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veilleuse distance entre leur forme et la nostre. | cognoissance des corruptions de deçà, et que de ce commerce naistra leur ruyne, comme ie presuppose qu'elle soit desia avancee (bien miserables de s'estre laissez piper au desir de la nouvelleté, et avoir quitté la doulceur de leur ciel pour venir veoir le nostre!), feurent à Rouan du temps que le feu roy Charles neufviesme y estoit. Le roy parla à eulx long temps. On leur feit veoir nostre façon, nostre pompe, la forme d'une belle ville. Aprez cela, quelqu'un en demanda leur advis, et voulut sçavoir d'eulx ce qu'ils y avoient trouvé de plus admirable : ils respondirent trois choses, dont i'ay perdu la troisiesme, et en suis bien marry; mais i'en ay encores deux en memoire. Ils dirent qu'ils trouvoient en premier lieu fort estrange que tant de grands hommes portants barbe, forts et armez, qui estoient autour du roy (il est vraysemblable qu'ils parloient des Souisses de sa garde), se soubmissent à obeïr à un enfant, et qu'on ne choisissoit plustost quelqu'un d'entre eulx pour commander. Secondement (ils ont une façon de langage telle, qu'ils nomment les hommes moitié les uns des aultres), qu'ils avoient apperceu qu'il y avoit parmy nous des hommes pleins et gorgez de toutes sortes de commoditez, et que leurs moitiez estoient mendiants à leurs portes, descharnez de faim et de pauvreté; et trouvoient estrange comme ces moitiez icy necessiteuses pouvoient souffrir une telle iniustice, qu'ils ne prinssent les aultres à la gorge, ou meissent le feu à leurs maisons.

Les hommes y ont plusieurs femmes, et en ont d'autant plus grand nombre, qu'ils sont en meilleure reputation de vaillance. C'est une beaulté remarquable en leurs mariages, que la mesme ialousie que nos femmes ont pour nous empescher de l'amitié et bienveillance d'aultres femmes, les leurs l'ont toute pareille pour la leur acquerir estants plus soigneuses de l'honneur de leurs maris que de toute aultre chose, elles cherchent et mettent leur solicitude à avoir le plus de compaignes qu'elles peuvent, d'autant que c'est un tesmoignage de la vertu du mary. Les nostres crieront au miracle: ce ne l'est pas; c'est une vertu proprement matrimoniale, mais du plus hault estage. Et en la Bible, Lia, Rachel, Sara, et les femmes de Iacob, fournirent leurs belles servantes à leurs maris : et Livia seconda les appetits d'Auguste', à son interest: et la femme du roy Deiotarus, Stratonique, presta non seulement à l'usage de son mary une fort belle ieune fille de chambre qui la servoit, mais en nourrit soigneusement les enfants, et leur feit espaule à succeder aux estats de leur pere 3. Et à fin qu'on ne pense point que tout cecy se face par une simple et servile obligation à leur usance, et par l'impression de l'auctorité de leur ancienne coustume, sans discours et sans iugement, et pour avoir l'ame si stupide que de ne pouvoir prendre aultre party, il fault alleguer quelques traicts de leur suffisance. Oultre celuy que ie viens de reciter de l'une de leurs chansons guerrieres, i'en ay une aultre amoureuse, qui commence en ce sens : « Couleuvre, arreste toy; arreste toy, couleuvre, à fin que ma sœur tire sur le patron de ta peincture la façon et l'ouvrage d'un riche cordon que ie puisse donner à ma mie: ainsi soit en tout temps ta beaulté et ta disposition preferee à touts les aultres serpents. » Ce premier couplet, c'est le refrain de la chanson. Or l'ay assez de commerce avec la poësie pour iuger cecy, que non seulement il n'y a rien de barbarie en cette imagination, mais qu'elle est tout à faict anacreontique. Leur langage, au demourant, c'est un langage doulx, et qui a le son agreable, retirant aux terminaisons grec

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Ie parlay à l'un d'eulx fort long temps; mais l'avois un truchement qui me suyvoit si mal et qui estoit si empesché à recevoir mes imaginations, par sa bestise, que ie n'en peus tirer rien qui vaille. Sur ce que ie luy demanday, Quel fruict il recevoit de la superiorité qu'il avoit parmy les siens? (car c'estoit un capitaine, et nos matelots le nommoient roy), il me dict « que c'estoit, marcher le premier à la guerre: » De combien d'hommes il estoit suyvi? il me monstra une espace de lieu, pour signifier que c'estoit autant qu'il en pourroit en une telle espace; ce pouvoit estre quatre ou cinq mille hommes : Si hors la guerre toute son auctorité estoit expiree? il diet « qu'il luy en restoit cela, que quand il visitoit les villages qui dependoient de luy, on luy dressoit des sentiers au travers des hayes de leurs bois, par où il peust passer bien à l'ayse. >> Tout cela ne va pas trop mal: mais quoy! ils ne portent point de hault de chausses.

CHAPITRE XXXI.

vantageux, qu'il en esbranle sa foy : comme aux guerres où nous sommes pour la religion, ceulx

Qu'il fault sobrement se mesler de iuger des qui eurent l'advantage à la rencontre de la Ro

ordonnances divines.

Le vray champ et subiect de l'imposture sont les choses incogneues : d'autant qu'en premier lieu l'estrangeté mesme donne credit; et puis, n'estants point subiectes à nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de les combattre. A cette cause, dict Platon 1, est il bien plus aysé de satisfaire, parlant de la nature des dieux, que de la nature des hommes; parce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carriere, et toute liberté au maniement d'une matiere cachee. Il advient de là qu'il n'est rien creu si fermement que ce qu'on sçait le moins ; ny gents si asseurez que ceulx qui nous content des fables, comme alchymistes, prognosticqueurs iudiciaires, chiromantiens, medecins, id genus omne: ausquels ie ioindroy volontiers, si i'osois, un tas de gents, interpretes et contreroolleurs ordinaires des desseings de Dieu, faisants estat de trouver les causes de chasque accident, et de veoir dans les secrets de la volonté divine les motifs incomprehensibles de ses œuvres; et quoy que la varieté et discordance continuelle des evenements les reiecte de coing en coing, et d'orient en occident, ils ne laissent de suyvre pourtant leur esteuf3, et de mesme creon peindre le blanc et le noir.

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chelabeille', faisants grand'feste de cet accident, et se servants de cette fortune pour certaine approbation de leur party; quand ils viennent aprez à excuser leurs desfortunes de Montcontour et de Iarnac 2, sur ce que ce sont verges et chastiements paternels, s'ils n'ont un peuple du tout à leur mercy, ils luy font assez ayseement sentir que c'est prendre d'un sac deux moultures, et de mesme bouche souffler le chauld et le froid. Il vauldroit mieulx l'entretenir des vrays fondements de la verité. C'est une belle battaille navale qui s'est gaignee ces mois passez 3 contre les Turcs, soubs la conduicte de dom Ioan d'Austria: mais il a bien pleu à Dieu en faire aultrefois veoir d'aultres telles à nos despens. Somme, il est mal aysé de ramener les choses divines à nostre balance, qu'elles n'y souffrent du deschet. Et qui vouldroit rendre raison de ce que Arius, et Leon son pape4, chefs principaulx de cette heresie, moururent en divers temps de morts si pareilles et si estranges (car retirez de la dispute, par douleur de ventre, à la garderobbe3, touts deux y rendirent subitement l'ame), et exaggerer cette vengeance divine par la circonstance du lieu, y pourroit bien encores adiouster la mort de Heliogabalus, qui feut aussi tué en un retraict © : mais quoy! Irenee se treuve engagé en mesme fortune. Dieu nous voulant apprendre que les bons ont aultre chose à esperer, et les mauvais aultre chose à craindre, que les fortunes ou infortunes de ce monde : il les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous oste le moyen d'en faire sottement nostre proufit. Et se moc

En une nation indienne, il y a cette louable observance quand il leur mesadvient en quelque rencontre ou battaille, ils en demandent publicquement pardon au soleil, qui est leur dieu, comme d'une action iniuste; rapportants leur heur ou malheur à la raison divine, et luy soub-quent ceulx qui s'en veulent prevaloir selon l'humettants leur iugement et discours. Suffit à un chrestien croire toutes choses venir de Dieu, les recevoir avecques recognoissance de sa divine et inscrutable sapience; pourtant les prendre en bonne part, en quelque visage qu'elles luy soyent envoyees. Mais ie treuve mauvais, ce que ie veoy en usage, de chercher à fermir et appuyer nostre religion par la prosperité de nos entreprinses. Nostre creance a assez d'aultres fondements, sans l'auctoriser par les evenements; car le peuple ligny et celles du duc d'Anjou, au mois de mai 1569. C.

accoustumé à ces arguments plausibles et proprement de son goust, il est dangier, quand les evenements viennent à leur tour contraires et desad

Dans le dialogue intitulé Critias, p. 107, éd. d'Estienne. C. 2 Et tous les gens de cette espèce. HOR. Sat. 1, 2, 2. 3 Au propre, leur balle; au figuré, leur jeu. E. J.

maine raison: ils n'en donnent iamais une touche, qu'ils n'en reçoivent deux. Sainct Augustin en faict une belle preuve sur ses adversaires. C'est un conflict qui se decide par les armes de la memoire, plus que par celles de la raison. Il se fault contenter de la lumiere qu'il plaist au soleil nous communiquer par ses rayons; et qui esle

1 Grande escarmouche entre les troupes de l'amiral de Co

La bataille de Montcontour gagnée par le duc d'Anjou, en 1569, au mois d'octobre. Ce prince avait gagné celle de Jarnac au mois de mars de la même année. C.

3 Dans le golfe de Lépante, le 7 octobre 1571. J. V. L. 4 Voyez SANDIUS, Nucleus Hist. eccles. II, pag. 110; et les Centuriateurs de Magdebourg, cent. IV, c. 10. C.

5 Athanase, Epist. ad Serapionem, et Épiphane, de Morte Arii, lib. II, rapportent ainsi la mort d'Arius. C.

6 In latrina, dit Lampride, Heliogabal, c. 17. C.

vera ses yeux pour en prendre une plus grande dans son corps mesme, qu'il ne treuve pas estrange, si pour la peine de son oultrecuidance, il y perd la veue. Quis hominum potest scire consilium Dei? aut quis poterit cogitare, quid velit Dominus1?

CHAPITRE XXXII.

De fuyr les voluptez, au prix de la vie.

l'avoy bien veu convenir en cecy la pluspart des anciennes opinions : Qu'il est heure de mourir lors qu'il y a plus de mal que de bien à vivre; et que de conserver nostre vie à nostre torment et incommodité, c'est chocquer les reigles mesmes de nature, comme disent ces vieux enseigne

ments:

Η ζῆν ἀλύπως, ἢ θανεῖν εὐδαιμόνως. Καλὸν τὸ θνήσκειν οἷς ὕβριν τὸ ζῆν φέρει. Κρείσσον τὸ μὴ ζῆν ἐστιν, ἢ ζῆν ἀθλίως 2. Mais de poulser le mespris de la mort iusques à tel degré, que de l'employer pour se distraire des honneurs, richesses, grandeurs et aultres faveurs et biens que nous appellons de la fortune (comme si la raison n'avoit pas assez à faire à nous persuader de les abbandonner, sans y adiouster cette nouvelle recharge), ie ne l'avoy veu ny commander ny practiquer, iusques lors que ce passage de Seneca 3 me tumba entre mains, auquel conseillant à Lucilius, personnage puissant et de grande auctorité autour de l'empereur, de changer cette vie voluptueuse et pompeuse, et de se retirer de cette ambition du monde à quelque vie solitaire, tranquille et philosophique; sur quoy Lucilius alleguoit quelques difficultez : <«<le suis d'advis, dict il, que tu quittes cette vie là, ou la vie tout à faict: bien te conseille ie de suyvre la plus doulce voye, et de destacher plustost que de rompre ce que tu as mal noué; pourveu que, s'il ne se peult aultrement destacher, tu le rompes: il n'y a homme si couard qui n'ayme mieulx tumber une fois, que de demourer tousiours en bransle. » l'eusse trouvé ce conseil sortable à la rudesse stoïcque; mais il est plus estrange qu'il soit emprunté d'Epicurus, qui escript à ce propos choses toutes pareilles à

quelque traict semblable parmy nos gents, mais avec la moderation chrestienne.

Sainct Hilaire, evesque de Poictiers, ce fameux ennemy de l'heresie arienne, estant en Syrie, feut adverty qu'Abra, sa fille unique, qu'il avoit par deçà avecques sa mere, estoit poursuyvie en mariage par les plus apparents seigneurs du païs, comme fille tres bien nourrie, belle, riche, et en la fleur de son aage : il luy eserivit (comme nous veoyons) qu'elle ostast son affection de touts ces plaisirs et advantages qu'on luy presentoit; qu'il luy avoit trouvé en son voyage un party bien plus grand et plus digne, d'un mary de bien aultre pouvoir et magnificence, qui luy feroit present de robbes et de ioyaux de prix inestimable. Son desseing estoit de luy faire perdre l'appetit et l'usage des plaisirs mondains, pour la ioindre toute à Dieu; mais à cela le plus court et le plus certain moyen luy semblant estre la mort de sa fille, il ne cessa par vœux, prieres et oraisons, de faire requeste à Dieu de l'oster de ce monde, et de l'appeller à soy, comme il adveint; car bientost aprez son retour, elle luy mourut, dequoy il monstra une singuliere ioye. Cettuy cy semble encherir sur les aultres, de ce qu'il s'adresse à ce moyen de prime face, lequel ils ne prennent que subsidiairement; et puis, que c'est à l'endroict de sa fille unique. Mais ie ne veulx obmettre le bout de cette histoire, encores qu'il ne soit pas de mon propos. La femme de sainct Hilaire ayant entendu par luy comme la mort de leur fille s'estoit conduicte par son desseing et volonté, et combien elle avoit plus d'heur d'estre deslogee de ce monde que d'y estre, print une si vifve apprehension de la beatitude eternelle et celeste, qu'elle solicita son mary avecques extreme instance d'en faire autant pour elle. Et Dieu, à leurs prieres communes, l'ayant retiree à soy bientost aprez, ce feut une mort embrassee avecques singulier contentement commun.

CHAPITRE XXXIII.

La fortune' se rencontre souvent au train de la raison.

L'inconstance du bransle divers de la fortune

Idomeneus. Si est ce que ie pense avoir remarqué faict qu'elle nous doibve presenter toute espece de

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1 Ce mot de fortune, employé souvent par Montaigne, et dans des passages même où il aurait pu se servir de celui de providence, fut censuré par les docteurs moines qui examinèrent les Essais, pendant son séjour à Rome en 1581. (Voyages, t. II, p. 35 et 76.) Dans les pays d'inquisition, à Rome surtout, il était défendu de dire fatum ou fata. Un auteur fit imprimer facta; et dans l'errata il fit mettre: facta, lisez fata. On a eu plus d'une fois recours à ce stratagème pour tromper la cour de Rome; c'est ainsi que le protestant

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visages. Y a il action de iustice plus expresse que celle cy? Le duc de Valentinois' ayant resolu d'empoisonner Adrian, cardinal de Cornete, chez qui le pape Alexandre sixiesme son pere et luy alloient souper au Vatican, envoya devant quelque bouteille de vin empoisonné, et commanda au sommelier qu'il la gardast bien soigneusement le papey estant arrivé avant le fils, et ayant demandé a boire, ce sommelier, qui pensoit ce vin ne luy avoir esté recommendé que pour sa bonté, en servit au pape; et le duc mesme y arrivant sur le poinct de la collation, et se fiant qu'on n'auroit pas touché à sa bouteille, en print à son tour : en maniere que le pere en mourut soubdain; et le fils, aprez avoir esté longuement tormenté de maladie, feut reservé à une aultre pire fortune. Quelquesfois il semble à poinct nommé qu'elle se ioue à nous le seigneur d'Estree, lors guidon de monsieur de Vandosme, et le seigneur de Licques, lieutenant de la compaignie du duc d'Ascot, estants touts deux serviteurs de la sœur du sieur de Foungueselles', quoy que de divers partis (comme il advient aux voysins de la frontiere), le sieur de Licques l'emporta; mais le mesme iour des nopces, et qui pis est, avant le coucher, le marié ayant envie de rompre un bois en faveur de sa nouvelle espouse, sortit à l'escarmouche prez de Sainct Omer, où le sieur d'Estree se trouvant le plus fort, le feit son prisonnier : et pour faire valoir son advantage, encores fallut il que la damoiselle,

Coniugis ante coacta novi dimittere collum,

Quam veniens una atque altera rursus hyems
Noctibus in longis avidum saturasset amorem 3,

luy feist elle mesme requeste par courtoisie de luy rendre son prisonnier; comme il feit, la noblesse françoise ne refusant iamais rien aux da

mes.

Semble il pas que ce soit un sort artiste? Constantin, fils de Helene, fonda l'empire de Constantinople; et tant de siecles aprez, Constantin, fils de Helene, le finit. Quelquesfois il luy plaist envier sur nos miracles: nous tenons que le roy Clovis assiegeant Angoulesme, les murailles cheurent d'elles mesmes par faveur divine: et Bouchet emprunte de quelque aucteur, que le roy Robert assiegeant une ville, et s'estant desrobbé du siege pour aller à Orleans solenniser la feste Sainct Aignan; comme il estoit en devotion sur certain poinct de la messe, les murailles de la ville assiegee s'en allerent sans aulcun effort en ruyne. Elle feit tout à contrepoil en nos guerres de Milan car le capitaine Rense assiegeant pour nous la ville d'Eronne, et ayant faict mettre la mine soubs un grand pan de mur, et le mur en estant brusquement enlevé hors de terre, recheut toutesfois tout empenné2, si droict dans son fondement, que les assiegez n'en vaulsirent pas moins.

Quelquesfois elle faict la medecine: Iason Phereus 3 estant abbandonné des medecins pour une aposteme qu'il avoit dans la poictrine, ayant envie de s'en desfaire, au moins par la mort, se iecta dans une battaille à corps perdu dans la presse des ennemis, où il feut blessé à travers le corps si à poinct, que son aposteme en creva, et guarit. Surpassa elle pas le peintre Protogenes en la science de son art? Cettuy cy 4 ayant parfaict

Daniel Heinsius, envoyant dans cette ville un ouvrage où il l'image d'un chien las et recreu, à son contente

parle du pape Urbain VIII, l'appela, dans le texte, Ecclesiæ caput, et dans l'errata, Ecclesiæ Romanæ caput. (BALZAC, Dissert. 26.) Il parait que cette censure de livres n'était pas toujours exercée par des gens fort habiles. La Mothe le Vayer dit tenir de Naudé même, que dans un ouvrage que celui-ci voulait faire imprimer à Rome, et où se trouvaient ces mots: Virgo fata est, l'inquisiteur mit en marge: Propositio hæretica; nam non datur fatum. (MÉNAGIANA.) La defense était si sérieuse, qu'Addison, dans son voyage d'Italie, lut à Florence, à la tète d'un opéra, cette protestation solennelle, dont il ne put s'empêcher de sourire (I could not but smile) PROTESTA. Le voci, Fato, Deità, Destino, e simili, che per entro questo dramma troverai, son messe per ischerzo poetico, è non per sentimento vero, credendo sempre in tutto quello, che crede e comanda santa madre Chiesa. Montaigne se justifie dans le chap. 56 de ce premier livre d'avoir employé quelques-uns de ces mots prohibés, verba indisciplinata, comme il les appelle: on voit, par les anciennes éditions, qu'il n'a composé cette espèce d'apologie que depuis son retour de Rome. J. V. L.

En 1503. Historia di Francesco Guicciardini, I. VI, p. 267. In Vinegia., appresso Gabriel Giolito, 1568. C.

2 Ou plutôt Fouquerolles. MARTIN DU BELLAY, Mémoires, liv. II, fol. 85 et 87. C.

3 Contrainte de renoncer aux embrassements de son nou

ment en toutes les aultres parties, mais ne pouvant representer à son gré l'escume et la bave, despité contre sa besongne, print son esponge, et comme elle estoit abbruvee de diverses peinctures, la iecta contre, pour tout effacer : la fortune porta tout à propos le coup à l'endroict de la bouche du chien, et y parfournit ce à quoy l'art n'avoit pu attaindre. N'adresse elle pas quelquesfois nos conseils et les

vel époux, avant que les longues nuits d'un ou de deux hivers eussent rassasié l'avidité de leur amour. CATULLE, LXVIII, 81.

1 Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II, fol. 86, ou cette ville est nommée Arone, sur le lac Majeur. C.

2 Tout d'une pièce, comme une flèche empennée qui tomberait perpendiculairement dans l'endroit d'où elle aurait été lancée vers le ciel. C.

3 Ou mieux, de Phères en Thessalie. PLINE, Nat. Hist. VII, 50. J. V. L.

4 PLINE, Nat. Hist. XXXV, 10. C.

5 Ne redresse-t-elle pas, etc. E. J.

corrige? Isabelle, royne d'Angleterre, ayant à | cruauté des tyrans; ils se coururent sus l'espee

repasser de Zelande en son royaume 1, avecques une armee, en faveur de son fils, contre son mary, estoit perdue, si elle feust arrivee au port qu'elle avoit proiecté, y estant attendue par ses ennemis: mais la fortune la iecta contre son vouloir ailleurs, où elle print terre en toute seureté. Et cet ancien qui ruant la pierre à un chien, en assena et tua sa marastre, eut il pas raison de prononcer ce vers,

Ταυτόματον ἡμῶν καλλίω βουλεύεται 2,

La fortune a meilleur advis que nous ?

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Icetes 3 avoit practiqué deux soldats pour tuer Timoleon, seiournant à Adrane en la Sicile. Ils prinrent heure sur le poinct qu'il feroit quelque sacrifice; et se meslants parmy la multitude, comme ils se guignoient l'un l'aultre que l'occasion estoit propre à leur besongne, voycy un tiers qui d'un grand coup d'espee en assene l'un par la teste et le rue mort par terre, et s'enfuit. Le compaignon se tenant pour descouvert et perdu, recourut à l'autel, requerant franchise, avecques promesse de dire toute la verité. Ainsi qu'il faisoit le conte de la coniuration, voycy le tiers qui avoit esté attrappé, lequel, comme meurtrier, le peuple poulse et saboule au travers la presse, vers Timoleon et les plus apparents de l'assemblee. Là il crie mercy, et dict avoir iustement tué l'assassin de son pere, verifiant sur le champ, par des tesmoings que son bon sort luy fournit tout à propos, qu'en la ville des Leontins son pere, de vray, avoit esté tué par celui sur lequel il s'estoit vengé. On luy ordonna dix mines attiques pour avoir eu cet heur, prenant raison de la mort de son pere, d'avoir retiré de mort le pere commun des Siciliens. Cette fortune surpasse en reiglement les reigles de l'humaine prudence.

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Pour la fin, en ce faict icy se descouvre il pas une bien expresse application de sa faveur, de bonté et pieté singuliere? Ignatius pere et fils, proscripts par les triumvirs à Rome, se resolurent à ce genereux office de rendre leurs vies entre les mains l'un de l'aultre, et en frustrer la

* En 1326. Voyez FROISSART. C.

2 Ici Montaigne traduit exactement le vers grec qu'il vient de citer. Ce vers est de Ménandre, et il était passé en proverbe. Voyez les commentateurs sur les lettres de Cicéron à Atticus, I, 12. C.

3 Sicilien, né à Syracuse, qui voulait opprimer la liberté de sa patrie, dont Timoléon était le défenseur. PLUTARQUE, Vie de Timoléon, c. 7. C.

4 Se faisaient signe du coin de l'œil. E. J.
5 Foule aux pieds. NICOT: Sabouler, proculcare.
6 APPIEN, Guerres civiles, IV, p. 969, éd. de 1670. C.

au poing: elle en dressa les poinctes, et en feit deux coups egualement mortels; et donna à l'honneur d'une si belle amitié, qu'ils eussent iustement la force de retirer encores des playes leurs bras sanglants et armez, pour s'entr'embrasser en cet estat d'une si forte estreincte, que les bourreaux coupperent ensemble leurs deux testes, laissant les corps tousiours prins en ce noble nœud, et les playes ioinctes, humants amoureusement le sang et les restes de la vie l'une de l'aultre. CHAPITRE XXXIV.

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D'un default de nos polices.

Feu mon pere, homme, pour n'estre aydé que de l'experience et du naturel, d'un iugement bien net, m'a dict aultrefois qu'il avoit desiré mettre en train qu'il y eust ez villes certain lieu designé, auquel ceulx qui auroient besoing de quelque chose se peussent rendre, et faire enregistrer leur affaire à un officier estably pour cet effect; comme : Ie cherche à vendre des perles; le cherche des perles à vendre; Tel veult compaignie pour aller à Paris; Tel s'enquiert d'un serviteur de telle qualité; Tel, d'un maistre; Tel demande un ouvrier; qui cecy, qui cela, chascun selon son besoing. Et semble que ce moyen de nous entr'advertir apporteroit non legiere commodité au commerce publicque; car à touts coups il y a des conditions qui s'entrecherchent, et pour ne s'entr'entendre, laissent les hommes en extreme necessité.

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l'entens, avecques une grande honte de nos tre siecle, qu'à nostre veue deux tres excellents personnages en sçavoir sont morts en estat de n'avoir pas leur saoul à manger, Lilius Gregorius Giraldus en Italie, et Sebastianus Castalio2 en Allemaigne; et croy qu'il y a mille hommes qui les eussent appellez avecques tres advantageuses conditions, ou secourus où ils estoient, s'ils l'eussent sceu. Le monde n'est pas si generalement corrompu, que ie ne sçache tel homme qui souhaitteroit, de bien grande affection, que les moyens que les siens luy ont mis en main, se peussent em

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