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son medecin pour mourir, et que la froideur eut saisy les extremitez de ses membres, et commencea à s'approcher des parties vitales, la derniere chose qu'il eut en sa memoire, ce feurent aulcuns des vers de son livre de la guerre de Pharsale, qu'il recitoit; et mourut ayant cette derniere voix en la bouche'. Cela qu'estoit ce, qu'un tendre et paternel congé qu'il prenoit de ses enfants, representant les adieux et les estroicts embrassements que nous donnons aux nostres en mourant, et un effect de cette naturelle inclination qui rappelle en nostre souvenance, en cette extremité, les choses que nous avons eu les plus cheres pendant nostre vie?

Pensons nous qu'Epicurus', qui en mourant, tormenté, comme il dit, des extremes douleurs de la cholique, avoit toute sa consolation en la beaulté de la doctrine qu'il laissoit au monde, eust receu autant de contentement d'un nombre d'enfants bien nayz et bien eslevez, s'il en eust eu, comme il faisoit de la production de ses riches escripts? et que s'il eust esté au chois de laisser, aprez luy, un enfant contrefaict et mal nay, ou un livre sot et inepte, il ne choisist plustost, et non luy seulement, mais tout homme de pareille suffisance, d'encourir le premier malheur que l'aultre? Ce seroit à l'adventure impieté en sainct Augustin (pour exemple), si, d'un costé, on lui proposoit d'enterrer ses escripts, dequoy nostre religion receoit un si grand fruict, ou d'enterrer ses enfants, au cas qu'il en eust, s'il n'aymoit mieulx enterrer ses enfants 3. Et ie ne sçay si ie n'aymeroy pas mieulx beaucoup en avoir produict un, parfaictement bien formé, de l'accointance des Muses que de l'accointance de ma femme. A cettuy cy, tel qu'il est, ce que ie donne, ie le donne purement et irrevocablement, comme on donne aux enfants corporels. Ce peu de bien que ie luy ay faict, il n'est plus en ma disposition: il peult sçavoir assez de choses que ie ne sçay plus, et tenir de moy ce que ie n'ay point retenu, et qu'il fauldroit que, tout

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1 TACITE, Annales, XV, 70. C.

2 DIOGÈNE LAERCE, X, 22; CICERON, de Finibus, II, 30. J. V. L.

3 On aurait tort, je crois, de prendre au sérieux cette décision singulière, qui révolte la nature, et qui n'est pas dans le caractère de Montaigne: son égoïsme ne va pas jusque-là. Mais trop souvent il a été jugé par des critiques superficiels, qui l'ont pris à la lettre. Supposons que des censeurs de cette force parcourent son troisième livre; ils voient dans la même page, chap. 9: Les dieux s'esbattent de nous à la pelote, et nous agitent à toutes mains.... Plus has: Les astres ont fatalement destiné l'estat de Rome pour exemplaire de ce qu'ils peuvent en ce genre. Et voilà Montaigue astrologue et poTytheiste. J. V. L.

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ainsi qu'un estrangier, i'empruntasse de luy, si besoing m'en venoit ; si ie suis plus sage que luy, il est plus riche que moy. Il est peu d'hommes addonnez à la poësie, qui ne se gratifiassent plus d'estre peres de l'Aeneïde, que du plus beau garson de Rome, et qui ne souffrissent plus ayseement une perte que l'aultre : car, selon Aristote, de touts ouvriers, le poëte est nommeement le plus amoureux de son ouvrage. Il est mal aysé à croire qu'Epaminondas, qui se vantoit de laisser pour toute posterité des filles qui feroient un iour honneur à leur pere (c'estoient les deux nobles victoires qu'il avoit gaigné sur les Lacedemoniens), eust volontiers consenti d'eschanger celles là aux plus gorgiases 3 de toute la Grece; ou qu'Alexandre et Cesar ayent iamais souhaitté d'estre privez de la grandeur de leurs glorieux faicts de guerre, pour la commodité d'avoir des enfants et heritiers, quelque parfaicts et accomplis qu'ils peussent estre. Voire ie fais grand doubte que Phidias, ou aultre excellent statuaire, aymast autant la conservation et la duree de ses enfants naturels, comme il feroit d'une image excellente qu'avecques long travail et estude il auroit parfaicte selon l'art. Et quant à ces passions vicieuses et furieuses qui ont eschauffé quelquesfois les peres à l'amour de leurs filles, ou les meres envers leurs fils, encores s'en treuve il de pareilles en cette aultre sorte de parenté : tesmoing ce que l'on recite de Pygmalion, qu'ayant basty une statue de femme, de beaulté singuliere, il deveint si esperduement esprins de l'amour forcené de ce sien ouvrage, qu'il fallut qu'en faveur de sa rage les dieux la luy vivifiassent :

Tentatum mollescit ebur, positoque rigore
Subsidit digitis 4.

CHAPITRE IX.

Des armes des Parthes.

C'est une façon vicieuse de la noblesse de nostre temps, et pleine de mollesse, de ne prendre les armes que sur le poinct d'une extreme necessité, et s'en descharger aussitost qu'il y a tant soit peu d'apparence que le dangier soit esloingné :

1 Morale à Nicomaque, IX, 7. C.

2 C'est ainsi que le mot est rapporté par Diodore de SICILE, XV, 87; car, selon CORNÉLIUS NÉPOS, dans la Vie d'Épaminondas, c. 10, ce grand capitaine ne parle que d'une fille, savoir, la bataille de Leuctres. C.

3 Aux plus belles, aux plus aimables. Gorgias signifie mignon, propre, selon Nicot; gorgiase ou gorgiasse, agréable, belle, selon Borel. C.

4 Il touche l'ivoire, et l'ivoire oubliant sa dureté naturelle, cède et s'amollit sous ses doigts. OVIDE, Métamorph. X, 283.

d'où il survient plusieurs desordres; car chascun criant et courant à ses armes sur le poinct de la charge, les uns sont à lacer encores leur cuirasse, que leurs compaignons sont desia rompus. Nos peres donnoient leur salade', leur lance et leurs gantelets à porter, et n'abbandonnoient le reste de leur equipage tant que la courvee duroit. Nos trouppes sont à cette heure toutes troublees et difformees par la confusion du bagage et des valets, qui ne peuvent esloingner leurs maistres à cause de leurs armes. Tite Live parlant des nostres, Intolerantissima laboris corpora vix arma humeris gerebant. Plusieurs nations vont encores, et alloient anciennement à la guerre sans se couvrir, ou se couvroient d'inutiles deffenses: Tegmina queis capitum raptus de subere cortex 3.

Alexandre, le plus hazardeux capitaine qui feut iamais, s'armoit fort rarement. Et ceulx d'entre nous qui les mesprisent, n'empirent pour cela de gueres leur marché : s'il se veoid quelqu'un tué par le default d'un harnois, il n'en est gueres moindre nombre que l'empeschement des armes a faict perdre, engagez soubs leur pesanteur, ou froissez et rompus, ou par un contrecoup, ou aultrement. Car il semble, à la verité, à veoir le poids des nostres et leur espesseur, que nous ne cherchions qu'à nous deffendre, et en sommes plus chargez que couverts. Nous avons assez à faire à en soustenir le fais, entravez et contraincts, comme si nous n'avions à combattre que du choc de nos armes ; et comme si nous n'avions pareille obligation à les deffendre, qu'elies ont à nous. Tacitus peinct plaisamment des gents de guerre de nos anciens Gaulois, ainsin armez pour se maintenir seulement, n'ayants moyen ny d'offenser, ny d'estre offensez, ny de se relever abbattus. Lucullus 5 veoyant certains hommes d'armes medois qui faisoient front en l'armee de Tigranes, poisamment et mal ayseement armez, comme dans une prison de fer, print de là opinion de les desfaire ayseement, et par eulx commencea sa charge et sa victoire. Et à present que nos mousquetaires sont en credit, ie croy que l'on trouvera quelque invention de nous emmurer pour nous en guarantir, et nous faire traisner à la guerre enfermez dans

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des bastions, comme ceulx que les anciens faisoient porter à leurs elephants.

Cette humeur est bien esloingnee de celle du ieune Scipion, lequel accusa aigrement ses soldats de ce qu'ils avoient semé des chaussetrapes soubs l'eau1, à l'endroict du fossé par où ceulx d'une ville qu'il assiegeoit pouvoient faire des sorties sur luy; disant que ceulx qui assailloient debvoient penser à entreprendre, non pas à craindre et craignoit, avecques raison, que cette provision endormist leur vigilance à se garder. Il dit aussi à un ieune homme qui luy faisoit monstre de son beau bouclier: « Il est vrayement beau, mon fils; mais un soldat romain doibt avoir plus de fiance en sa main dextre qu'en la gauche2. »

insupportable la charge de nos armes, Or il n'est que la coustume qui nous rende

L'usbergo in dosso haveano, e l'elmo in testa, Duo di questi guerrier, dei quali io canto; Nè notte o dì, dopo ch' entraro in questa Stanza, gl' haveano mai messi da canto; Che facile a portar come la vesta Era lor, perchè in uso l'havean tanto 3. L'empereur Caracalla alloit par pais à pied, armé de toutes pieces, conduisant son armee1. Les pietons romains portoient non seulement le morion 5, l'espee et l'escu (car quant aux armes, dict Cicero, ils estoient si accoustumez à les avoir sur le dos, qu'elles ne les empeschoient non plus que leurs membres, arma enim, membra militis esse dicunt), mais quand et quand encores ce qu'il leur falloit de vivres pour quinze iours, et certaine quantité de paulx 7 pour faire leurs remparts, iusques à soixante livres de poids. Et les soldats de Marius, ainsi chargez, marchants en battaille, estoient duicts à faire cinq lieues en cinq heures, et six s'il y avoit haste. Leur discipline militaire estoit beaucoup plus rude que la

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2 PLUTARQUE, Apophthegmes de Scipion le jeune, § 18. 3 Deux des guerriers que je chante ici avaient la cuirasse sur le dos et le casque en téte : depuis qu'ils étaient dans ce chateau ils n'avaient quitté ni jour ni nuit cette double armure, qu'ils portaient aussi aisément que leurs habits, tant ils y étaient accoutumés. ARIOSTO, cant. XII, stanz. 30. 4 Voyez XIPHILIN, Vie de Caracalla. C.

5 Lemorion est une sorte de casque semblable à celui qu'on appelait salade; mais l'un est à l'usage des soldats de pied, l'autre des chevau-légers. Voyez la première note de ce chapitre. E. J.

6 Ils disent que les armes du soldat sont ses membres. Cic. Tusc. quæst. II, 16. De là, en latin, l'analogie d'arma, armes, avec armus, épaule, et armilla, bracelets. E. J. 7 Pieux ou palissades; au singulier pal, du latin palus. PLUTARQUE, Marius, c. 4. C.

nostre; aussi produisoit elle de bien aultres effects. Le ieune Scipion' reformant son armee en Espaigne, ordonna à ses soldats de ne manger que debout, et rien de cuict. Ce traict est merveilleux à ce propos, qu'il feut reproché à un soldat lacedemonien, qu'estant à l'expedition d'une guerre, on l'avoit veu soubs le couvert d'une maison : ils estoient si durcis à la peine, que c'estoit honte d'estre veu soubs un autre toict que celui du ciel, quelque temps qu'il feist. Nous ne meinerions =gueres loing nos gents à ce prix là?

Au demourant, Marcellinus 2, homme nourry aux guerres romaines, remarque curieusement la façon que les Parthes avoient de s'armer, et la remarque d'autant qu'elle estoit esloingnee de la romaine. « Ils avoient, dict-il, des armes tissues en maniere de petites plumes, qui n'empeschoient pas le mouvement de leur corps; et si estoient si fortes, que nos dards reiaillissoient venants à les heurter » (ce sont les escailles dequoy nos ancestres avoient fort accoustumé de se servir). Et en un aultre lieu 3: « Ils avoient, dict il, leurs chevaulx forts et roides, couverts de gros cuir et eulx estoient armez, de cap à pied, de grosses lames de fer, rengees de tel artifice, qu'à l'endroict des ioinc tures des membres elles prestoient au mouvement. On eust dict que c'estoient des hommes de fer; car ils avoient des accoustrements de teste si proprement assis, et representants au naturel la forme et parties du visage, qu'il n'y avoit moyen de les assener que par des petits trous ronds qui respondoient à leurs yeulx, leur donnant un peu de lumiere, et par des fentes qui estoient à l'endroict des naseaux, par où ils prenoient assez mal ayseement haleine. »

Flexilis inductis animatur lamina membris,
Horribilis visu; credas simulacra moveri
Ferrea, cognatoque viros spirare metallo.
Par vestitus equis : ferrata fronte minantur,
Ferratosque movent securi vulneris armos 4.
Voylà une description qui retire bien fort à l'e-
quipage d'un homme d'armes françois, à tout
ses bardes. Plutarque dict que Demetrius feit
faire, pour luy et pour Alcimus, le premier

* PLUTARQUE, Apophthegmes, article du second Scipion. C.
2 AMMIEN MARCELLIN, XXIV, 7. C.
3 Liv. XXV, c. 1. C.

4 Leur cuirasse flexible semble recevoir la vie du corps qu'elle enferme; les yeux étonnés voient marcher des statues de fer on dirait que le métal est incorporé avec le guerrier qui le porte. Les coursiers ont aussi leur armure: le fer couvre leur front superbe; et leurs flancs, sous un rempart de fer, bravent les traits impuissants. CLAUDIEN, contre Rufin, II, 358.

homme de guerre qui feust prez de luy, à chascun un harnois complet du poids de six vingt livres, là où les communs harnois n'en poisoient que soixante 1.

CHAPITRE X.

Des livres.

Ie ne fois point de doubte qu'il ne m'advienne souvent de parler de choses qui sont mieulx traictees chez les maistres du metier, et plus veritablement. C'est icy purement l'essay de mes facultez naturelles, et nullement des acquises: et qui me surprendra d'ignorance, il ne fera rien contre moy; car à peine respondroy ie à aultruy de mes discours, qui ne m'en responds point à moy, ny n'en suis satisfaict. Qui sera en cherche de science, si la pesche où elle se loge: il n'est rien dequoy ie face moins de profession. Ce sont icy mes fantasies, par lesquelles ie ne tasche point de donner à cognoistre les choses, mais moy: elles me seront à l'adventure cogneues un iour, ou l'ont aultrefois esté, selon que la fortune m'a peu porter sur les lieux où elles estoient esclaircies; mais il ne m'en souvient plus; et si ie suis homme de quelque leçon, je suis homme de nulle reten3 aulcune certitude, si tion: ainsi ie ne pleuvis ce n'est de faire cognoistre iusques à quel poinct monte, pour cette heure, la cognoissance que i'en ay. Qu'on ne s'attende pas aux matieres, mais à la façon que i'y donne : qu'on veoye, en ce que l'emprunte, si i'ay sceu choisir dequoy rehaulser ou secourir proprement l'invention, qui vient tousiours de moy; car ie fois dire aux aultres, non à ma teste, mais à ma suitte, ce que ie ne puis si bien dire, par foiblesse de mon langage, ou par foiblesse de mon sens. Ie ne compte pas mes emprunts, ie les poise; et si ie les eusse voulu faire valoir par nombre, ie m'en feusse chargé deux fois autant: ils sont touts, ou fort peu s'en fault, de noms si fameux et anciens, qu'ils me semblent se nommer assez sans moy. Ez raisons, comparaisons, arguments, si i̇'en transplante quelqu'un en mon solage 4, et con

1 PLUTARQUE, Démétrius, c. 6. Montaigne change quelque chose au récit de l'historien. C.

2 Comment Montaigne peut-il parler ainsi, après la lecture infinie dont son ouvrage même est la preuve? n'est-ce pas acquérir que de lire beaucoup, et surtout de réfléchir, comme lui, sur tout ce qu'on a lu? SERVAN.

3 C'est-à-dire je ne garantis. · Pleuvir, promettre. Serviteur qu'on a pleuvi franc et quitte de tout larrecin et cautionner, aultres crimes. NICOT. - Plevir, c'est, dit Borel, promettre. C.

4 Sol, terrain, terroir. E. J.

fonds aux miens; à escient i'en cache l'aucteur, de la cognoissance de moy mesme, et qui m'ins

pour tenir en bride la temerité de ces sentences hastifves qui se iectent sur toute sorte d'escripts, notamment ieunes escripts d'hommes encore vivants, et en vulgaire, qui receoit tout le monde à en parler, et qui semble convaincre la

:

conception et le desseing vulgaire de mesme ie veulx qu'ils donnent une nazarde à Plutarque sur mon nez, et qu'ils s'eschauldent à iniurier Seneque en moy. Il fault musser 2 ma foiblesse soubs ces grands credits. l'aymeray quelqu'un qui me scache desplumer, ie dis par clarté de iugement, et par la seule distinction de la force et beaulté des propos car moy, qui, à faulte de memoire, demeure court touts les coups à les trier par cognoissance de nation, sçay tres bien cognoistre, à mesurer ma portee, que mon terroir n'est aulcunement capable d'aulcunes fleurs trop riches que i'y treuve semees, et que touts les fruicts de mon creu ne les sçauroient payer. De cecy suis ie tenu de respondre si ie m'empesche moy mesme; s'il y a de la vanité et vice en mes discours, que ie ne sente point ou que ie ne soye capable de sentir en me le representant: car il eschappe souvent des faultes à nos yeulx; mais la maladie du iugement consiste à ne les pouvoir appercevoir lorsqu'un aultre nous les descouvre. La science et la verité peuvent loger chez nous sans iugement; et le iugement y peult aussi estre sans elles voire la recognoissance de l'ignorance est l'un des plus beaux et plus seurs tesmoignages de iugement que ie treuve. Ie n'ay point d'aultre sergeant de bande à renger mes pieces, que la fortune : à mesme que mes resveries se presentent, ie les entasse; tantost elles se pressent en foule, tantost elles se traisnent à la file. Ie

veulx qu'on veoye mon pas naturel et ordinaire, ainsi destracqué qu'il est ; ie me laisse aller comme ie me treuve aussi ne sont ce point icy matieres qu'il ne soit pas permis d'ignorer, et d'en parler casuellement et temerairement. Ie souhaitterois avoir plus parfaicte intelligence des choses; mais ie ne la veulx pas acheter si cher qu'elle couste. Mon desseing est de passer doulcement, et non laborieusement, ce qui me reste de vie : il n'est rien pour quoy ie me vueille rompre la teste, non pas pour la science, de quelque grand prix qu'elle soit.

Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par un honneste amusement : ou si i'estudie, ie ne cherche que la science qui traicte

En langage vulgaire. C.

2 Cacher. Musser, abdere. NICOT. C.

truise à bien mourir et à bien vivre :

Has meus ad metas sudet oportet equus 1. Les difficultez, si i̇'en rencontre en lisant, ie n'en ronge pas mes ongles; ie les laisse là, aprez plantoy, ie m'y perdroy, et le temps: car i̇'ay leur avoir faict une charge ou deux. Si ie m'y un esprit primsaultier 2; ce que ie ne veoy de la premiere charge, ie le veoy moins en m'y obsti nant. Ie ne fois rien sans gayeté, et la continuation et contention trop ferme esblouït mon iugement, l'attriste et le lasse; ma veue s'y confond et s'y dissipe 3; il fault que ie la retire, et que ie l'y remette à secousses: tout ainsi que pour iuger du lustre de l'escarlatte, on nous ordonne de passer les yeulx par dessus, en la parcourant à diverses veues, soubdaines reprinses et reiterees. Si ce livre me fasche, i'en prens un aultre, et ne m'y addonne qu'aux heures où l'ennuy de rien faire commence à me saisir. Ie ne me prens gueres aux nouveaux, pource que les anciens me semblent plus pleins et plus roides : pas faire ses besongnes d'une puerile et apprenny aux grecs, parce que mon iugement ne sçait tisse intelligence 4.

Entre les livres simplement plaisants, ie treuve lais, et les Baisers de Iehan Second, s'il les fault des modernes, le Decameron de Boccace, Rabeloger soubs ce tiltre, dignes qu'on s'y amuse. Quant aux Amadis, et telles sortes d'escripts, ils enfance. Ie diray encores cecy, ou hardiement, n'ont pas eu le credit d'arrester seulement mon ou temerairement, que cette vieille ame poisante l'Arioste, mais encores au bon Ovide : sa facilité ne se laisse plus chatouiller, non seulement à peine m'entretiennent elles à cette heure. Ie dis et ses inventions, qui m'ont ravy aultrefois, librement mon advis de toutes choses, voire et I C'est vers ce but que doivent tendre mes coursiers. PROPERCE, IV, 1, 70.

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2 Qui fait ses plus grands efforts du premier coup, de prime saut, a primo saltu. C.

3 Montaigne ajoutait ici : Mon esprit pressé se iecte au rouet mais il a rayé ensuite cette addition. Voyez l'exemplaire corrigé de sa main, p. 169, verso. N.

4 Dans l'édition in-4° de 1588, Montaigne disait ici : parce que mon iugement ne se satisfaict pas d'une moyenne intelligence, ce qui peut servir de commentaire à cette noumédiocre intelligence de la langue grecque. C. – Il déclare velle phrase. Il veut nous apprendre par là qu'il n'avait qu'une positivement (1. II, c. 4) qu'il n'entendoit rien au grec, et (. I, c. 25) qu'il n'avoit quasi du tout point d'intelligence du grec; ce qui ne l'empêche pas d'en citer assez souvent des passages. E. J.

5 Jean Second était né à la Haye, en 1511; il mourut à Tournay, en 1536, n'ayant pas encore vingt-cinq ans. On peut voir sur ce poëte la préface de la nouvelle édition de ses OEuvres, par Bosscha; Leyde, 1821, 2 vol. in-8°. J. V. L.

O seclum insipiens et inficetum 1 !

de celles qui surpassent à l'adventure ma suffi- | ie n'y treuve quelque beaulté et grace nouvelle. sance, et que ie ne tiens aulcunement estre de Ceulx des temps voysins à Virgile se plaignoient ma iurisdiction: ce que i'en opine, c'est aussi dequoy aulcuns luy comparoient Lucrece ie pour declarer la mesure de ma veue, non la me suis d'opinion que c'est à la verité une compasure des choses. Quand ie me treuve desgousté raison ineguale; mais i'ay bien à faire à me de l'Axioche de Platon', comme d'un ouvrage rasseurer en cette creance, quand ie me treuve sans force, eu esgard à un tel aucteur, mon iuge- attaché à quelque beau lieu de ceulx de Lucrece. ment ne s'en croit pas : il n'est pas si oultrecuidé S'ils se picquoient de cette comparaison, que de s'opposer à l'auctorité de tant d'aultres fameux diroient ils de la bestise et stupidité barbaresque iugements anciens, qu'il tient ses regents et ses de ceulx qui luy comparent à cette heure Arioste? maistres, et avecques lesquels il est plustost con- et qu'en diroit Arioste luy mesme? tent de faillir; il s'en prend à soy, et se condemne, ou de s'arrester à l'escorce, ne pouvant penetrer iusques au fond, ou de regarder la chose par quelque fauls lustre. Il se contente de se guarantir seulement du trouble et du desreiglement : quant à sa foiblesse, il la recognoist et advoue volontilhomme), que Lucrece à Virgile. Pour l'estitiers. Il pense donner iuste interpretation aux apparences que sa conception luy presente; mais elles sont imbecilles et imparfaictes. La pluspart des fables d'Esope ont plusieurs sens et intelligendes fables d'Esope ont plusieurs sens et intelligences: ceulx qui les mythologizent, en choisissent quelque visage qui quadre bien à la fable; mais pour la pluspart, ce n'est que le premier visage et superficiel; il y en a d'aultres plus vifs, plus essentiels et internes, ausquels ils n'ont sceu penetrer voylà comme i'en fois.

Mais, pour suivre ma route, il m'a tousiours semblé qu'en la poësie, Virgile, Lucrece, Catulle et Horace tiennent de bien loing le premier reng, et signamment Virgile en ses Georgiques, que l'estime le plus accomply ouvrage de la poësie: à comparaison duquel ou peult recognoistre ayseement qu'il y a des endroicts de l'Aeneïde ausquels l'aucteur eust donné encores quelque tour de pigne3, s'il en eust eu loisir; et le cinquiesme livre en l'Aeneïde me semble le plus parfaict. l'ayme aussi Lucain; et le practique volontiers, non tant pour son style que pour sa valeur propre et verité de ses opinions et iugements. Quant au bon Terence, la mignardise et les graces du langage latin, ie le treuve admirable à representer au vif les mouvements de l'ame et la condition de nos mœurs; à toute heure nos actions me reiectent à luy ie ne le puis lire si souvent, que

L'Axiochus n'est point de Platon, et Diogène Laërce l'avait déjà reconnu. On a longtemps attribué cet ouvrage à Eschine le socratique (voyez l'édition de Jean le Clerc, Amsterdam, 1711); d'autres l'ont donné à Xénocrate de Chalcédoine. Il est certain que ce dialogue est d'une très-haute antiquité. J. V. L.

2 Ou il n'est pas si vain, comme avait mis Montaigne dans l'édition in-4° de 1588. Oultrecuidé est de l'édition de 1595. Celle de Naigeon porte, il n'est pas si sot. J. V. L.

3 Peigne. E. J.

l'estime que les anciens avoient encores plus à Terence (cettuy cy sent bien mieulx son gense plaindre de ceulx qui apparioient Plaute à

fantasie comme,

mation et preference de Terence, faict beaucoup que le pere de l'eloquence romaine l'a si souvent en la bouche, seul de son reng; et la sentence que le premier iuge des poëtes romains' donne de son compaignon. Il m'est souvent tumbé en meslent de faire des comedies (ainsi que les Itaen nostre temps, ceulx qui se liens, qui y sont assez heureux), employent trois ou quatre arguments de celles de Terence ou de Plaute pour en faire une des leurs : ils entassent en une seule comedie cinq ou six contes de Boccace. Ce qui les faict ainsi se charger de matiere, c'est la desfiance qu'ils ont de se pouvoir soustenir de leurs propres graces : il fault qu'ils treuvent un corps où s'appuyer; et n'ayants pas du

leur assez dequoy nous arrester, ils veulent que le conte nous amuse. Il en va de mon aucteur tout au contraire : les perfections et beaultez de sa façon de dire nous font perdre l'appetit de son subiect; sa gentillesse et sa mignardise nous retiennent par tout; il est par tout si plaisant,

Liquidus, puroque simillimus amni3,

et nous remplit tant l'ame de ses graces, que nous en oublions celles de sa fable. Cette mesme consideration me tire plus avant : ie veoy que les bons et anciens poëtes ont evité l'affectation et la recherche, non seulement des fantastiques eslevations espaignoles et petrarchistes, mais des poinctes mesmes plus doulces et plus retenues, qui sont l'ornement de touts les ouvrages poëtiques des siecles suyvants. Si n'y a il bon iuge qui les treuve à dire en ces anciens, et qui n'admire

O siècle sans jugement et sans goût! CATULLE, XLIII, 8.

2 HORACE, Art poétique, v. 270. C.

3 Il coule avec tant d'aisance et de pureté. HORACE, Epist. II, 2, 129.

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