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contenance de la desdaigner, pour se loger par là au reng de ceulx à qui on faict tort d'espandre indignement et avilir cette marque qui leur estoit particulierement deue.

I

Or, de s'attendre, en effaceant et abolissant cette cy, de pouvoir soubdain remettre en credit et renouveller une semblable coustume, ce n'est pas entreprinse propre à une saison si licentieuse et malade qu'est celle où nous nous trouvons à present et en adviendra que la derniere encourra, dez sa naissance, les incommoditez qui viennent de ruyner l'aultre. Les reigles de la dispensation de ce nouvel ordre auroient besoing d'estre extremement tendues et contrainctes, pour luy donner auctorité; et cette saison tumultuaire n'est pas capable d'une bride courte et reiglee: oultre ce qu'avant qu'on luy puisse donner credit, il est besoing qu'on ayt perdu la memoire du premier, et du mespris auquel il est cheu.

Ce lieu pourroit recevoir quelque discours sur la consideration de la vaillance, et difference de cette vertu aux aultres; mais Plutarque estant souvent retumbé sur ce propos, ie me mesleroy pour neant de rapporter icy ce qu'il en dict. Cecy est digne d'estre consideré, que nostre nation donne à la vaillance le premier degré des vertus, comme son nom monstre, qui vient de Valeur : et qu'à nostre usage, quand nous disons un homme qui vault beaucoup, ou un homme de bien, au style de nostre court et de nostre noblesse, ce n'est à dire aultre chose qu'un vaillant homme, d'une facon pareille à la romaine; car la generale appellation de vertu prend chez eulx etymologie de la force 2. La forme propre, et seule, et essentielle, de noblesse en France, c'est la vacation militaire. Il est vraysemblable que la premiere vertu qui se soit faict paroistre entre les hommes, et qui a donné advantage aux uns sur les aultres, ç'a esté cette cy, par laquelle les plus forts et courageux se sont rendus maistres des plus foibles, et ont acquis reng et reputation particuliere, d'où luy est demeuré cet honneur et dignité de langage; ou bien, que ces nations estants tres belliqueuses, ont donné le prix à celle des vertus qui leur estoit plus familiere, et le plus digne tiltre tout ainsi que nostre passion, et cette fiebvreuse solicitude que nous

L'ordre du Saint-Esprit, institué par Henri III, en 1578. 2 Virtus, vis. J. J. Rousseau, dans l'Émile, liv. V : « Le mot de vertu vient de force; la force est la base de toute vertu; la vertu n'appartient qu'à un être faible par sa nature, et fort par sa volonté. » J. V. L.

avons de la chasteté des femmes, faict aussi que Une bonne femme, Une femme de bien, et Femme d'honneur et de vertu, ce ne soit en effect à dire aultre chose pour nous que Une femme chaste; comme si, pour les obliger à ce debvoir, nous mettions à nonchaloir touts les aultres, et leur laschions la bride à toute aultre faulte, pour entrer en composition de leur faire quitter cette cy.

CHAPITRE VIII.

De l'affection des peres aux enfants.

A MADAME D'ESTISSAC .

Madame, si l'estrangeté ne me sauve et la nouvelleté, qui ont accoustumé de donner prix aux choses, ie ne sors iamais à mon honneur de cette sotte entreprinse; mais elle est si fantastique, et a un visage si esloingné de l'usage commun, que cela luy pourra donner passage. C'est une humeur melancholique, et une humeur par consequent tres ennemie de ma complexion naturelle, produicte par le chagrin de la solitude en laquelle il y a quelques annees que ie m'estoy iecté, qui m'a mis premierement en teste cette resverie de me mesler d'escrire. Et puis me trouvant entierement despourveu et vuide de toute aultre matiere, ie me suis presenté moy mesme à moy pour argument et pour subiect. C'est le seul livre au monde de son espece, d'un desseing farouche et extravagant 2. Il n'y a rien aussi en cette besongne digne d'estre remarqué que cette bizarrerie; car à un subiect si vain et si vil, le meilleur ouvrier de l'univers n'eust sceu donner façon qui merite qu'on en face compte. Or, madame, ayant à m'y pourtraire au vif, i'en eusse oublié un traict d'importance, si ie n'y eusse representé l'honneur que i'ay tousiours rendu à vos merites : et l'ay voulu dire signamment à la teste de ce chapitre; d'autant que parmy vos aultres bonnes qualitez, celle de l'a

Il paraît que le fils de cette dame accompagna Montaigne en 1580, dans son voyage à Rome. « Le pape, d'un visage courtois, admonesta M. d'Estissac à l'estude et à la vertu. »> Voyages, t. I, p. 287. J. V. L.

2 Pascal avait dit : « Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre! » Voltaire lui répond : « Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement, comme il a fait! car il peint la nature humaine. Si Nicole et Malebranche avaient toujours parlé d'eux-mêmes, ils n'auraient pas réussi. Mais un gentilhomme campagnard du temps de Henri III, qui est savant dans un siècle d'ignorance, philosophe parmi les fanatiques, et qui peint sous son nom nos faiblesses et nos folies, est un homme qui sera toujours aimé. » VOLTAIRE, Rem. 41 sur les Pensées de Pascal.

mitié que vous avez monstree à vos enfants, | qui il est deu, ayme mieulx que celuy qui doibt;

tient l'un des premiers rengs. Qui sçaura l'aage auquel monsieur d'Estissac, vostre mary, vous laissa veufve, les grands et honnorables partis qui vous ont esté offerts autant qu'à dame de France de vostre condition, la constance et fermeté dequoy vous avez soustenu, tant d'annees, et au travers de tant d'espineuses difficultez, la charge et conduicte de leurs affaires, qui vous ont agitee par touts les coings de France, et vous tiennent encores assiegee, l'heureux acheminement que vous y avez donné par vostre seule prudence ou bonne fortune; il dira ayseement, avecques moy, que nous n'avons poinct d'exemple d'affection maternelle en nostre temps plus exprez que le vostre. Ie loue Dieu, madame, qu'elle aye esté si bien employee; car les bonnes esperances que donne de soy monsieur d'Estissac, vostre fils, asseurent assez que quand il sera en aage, vous en tirerez l'obeïssance et recognoissance d'un tres bon enfant. Mais d'autant qu'à cause de sa puerilité, il n'a peu remarquer les extremes offices qu'il a receus de vous en si grand nombre, ie veulx, si ces escripts viennent un iour à luy tumber en main, lorsque ie n'auray plus ni bouche ni pa- | role qui le puisse dire, qu'il receoive de moy ce tesmoignage en toute verité, qui luy sera encores plus vifvement tesmoigné par les bons effects dequoy, si Dieu plaist, il se ressentira, qu'il n'est gentilhomme en France qui doibve plus à sa mere qu'il faict; et qu'il ne peult donner à l'advenir plus certaine preuve de sa bonté et de sa vertu, qu'en vous recognoissant pour telle.

S'il y a quelque loy vrayement naturelle, c'est à dire quelque instinct qui se veoye universellement et perpetuellement empreint aux bestes et en nous (ce qui n'est pas sans controverse), ie puis dire, à mon advis, qu'aprez le soing que chasque animal a de sa conservation et de fuyr ce qui nuit, l'affection que l'engendrant porte à son engeance tient le second lieu en ce reng. Et parce que nature semble nous l'avoir recommendee, regardant à estendre et faire aller avant les pieces successifves de cette sienne machine, ce n'est pas merveille, si, à reculons, des enfants aux peres, elle n'est pas si grande : ioinct cette aultre consideration aristotelique, que celuy qui bien faict à quelqu'un, l'ayme mieulx qu'il n'en est aymé; et celuy à

ARISTOTE, Morale à Nicomaque, IX, 7. C.

et tout ouvrier ayme mieulx son ouvrage qu'il n'en seroit aymé, si l'ouvrage avoit du sentiment d'autant que nous avons cher Estre; et Estre consiste en mouvement et action; parquoy chascun est aulcunement en son ouvrage. Qui bien faict, exerce une action belle et honneste; qui receoit, l'exerce utile seulement. Or l'utile est de beaucoup moins aymable que l'honneste : l'honneste est stable et permanent, fournissant à celuy qui l'a faict une gratification constante; l'utile se perd et eschappe facilement, et n'en est la memoire ny si fresche ny si doulce. Les choses nous sont plus cheres, qui nous ont plus cousté; et le donner est de plus de coust que le prendre.

Puis qu'il a pleu à Dieu nous douer de quelque capacité de discours, à fin que, comme les bestes, nous ne feussions pas servilement assubiectis aux loix communes, ains que nous nous y appliquassions par iugement et liberté volontaire, nous debvons bien prester un peu à la simple auctorité de nature, mais non pas nous laisser tyranniquement emporter à elle : la seule raison doibt avoir la conduicte de nos inclinations. l'ay, de ma part, le goust estrangement mousse à ces propensions qui sont produictes en nous sans l'ordonnance et entremise de nostre iugement; comme, sur ce subiect duquel ie parle, ie ne puis recevoir cette passion dequoy on embrasse les enfants à peine encore nayz, n'ayants ny mouvement en l'ame, ny forme recognoissable au corps, par où ils se puissent rendre aymables, et ne les ay pas souffert volontiers nourrir prez de moy. Une vraye affection et bien reiglee debvroit naistre et s'augmenter avecques la cognoissance qu'ils nous donnent d'eulx; et lors, s'ils le valent, la propension naturelle marchant quand et quand la raison, les cherir d'une amitié vrayement paternelle : et en iuger de mesme, s'ils sont aultres; nous rendants tousiours à la raison, nonobstant la force naturelle. Il en va fort souvent au rebours; et le plus communement nous nous sentons plus esmeus des trepignements, ieux et niaiseries pueriles de nos enfants, que nous ne faisons aprez de leurs actions toutes formees; comme si nous les avions aymez pour nostre passetemps, ainsi que des guenons, non ainsi que des hommes: et tel fournit bien liberalement de iouets à leur enfance, qui se treuve resserré à la moindre despense qu'il leur fault estants en aage. Voire il semble que la ialousie que nous avons de les veoir paroistre et iouyr

du monde quand nous sommes à mesme de le quitter, nous rende plus espargnants et retrains envers eulx: il nous fasche qu'ils nous marchent sur les talons, comme pour nous soliciter de sortir; et si nous avions à craindre cela, puis que l'ordre des choses porte qu'ils ne peuvent, à dire verité, estre ny vivre qu'aux despens de nostre estre et de nostre vie, nous ne debvions pas nous mesler d'estre peres. Quant à moy, ie treuve que c'est cruauté et iniustice de ne les recevoir au partage et societé de nos biens, et compaignons en l'intelligence de nos affaires domestiques, quand ils en sont capables, et de ne retrencher et resserrer nos commoditez pour prouveoir aux leurs, puis que nous les avons engendrez à cet effect. C'est iniustice de veoir qu'un pere vieil, cassé et demy mort, iouïsse seul, à un coing du foyer, des biens qui suffiroient à l'advancement et entretien de plusieurs enfants, et qu'il les laisse ce pendant, par faulte de moyens, perdre leurs meilleures annees sans se poulser au service publicque et cognoissance des hommes. On les iecte au desespoir de chercher par quelque voye, pour iniuste qu'elle soit, à prouveoir à leur besoing comme l'ay veu, de mon temps, plusieurs ieunes hommes de bonne maison si addonnez au larrecin, que nulle correction les en pouvoit destourner. I'en cognoy un, bien apparenté, à qui, par la priere d'un sien frere tres honneste et brave gentilhomme, ie parlay une fois pour cet effect. Il me respondit et confessa tout rondement, qu'il avoit esté acheminé à cette ordure par la rigueur et avarice de son pere; mais qu'à present il y estoit si accoustumé, qu'il ne s'en pouvoit garder. Et lors il venoit d'estre surprins en larrecin des bagues d'une dame, au lever de laquelle il s'estoit trouvé avecques beaucoup d'aultres. Il me feit souvenir du conte que l'avois ouy faire d'un aultre gentilhomme, si faict et façonné à ce beau mestier du temps de sa ieunesse, que venant aprez à estre maistre de ses biens, deliberé d'abbandonner cette traficque, il ne se pouvoit garder pourtant, s'il passoit prez d'une boutique où il y eust chose dequoy il eust besoing, de la desrobber, en peine de l'envoyer payer aprez. Et en ay veu plusieurs si dressez et duicts à cela, que parmy leurs compaignons mesmes, ils desrobboient ordinairement des choses qu'ils vouloient rendre. Ie suis Gascon, et si n'est vice auquel ie m'entende moins ie le hay

↑ Au moment même, sur le point de le quitter. — Retrains, resserrés.

MONTAIGNE.

:

un peu plus par complexion, que ie ne l'accuse par discours; seulement par desir, ie ne soustrais rien à personne. Ce quartier en est, à la verité, un peu plus descrié que les aultres de la françoise nation si est ce que nous avons veu de nostre temps, à diverses fois, entre les mains de la ius. tice, des hommes de maison, d'aultres contrees, convaincus de plusieurs horribles voleries. Ie crains que de cette desbauche, il s'en faille aulcunement prendre à ce vice des peres.

Et si, on me respond ce que feit un iour un seigneur de bon entendement : « qu'il faisoit espargne des richesses, non pour en tirer aultré fruict et usage que pour se faire honnorer et rechercher aux siens ; et que l'aage luy ayant osté toutes aultres forces, c'estoit le seul remede qui luy restoit pour se maintenir en auctorité dans sa famille, et pour eviter qu'il ne veinst à mespris et desdaing à tout le monde ; » de vray, non la vieillesse seulement, mais toute imbecillité, selon Aristote', est promotrice de l'avarice: cela est quelque chose; mais c'est la medecine à un mal duquel on debvroit eviter la naissance. Un pere est bien miserable, qui ne tient l'affection de ses enfants que par le besoing qu'ils ont de son secours, si cela se doibt nommer affection: il fault se rendre respectable par sa vertu et par sa suffisance, et aymable par sa bonté et doulceur de ses mœurs; les cendres mesmes d'une riche matiere, elles ont leur prix; et les os et reliques des personnes d'honneur, nous avons accoustumé de les tenir en respect et reverence. Nulle vieillesse peult estre si caducque et si rance à un personnage qui a passé en honneur son aage, qu'elle ne soit venerable, et notamment à ses enfants, desquels il fault avoir reiglé l'ame à leur debvoir par raison, non par necessité et par le besoing, ny par rudesse et par force :

Et errat longe, mea quidem sententia,
Qui imperium credat esse gravius, aut stabilius,
Vi quod fit, quam illud, quod ami citia adiungitur 2.

l'accuse toute violence en l'education d'une ame tendre, qu'on dresse pour l'honneur et la liberté. Il y a ie ne sçay quoy de servile en la rigueur et en la contrainete; et tiens que ce qui ne se peult faire par la raison, et par prudence et adresse, ne se faict iamais par la force. On m'a ainsin eslevé : ils disent qu'en tout mon premier aage, ie n'ay tasté des verges qu'à deux

1 Morale à Nicomaque, IV, 3. C.

2 C'est se tromper fort, à mon avis, que de croire mieur établir son autorité par la force que par l'affection. TÉRENCE; Adelph. act. I, sc. 1, v. 40.

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portune. Les anciens Gaulois' estimoient à extreme reproche d'avoir eu accointance de femme avant l'aage de vingt ans, et recommendoient singulierement aux hommes qui se vouloient dres ser pour la guerre, de conserver bien avant en aage leur pucelage, d'autant que les courages s'amollissent et divertissent par l'accouplage des femmes :

coups, et bien mollement. I'ay deu la pareille | Il fault refuser l'opportunité à toute action imaux enfants que i'ay eu: ils me meurent touts en nourrice; mais Leonor, une seule fille qui est eschappee à cette infortune', a attainct six ans et plus, sans qu'on ayt employé à sa conduicte et pour le chastiement de ses faultes pueriles (l'indulgence de sa mere s'y appliquant ayseement), aultre chose que paroles, et bien doulces et quand mon desir y seroit frustré, il est assez d'aultres causes ausquelles nous prendre, sans entrer en reproche avecques ma discipline, que ie scay estre iuste et naturelle. I'eusse esté beaucoup plus religieux encores en cela envers des masles, moins nayz à servir, et de condition plus libre: i'eusse aymé à leur grossir le cœur d'ingenuité et de franchise. Ie n'ay veu aultre effect aux verges, sinon de rendre les ames plus lasches, ou plus malicieusement opi

niastres.

Voulons nous estre aymez de nos enfants? leur

voulons nous oster l'occasion de souhaiter nostre

mort (combien que nulle occasion d'un si horrible souhait ne peult estre ny iuste ny excusable, nullum scelus rationem habet')? accommodons leur vie raisonnablement de ce qui est en nostre puissance. Pour cela, il ne nous fauldroit pas marier si ieunes, que nostre aage vienne quasi à se confondre avecques le leur; car cet inconvenient nous iecte à plusieurs grandes difficultez ie dis specialement à la noblesse, qui est d'une condition oysifve, et qui ne vit, comme on diet, que de ses rentes; car ailleurs, où la vie est questuaire3, la pluralité et compaignie des enfants, c'est un adgencement de mesnage, ce sont autant de nouveaux utils et instruments à s'enrichir.

Ie me mariay à trente trois ans, et loue l'opinion de trente cinq, qu'on dict estre d'Aristote 4. Platon ne veult pas qu'on se marie avant les trente 5; mais il a raison de se mocquer de ceulx qui font les œuvres de mariage aprez cinquante cinq, et condemne leur engeance indigne d'aliment et de vie. Thales y donna les plus vrayes bornes; qui, ieune, respondit à sa mere le pressant de se marier, qu'il n'estoit pas temps; et, devenu sur l'aage, « qu'il n'estoit plus temps".

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Mà or congiunto a giovinetta sposa,
E lieto omai de' figli, era invilito
Ne gli affetti di padre e di marito 2.

Muleasses, roy de Thunes 3, celuy que l'empe
reur Charles cinquiesme remeit en ses estats, re-
prochoit la memoire de Mahomet son pere, de sa
hantise avecques les femmes, l'appellant brode,
effeminé, engendreur d'enfants. L'histoire grec-
que remarque de Iccus, Tarentin, de Crisso, d'As-
tyllus, de Diopompus, et d'aultres3, que pour
maintenir leurs corps fermes au service de la
course des ieux Olympiques, de la palestrine, et
tels exercices, ils se priverent, autant que leur
dura ce soing, de toute sorte d'acte venerien. En
certaine contree des Indes espaignoles, on ne
permettoit aux hommes de se marier qu'aprez
quarante ans; et si le permettoit on aux filles à
dix ans. Un gentilhomme qui a trente cinq ans,
il n'est pas temps qu'il face place à son fils qui
en a vingt il est luy mesme au train de parois-
tre et aux voyages des guerres, et en la court
de son prince : il a besoing de ses pieces; il en
doibt certainement faire part, mais telle part
qu'il ne s'oublie pas pour aultruy. Et à celuy là
peult servir iustement cette response, que les
peres ont ordinairement en la bouche : « le ne
me veulx pas despouiller devant que de m'aller
coucher.

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Mais un pere, atterré d'annees et de maulx, privé, par sa foiblesse et faulte de santé, de la commune societé des hommes, il se faict tort, et aux siens, de couver inutilement un grand tas de richesses. Il est assez en estat, s'il est

Ce que Montaigne attribue ici aux Gaulois, César le dit expressément des Germains, de Bello gallico, VI, 21. C. 2 Uni à une jeune épouse, il goûtait le bonheur d'ètre père; et ces sentiments si doux avaient amolli son courage. T. TASSO, Gerusal. liber. canto X, stanz. 39.

3 Muley-Hassan, roi de Tunis. Voyez la dernière note du chapitre 55 du premier livre. J. V. L.

4 Láche, efféminé; COTGRAVE, dans son Dictionnaire fran çois et anglois. Si je ne me trompe, brode, pris en ce sens, est un terme purement gascon. C. Le père de ce roi de Tunis avait eu, de différentes femmes, trente-quatre enfants. 5 PLATON, de Legibus, liv. VIII, p. 647. C. 6 Palestrine, pour lutte ou palestre, se trouve aussi dans

Brantôme. C.

où personne n'apporteroit incommodité à son repos, puisqu'il ne pouvoit aultrement eviter nostre importunité, veu la condition de ses enfants. Il m'en creut depuis, et s'en trouva bien.

sage, pour avoir desir de se despouiller, à fin | il n'avoit que celle là de bien logee et accommode se coucher, non pas iusques à la chemise, dee), et se retirer en une sienne terre voysine, mais iusques à une robbe de nuict bien chaulde: | le reste des pompes, dequoy il n'a plus que faire, il doibt en estrener volontiers ceulx à qui, par ordonnance naturelle, cela doibt appartenir. C'est raison qu'il leur en laisse l'usage, puis que nature l'en prive : aultrement sans doubte il y a de la malice et de l'envie. La plus belle des actions de l'empereur Charles cinquiesme feut celle là, à l'imitation d'aulcuns anciens de son qualibre, d'avoir sceu recognoistre que la raison nous commande assez de nous despouiller, quand nos robbes nous chargent et empeschent, et de nous coucher quand les iambes nous faillent : il resigna ses moyens, grandeur et puissance à son fils, lorsqu'il sentit defaillir en soy la fermeté et la force pour conduire les affaires avecques la gloire qu'il y avoit acquise.

Solve senescentem mature sanus equum, ne Peccet ad extremum ridendus, et ilia ducat '. Cette faulte, de ne sçavoir recognoistre de bonne heure, et ne sentir l'impuissance et extreme alteration que l'aage apporte naturellement et au corps et à l'ame ( qui, à mon opinion; est eguale, si l'ame n'en a plus de la moitié) a perdu la reputation de la pluspart des grands hommes du monde. l'ay veu, de mon temps, et cogneu familierement, des personnages de grande auctorité, qu'il estoit bien aysé à veoir estre merveilleusement descheus de cette ancienne suffisance que ie cognoissoy par la reputation qu'ils en avoient acquise en leurs meilleurs ans : ie les eusse, pour leur honneur, volontiers souhaittez retirez en leur maison à leur ayse, et deschargez des occupations publicques et guerrieres, qui n'estoient plus pour leurs espaules. l'ay aultrefois esté privé en la maison d'un gentilhomme veuf et fort vieil, d'une vieillesse toutesfois assez verte; cettuy cy avoit plusieurs filles à marier, et un fils desia en aage de paroistre : cela chargeoit sa maison de plusieurs despenses et visites estrangieres, à quoy il prenoit peu de plaisir, non seulement pour le soing de l'espargne, mais encores plus pour avoir, à cause de l'aage, prins une forme de vie fort esloingnee de la nostre. Ie luy dis un iour, un peu hardiement, comme l'ay accoustumé, qu'il luy sieroit mieulx de nous faire place, et de laisser à son fils sa maison principale (car

1 Malheureux, laisse en paix ton cheval vieillissant,
De peur que tout à coup, efflanqué, hors d'haleine,
Il ne laisse, en tombant, son maître sur l'arène.
Hon. Epist. 1, 1, 8 (imitation de Boileau).

Ce n'est pas à dire qu'on leur donne par telle voye d'obligation, de laquelle on ne se puisse plus desdire: ie leur lairroy, moy qui suis à mesme de iouer ce roolle, la iouïssance de ma maison et de mes biens, mais avecques liberté de m'en repentir, s'ils m'en donnoient occasion; ie leur en lairroy l'usage, parce qu'il ne me seroit plus commode; et de l'auctorité des affaires en gros, ie m'en reserverois autant qu'il me plairoit: ayant tousiours iugé que ce doibt estre un grand contentement à un pere vieil, de mettre luy mesme ses enfants en train du gouvernement de ses affaires, et de pouvoir, pendant sa vie, contrerooller leurs deportements, leur fournissant d'instruction et d'advis suyvant l'experience qu'il en a, et d'acheminer luy mesme l'ancien honneur et ordre de sa maison en la main de ses successeurs, et se respondre par là des esperances qu'il peult prendre de leur conduicte à venir. Et pour cet effect, ie ne vouldroy pas fuyr leur compaignie; ie vouldroy les esclairer de prez, et iouyr, selon la condition de mon aage, de leur alaigresse et de leurs festes. Si ie ne vivoy parmy eulx (comme ie ne pourroy, sans offenser leur assemblee par le chagrin de mon aage et la subiection de mes maladies, et sans contraindre aussi et forcer les reigles et façons de vivre que i'auroy lors), ie vouldrois au moins vivre prez d'eulx, en un quartier de ma maison, non pas le plus en parade, mais le plus en commodité. Non comme ie veis, il y a quelques annees, un doyen de Sainct Hilaire de Poictiers, rendu à telle solitude par l'incommodité de sa melancholie, que lorsque i'entray en sa chambre, il y avoit vingt et deux ans qu'il n'en estoit sorty un seul pas; et si avoit toutes ses actions libres et aysees, sauf un rheume qui luy tumboit sur l'estomach: à peine une fois la sepmaine vouloit il permettre qu'aulcun entrast pour le veoir; il se tenoit tousiours enfermé par le dedans de sa chambre, seul, sauf qu'un valet luy portoit une fois le iour ǎ manger, qui ne faisoit qu'entrer et sortir : son occupation estoit de se promener, et lire quelque livre, car il cognoissoit aulcunement les lettres, obstiné, au demourant, de mourir en cette desmarche, comme il feit bientost aprez. l'essayeroy, par une doulce conversation, de nourrir ci

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