est sur le champ de bataille. I est probable que Virgile ne lui auroit point donné cette étendue, s'il n'avoit eu un excellent motif: il s'agit d'une victoire que va remporter le jeune Ascagne; il étoit convenable d'y faire arrêter l'attention du lecteur. Les qualités et les vertus militaires dont se vante si longuement et si poć

tiquement Numanus servent d'ailleurs à rehausser la gloire de son jeune vainqueur,

It clamor totis per propugnacula muris :
Intendunt acres arcus, amentaque torquent.
Sternitur omne solum telis : tum scuta cavæque
Dant sonitum flictu galeæ : pugna aspera surgit.....

Ce combat qui s'engage est un des passages de l'Éneide auxquels, pour nous servir d'une expression de Pope, Homère a mis le feu. Le poëte grec n'a point de description plus rapide, plus vive et plus animée; rien n'égale la richesse de cette comparaison, où le poëte représente, à l'approche d'une constellation orageuse, la tempête qui brise le sein des nuages, cœlo cava nubila rumpit, et fait tomber la grèle et la pluie sur la terre et sur la mer : verberat imber humum; multá grandine nimbi in vada præcipitant; torquet aquosam hiemem. Toutes ces expressions, et surtout les dernières, donnent une idée parfaite de l'agitation et de la tourmente des élémens, et présentent une fidèle image de la fureur des combats. Virgile a dans ce morceau plusieurs autres comparaisons; il ne les a pas toutes prises à Homère, et elles prouvent que le poëte latin étoit souvent plus heureux en suivant son propre génie qu'en imitant les poëtes de la Grèce. La manière dont Turnus s'introduit dans le camp ennemi, et la frayeur des Troyens à son aspect, achèvent de peindre la confusion et le désordre de la bataille. Cette situation est

d'un intérêt dramatique et conforme aux préceptes d'Aristote, qui recommande aux poëtes épiques d'employer quelquefois les mobiles de la tragédie; elle est exprimée en quelques mots; et Virgile, qui a tout le feu d'Homère, l'emporte sur son rival par son énergique précision. On peut avec raison appliquer au chantre d'Énée ce que Pline disoit de Timanthe, un des plus grands peintres de la Grèce : Timanthi plurimum adfuit ingenii in omnibus operibus ejus ; intelligitur enim plus semper quàm pingitur.

Virgile, à la fin de ce neuvième livre, relève avec beaucoup d'art le caractère de Turnus, et il le relève ainsi dans le dessein de faire éclater davantage la gloire d'Énée, qui sera bientôt son vainqueur : le dieu Mars pousse lui-même le héros toscan; Junon tremble pour lui; et le dieu du Tibre le reçoit sur ses ondes pour le rendre à ses compagnons.

Virgile annonce clairement qu'il a voulu donner à Turnus le caractère d'Achille; il chante les Troyens, et c'est une heureuse idée que d'avoir fait renaître en quelque sorte le fils de Thétis pour l'immoler aux mânes d'Ilion: ce trait rappelle et réalise déjà la prédiction d'Anchise dans le premier livre:

« Un jour, un jour viendra qu'en tous lieux triomphans,

» A la superbe Argos, à la fière Mycènes,

» Le sang d'Assaracus imposera des chaînes;
» Et les fils des vaincus, tout-puissans à leur tour,
Aux enfans des vainqueurs commanderont un jour.»

Le caractère d'Achille est le plus beau caractère de la poésie épique; et la ressemblance qu'il a avec Turnus a fait craindre, comme nous l'avons dit, que ce rival d'Énée ne fût plus intéressant que le héros même de l'Eneide. On auroit dû cependant se pénétrer de cette vérité, qu'un caractère épique est plus ou moins beau selon qu'il est plus ou moins conforme au but que le poëte se propose. Dans l'Iliade, Achille est un héros plein de valeur; mais sa valeur tient essentiellement de la colère. Homère avoit à parler de la guerre ou plutôt de la destruction de Troie, et la colère étoit une passion convenable au but qu'il s'étoit proposé. Virgile, au contraire, chante l'origine d'un empire; les passions furieuses ne convenoient ni à son sujet ni à son héros. La colère peut détruire une ville; mais elle ne peut fonder un grand état. Ainsi le caractère d'Achille auroit paru déplacé dans le héros de l'Énéïde, et Virgile a fait sagement de donner ce même caractère à Turnus qu'il oppose au fondateur de Rome.

Virgile, en effet, comme on l'a vu, présente Turnus comme un guerrier furieux. A l'imitation d'Homère, il compare ce nouvel Achille au lion, et le lion est le symbole de la fureur. Horace nous apprend que lorsque Prométhée forma l'homme de ce que l'animal avoit de propre, ce qu'il emprunta du lion fut la colère.

Stace a voulu aussi donner à Tydée le caractère d'Achille;

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