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Nonne videmus,

Quid sibi quisque velit, nescire, et quærere semper; Commutare locum, quasi onus deponere possit1? chasque iour nouvelle fantasie; et se meuvent nos humeurs avecques les mouvements du temps: Tales sunt hominum mentes, quali pater ipse Iuppiter auctiferas lustravit lumine terras 2. Nous flottons entre divers advis; nous ne voulons rien librement, rien absoluement, rien constamment3. A qui auroit prescript et estably certaines loix et certaine police en sa teste, verrions tout par tout en sa vie reluire une

nous

ils choisissent un air universel; et suyvant cette | Nous n'allons pas; on nous emporte comme les image, vont rengeant et interpretant toutes les choses qui flottent, ores doulcement, ores avecactions d'un personnage; et s'ils ne les peuvent ques violence, selon que l'eau est ireuse ou assez tordre, les renvoyent à la dissimulation. bonasse; Auguste leur est eschappé; car il se treuve en cet homme une varieté d'actions si apparente, soubdaine et continuelle, tout le cours de sa vie, qu'il s'est faict lascher entier, et indecis, aux plus hardis iuges. Ie croy, des hommes, plus mal ayseement la constance que toute aultre chose, et rien plus ayseement que l'inconstance. Qui en iugeroit en detail et distinctement piece à piece, rencontreroit plus souvent à dire vray. En toute l'ancienneté, il est mal aysé de choisir une douzaine d'hommes qui ayent dressé leur vie à un certain et asseuré train, qui est le principal but de la sagesse : car, pour la comprendre toute en un mot, dict un ancien1, et pour embrasser en une toutes les reigles de nostre vie, « C'est vouloir, et ne vouloir pas tousiours mesme chose : ie ne daigneroy, dict il, adiouster, pourveu que la volonté soit iuste; car si elle n'est iuste, il est impossible qu'elle soit tousiours une. » De vray, i'ay aultrefois apprins que le vice n'est que desreiglement et faulte de mesure; et par consequent il est impossible d'y attacher la constance. C'est un mot de Demosthenes2, dict on, « que le commencement de toute vertu, c'est consultation et deliberation; et la fin et perfection, constance. » Si, par discours, nous entreprenions certaine voye, nous la prendrions la plus belle; mais nul n'y a pensé : Quod petiit, spernit; repetit, quod nuper omisit; Estuat, et vitæ disconvenit ordine toto 3.

Nostre façon ordinaire, c'est d'aller aprez les inclinations de nostre appetit, à gauche, à dextre, contremont, contrebas, selon que le vent des occasions nous emporte. Nous ne pensons ce que nous voulons qu'à l'instant que nous le voulons, et changeons comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le couche. Ce que nous avons à cette heure proposé, nous le changeons tantost; et tantost encores retournons sur nos pas ce n'est que bransle et inconstance;

Ducimur, ut nervis alienis mobile lignum 4.

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egualité de mœurs, un ordre et une relation infaillible des unes choses aux aultres (Empedocles 4 remarquoit cette difformité aux Agrigentins, qu'ils s'abbandonnoient aux delices comme s'ils avoient landemein 5 à mourir, et bastissoient discours en seroit bien aysé à faire; comme il comme si iamais ils ne debvoient mourir): le se veoid du ieune Caton : qui en a touché une marche, a tout touché; c'est une harmonie de sons tres accordants, qui ne se peult desmentir. fault il de iugements particuliers. Le plus seur, A nous, au rebours, autant d'actions, autant à mon opinion, seroit de les rapporter aux circonstances voysines, sans entrer en plus longue recherche, et sans en conclure aultre consequence.

Pendant les desbauches de nostre pauvre estat, on me rapporta qu'une fille, de bien prez

Ne voyons-nous pas que l'homme cherche toujours, sans savoir ce qu'il désire; et qu'il change sans cesse de place, comme s'il pouvait se délivrer ainsi du fardeau qui l'accable? LUCRÈCE, III, 1070.

2 Les pensers des mortels, et leur deuil et leur joie,
Changent avec les jours que le ciel leur envoie.

Les deux vers du texte, conservés par S. Augustin ( Cité de Dieu, V, 8), ont été traduits par Cicéron de l'Odyssée, XVIII, 135. On croit qu'il les avait placés dans ses Académiques, en rapportant sur l'âme humaine le sentiment d'Aristote, qui les a cités lui-même dans son traité de l'Ame, III, 3. Je me sers de ma traduction, OEuvres de Cicéron, t. XXIX, p. 481. J. V. L.

3 Phrase traduite de SÉNÈQUE, Epist. 52. C.

4 DIOGÈNE LAERCE, VUI, 83. Elien donne ce mot à Platon, Var. hist. XII, 29. C.

5 C'est ainsi que ce mot est écrit dans l'exemplaire corrigé par Montaigne. Il y a apparence que de son temps, et en Gascogne, on disait et on écrivait indifféremment lendemain, landemein, ou l'endemain, au lieu de le lendemain, comme on parle aujourd'hui. Voyez ci-dessus, liv. I, c. 17. N. 6 C'est-à-dire, celui qui a posé le doigt sur une des touches du clavier, les a fait résonner toutes. On donnait autrefois le nom de marches aux touches du clavier des orgues, etc. A. D.

de là où l'estoy, s'estoit precipitee du hault d'une fenestre pour eviter la force d'un belitre de soldat, son hoste: elle ne s'estoit pas tuee à la cheute, et pour redoubler son entreprinse, s'estoit voulu donner d'un coulteau par la gorge; mais on l'en avoit empeschee: toutesfois, aprez s'y estre bien fort blecee, elle mesme confessoit que le soldat ne l'avoit encores pressee que de requestes, solicitations et presents; mais qu'elle avoit eu peur qu'enfin il en veinst à la contraincte : et là dessus les paroles, la contenance, et ce sang tesmoing de sa vertu, à la vraye façon d'une aultre Lucrece. Or i'ay sceu, à la verité, qu'avant et depuis elle avoit esté garse de non si difficile composition. Comme dict le conte: « Tout beau et honneste que vous estes, quand vous aurez failly vostre poincte, n'en concluez pas incontinent une chasteté inviolable en vostre maistresse; ce n'est pas à dire que le muletier n'y treuve son heure.

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Antigonus ayant prins en affection un de ses soldats pour sa vertu et vaillance, commanda à ses medecins de le panser d'une maladie longue et interieure qui l'avoit tormenté longtemps; et s'appercevant, aprez sa guarison, qu'il alloit beaucoup plus froidement aux affaires, luy demanda qui l'avoit ainsi changé et encouardy. « Vous mesme, sire, luy respondit il, m'ayant deschargé des maulx pour lesquels ie ne tenoy compte de ma vie '. » Le soldat de Lucullus ayant esté desvalisé par les ennemis, feit sur eulx, pour se revencher, une belle entreprinse : quand il se feut remplumé de sa perte, Lucullus l'ayant prins en bonne opinion, l'employoit à quelque exploict hazardeux, par toutes les plus belles remonstrances dequoy il se pouvoit advi

ser;

Verbis, quæ timido quoque possent addere mentem 2. Employez y, respondit il, quelque miserable soldat desvalisé; »

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Quantumvis rusticus, Ibit,

Ibit eo, quo vis, qui zonam perdidit, inquit 3. et refusa resoluement d'y aller. Quand nous lisons que Mahomet ayant oultrageusement rudoyé Chasan, chef de ses ianissaires, de ce qu'il veoyoit sa trouppe enfoncee par les Hongres, et luy se porter laschement au combat ; Chasan alla,

1 PLUTARQUE, Vie de Pélopidas, c. I. C.

2 En termes capables d'inspirer du courage au plus timide. HOR. Epist. II, 2, 36.

3 Tout grossier qu'il était, il répondit : « Ira là qui aura perdu sa bourse. » ID. ibid. v. 39.

pour toute response, se ruer furieusement, seul,
en l'estat qu'il estoit, les armes au poing, dans
le premier corps des ennemis qui se presenta,
où il feut soubdain englouty: ce n'est à l'ad-
venture pas tant iustification que radvisement
ny tant prouesse naturelle qu'un nouveau des-
pit. Celuy que vous veistes hier si avantureux,
ne trouvez pas estrange de le veoir aussi pol-
tron le lendemain ; ou la cholere, ou la necessité,
ou la compaignie, ou le vin, ou le son d'une
trompette, luy avoit mis le cœur au ventre:
ce n'est pas un cœur ainsi formé par discours,
ces circonstances le luy ont fermy; ce n'est pas
merveille si le voylà devenu aultre par aultres
circonstances contraires. Cette variation et con-
tradiction qui se veoid en nous, si soupple, a faict
que aulcuns nous songent deux ames, d'aultres
deux puissances, qui nous accompaignent et
agitent chascune à sa mode, vers le bien
l'une, l'aultre vers le mal; une si brusque diver-
sité ne se pouvant bien assortir à un subiect
simple'.

Non seulement le vent des accidents me re-
mue selon son inclination, mais en oultre ie me
remue et trouble moy mesme par l'instabilité de
ma posture; et qui y regarde primement, ne se
treuve gueres deux fois en mesme estat. Ie donne
à mon ame tantost un visage, tantost un aultre,
selon le costé où ie la couche. Si ie parle di-
versement de moy, c'est que ie me regarde di-
versement toutes les contrarietez s'y treuvent
selon quelque tour et en quelque façon; hon-
teux, insolent; chaste, luxurieux; bavard, taci-
turne; laborieux, delicat; ingenieux, hebeté;
chagrin, debonnaire; menteur, veritable; sça-
vant, ignorant ; et liberal, et avare et prodigue:
tout cela ie le veoy en moy aulcunement, selon
que ie me vire; et quiconque s'estudie bien at-
tentifvement treuve en soy, voire et en son iu-
gement mesme, cette volubilité et discordance.
le n'ay rien à dire de moy entierement, simple-
ment et solidement, sans confusion et sans mes-
lange, ny en un mot: Distinguo, est le plus
universel membre de ma logique.

Encores que ie soy tousiours d'advis de dire du bien le bien, et d'interpreter plustost en bonne part les choses qui le peuvent estre, si est ce poulsez que l'estrangeté de nostre condition porte que nous soyons souvent, par le vice

mesme,

1 « Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes: un sujet simple leur paraissant incapable de telles et si soudaines variétés, d'une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur. » PASCAL, Pensées.

à bien faire; si le bien faire ne se iugeoit par la | qu'elle n'emporte la piece. Voylà pourquoy, pour

seule intention: parquoy un faict courageux ne doibt pas conclure un homme vaillant; celuy qui le seroit bien à poinct, il le seroit tousiours et à toutes occasions. Si c'estoit une habitude de vertu, et non une saillie, elle rendroit un homme pareillement resolu à touts accidents, tel seul qu'en compaignie, tel en camp clos qu'en une battaille; car, quoy qu'on die, il n'y a pas aultre vaillance sur le pavé, et aultre au camp; aussi courageusement porteroit il une maladie en son lict, qu'une bleceure au camp; et ne craindroit non plus la mort en sa maison, qu'en un assault : nous ne verrions pas un mesme homme donner dans la bresche d'une brave asseurance, et se tormenter aprez, comme une femme, de la perte d'un procez ou d'un fils. Quand estant lasche à F'infamie, il est ferme à la pauvreté; quand estant mol contre les rasoirs des barbiers, il se treuve roide contre les espees des adversaires : l'action est louable, non pas l'homme. Plusieurs Grecs, dict Cicero1, ne peuvent veoir les ennemis, et se treuvent constants aux maladies; les Cimbres et les Celtiberiens, tout au rebours nihil enim potest esse æquabile, quod non a certa ratione proficiscatur. Il n'est point de vaillance plus extreme en son espece que celle d'Alexandre; mais elle n'est qu'en espece, ny assez pleine par tout, et universelle. Toute incomparable qu'elle est, si a elle encores ses taches: qui faict que nous le veoyons se troubler si esperduement aux plus legiers souspeçons qu'il prend des machinations des siens contre sa vie, et se porter en cette recherche d'une si vehemente et indiscrette iniustice, et d'une crainte qui subvertit sa raison naturelle. La superstition aussi dequoy il estoit si fort attainct, porte quelque image de pusillanimité; et l'excez de la penitence qu'il feit du meurtre de Clitus, est aussi tesmoignage de l'inegualité de son courage. Nostre faict, ce ne sont que pieces rapportees3, et voulons acquerir un honneur à faulses enseignes. La vertu ne veult estre suyvie que pour elle mesme; et si on emprunte par fois son masque pour aultre occasion, elle nous l'arrache aussitost du visage. C'est une vifve et forte teincture, quand l'ame en est une fois abbruvee; et qui ne s'en va,

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iuger d'un homme, il fault suyvre longuement et curieusement sa trace : si la constance ne s'y maintient de son seul fondement, cui vivendi via considerata atque provisa est1; si la varieté des occurrences luy faict changer de pas (ie dis de voye, car le pas s'en peult ou haster, ou appesantir), laissez le courre; celuy là s'en va avau le vent, comme dict la devise de nostre Talebot.

Ce n'est pas merveille, ce dict un ancien3, que le hazard puisse tant sur nous, puis que nous vivons par hazard. A qui n'a dressé en gros sa vie à une certaine fin, il est impossible de disposer les actions particulières : il est impossible de renger les pieces, à qui n'a une forme du total en sa teste à quoy faire la provision des couleurs, à qui ne sçait ce qu'il a à peindre? Aulcun ne faict certain desseing de sa vie, et n'en deliberons qu'à parcelles. L'archer doibt premierement savoir où il vise, et puis y accommoder la main, l'arc, la chorde, la flesche, et les mouvements: nos conseils fourvoyent, parce qu'ils n'ont pas d'addresse et de but: nul vent ne faict, pour celuy qui n'a point de port destiné. Ie ne suis pas d'advis de ce iugement qu'on feit pour Sophocles 4, de l'avoir argumenté suffisant au maniement des choses domestiques, contre l'accusation de son fils, pour avoir veu l'une de ses tragedies; ny ne treuve la coniecture des Pariens, envoyez pour reformer les Milesiens, suffisante à la consequence qu'ils en tirerent 5: visitants l'isle, ils remarquoient les terres mieulx cultivees et maisons champestres mieulx gouvernees; et ayants enregistré le nom des maistres d'icelles, comme ils eurent faict l'assemblee des citoyens en la ville, ils nommerent ces maistres là pour nouveaux gouverneurs et magistrats; iugeants que soigneux de leurs affaires privees,

De sorte qu'il suive, sans jamais s'écarter, la route qu'il s'est choisie. CIC. Paradox. V, I.

2 Régulièrement, ces mots devraient être écrits ainsi, à vau le vent, aussi bien que dans cette expression, à vau de route, dont on se sert encore pour signifier une déroute entière, comme si l'ennemi qui est mis en fuite était poussé du haut d'une montagne vers le bas; ce qui précipiterait sa fuite, et le jetterait dans la dernière confusion. A vau le vent, c'est, selon le cours du vent, lequel soufflant sur l'eau, lui donne un cours déterminé, assez semblable à celui d'un torrent, ou d'une rivière qui coule de haut en bas. A vau, à val, en bas, comme qui dirait du haut d'une montagne vers la vallée, a monte ad vallem. C. — L'ancien mot, amont, ou à mont, qu'on trouvera dans le chapitre suivant, signifie le contraire. J. V. L.

3 SÉNÈQUE, Epist. 71 et 72. C. 4 CIC. de Senectute, c. 7. C. 5 HERODOTE, V, 29. J. V. L.

I

ils le seroient des publicques. Nous sommes tous | Il y a autant en cela de diversité qu'en aulcune de loppins, et d'une contexture si informe et di- aultre chose. La confusion de l'ordre et mesure verse, que chasque piece, chasque moment, faict des pechez est dangereuse : les meurtriers, les son ieu; et se treuve autant de difference de traistres, les tyrans, y ont trop d'acquest; ce nous à nous mesmes, que de nous à aultruy. n'est pas raison que leur conscience se soulage Magnam rem puta, unum hominem agere1. sur ce que tel aultre ou est oysif, ou est lascif, Puis que l'ambition peult apprendre aux hommes ou moins assidu à la devotion. Chascun poise et la vaillance, et la temperance, et la liberalité, sur le peché de son compaignon, et esleve le voire et la iustice; puis que l'avarice peult planter sien. Les instructeurs mesmes les rengent souau courage d'un garson de boutique, nourry à vent mal, à mon gré. Comme Socrates disoit l'umbre et à l'oysifveté, l'asseurance de se iec- que le principal office de la sagesse estoit dister, si loing du foyer domestique, à la mercy des tinguer les biens et les maulx; nous aultres, vagues et de Neptune courroucé, dans un fraile chez qui le meilleur est tousiours en vice, debbateau; et qu'elle apprend encores la discretion vons dire de mesme de la science de distinguer et la prudence; et que Venus mesme fournit de les vices, sans laquelle bien exacte, le verresolution et de hardiesse la ieunesse encores tueux et le meschant demeurent meslez et insoubs la discipline et la verge, et gendarme cogneus. le tendre cœur des pucelles au giron de leurs

meres :

Hac duce, custodes furtim transgressa iacentes,

Ad iuvenem tenebris sola puella venit2:

ce n'est pas tour d'entendement rassis, de nous iuger simplement par nos actions de dehors; il fault sonder iusques au dedans, et veoir par quels ressorts se donne le bransle. Mais d'autant que c'est une hazardeuse et haulte entreprinse, ie vouldroy que moins de gents s'en meslassent.

CHAPITRE II.

De l'yvrongnerie.

Le monde n'est que varieté et dissemblance : les vices sont touts pareils, en ce qu'ils sont touts vices; et de cette façon l'entendent à l'adventure les stoïciens : mais encores qu'ils soyent egualement vices, ils ne sont pas eguaux vices; et que celuy qui a franchy de cent pas les limites,

Quos ultra, citraque nequit consistere rectum3,
ne soit de pire condition que celuy qui n'en est
qu'à dix pas, il n'est pas croyable, et que le sa-
crilege ne soit pire que le larrecin d'un chou de
nostre iardin :

Nec vincet ratio hoc, tantumdem ut peccet, idemque,
Qui teneros caules alieni fregerit horti,
Et qui nocturnus divum sacra legerit 4.

1 Soyez persuadé qu'il est bien difficile d'être toujours le meme homme. SÉNÈQUE, Epist. 120.

2 Sous la conduite de Vénus, la jeune fille passe furtivement au travers de ses surveillants endormis, et seule, pendant la nuit, va trouver son amant. TIBULLE, II, 1, 75. 3 Dont on ne peut s'écarter en aucun sens, qu'on ne s'égare du droit chemin. HOR. Sat. 1, 1, 107.

4 On ne prouvera jamais, par de bonnes raisons, que voler

Or l'yvrongnerie, entre les aultres, me semble un vice grossier et brutal. L'esprit a plus de part ailleurs; et il y a des vices qui ont ie ne sçay quoy de genereux, s'il le fault ainsi dire; il y en a où la science se mesle, la diligence, la vaillance, la prudence, l'adresse et la finesse : cettuy cy est tout corporel et ter

restre. Aussi la plus grossiere nation de celles qui sont auiourd'huy, c'est celle là seule qui le

tient en credit. Les aultres vices alterent l'entendement; cettuy cy le renverse, et estonne le corps.

Quum vini vis penetravit.... Consequitur gravitas membrorum, præpediuntur Crura vacillanti, tardescit lingua, madet mens, Nant oculi; clamor, singultus, iurgia, gliscunt”. Le pire estat de l'homme, c'est où il perd la cognoissance et gouvernement de soy. Et en dict on, entre aultres choses, que comme le moust bouillant dans un vaisseau, poulse à mont tout ce qu'il y a dans le fond; aussi le vin faict desbonder les plus intimes secrets à ceux qui en ont prins oultre mesure.

Tu sapientium

Curas, et arcanum iocoso
Consilium retegis Lyæo3.

Iosephe recite 4 qu'il tira le ver du nez à un
des choux dans un jardin soit un aussi grand crime que de pil-
ler un temple pendant la nuit. HOR. Sat. I, 3, 115.

1 Cherche à rendre le sien plus léger. Du latin elevat; image prise des deux plateaux d'une balance. J. V. L.

2 Lorsque l'homme est dompté par la force du vin, ses membres deviennent pesants, sa démarche est incertaine, ses pas chancellent, sa langue s'embarrasse; son âme semble noyée, et ses yeux flottants; il pousse d'impurs hoquets, il bégaye des injures. LUCRÈCE, III, 475.

Dans tes joyeux transports, ô Bacchus! le sage se laisse arracher son secret. HOR. Od. III, 21, 14.

4 De Vita sua, p. 1016. A. C.

trouvee un iour de feste ayant bien largement prins son vin, endormie si profondement prez de son foyer, et si indecemment, qu'il s'en estoit peu servir sans l'esveiller : ils vivent encores mariez ensemble.

certain ambassadeur que les ennemis luy avoient | enhardy de cette proclamation, declara l'avoir envoyé, l'ayant faict boire d'autant. Toutesfois Auguste s'estant fié à Lucius Piso, qui conquit la Thrace, des plus privez affaires qu'il eust, ne s'en trouva iamais mescompté; ny Tiberius, de Cossus, à qui il se deschargeoit de touts ses conseils; quoy que nous les sçachions avoir esté si fort subiects au vin, qu'il en a fallu rapporter souvent du senat et l'un et l'aultre yvre',

Hesterno inflatum venas, de more, Lyæo';

et commeit on, aussi fidellement qu'à Cassius, beuveur d'eau, à Cimber le desseing de tuer Cesar, quoy qu'il s'enyvrast souvent 3; d'où il respondit plaisamment : « Que ie portasse un tyran! moy, qui ne puis porter le vin! » Nous veoyons nos Allemans, noyez dans le vin, se souvenir de leur quartier, du mot et de leur reng:

Nec facilis victoria de madidis, et
Blæsis, atque mero titubantibus 4.

Ie n'eusse pas creu d'yvresse si profonde, estouffee et ensepvelie, si ie n'eusse leu cecy dans les histoires : qu'Attalus ayant convié à souper, pour lui faire une notable indignité, ce Pausanias qui, sur ce mesme subiect, tua depuis Philippus, roy de Macedoine (roy portant, par ses belles qualitez, tesmoignage de la nourriture qu'il avoit prinse en la maison et compaignie d'Epaminondas), il le feit tant boire, qu'il peust abbandonner sa beaulté, insensiblement, comme le corps d'une putain buissonniere, aux muletiers et nombre d'abiects serviteurs de sa maison et ce que m'apprint une dame que i'honnore et prise fort, que prez de Bourdeaux, vers Castres, où est sa maison, une femme de village, veufve, de chaste reputation, sentant des premiers umbrages de grossesse, disoit à ses voysines qu'elle penseroit estre enceincte, si elle avoit un mary; mais, du iour à la journee croissant l'occasion de ce souspeçon, et enfin iusques à l'evidence, elle en veint là de faire declarer au prosne de son eglise, que qui seroit consent de ce faict, en l'advouant, elle promettoit de le luy pardonner, et s'il le trouvoit bon, de l'espouser : un sien ieune valet de labourage,

1 Ces deux exemples appartiennent à SÉNÈQUE, Epist 83, d'où Montaigne a tiré plusieurs idées de ce chapitre. C.

2 Les veines encore enflées du vin qu'il avait bu la veille. VIRG. Eclog. VI, 15. Ce vers est un peu différent dans Virgile. J. V. L.

3 SÉNÈQUE, Epist. 83. C.

4 Et quoique noyés dans le vin, bégayants et chancelants, il n'est pas facile de les vaincre. Juv. XV, 47.

5 JUSTIN, IX, 6. C.

Il est certain que l'antiquité n'a pas fort des crié ce vice: les escripts mesmes de plusieurs philosophes en parlent bien mollement; et iusques aux stoïciens, il y en a qui conseillent de se dispenser quelquesfois à boire d'autant, et de s'enyvrer, pour relascher l'ame.

Hoc quoque virtutum quondam certamine, magnum Socratem palmam promeruisse ferunt1.

Ce censeur et correcteur des aultres, Caton, a esté reproché de bien boire:

Narratur et prisci Catonis

Sæpe mero caluisse virtus ". Cyrus, roy tant renommé, allegue, entre ses aultres louanges pour se preferer à son frere Artaxerxes, qu'il sçavoit beaucoup mieulx boire que luy 3. Et ez nations les mieulx reiglees et policees, cet essay de boire d'autant estoit fort en usage. l'ay ouy dire à Silvius, excellent medecin de Paris 4, que pour garder que il est bon, une fois le mois, de les esveiller par les forces de nostre estomach ne s'apparessent, cet excez et les picquer, pour les garder de s'engourdir. Et escrit on que les Perses, aprez le vin, consultoient de leurs principaulx affaires 5.

Mon goust et ma complexion est plus ennemie de ce vice que mon discours; car oultre l'auctorité des opinions anciennes, ie le treuve ce que ie captive ayseement mes creances soubs bien un vice lasche et stupide, mais moins malicieux et dommageable que les aultres, qui chocquent quasi touts, du plus droict fil, la societé publicque. Et si nous ne pouvons nous donner du plaisir qu'il ne nous couste quelque chose, comme ils tiennent, ie treuve que ce vice couste moins à nostre conscience que les aultres; oultre ce qu'il n'est point de difficile apprest, ny mal aysé à trouver : consideration non mesprisable.

Dans ce noble combat, le grand Socrate remporta, dit on, la palme. PSEUDO-GALLUS, I, 47.

2 On raconte aussi du vieux Caton que le vin réchauffait souvent sa vertu. HOR. Od. III, 21, 11. Voyez J. B. ROUSSEAU, Odes, II, I.

3 PLUTARQUE, Vie d'Artaxerxès, c. 2. C.

4 Célèbre par son avarice, qui lui a valu cette épitaphe de Buchanan :

Silvius hic silus est, gratis qui níl dedit unquam :
Mortuus est; gratis quod legis ista, dolet.

5 HERODOTE, 1, 133, et autres auteurs. C.

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