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valois; mais depuis que tu es devenu parricide, | leurs guerres en la Bresse, et son corps ayant boutefeu, basteleur, cochier, ie te hay comme tu merites; » l'aultre, pourquoy il le vouloit tuer: « Parce que ie ne treuve aultre remede à tes continuels malefices': » mais les publics et universels tesmoignages qui, aprez sa mort, ont esté rendus, et le seront à tout iamais à luy et à touts meschants comme luy, de ses tyranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peult reprouver ?

Il me desplaist qu'en une si saincte police que la lacedemonienne, se feust meslee une si feincte cerimonie: A la mort des roys, touts les confederez et voisins, et touts les ilotes, hommes, femmes, peslemesle, se descoupoient le front pour tesmoignage de dueil, et disoient en leurs cris et lamentations, que celuy là, quel qu'il eust esté, estoit le meilleur roy de touts les leurs 2; attribuant au reng le loz qui appartenoit au merite, et qui appartient au premier merite, au postreme et dernier reng.

Aristote, qui remue toutes choses, s'enquiert, sur le mot de Solon, « que nul avant mourir ne peult estre dict heureux3,» si celuy là mesme qui a vescu, et qui est mort à souhait, peult estre dict heureux si sa renommee va mal, si sa posterité est miserable. Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par preoccupation où il nous plaist; mais estants hors de l'estre, nous n'avons aucune communication avecques ce qui est : et seroit meilleur de dire à Solon, que iamais homme n'est donc heureux, puis qu'il ne l'est qu'aprez qu'il n'est plus. Quisquam

Vix radicitus e vita se tollit, et eiicit :
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse...
Nec removet satis a proiecto corpore sese, et
Vindicat 4.

Bertrand du Glesquin mourut au siege du chasteau de Randon, prez du Puy en Auvergne 5: les assiegez s'estants rendus aprez, feurent obligez de porter les clefs de la place sur le corps du trespassé. Barthelemy d'Alviane, general de l'armee des Venitiens, estant mort au service de

I TACITE, Annal. XV, 67, 68. C.

2 HERODOTH, VI, 68. J. V. L.

3 HÉRODOTE, I, 32; ARISTOTE, Morale à Nicomaque, I, 10.

J. V. L.

4 On trouve à peine un sage qui s'arrache totalement à la vie. Incertain de l'avenir, l'homme s'imagine qu'une partie de son être lui survit; il ne peut s'affranchir de ce corps qui périt et tombe. LUCRÈCE, III, 890 et 895. Montaigne a fait ici quelques changements au texte de Lucrèce. J. V. L.

5 Le 13 juillet 1380, au siége de Châteauneuf de Randon ou Randan, situé entre Mende et le Puy. Voy. sur la mort de du Guesclin les Mémoires de Bre tome, tom. II, pag. 220.

esté rapporté à Venise par le Veronois, terre ennemie, la pluspart de ceulx de l'armee estoient d'advis qu'on demandast saufconduict pour le passage à ceulx de Verone: mais Theodore Trivulce y contredict, et choisit plustost de le passer par vifve force, au hazard du combat : « N'estant convenable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n'avoit iamais eu peur de ses ennemis, estant mort feist demonstration de les craindre 1. » De vray, en chose voysine, par les loix grecques, celuy qui demandoit à l'ennemy un corps pour l'inhumer, renonceoit à la victoire, et ne luy estoit plus loisible d'en dresser trophee : à celuy qui en estoit requis, c'estoit tiltre de gaing. Ainsi perdit Nicias l'advantage qu'il avoit nettement gaigné sur les Corinthiens; et, au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien doubteusement acquis sur les Bootiens '.

3

Ces traicts se pourroient trouver estranges, s'il n'estoit receu de tout temps, non seulement d'estendre le soing de nous au delà cette vie, mais encores de croire que bien souvent les faveurs celestes nous accompaignent au tumbeau et continuent à nos reliques. Dequoy il y a tant d'exemples anciens, laissant à part les nostres, qu'il n'est besoing que ie m'y estende. Edouard premier, roy d'Angleterre, ayant essayé aux longues guerres d'entre luy et Robert, roy d'Escosse, combien sa presence donnoit d'advantage à ses affaires, rapportant tousiours la victoire de ce qu'il entreprenoit en personne; mourant obligea son fils, par solennel serment, à ce qu'estant trespassé il feist bouillir son corps pour desprendre sa chair d'avecques les os, laquelle il feist enterrer; et quant aux os, qu'il les reservast pour les porter avecques luy et en son armee, toutes les fois qu'il luy adviendroit d'avoir guerre contre les Escossois: comme si la destinee avoit fatalement attaché la victoire à ses membres. Iean Zischa 4, qui troubla la Boëme pour la deffense des erreurs de Wiclef, voulut qu'on l'escorchast aprez sa mort, et de sa peau qu'on feist un tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis; estimant que cela ayderoit à continuer les advantages qu'il avoit eus aux guerres par luy conduictes contre eulx. Certains Indiens

I BRANTÓME, à l'article de Barthelemi d'Alviano, tom. II, pag. 219; et GUICCIARDIN, que Montaigne a traduit ici fort exactement, liv. XII, p. 105 et 106. C.

2 PLUTARQUE, Vie de Nicias, c. 2; Vie d'Agésilas, c. 6. C. 3 Le 7 juillet 1307, à l'âge de 69 ans, après en avoir régné 35. Voy. ANDRÉ DU CHESNE, Hist. d'Angleterre, liv. XIV. J. V. L. 4 Ou Ziska, mort en 1424. Dans quelques éditions anciennes, on lit Fischa.

portoient ainsin au combat contre les Espaignols | yeulx bandez. L'ordonnance que Cyrus faict à

les ossements d'un de leurs capitaines, en consideration de l'heur qu'il avoit eu en vivant : et d'aultres peuples, en ce mesme monde, traisnent à la guerre les corps des vaillants hommes qui sont morts en leurs battailles, pour leur servir de bonne fortune et d'encouragement. Les premiers exemples ne reservent au tumbeau que la reputation acquise par leurs actions passees; mais ceulx cy y veulent encores mesler la puissance d'agir.

Le faict du capitaine Bayard est de meilleure composition lequel se sentant blecé à mort d'une arquebusade dans le corps, conseillé de se retirer de la meslee, respondit qu'il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le dos à l'ennemy; et ayant combattu autant qu'il eut de force, se sentant defaillir et eschapper du cheval, commanda à son maistre d'hostel de le coucher au pied d'un arbre, mais que ce feust en façon qu'il mourust le visage tourné vers l'ennemy: comme il feit 1.

Il me fault adiouster cet aultre exemple aussi remarquable, pour cette consideration, que nul des precedents. L'empereur Maximilian, bisayeul du roy Philippes qui est à present, estoit prince doué de tout plein de grandes qualitez, et entre aultres d'une beaulté de corps singuliere: mais parmy ses humeurs il avoit cette cy, bien contraire à celle des princes qui, pour despescher les plus importants affaires, font leur throsne de leur chaire percee; c'est qu'il n'eut iamais valet de chambre si privé, à qui il permeist de le veoir en sa garderobbe: il se desrobboit pour tumber de l'eau, aussi religieux qu'une pucelle à ne descouvrir ny à medecin, ni à qui que ce feust, les parties qu'on a accoustumé de tenir cachees. Moy qui ay la bouche si effrontee, suis pourtant par complexion touché de cette honte: si ce n'est à une grande suasion de la necessité ou de la volupté, ie ne communique gueres aux yeulx de personne les membres et actions que nostre coustume ordonne estre couvertes; i'y souffre plus de contraincte que ie n'estime bienseant à un homme, et sur tout à un homme de ma profession. Mais luy en veint à telle superstition, qu'il ordonna, par paroles expresses de son testament, qu'on luy attachast des calessons quand il seroit mort. Il debvoit adiouster, par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust les

Memoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II, pag. 79, édit. de Paris, 1586. C. 2 Philippe II, roi d'Espagne. J. V. L.

ses enfants, que ny eulx, ny aultre, ne veoye et touche son corps aprez que l'ame en sera separee', ie l'attribue à quelque sienne devotion; car et son historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semé par tout le cours de leur vie un singulier soing et reverence à la religion.

Ce conte me despleut, qu'un grand me feit d'un mien allié, homme assez cogneu et en paix et en guerre : c'est que mourant bien vieil en sa court, tormenté de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures dernieres, avec un soing vehement, à disposer l'honneur et la cerimonie de son enterrement; et somma toute la noblesse qui le visitoit de luy donner parole d'assister à son convoy : à ce prince mesme, qui le veit sur ses derniers traicts, il feit une instante supplication que sa maison feust commandee de s'y trouver, employant plusieurs exemples et raisons à prouver que c'estoit chose qui appartenoit à un homme de sa sorte; et sembla expirer content, ayant retiré cette promesse, et ordonné à son gré la distribution et ordre de sa montre. Ie n'ay gueres veu de vanité si perse

Cette aultre curiosité contraire, en laquelle ie n'ai point aussi faulte d'exemple domestique, me semble germaine à cette cy: d'aller se soignant et passionnant à ce dernier point, à regler son convoy à quelque particuliere et inusitec parcimonie, à un serviteur et une lanterne. Ie veoy louer cette humeur, et l'ordonnance de Marcus Aemilius Lepidus, qui deffendit à ses heritiers d'employer pour luy les cerimonies qu'on avoit accoustumé en telles choses. Est ce encores temperance et frugalité, d'éviter la despense et la volupté, desquelles l'usage et la cognoissance nous est imperceptible? voilà une aysee reformation, et de peu de coust. S'il estoit besoing d'en ordonner, ie seroy d'advis qu'en celle là, comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la reigle au degré de sa fortune. Et le philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis de mettre son corps où ils adviseront pour le mieulx; et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques 3. Ie lairray purement la coustume ordonner de cette cerimonie, et m'en remettray à la discretion des premiers à qui ie tumberay en charge. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negli

1 XÉNOPHION, Cyropédie, VIII, 7. C.

2 TITE-LIVE, Epitom. du liv. XLVIII. C. 3 DIOGENE LAERCE, V, 71. C.

gendus in nostris 1. Et est sainctement dict à un sainct Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exsequiarum, magis sunt vivorum solatia, quam subsidia mortuorum. Pour tant Socrates à Criton, qui sur l'heure de sa fin luy demande comment il veult estre enterré : « Comme vous voudrez 3, » respond il. Si i̇'avois à m'en empescher plus avant, ie trouveroy plus galand d'imiter ceulx qui entreprennent, vivants et respirants, iouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture, et qui se plaisent de veoir en marbre leur morte contenance. Heureux qui scachent resiouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité, et vivre de leur mort!

4

A peu que ie n'entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire, quoy qu'elle me semble la plus naturelle et equitable, quand il me souvient de cette inhumaine iniustice du peuple athenien, de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouyr en leurs deffenses, ces braves capitaines venants de gaigner contre les Lacedemoniens la battaille navale prez les isles Argineuses, la plus contestee, la plus forte battaille que les Grecs ayent oncques donnee en mer de leurs forces; parce qu'aprez la victoire ils avoient suyvy les occasions que la loi de la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse le faict de Diomedon cettuy cy est l'un des condemnez, homme de notable vertu et militaire et politique, lequel se tirant avant pour parler, aprez avoir ouy l'arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en servir au bien de sa cause, et à descouvrir l'evidente iniustice d'une si cruelle conclusion, ne representa qu'un soing de la conservation de ses iuges, priant les dieux de tourner ce iugement à leur bien; et à fin que, par faulte de rendre les vœux que luy et ses compaignons avoient vouez en recognoissance d'une illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des dieux sur eulx, les advertissant quels vœux c'estoient; et sans dire aultre chose, et sans marchander, s'achemina de ce pas courageusement au supplice 5.

1 C'est un soin qu'il faut mépriser pour soi-même, et ne pas négliger pour les siens. CICERON, Tuscul. quæst. I, 45.

2 Le soin des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques, sont moins nécessaires à la tranquillité des morts qu'à la consolation des vivants. SAINT AUGUSTIN, Cité de Dieu, I, 12.

3 PLATON, vers la fin du Phédon. C.

4 Peu s'en faut.

5 DIODORE DE SICHE, XIII, 31, 32. C.

La fortune, quelques annees aprez, les punit de mesme pain soupe: car Chabrias, capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis, admiral de Sparte, en l'isle de Naxe, perdit le fruict tout net et comptant de sa victoire, tres important à leurs affaires, pour n'encourir le malheur de cet exemple; et pour ne perdre peu de corps morts de ses amis qui flottoient en mer, laissa voguer en sauveté un monde d'ennemis vivants qui, depuis, leur feirent bien acheter cette importune superstition'.

Quæris, quo iaceas, post obitum, loco?
Quo non nata iacent 2.

Cet aultre redonne le sentiment du repos à un corps sans ame:

Neque sepulcrum, quo recipiatur, habeat, portum corporis, Ubi, rernissa humana vita, corpus requiescat a malis 3: tout ainsi que nature nous faict veoir que plusieurs choses mortes ont encores des relations occultes à la vie : le vin s'altere aux caves, selon aulcunes mutations des saisons de sa vigne; et la chair de venaison change d'estat aux saloirs, et de goust, selon les loix de la chair vifve, à ce qu'on dict.

CHAPITRE IV

Comme l'ame descharge ses passions sur des obiects fauls, quand les vrais luy defaillent.

Un gentilhomme des nostres, merveilleusement subiect à la goutte, estant pressé par les medecins de laisser du tout l'usage des viandes salees, avoit accoustumé de respondre plaisamment, « que sur les efforts et torments du mal, il vouloit avoir à qui s'en prendre; et que s'escriant, et mauldissant tantost le cervelat, tantost la langue de bœuf et le iambon, il s'en sentoit d'autant allegé. » Mais, en bon escient, comme le bras estant haulsé pour frapper, il nous deult 4 si le coup ne rencontre et qu'il aille au vent; aussi que pour rendre une veue plaisante, il ne fault pas qu'elle soit perdue et escartee dans le vague de l'air, ains qu'elle ayt butte pour la soustenir à raisonnable distance:

1 DIODORE DE SICILE, XV, 9. C.

2 Veux-tu savoir où tu seras après la mort? Où sont les choses à naître. SÉNÈQUE, Troad. chor. act. II, v. 30.

3 Loin de toi, pour jamais, cette paix des tombeaux, Où le corps fatigué trouve enfin le repos! ENNIUS apud Cic. Tuscul. I, 44. J. V. L. 4 Il nous fait mal. Deuit, du latin dolet.

Ventus ut amittit vires, nisi robore densæ Occurrant silvæ, spatio diffusus inani ' :

2

de mesme il semble que l'ame esbranlee et esmue se perde en soy mesme si on ne lui donne prinse; et fault tousiours luy fournir d'obiect où elle s'abbutte et agisse. Plutarque dict, à propos de ceulx qui s'affectionnent aux guenons et petits chiens, que la partie amoureuse qui est en nous, à faulte de prinse legitime, plustost que de demourer en vain, s'en forge ainsin une faulse et frivole. Et nous veoyons que l'ame en ses passions se pipe plustost elle mesme, se dressant un fauls subiect et fantastique, voire contre sa propre creance, que de n'agir contre quelque chose. Ainsin emporte les bestes leur rage à s'attaquer à la pierre et au fer qui les a blecees, et à se venger à belles dents sur soy mesme du mal qu'elles sentent :

Pannonis haud aliter post ictum sævior ursa, Cui iaculum parva Libys amentavit habena; Se rotat in vulnus, telumque irata receptum Impetit, et secum fugientem circuit hastam 3, Quelles causes n'inventons nous des malheurs qui nous adviennent? à quoy ne nous prenons nous, à tort ou à droict, pour avoir où nous escrimer? Ce ne sont pas ces tresses blondes que tu deschires, ny la blancheur de cette poictrine que despitee tu bats si cruellement, qui ont perdu d'un malheureux plomb ce frere bien aymé prens t'en ailleurs. Livius parlant de l'armee romaine en Espaigne, aprez la perte des deux freres ses grands capitaines, flere omnes repente, et offensare capita : c'est un usage commun. Et le philosophe Bion, de ce roy qui de dueil s'arrachoit les poils, feut il pas plaisant? Cettuy cy pense il que la pelade soulage le

a

et Caligula ruina une tres belle maison, pour le plaisir que sa mere y avoit eu.

I

Le peuple disoit en ma ieunesse, qu'un roy de nos voysins', ayant receu de Dieu une bastonade, iura de s'en venger, ordonnant que de dix ans on ne le priast, ny parlast de luy, ny, autant qu'il estoit en son auctorité, qu'on ne creust en luy. Par où on vouloit peindre non tant la sottise que la gloire naturelle à la nation dequoy estoit le conte; ce sont vices tousiours conioincts: mais telles actions tiennent, à la vérité, un peu plus encores d'oultrecuidance que de bestise. Augustus Cesar ayant esté battu de la tempeste sur mer, se print à desfier le dieu Neptunus, et en la pompe des ieux circenses feit oster son image du reng où elle estoit parmy les aultres dieux, pour se venger de luy3: en quoy il est encores moins excusable que les precedents, et moins qu'il ne feut depuis, lors qu'ayant perdu une battaille soubs Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de cholere et de desespoir chocquant sa teste contre la muraille, en s'escriant : « Varus, rens moy mes soldats 4 : » car ceulx là surpassent toute folie, d'autant que l'impieté y est ioincte, qui s'en adressent à Dieu mesme ou à la fortune, comme si elle avoit des aureilles subiectes à nostre batterie; à l'exemple des Thraces, qui quand il tonne ou esclaire, se mettent à tirer contre le ciel d'une vengeance titanienne, pour renger Dieu à raison à coups de fleches 5. Or, comme dict cet ancien poëte, chez Plutarque 6,

Point ne se fault courroucer aux affaires;
Il ne leur chault de toutes nos choleres.

Mais nous ne dirons iamais assez d'iniures au desreiglement de notre esprit.

CHAPITRE V.

dueil 5? » Qui n'a veu mascher et engloutir les chartes, se gorger d'une bale de dez, pour avoir où se venger de la perte de son argent? Xerxes Si le chef d'une place assiegee doibt sortir pour fouetta la mer, et escrivit un cartel de desfi au

6

mont Athos ; et Cyrus amusa toute une armee 7 plusieurs iours à se venger de la riviere de Gyndus, pour la peur qu'il avoit eue en la passant;

Et comme le vent, si d'épaisses forêts n'irritent sa fureur, perd ses forces dissipées dans le vague de l'air. LUCAIN, III, 362. 2 Dans la Vie de Périclès, au commencement. C.

3 Ainsi l'ourse, plus terrible après sa blessure, se replie sur sa plaie; furieuse, elle veut mordre le trait qui la déchire, et poursuit le fer qui tourne avec elle. LUCAIN, VI, 220.

4 Publius et Cnéius Scipion. TITE-LIVE dit, XXV, 37, « que chacun se mit aussitôt à pleurer et à se frapper la tête. » J. V. L.

5 CICERON, Tuscul. III, 26. C.

6 HERODOTE, VII, 24, 35; PLUTARQUE, de la Colère, page

455. J. V. L.

7 HÉRODOTE, 1, 189; SÉNÈQUE, de Ira, III, 21. J. V. L.

parlementer.

Lucius Marcius 7, legat des Romains en la guerre contre Perseus, roi de Macedoine, vou

Ou peut-être le déplaisir, car elle y avait été renfermée SÉNÈQUE, de Ira, III, 22. C.

2 Je crois qu'il s'agit ici d'Alphonse XI, roi de Castille, mort en 1350. Voy. la Géométrie pratique de Charles de Bovelles, édit. de 1547, fol. 62. A. D.

3 SUÉTONE, Auguste, c. 16. C.

4 In. ibid. c. 23. C.

5 HÉRODOTE, IV, 94. J. V. L.

6 Dans son traité du Contentement ou Repos de l'esprit, o. 4 de la traduction d'Amyot. C.

7 TITE-LIVE nomme ce lieutenant des Romains Quintus Mar cius, XLII, 37. Il raconte, chap. 47, comment la ruse de Q. Marcius fut blámée par quelques membres du sénat. J. V. L.

lant gaigner le temps qu'il luy falloit encores à | mettre en poinct son armee, sema des entreiects' d'accord, desquels le roy endormy accorda trefve pour quelques iours, fournissant par ce moyen son ennemy d'opportunité et loisir pour s'armer; d'où le roy encourut sa derniere ruyne. Si est ce que les vieux du senat, memoratifs des mœurs de leurs peres, accuserent cette practique, comme ennemie de leur style ancien, qui feut, disoient ils, combattre de vertu, non de finesse, ny par surprinses et rencontres de nuict, ni par fuittes appostees et recharges inopinees; n'entreprenants guerre qu'aprez l'avoir denoncee, et souvent aprez avoir assigné l'heure et le lieu de la battaille. De cette conscience ils renvoyerent à Pyrrhus son traistre medecin, et aux Phalisques leur desloyal maistre d'eschole. C'estoient les formes vrayement romaines, non de la grecque subtilité et astuce punique, où le vaincre par force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peult servir pour le coup: mais celuy seul se tient pour surmonté, qui sçait l'avoir esté ny par ruse ny de sort, mais par vaillance, de trouppe à trouppe, en une franche et iuste guerre. Il appert bien par ce langage de ces bonnes gents, qu'ils n'avoient encores receu cette belle sentence,

Dolus, an virtus, quis in hoste requirat *? Les Achaïens, dict Polybe3, detestoient toute voye de tromperie en leurs guerres, n'estimants victoire, sinon où les courages des ennemis sont abbattus. Eam vir sanctus et sapiens sciet veram esse victoriam, quæ, salva fide et integra dignitate, parabitur 4, dict un aultre.

Vosne velit, an me, regnare hera, quidve ferat, fors,
Virtute experiamur 5.

Au royaume de Ternate, parmy ces nations que si à pleine bouche nous appellons barbares, la coustume porte qu'ils n'entreprennent guerre sans l'avoir premierement denoncee; y adioustants ample declaration des moyens qu'ils ont à y employer, quels, combien d'hommes, quelles munitions, quelles armes, offensifves et defensifves; mais aussi, cela faict, si leurs ennemis ne

Ou, comme on a mis dans quelques éditions, interjets, c'est-à-dire propositions, ouvertures. C.

2 Qu'importe qu'on triomphe ou par force ou par ruse?
VIRG. Én. II, 390, trad. de Delille.

3 L. XIII, c. I. C.

4 L'homme sage et vertueux doit savoir que la seule victoire véritable est celle que peuvent avouer la bonne foi et l'honneur. FLORUS, I, 12.

5 Éprouvons par le courage si c'est à vous ou à moi que la fortune, maitresse des événements, destine l'empire. ENNIUS apud Cic. de Officiis, I, 12.

cedent et viennent à accord, ils se donnent loy de se servir à leur guerre, sans reproche, de tout ce qui ayde à vaincre.

Les anciens Florentins estoient si esloingnez de vouloir gaigner advantage sur leurs ennemis par surprinse, qu'ils les advertissoient, un mois avant que de mettre leur exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu'ils nommoient Martinella1.

Quant à nous, moins superstitieux, qui tenons celuy avoir l'honneur de la guerre, qui en a le proufit, et qui, aprez Lysander, disons « que, où la peau du lyon ne peult suffire, il y fault coudre un loppin de celle du renard 2, » les plus ordinaires occasions de surprinse se tirent de cette practique; et n'est heure, disons nous, où un chef doibve avoir plus l'œil au guet, que celle des parlements et traictez d'accord: et pour cette cause, c'est une reigle, en la bouche de touts les hommes de guerre de nostre temps, « qu'il ne fault iamais que le gouverneur en une place assiegee sorte luy mesme pour parlementer. » Du temps de nos peres, cela feut reproché aux seigneurs de Montmord et de l'Assigni, deffendants Mouson contre le comte de Nansau3. Mais aussi, à ce compte, celuy là seroit excusable qui sortiroit en telle façon, que la seureté et l'advantage demourast de son costé; comme feit en la ville de Regge le comte Guy de Rangon (s'il en fault croire du Bellay, car Guicciardin dict que ce feut luy mesme 4), lors que le seigneur de l'Escut s'en approcha pour parlementer; car il abandonna de si peu son fort, qu'un trouble s'estant esmeu pendant ce parlement, non seulement monsieur de l'Escut et sa trouppe, qui estoit approchee avecques luy, se trouva le plus foible, de façon qu'Alexandre Trivulce y feut tué, mais luy mesme feut contrainct, pour le plus seur, de suyvre le comte, et se iecter, sur sa foy, à l'abri des coups dans la ville.

Eumenes, en la ville de Nora, pressé par Antigonus, qui l'assiegecit, de sortir pour luy parler, alleguant que c'estoit raison qu'il veinst

Du nom de saint Martin, dérivé de celui de Mars, dieu de la guerre. E. J.- De là, peut-être, le mot de Pierre Capponi, premier secrétaire florentin, qui déchirant le papier où étaient écrites les conditions que leur faisait présenter Charles VIII, s'écria: «Eh bien! s'il en est ainsi, vous sonnerez vos trompettes, et nous sonnerons nos cloches. » Voy. l'Histoire des Républiques italiennes, par M. Sismondi, t. XII, p. 168.

J. V. L.

2 PLUTARQUE, Vie de Lysander, c. 4. C.

3 Pont-à-Mousson contre le comte de Nassau. E. J.

4 MARTIN DU BELLAY, liv. I, fol. 59; GUICCIARDIN, liv. XIV, pag. 183, 181. C.

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