Obrázky na stránke
PDF
ePub

et non à une mort simple, mais meslee de honte | et le feu,» respondit il; et le presbtre, pour et quelquesfois de griefs torments, y apporter une luy donner l'extreme onction, cherchant ses pieds, telle asseurance, qui par opiniastreté, qui par sim- qu'il avoit resserrez et contraincts par la maladie : plesse naturelle, qu'on n'y apperceoit rien de « Vous les trouverez, dict il, au bout de mes changé de leur estat ordinaire; establissants leurs iambes. » A l'homme qui l'exhortoit de se recomaffaires domestiques, se recommendants à leurs mender à Dieu : « Qui y va? » demanda il; et amis, chantants, preschants et entretenants le l'aultre respondant : « Ce sera tantost vous mespeuple, voire y meslants quelquesfois des mots me, s'il luy plaist ; Y fusse ie bien demain pour rire, et beuvants à leurs cognoissants, aussi bien que Socrates!

Un qu'on menoit au gibet, disoit, « qu'on gardast de passer par telle rue, car il y avoit dangier qu'un marchand lui feist mettre la main sur le collet, à cause d'un vieux debte. » Un aultre disoit au bourreau, « qu'il ne le touchast pas à la gorge, de peur de le faire tressaillir de rire, tant il estoit chatouilleux. » L'aultre respondit à son confesseur, qui luy promettoit qu'il soupperoit ce iour là avecques nostre Seigneur : « Allez vous y en, vous; car de ma part ie ieusne 1. » Un aultre ayant demandé à boire, et le bourreau ayant beu le premier, dict ne vouloir boire aprez luy, de peur de prendre la verole. Chascun a ouy faire le conte du Picard auquel, estant à l'eschelle, on presenta une garse, et que (comme nostre iustice permet quelquesfois) s'il la vouloit espouser, on luy sauveroit la vie; luy l'ayant un peu contemplee, et apperceu qu'elle boittoit : « Attache! attache! dict il; elle cloche. » Et on dict de mesme qu'en Dannemare, un homme condemné à avoir la teste trenchee, estant sur l'eschaffaut, comme on luy presenta une pareille condition, la refusa, parce que la fille qu'on luy offrit avoit les ioues avallees, et le nez trop poinctu. Un valet, à Toulouse, accusé d'heresie, pour toute raison de sa creance, se rapportoit à celle de son maistre, ieune escholier prisonnier avecques luy, et ayma mieulx mourir que se laisser persuader que son maistre peust errer. Nous lisons de ceulx de la ville d'Arras, lors que le roy Louys unziesme la print, qu'il s'en trouva bon nombre parmy le peuple qui se laisserent pendre plustost que de dire, Vive le roy! Et de ces viles ames de bouffons, il s'en est trouvé qui n'ont voulu abbandonner ieur gaudisserie en la mort mesme. Celuy à qui le bourreau donnoit le bransle, s'escria : « Vogue la gallee! » qui estoit son refrain ordinaire. Et l'aultre qu'on avoit couché, sur le poinct de rendre sa vie, le long du foyer sur une paillasse, à qui le medecin demandant où le mal le tenoit : « Entre le banc

[blocks in formation]
[ocr errors]

au soir? » repliqua il. « Recommendez vous seulement à luy, suyvit l'aultre, vous y serez bientost. Il vault doncques mieulx, adiousta il, que ie lui porte mes recommendations moy mesme. » Au royaume de Narsingue, encores auiourd'huy, les femmes de leurs presbtres sont vifves ensepvelies avecques le corps de leurs maris : toutes aultres femmes sont bruslees aux funerailles des leurs, non constamment seulement, mais gayement: à la mort du roy, ses femmes et concubines, ses mignons, et touts ses officiers et serviteurs, qui font un peuple, se presentent si alaigrement au feu où son corps est bruslé, qu'ils monstrent prendre à grand honneur d'y accompaigner leur maistre. Pendant nos dernieres guerres de Milan, et tant de prinses et rescousses1, le peuple, impatient de si divers changements de fortune, print telle resolution à la mort, que l'ay ouy dire à mon pere qu'il y veit tenir compte de bien vingt et cinq maistres de maison qui s'estoient desfaicts eulx mesmes en une sepmaine : accident approchant à celuy des Xanthiens, lesquels assiegez par Brutus, se precipiterent peslemesle, hommes, femmes et enfants, à un si furieux appetit de mourir, qu'on ne faict rien pour fuyr la mort que ceulx cy ne feissent pour fuyr la vie : de maniere qu'à peine Brutus en peut sauver un bien petit nombre 2.

Toute opinion est assez forte pour se faire espouser au prix de la vie. Le premier article de ce courageux serment que la Grece iura et mainteint en la guerre medoise, ce feut que chascun changeroit plustost la mort à la vie, que les loix persiennes aux leurs 3. Combien veoid on de monde en la guerre des Turcs et des Grecs accepter plustost la mort tres aspre, que de se descirconcire pour se baptiser! exemple dequoy nulle sorte de religion n'est incapable.

Les roys de Castille ayants banny de leurs

[blocks in formation]

feut veu communement des peres et meres se desfaisants eulx mesmes, et d'un plus rude exemple encores, precipitants, par amour et compassion, leurs ieunes enfants dans des puits, pour fuyr à la loy. Au demourant, le terme qu'il leur avoit prefix expiré, par faulte de moyens, ils se remei

tiens; de la foy desquels ou de leur race, encores auiourd'huy cent ans aprez, peu de Portugais s'asseurent, quoy que la coustume et la longueur du temps soyent bien plus fortes conseilleres à telles mutations, que toute aultre contraincte.

En la ville de Castelnau Darry, cinquante Albigeois heretiques souffrirent à la fois, d'un courage determiné, d'estre bruslez vifs en un feu, avant que desadvouer leurs opinions. Quoties non modo ductores nostri, dict Cicero, sed universi etiam exercitus, ad non dubiam mortem concurrerunt?! l'ay veu quelqu'un de mes intimes amis courre la mort à force, d'une vraye affection, et enracinee en son cœur par divers visages de discours que ie ne luy sceus rabbattre; et à la premiere qui s'offrit coeffee d'un lustre d'honneur, s'y precipiter, hors de toute apparence, d'une faim aspre et ardente. Nous avons plusieurs exemples en nostre temps de ceulx, iusques aux enfants, qui de crainte de quelque legiere incommodité, se sont donnez à la mort. Et à ce propos : « Que ne craindrons nous, dict un ancien3, si nous craignons ce que la couardise mesme a choisy pour sa retraicte? »

terres les Iuifs, le roy Iehan de Portugal leur vendit, à huict escus pour teste, la retraicte aux siennes pour un certain temps; à condition que iceluy venu, ils auroient à les vuider; et luy, promettoit leur fournir de vaisseaux à les traiecter en Afrique. Le iour arrivé, lequel passé il estoit dict que ceulx qui n'auroient obeï demeurent en servitude. Quelques uns se feirent chresreroient esclaves, les vaisseaux leur feurent fournis escharcement, et ceulx qui s'y embarquerent rudement et vilainement traictez par les passa giers, qui, oultre plusieurs aultres indignitez, les amuserent sur mer, tantost avant, tantost arriere, iusques à ce qu'ils eussent consommé leurs victuailles, et feussent contraincts d'en achepter d'eulx si cherement et si longuement, qu'on ne les meit à bord qu'ils ne feussent du tout en chemise. La nouvelle de cette inhumanité rapportee à ceulx qui estoient en terre, la pluspart se resolurent à la servitude; aulcuns feirent contenance de changer de religion. Emmanuel, successeur de Iehan, venu à la couronne, les meit premierement en liberté; et changeant d'advis depuis, leur ordonna de sortir de ses païs, assignant trois ports à leur passage. Il esperoit, dict l'evesque Osorius, non mesprisable historien latin de nos siecles, que la faveur de la liberté qu'il leur avoit rendue ayant failly de les convertir au christianisme, la difficulté de se commettre à la volerie des mariniers, et d'abbandonner un païs où ils estoient habituez avecques grandes richesses, pour s'aller iecter en region incogneue et estrangiere, les y rameneroit. Mais se voyant descheu de son esperance, et eulx touts deliberez au passage, il retrencha deux des ports qu'il leur avoit promis, à fin que la longueur et incommodité du traiect en reduisist aulcuns, ou qu'il eust moyen de les amonceller touts à un lieu pour une plus grande commodité de l'execution qu'il avoit destinee: ce feut qu'il ordonna qu'on arrachast d'entre les mains des peres et des meres touts les enfants au dessoubs de quatorze ans pour les transporter, hors de leur veue et conversation, en lieu où ils feussent instruicts à nostre religion3. Ils disent que cet effect produisit un horrible spectacle : la naturelle affection d'entre les peres et les enfants, et de plus, le zele à leur ancienne creance combattant à l'encontre de cette violente ordonnance, il y

Chichement, avec trop d'épargne. C.

2 L'exemplaire de Naigeon porte, le meilleur historien. C'est là certainement une phrase que Montaigne a dù corriger. Ici, comme presque partout, l'édition de 1595 est bien préférable. J. V. L.

3 MARIANA, XXVI, 13, désapprouve hautement ce despotisme sacrilége. C.

D'enfiler icy un grand roolle de ceulx de touts sexes et conditions et de toutes sectes, ez siecles plus heureux, qui ont ou attendu la mort constamment, ou recherché volontairement, et recherché non seulement pour fuyr les maulx de cette vie, mais aulcuns pour fuyr simplement la satieté de vivre, et d'aultres pour l'esperance d'une meilleure condition ailleurs, ie n'auroy iamais faict; et en est le nombre si infiny, qu'à la verité i'auroy meilleur marché de mettre en compte ceulx qui l'ont crainte. Cecy seulement : Pyrrho le philosophe se trouvant, un iour de grande tormente, dans un bateau, monstroit à ceulx qu'il veoyoit les plus effroyez autour de luy, et les encourageoit par l'exemple d'un pour

1 Ces mots, En la ville.... opinions, manquent dans l'exem plaire de Naigeon, où se trouvent beaucoup d'autres lacunes. J. V. L.

2 Combien de fois n'a-t-on pas vu courir à une mort certaine, non pas nos généraux seulement, mais nos armées entières! CIC. Tusc. quæst. I, 37.

3 Le fond de cette pensée est dans Sénèque, Epist. 70J. V. L.

ceau qui y estoit, nullement soulcieux de cet, orage'. Oserons nous doncques dire que cet advantage de la raison, dequoy nous faisons tant de feste, et pour le respect duquel nous nous tenons maistres et empereurs du reste des creatures, ayt esté mis en nous pour nostre torment? A quoy faire la cognoissance des choses, si nous en devenons plus lasches? si nous en perdons le repos et la tranquillité où nous serions sans cela? et si elle nous rend de pire condition que le pourceau de Pyrrho? L'intelligence qui nous a esté donnee pour nostre plus grand bien, l'employerons nous à nostre ruyne; combattants le desseing de nature et l'universel ordre des choses, qui porte que chascun use de ses utils et moyens pour sa commodité ?

Bien, me dira lon, vostre reigle serve à la mort mais que direz vous de l'indigence? que direz vous encores de la douleur? qu'Aristippus, Hieronymus et la pluspart des sages ont estimé le dernier mal; et ceulx qui le nioient de parole, le confessoient par effect 2. Posidonius estant extremement tormenté d'une maladie aiguë et douloureuse, Pompeius le feut veoir, et s'excusa d'avoir prins heure si importune pour l'ouyr deviser de la philosophie. « Ia à Dieu ne plaise, luy dict Posidonius, que la douleur gaigne tant sur moy, qu'elle m'empesche d'en discourir!» et se iecta sur ce mesme propos du mespris de la douleur 3 : mais ce pendant elle iouoit son roolle, et le pressoit incessamment; à quoy il s'escrioit : « Tu as beau faire, douleur, si ne diray ie pas que tu sois mal. >> Ce conte, qu'ils font tant valoir, que porte il pour le mespris de la douleur ? il ne debat que du mot : et ce pendant si ces poinctures ne l'esmeuvent, pourquoy en rompt il son propos? pourquoy pense il faire beaucoup de ne l'appeller pas Mal? Icy tout ne consiste pas en l'imagination : nous opinons du reste; c'est icy la certaine science qui ioue son roolle; nos sens mesmes en sont iuges;

Qui nisi sunt veri, ratio quoque falsa sit omnis 4. Ferons nous accroire à nostre peau que les coups d'estriviere la chatouillent? et à nostre goust que l'aloé soit du vin de Graves? Le pourceau de Pyrrho est icy de notre escot : il est bien sans effroy à la mort; mais si on le bat, il crie et se

[blocks in formation]

tormente. Forcerons nous la generale loy de nature, qui se veoid en tout ce qui est vivant soubs le ciel, de trembler soubs la douleur ? les arbres mesmes semblent gemir aux offenses. La mort ne se sent que par le discours, d'autant que c'est le mouvement d'un instant;

[ocr errors]

Aut fuit, aut veniet; nihil est præsentis in illa: Morsque minus pœnæ, quam mora mortis, habet : mille bestes, mille hommes sont plustost morts que menacez. Aussi, ce que nous disons craindre principalement en la mort, c'est la douleur, son avantcoureuse coustumiere. Toutesfois, s'il en fault croire un sainct Pere, malam mortem non facit, nisi quod sequitur mortem2 : et ie dirois encores plus vraysemblablement, que ny ce qui va devant, ny ce qui vient aprez n'est des appartenances de la mort.

Nous nous excusons faulsement: et ie treuve

par experience que c'est plustost l'impatience de
l'imagination de la mort qui nous rend impatients
de la douleur, et que nous la sentons doublement
griefve de ce qu'elle nous menace de mourir ; mais
la raison accusant nostre lascheté de craindre
chose si soubdaine, si inevitable, si insensible,
Touts les maulx qui n'ont aultre dangier que du
nous prenons cet aultre pretexte plus excusable.
mal, nous les disons sans dangier: celuy des
dents ou de la goutte, pour grief qu'il soit, d'au-
de maladie?
tant qu'il n'est pas homicide, qui le met en compte

Or bien presupposons le, qu'en la mort nous aussi la pauvreté n'a rien à craindre que cela, regardons principalement la douleur; comme qu'elle nous iecte entre ses bras par la soif, la faim, le froid, le chauld, les veilles qu'elle nous faict souffrir: ainsi n'ayons à faire qu'à la douleur. Ie leur donne que ce soit le pire accident de nostre estre; et volontiers, car ie suis l'homme du monde qui luy veulx autant de mal et qui la fuis autant, pour iusques à present n'avoir pas eu, Dieu mercy, grand commerce avec elle: mais il est en nous, sinon de l'aneantir, au moins de l'amoindrir par patience; et quand bien le corps s'en esmouveroit, de maintenir ce neantmoins l'ame et la raison en bonne trempe. Et s'il

1 Ou elle a été, ou elle sera; il n'y a rien de présent en elle. La mort est moins cruelle que l'attente de la mort. - Le premier de ces deux vers latins est pris d'une satire qu'Estienne de la Boëtie. ami de Montaigne, lui avait adressée, et dont nous avons cité quelque chose dans le chapitre XXVII de ce livre. Le second vers est d'Ovide, Épître d'Ariane à Thésée, v. 82. C.

La mort n'est un mal que par ce qui vient après elle. AUGUST. de Civit. Dei, I, II.

touts aultres accidents; pourtant la fault il estudier et enquerir, et esveiller en elle ses ressorts touts puissants. Il n'y a raison, ny prescription, ny force qui vaille contre son inclination et son chois. De tant de milliers de biais qu'elle a en sa disposition, donnons luy en un propre à nostre repos et conservation: nous voylà, non couverts seulement de toute offense, mais gratifiez mesme, et flattez, si bon luy semble, des offenses et des maulx. Elle faict son proufit de tout indifferemment : l'erreur, les songes, luy servent utilement, comme une loyale matiere, à nous mettre à guarant et en contentement. Il est aysé à veoir que ce qui aiguise en nous la douleur et la volupté, c'est la poincte de nostre esprit : les bestes, qui le tiennent soubs boucle, laissent aux corps leurs sentiments libres et naífs, et par consequent

ne l'estoit, qui auroit mis en credit la vertu, la vaillance, la force, la magnanimité et la resolution? ou ioueroient elles leur roolle, s'il n'y a a plus de douleur à desfier? Avida est periculi virtus'. S'il ne fault coucher sur la dure, soustenir armé de toutes pieces la chaleur du midy, se paistre d'un cheval et d'un asne, se veoir detailler en pieces et arracher une balle d'entre les os, se souffrir recoudre, cauterizer et sonder, par où s'acquerra l'advantage que nous voulons avoir sur le vulgaire ? C'est bien loing de fuyr le mal et la douleur, ce que disent les sages, «que des actions egualement bonnes, celle là est plus souhaittable à faire où il y a plus de peine. » Non enim hilaritate, nec lascivia, nec risu, aut ioco, comite levitatis, sed sæpe etiam tristes firmitate et constantia sunt beali 2. Et à cette cause, il a esté impossible de persuader à nos peres que les conques-uns, à peu prez, en chasque espece, ainsi qu'elles tes faictes par vifve force au hazard de la guerre, ne feussent plus advantageuses que celles qu'on faict en toute seureté par practiques et menees. Lætius est, quoties magno sibi constat honestum 3. Davantage, cela nous doibt consoler, que naturellement, «< si la douleur est violente, elle est courte; si elle est longue, elle est legiere: » si gravis, brevis; si longus, levis 4. Tu ne la sentiras gueres long temps, si tu la sens trop; elle mettra fin à soy ou à toy : l'un et l'aultre revient à un; si tu ne la portes, elle t'emportera. Memineris maximos morte finiri; parvos multa habere intervalla requietis; mediocrium nos esse dominos: ut si tolerabiles sint, feramus; sin minus, e vita, quum ea non placeat, tanquam e theatro, exeamus 5. Ce qui nous faict souffrir avecques tant d'impatience la douleur, c'est de n'estre pas accoustumez de prendre nostre principal contentement en l'ame, de ne nous fonder point assez sur elle, qui est seule et souveraine maistresse de nos

I

monstrent par la semblable application de leurs mouvements. Si nous ne troublions pas en nos membres la iurisdiction qui leur appartient en cela, il est à croire que nous en serions mieulx, et que nature leur a donné un iuste et moderé temperament envers la volupté et envers la douleur; et ne peult faillir d'estre iuste, estant egual et cipez de ses reigles, pour nous abbandonner à la commun. Mais puisque nous nous sommes emanvagabonde liberté de nos fantasies, au moins aydons nous à les plier du costé le plus agreable Platon craint nostre engagement aspre à la doutache par trop l'ame au corps: moy plustost, leur et à la volupté, d'autant qu'il oblige et atau rebours, d'autant qu'il l'en desprend et des cloue. Tout ainsi que l'ennemy se rend plus aspre à nostre fuitte, aussi s'enorgueillit la douleur à nous veoir trembler soubs elle. Elle se rendra de bien meilleure composition à qui luy fera teste : il se fault opposer et bander contre. En nous actre condition. Le corps n'a, sauf le plus et le attirons la ruyne qui nous menace. Comme le culant et tirant arriere, nous appellons à nous et corps est plus ferme à la charge en le roidissant, aussi est l'ame.

moins, qu'un train et qu'un pli: elle est variable
en toute sorte de formes, et renge à soy,
et à son
estat, quel qu'il soit, les sentiments du corps et

La vertu est avide de péril. SÉNÈQUE, de Providentia, c. 4. 2 Ce n'est point par la joie et les plaisirs, par les jeux et

Mais venons aux exemples, qui sont proprement du gibbier des gents foibles de reins comme

les ris, compagnie ordinaire de la frivolité, qu'on est heu-moy; où nous trouverons qu'il va de la douleur

reux; les âmes austères trouvent le bonheur dans la constance et la fermeté. CICERON, de Finib. II, 10.

3 La vertu est d'autant plus douce qu'elle nous a plus coûté. LUCAIN, IX, 404.

4 CIC. de Finib. II, 29.

5 Souviens-toi que les grandes douleurs se terminent par la mort; que les petites ont plusieurs intervalles de repos, et que nous sommes maîtres des médiocres : ainsi, tant qu'elles seront supportables, nous souffrirons patiemment; si elles ne le sont pas, si la vie nous déplait, nous en sortirons comme d'un théâtre. CIC. de Fin. I, 15.

comme des pierres, qui prennent couleur ou
plus haulte, ou plus morne,
selon la feuille où
lon les couche, et qu'elle ne tient qu'autant de
place en nous que nous luy en faisons. Tantum
doluerunt, quantum doloribus se inseruerunt'.

1 Dans le Phedon, t. I, p. 63. C.

Autant ils se sont livrés à la douleur, autant a-t-elle eu

Nous sentons plus un coup de rasoir du chirurgien, que dix coups d'espee en la chaleur du combat. Les douleurs de l'enfantement, par les medecins et par Dieu mesme estimees grandes', et que nous passons avecques tant de cerimonies, il y a des nations entieres qui n'en font nul compte. He laisse à part les femmes lacedemoniennes ; mais aux souisses, parmy nos gents de pied, quel changement y trouvez-vous? sinon que trottants aprez leurs maris, vous leur veoyez auiourd'huy porter au col l'enfant qu'elles avoient hier au ventre: et ces Aegyptiennes contrefaictes, ramassees d'entre nous, vont elles mesmes laver les leurs qui viennent de naistre, et prennent leur bain en la plus prochaine riviere. Oultre tant de garses qui desrobbent touts les iours leurs enfants en la generation comme en la conception, cette belle et noble femme de Sabinus, patricien romain, pour l'interest d'aultruy, supporta seule, sans secours et sans voix et gemissement, l'enfantement de deux iumeaux 2. Un simple garsonnet de Lacedemone ayant desrobbé un regnard (car ils craignoient encores plus la honte de leur sottise au larrecin, que nous ne craignons la peine de nostre malice), et l'ayant mis sous sa cape, endura plustost qu'il luy eust rongé le ventre, que de se descouvrir 3. Et un aultre donnant de l'encens à un sacrifice, se laissa brusler iusques à l'os par un charbon tumbé dans sa manche, pour ne troubler le mystere et s'en est veu un grand nombre, pour le seul essay de vertu, suyvant leur institution, qui ont souffert en l'aage de sept ans d'estre fouettez iusques à la mort sans alterer leur visage. Et Cicero les a veus se battre à trouppes, de poings, de pieds et de dents, iusques à s'esvanouir, avant que d'advouer estre vaincus. Nunquam naturam mos vinceret; est enim ea semper invicta : sed nos umbris, deliciis, otio, languore, desidia, animum infecimus; opinionibus maloque more delinitum mollivimus 6. Chascun sçait l'histoire de Scevola, qui s'estant coulé dans le camp ennemy pour en tuer le

de prise sur eux. S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, I, 10. taigne a détourné le sens de ce passage. C.

In dolore paries filios. Genèse, III, 16. J. V. L.

2 PLUTARQUE, traité de l'Amour, c. 34. C.

3 Id. Vie de Lycurgue, c. 14. C.

Mon

4 VALÈRE MAXIME, III, 3, ext. I. C'était un jeune Macédonien. J. V. L.

5 CIC. Tusc. quæst. V, 27. C.

6 Jamais l'usage ne pourrait vaincre la nature; elle est invincible: mais parmi nous elle est corrompue par la mollesse, par les délices, par l'oisiveté, par l'indolence; elle est altérée par des opinions fausses et de mauvaises habitudes. CIC. Tusc. quæst. V, 27.

chef, et ayant failly d'attaincte, pour reprendre son effect d'une plus estrange invention, et descharger sa patrie, confessa à Porsenna, qui estoit le roy qu'il vouloit tuer, non seulement son desseing, mais adiousta qu'il y avoit en son camp un grand nombre de Romains complices de son entreprinse, tels que luy : et pour monstrer quel il estoit, s'estant faict apporter un brasier, veit et souffrit griller et rostir son bras, iusques à ce que l'ennemy mesme en ayant horreur, commanda oster le brasier 1. Quoy! celuy qui ne daigna interrompre la lecture de son livre pendant qu'on l'incisoit 2? et celuy qui s'obstina à se mocquer et à rire à l'envy des maulx qu'on luy faisoit 3, de façon que la cruauté irritee des bourreaux qui le tenoient, et toutes les inventions des torments redoublez les uns sur les aultres, luy donnerent gaigné? Mais c'estoit un philosophe. Quoy! un gladiateur de Cesar endura tousiours riant, qu'on luy sondast et detaillast ses playes. Quis mediocris gladiator ingemuit? quis vultum mutavit unquam ? Quis non modo stetit, verum etiam decubuit turpiter? Quis, quum decubuisset, ferrum recipere iussus, collum contraxit 4? Meslons y les femmes. Qui n'a ouy parler à Paris de celle qui se feit escorcher, pour seulement en acquerir le teint plus frais d'une nouvelle peau ? Il y en a qui se sont faict arracher des dents vifves et saines, pour en former la voix plus molle et plus grasse, ou pour les renger en meilleur ordre. Combien d'exemples du mespris de la douleur avons nous en ce genre! Que ne peuvent elles, que craignent elles, pour peu qu'il y ayt d'adgencement à esperer en leur beaulté!

Vellere queis cura est albos a stirpe capillos,

Et faciem, dempta pelle, referre novam 5. l'en ay veu engloutir du sable, de la cendre, et se travailler à poinct nommé de ruyner leur estomach, pour acquerir les pasles couleurs. Pour faire un corps bien espagnolé, quelle gehenne ne souffrent elles, guindees et cenglees, à tout de

TITE-LIVE, II, 12. J. V. L.

2 SÉNÈQUE, Epist. 78. C.

3 ID. ibid. Si je ne me trompe, il s'agit ici d'Anaxarque, que Nicocréon, tyran de Chypre, fit mettre en pièces, sans pouvoir vaincre sa constance. Voyez, dans DIOGÈNE LAERCE, la Vie d'Anaxarque, IX, 58 et 59. C.

4 Jamais le dernier des gladiateurs a-t-il gémi, ou changé de visage? Quel art dans sa chute même, pour en dérober la honte aux yeux du public! Renversé enfin aux pieds de son adversaire, détourne-t-il la tête lorsqu'on lui ordonne de recevoir le coup mortel? CIC. Tusc. quæst. II, 17.

5 Il s'en trouve qui ont le courage d'arracher leurs cheveux gris, et de s'écorcher tout le visage pour se faire une nouvelle peau. TIBULLE, I, 8, 45.

« PredošláPokračovať »