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animaï divisa seorsum

Conturbatur, et.... Disiectatur, eodem illo distracta veneno1; et ce venin ne trouver non plus de resistance en cette ame, qu'en celle d'un enfant de quatre ans : venin capable de faire devenir toute la philosophie, si elle estoit incarnee, furieuse et insensee; de sorte que Caton, qui tordoit le col à la mort mesme et à la fortune, ne peust souffrir la veue d'un mirouer ou de l'eau, accablé d'espoventement et d'effroy, quand il seroit tumbé, par la contagion d'un chien enragé, en la maladie que les medecins nomment hydrophobie:

d'intervalle, ordonner et establir definitifvement | tir de maniere qu'il ne restast aulcune trace de de tout son estre ce seroit une disproportion sa cognoissance premiere, inique aussi, de tirer une recompense eternelle en consequence d'une si courte vie. Platon', pour se sauver de cet inconvenient, veult que les payements futurs se limitent à la duree de cent ans, relatifvement à l'humaine duree; et des nostres assez leur ont donné bornes temporelles : par ainsin ils iugeoient que sa generation suyvoit la commune condition des choses humaines; comme aussi sa vie, par l'opinion d'Epicurus et de Democritus, qui a esté la plus receue: suyvant ces belles apparences, Qu'on la veoyoit naistre à mesme que le corps en estoit capable; on veoyoit eslever ses forces comme les corporelles; on y recognoissoit la foiblesse de son enfance, et avecques le temps sa vigueur et sa maturité, et puis sa declination et sa vieillesse, et enfin sa decrepitude:

Gigni pariter cum corpore, et una Crescere sentimus, pariterque senescere mentem1: ils l'appercevoient capable de diverses passions, et agitee de plusieurs mouvements penibles, d'où elle tumboit en lassitude et en douleur; capable d'alteration et de changement, d'alaigresse, d'asopissement et de langueur; subiecte à ses maladies et aux offenses, comme l'estomach ou le pied;

Mentem sanari, corpus ut ægrum,

Cernimus, et flecti medicina posse videmus 3;

esblouïe et troublee par la force du vin; des-
meue de son assiette par les vapeurs d'une fieb-
vre chaulde; endormie par l'application d'aulcuns
medicaments, et reveillee par d'aultres;

Corpoream naturam animi esse necesse est,
Corporeis quoniam telis ictuque laborat 5:

on luy veoyoit estonner et renverser toutes ses
facultez par la seule morsure d'un chien malade,
et n'y avoir nulle si grande fermeté de discours,
nulle suffisance, nulle vertu, nulle resolution phi-
losophique, nulle contention de ses forces, qui la
peust exempter de la subiection de ces accidents;
la salive d'un chestif mastin versee sur la main
de Socrates, secouer toute sa sagesse et toutes
ses grandes et si reiglees imaginations, les anean-

1 République, X, pag. 615. C.

2 Nous sentons qu'elle nait avec le corps, qu'elle croit et vieillit avec lui. LUCRÈCE, III, 446.

3 Nous voyons l'esprit se guérir comme un corps malade, et se rétablir par les secours de la médecine. LUCRÈCE, III, 509. 4 Déplacée, tirée de son assiette. « Estre desmeu et destourné de son opinion, demoveri de sententia. » NICOT. C.

5 Il faut que l'âme soit corporelle, puisque nous la voyons sensible à toutes les impressions des corps. LUCRÈCE, III,

176.

Vis morbi distracta per artus

Turbat agens animam, spumantes æquore salso
Ventorum ut validis fervescunt viribus undæ 2.
Or, quant à ce poinct, la philosophie a bien
armé l'homme pour la souffrance de touts aul-
tres accidents, ou de patience, ou si elle couste
trop à trouver, d'une desfaicte infaillible, en se
desrobbant tout à faict du sentiment : mais ce
sont moyens qui servent à une ame estant à soy
et en ses forces, capable de discours et de delibe-
ration; non pas à cet inconvenient3 où, chez
un philosophe, une ame devient l'ame d'un fol,
troublee, renversee et perdue: ce que plusieurs
occasions produisent, comme une agitation trop
vehemente, que par quelque forte passion, l'ame
peult engendrer en soy mesme, ou une bleceure
en certain endroict de la personne, ou une exhala-
tion de l'estomach, nous iectant à un esblouïs-
sement et tournoyement de teste.

Morbis in corporis avius errat
Sæpe animus; dementit enim, deliraque fatur :
Interdumque gravi lethargo fertur in altum
Æternumque soporem, oculis nutuque cadenti 4.

Les philosophes n'ont, ce me semble, gueres touché cette chorde, non plus qu'une aultre de pareille importance; ils ont ce dilemme tousiours en la bouche, pour consoler nostre mortelle condition : « Ou l'ame est mortelle, ou immortelle :

* L'âme est troublée, bouleversée, brisée par la force de ce poison. LUCRÈCE, III, 498.

2 La violence du mal, répandue dans les membres, trouble l'âme et la tourmente, comme le souffle impétueux des vents fait bouillonner la mer agitée. LUCRÈCE, III, 491.

3 Accident, qui est le mot qu'on trouve ici dans l'édition de 1587, à Paris, chez Jean Richer.- Accident par lequel l'âme d'un philosophe devient l'âme d'un fou, etc. C.

4 Souvent, dans les maladies du corps, la raison s'égare, la démence et le délire paraissent dans les discours; quelquefois une pesante léthargie plonge l'àme dans un assoupissement profond et éternel; les yeux se ferment, la tête s'abat. LUCRÈCE, III, 464.

si mortelle, elle sera sans peine; si immortelle, elle ira en amendant. » Ils ne touchent iamais l'aultre branche: «Quoy, si elle va en empirant?» et laissent aux poëtes les menaces des peines futures; mais par là ils se donnent un beau ieu. Ce sont deux omissions qui s'offrent à moy souvent en leurs discours. Ie reviens à la premiere.

Cette ame perd l'usage du souverain bien stoïque, si constant et si ferme : il fault que nos tre belle sagesse se rende en cet endroict, et quitte les armes. Au demourant, ils consideroient aussi, par la vanité de l'humaine raison, que le meslange et societé de deux pieces si diverses, comme est le mortel et l'immortel, est inimaginable :

Quippe etenim mortale æterno iungere, et una
Consentire putare, et fungi mutua posse,
Desipere est. Quid enim diversius esse putandum est,
Aut magis inter se disiunctum discrepitansque,
Quam, mortale quod est, immortali atque perenni
Iunctum, in concilio savas tolerare procellas 1?

gnage des livres, par Pherecydes Syrius', du temps du roy Tullus (d'aultres en attribuent l'invention à Thales, et aultres à d'aultres); c'est la partie de l'humaine science traictee avecques plus de reservation et de doubte. Les dogmatistes les plus fermes sont contraincts, en cet endroict principalement, de se reiecter à l'abry des umbrages de l'Academie. Nul ne sçait ce qu'Aristote a estably de ce subiect, non plus que touts les anciens, en general, qui le manient d'une vacillante creance; rem gratissimam promittentium magis, quam probantium: il s'est caché soubs le nuage des paroles et sens difficiles et non intelligibles, et a laissé à ses sectateurs autant à debattre sur son iugement que sur la matiere.

Deux choses leur rendoient cette opinion plausible: l'une, que sans l'immortalité des ames, il n'y auroit plus dequoy asseoir les vaines esperances de la gloire, qui est une consideration de

Davantage, ils sentoient l'ame s'engager en la merveilleux credit au monde; l'aultre, que c'est mort comme le corps :

Simul ævo fessa fatiscit2:

ce que, selon Zeno, l'image du sommeil nous monstre asşez; car il estime « que c'est une de

faillance et cheute de l'ame, aussi bien que du corps, » contrahi animum, et quasi labi putat atque decidere3 et ce qu'on appercevoit en aulcuns, sa force et sa vigueur se maintenir en la

fin de la vie, ils le rapportoient à la diversité des fin de la vie, ils le rapportoient à la diversité des maladies; comme on veoid les hommes, en cette extremité, maintenir qui un sens, qui un aultre, qui l'ouyr, qui le fleurer, sans alteration; et ne se veoid point d'affoiblissement si universel, qu'il n'y reste quelques parties entieres et vigoreuses: Non alio pacto, quam si, pes quum dolet ægri, In nullo caput interea sit forte dolore 4.

La veue de nostre iugement se rapporte à la verité, comme faict l'œil du chat huant à la splendeur du soleil, ainsi que dit Aristote 5. Par où le scaurions nous mieulx convaincre, que par si grossiers aveuglements en une si apparente lumiere? car l'opinion contraire, de l'immortalité de l'ame, laquelle Cicero dict avoir esté premierement introduicte, au moins selon le tesmoi

Quelle folie d'unir le mortel à l'immortel, de supposer entre eux un mutuel accord, une communauté de fonctions! Qu'y a-t-il de plus différent, de plus distinct et de plus opposé que ces deux substances, l'une périssable, l'autre indestructible, que vous prétendez réunir, pour les exposer ensemble aux plus funestes orages? LUCRÈCE, III, 801.

2 Elle succombe avec lui sous le poids des ans. LUCR. III, 459. 3 CIC. de Divinat. II, 58. C.

4 Ainsi quelquefois les pieds sont malades sans que la tête ressente aucune douleur. LUCRÈCE, III, 111.

5

Metaphys. II, 1. C.

de

une tres utile impression, comme dict Platon3, que les vices, quand ils se desrobberont de la veue et cognoissance de l'humaine iustice, meurent tousiours en bute à la divine, qui les Un soing extreme tient l'homme d'alonger son poursuyvra, voire aprez la mort des coulpables. estre : il y a pourveu par toutes pieces; et pour la conservation du corps sont les sepultures; pour la conservation du nom, la gloire : il a employé toute son opinion à se rebastir, impatient de sa fortune, et à s'estansonner 4 par ses inventions. L'ame, par son trouble et sa foiblesse, toutes parts des consolations, esperances et fonne se pouvant tenir sur son pied, va questant de dements, et des circonstances estrangieres où elle s'attache et se plante; et pour legiers et fantas tiques que son invention les lui forge, s'y repose plus seurement qu'en soy, et plus volontiers. Mais les plus aheurtez à cette si iuste et claire persuasion de l'immortalité de nos esprits, c'est merveille comme ils se sont trouvez courts et impuissants à l'establir par leurs humaines forces: somnia sunt non docentis, sed optantis, disoit un ancien 5. L'homme peult recognoistre,

1 De Syros. CIC. Tuscul. I, 16. Il est probable, d'après le passage de Cicéron, qu'il faut lire dans Montaigne, du temps du roy Tullius. J. V. L.

2 C'est la promesse agréable d'un bien dont ils ne nous prouvent guère la certitude. SÉNÈQUE, Epist. 102.

3 Lois, X, 13, éd. d'Estienne, tom. II, p. 905, A; Pensées de Platon, pag. 110. J. V. L.

S'estansonner

4 Estansonner, appuyer, étayer. NICOT. par ses inventions, c'est assurer, renforcer son existence par ses propres imaginations. C.

5 Ce sont les rêves d'un homme qui désire, mais qui ne prouve pas. CIC. Academ. II,

38.

animorum æternitate disserimus, non leve momentum apud nos habet consensus hominum aut timentium inferos, aut colentium. Utor hac publica persuasione1.

par ce tesmoignage, qu'il doibt à la fortune et au ce privilege divin, qui verra l'homme sans le rencontre la verité qu'il descouvre luy seul; puis flatter, il n'y verra ny efficace ny faculté qui que, lors mesme qu'elle luy est tumbee en main, sente aultre chose que la mort et la terre. Plus il n'a pas dequoy la saisir et la maintenir, et que nous donnons, et debvons, et rendons à Dieu, sa raison n'a pas la force de s'en prevaloir. Toutes nous en faisons d'autant plus chrestiennement. choses produictes par nostre propre discours et Ce que ce philosophe stoïcien dict tenir du forsuffisance, autant vrayes que faulses, sont sub-tuite consentement de la voix populaire, valoit iectes à incertitude et debat. C'est pour le chas-il pas mieulx qu'il le tinst de Dieu? Quum de tiement de nostre fierté, et instruction de nostre misere et incapacité, que Dieu produisit le trouble et la confusion de l'ancienne tour de Babel : tout ce que nous entreprenons sans son assistance, tout ce que nous veoyons sans la lampe de sa grace, ce n'est que vanité et folie; l'essence mesme de la verité, qui est uniforme et constante, quand la fortune nous en donne la possession, nous la corrompons et abbastardissons par nostre foiblesse. Quelque train que l'homme prenne de soy, Dieu permet qu'il arrive tousiours à cette mesme confusion, de laquelle il nous represente si vifvement l'image par le iuste chastiement dequoy il battit l'oultrecuidance de Nembroth, et aneantit les vaines entreprinses du bastiment de sa pyramide. Perdam sapientiam sapientium, et prudentiam prudentium reprobabo'. La diversité d'idiomes et de langues dequoy il troubla cet ouvrage, qu'est ce aultre chose que cette infinie et perpetuelle altercation et discordance d'opinions et de raisons, qui accompagne et embrouille le vain bastiment de l'humaine science? Et l'embrouille utilement. Qui nous tiendroit, si nous avions un grain de cognoissance? Ce sainct m'a faict grand plaisir : Ipsa veritatis occultatio aut humilitatis exercitatio est, aut elationis attritio'. Iusques à quel poinct de presumption et d'insolence ne portons nous nostre aveuglement et nostre bestise?

Mais pour reprendre mon propos, c'estoit vrayement bien raison que nous feussions tenus à Dieu seul, et au benefice de sa grace, de la verité d'une si noble creance, puis que de sa seule liberalité nous recevons le fruict de l'immortalité, lequel consiste en la iouïssance de la beatitude eternelle. Confessons ingenuement que Dieu seul nous l'a dict, et la foy; car leçon n'est ce pas de nature et de nostre raison: et qui retentera 3 son estre et ses forces, et dedans et dehors, sans Je confondrai la sagesse des sages, et je réprouverai la prudence des prudents. S. PAUL, Corinth. I, 1, 19.

Les ténèbres dans lesquelles la vérité se cache, exercent l'humilité, ou domptent l'orgueil. S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, XI, 22.

3 Et qui sondera de nouveau. — Retenter, du latin retentare, éprouver, essayer à plusieurs reprises. SÉNÈQUE, Epist. 72: Sed diu non retentavi memoriam meam. » J. V. L.

Or la foiblesse des arguments humains sur ce subiect, se cognoist singulierement par les fabuleuses circonstances qu'ils ont adioustees à la suitte de cette opinion, pour trouver de quelle condition estoit cette nostre immortalité. Laissons les stoïciens (usuram nobis largiuntur tan quam cornicibus: diu mansuros aiunt animos; semper, negant), qui donnent aux ames une vie au delà de cette cy, mais finie. La plus universelle et plus receue fantasie, et qui dure iusques à nous en divers lieux 3, ç'a esté celle de laquelle on faict aucteur Pythagoras; non qu'il en feust le premier inventeur, mais d'autant qu'elle receut beaucoup de poids et de credit par l'auctorité de son approbation : c'est «< que les ames, au partir de nous, ne faisoient que rouler d'un corps à un aultre, d'un lyon à un cheval, d'un cheval à un roy, se promenants ainsi sans cesse de maison en maison: » et luy, disoit « se souvenir avoir esté Aethalides 4, depuis Euphorbus, puis aprez Hermotimus, enfin de Pyrrhus estre passé en Pythagoras; ayant memoire de soy de deux cents six ans. » Adioustoient aulcuns que ces mesmes ames remontent au ciel par fois, et aprez en devallent encores :

O pater, anne aliquas ad cœlum hinc ire putandum est
Sublimes animas, iterumque ad tarda reverti
Corpora? Quæ lucis miseris tam dira cupido 5?
Origene les faict aller et venir eternellement du
bon au mauvais estat. L'opinion que Varro recite

Lorsque nous traitons de l'immortalité de l'âme, nous comptons beaucoup sur le consentement général des hommes, qui craignent les dieux infernaux, ou qui les honorent. Je pro

fite de cette persuasion publique. SÉNÈQUE, Epist. 117.

2 Ils prétendent que nos ames ne vivent que comme des corneilles, longtemps, mais non pas toujours. CIC. Tusc. I, 31, 3 En Perse, dans l'Indoustan, et ailleurs. C. 4 DIOGÈNE LAERCE, VIII, 4, 5. C.

5 O mon père! est-il vrai que des âmes retournent d'ici sur la terre, et qu'une enveloppe corporelle les appesantit de nouveau? Qui peut inspirer à ces malheureux cet excès d'amour pour la vie? VIRG. Eneid. VI, 719.

6 De quelques faiseurs d'horoscope, genethliaci quidam. Le passage se trouve dans S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, XXXII,

28. C.

2

|

ruption de nos membres, voire et de nos cendres: d'aultres la divisent en une partie mortelle, et l'aultre immortelle : aultres la font corporelle, et ce neantmoins immortelle : aulcuns la font immortelle, sans science et sans cognoissance. Il y en a aussi qui ont estimé que des ames des condemnez il s'en faisoit des diables; et aulcuns des nostres l'ont ainsi iugé : comme Plutarque pense qu'il se face des dieux de celles qui sont sauvees; car il est peu de choses que cet aucteur là establisse d'une façon de parler si resolue qu'il faict cette cy, maintenant par tout ailleurs une maniere dubitatrice et ambiguë. « Il fault estimer, dict il1, et croire fermement que les ames des hommes vertueux, selon nature et selon iustice divine, deviennent d'hommes, saincts; et de saincts, demy dieux; et de demy dieux, aprez qu'ils sont parfaictement, comme ez sacrifices de purgation, nettoyez et purifiez, estants delivrez de toute passibilité et de toute mortalité, ils deviennent, non par aulcune ordonnance civile, mais à la verité, et selon raison vraysemblable, dieux entiers et parfaicts, en recevant une fin tres heureuse et tres glorieuse. » Mais qui le vouldra veoir, luy qui est des plus retenus pourtant et moderez de la bande, s'escarmoucher avecques plus de hardiesse, et nous conter ses miracles sur ce propos, ie le renvoye à son discours de la Lune, et du Daimon de Socrates, où, aussi

est, qu'en quatre cents quarante ans de revolution, elles se reioignent à leur premier corps Chrysippus 1, que cela doibt advenir aprez certain espace de temps incogneu et non limité. Platon (qui dict tenir de Pindare et de l'ancienne poësie cette croyance des infinies vicissitudes de mutation ausquelles l'ame est preparee, n'ayant ny les peines ny les recompenses en l'aultre monde que temporelles, comme sa vie en cettuy cy n'est que temporelle) conclud en elle une singuliere science des affaires du ciel, de l'enfer, et d'icy, où elle a passé, repassé, et seiourné à plusieurs voyages; matiere à sa reminiscence. Voycy son progrez ailleurs3: « Qui a bien vescu, il se reioinct à l'astre auquel il est assigné : qui mal, il passe en femme; et si lors mesme il ne se corrige point, il se rechange en beste de condition convenable à ses mœurs vicieuses; et ne verra fin à ses punitions qu'il ne soit revenu à sa naïfve constitution, s'estant, par la force de la raison, desfaict des qualitez grossieres, stupides et elementaires qui estoient en luy. » Mais ie ne veulx oublier l'obiection que font les epicuriens à cette transmigration de corps en aultre; elle est plaisante : ils demandent « Quel ordre il y auroit si la presse des mourants venoit à estre plus grande que des naissants? car les ames deslogees de leur giste seroient à se fouler à qui prendroit place la premiere dans ce nouvel estuy; » et demandent aussi « A quoy elles passeroient leur temps, cepen-evidemment qu'en nul aultre lieu, il se peult dant qu'elles attendroient qu'un logis leur feust appresté ? » Ou, au rebours, s'il naissoit plus d'animaulx qu'il n'en mourroit, ils disent « que les corps seroient en mauvais party, attendants l'infusion de leur ame; et en adviendroit qu'aulcuns d'iceulx se mourroient avant que d'avoir esté vi

vants. »>

Denique connubia ad veneris partusque ferarum
Esse animas præsto, deridiculum esse videtur;
Et spectare immortales mortalia membra
Innumero numero, certareque præproperanter
Inter se, quæ prima potissimaque insinuetur 4.
D'aultres ont arresté l'ame au corps des trespas-
sez, pour en animer les serpents, les vers, et
aultres bestes qu'on dict s'engendrer de la cor-

I LACTANCE, Div. Instit. VII, 23. C.

2 Dans le Ménon, pag. 16 et 17. C.

adverer les mysteres de la philosophie avoir beau coup d'estrangetez communes avecques celles de la poësie : l'entendement humain se perdant à vouloir sonder et contrerooller toutes choses iusques au bout; tout ainsi comme, lassez et travaillez de la longue course de nostre vie, nous retumbons en enfantillage. Voylà les belles et certaines instructions que nous tirons de la science humaine sur le subiect de nostre ame!

Il n'y a pas moins de temerité en ce qu'elle nous apprend des parties corporelles. Choisissons en un ou deux exemples; car aultrement nous nous perdrions dans cette mer trouble et vaste des erreurs medecinales. Sçachons si on s'accorde au moins en cecy, De quelle matiere les hommes se produisent les uns des aultres: car quant à leur premiere production, ce n'est pas merveille

3 Dans le Timée. Voy. les Pensées de Platon, pag. 86. J. si, en chose si haulte et ancienne, l'entendement

V. L.

4 Il est ridicule de s'imaginer que les âmes se trouvent prêtes au moment précis de l'accouplement des animaux et de leur naissance; qu'un nombreux essaim de substances immortelles s'empressent autour d'un germe mortel, et que chacune se dispute l'avantage d'être introduite la première. LUCRÈCE, III, 777.

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et les animaulx avoir esté faicts d'un limon laicteux, exprimé par la chaleur de la terre. Pythagoras dict' nostre semence estre l'escume de nostre meilleur sang: Platon, l'escoulement de la moëlle de l'espine du dos; ce qu'il argumente de ce que cet endroict se sent le premier de la lasseté de la besongne : Alcmeon, partie de la substance du cerveau; et qu'il soit ainsi, dict il, les yeulx troublent à ceulx qui se travaillent oultre mesure à cet exercice : Democritus, une substance extraicte de toute la masse corporelle: Epicurus, extraicte de l'ame et du corps: Aristote, un excrement tiré de l'aliment du sang, le dernier qui s'espand en nos membres : aultres, du sang cuict et digeré par la chaleur des genitoires; ce qu'ils iugent de ce qu'aux extremes efforts, on rend des gouttes de pur sang; en quoy il semble qu'il y ait plus d'apparence, si on peult tirer quelque apparence d'une confusion si infinie. Or, pour mener à effect cette semence, combien en font ils d'opinions contraires! Aristote2 et Democritus tiennent Que les femmes n'ont point de sperme, et que ce n'est qu'une sueur qu'elles eslancent par la chaleur du plaisir et du mouvement, et qui ne sert de rien à la generation : Galen, au contraire, et ses suyvants, Que sans la rencontre des semences, la generation ne se peult faire. Voylà les medecins, les philosophes, les iurisconsultes et les theologiens, aux prinses peslemesle avecques nos femmes, sur la dispute, « A quels termes les femmes portent leur fruict ; » et moy ie secours, par l'exemple de moy mesme, ceulx d'entre eulx qui maintiennent la grossesse d'unze mois 3. Le monde est basty de cette experience; il n'est si simple femmelette qui ne puisse dire son advis sur toutes ces contestations : et si, nous n'en sçaurions estre d'accord.

En voylà assez pour verifier que l'homme n'est non plus instruict de la cognoissance de soy en la partie corporelle, qu'en la spirituelle. Nous l'avons proposé luy mesme à soy; et sa raison à sa raison, pour veoir ce qu'elle nous en diroit. Il me semble assez avoir monstré combien peu elle s'entend en elle mesme; et qui ne s'entend en soy, en quoy se peult il entendre? Quasi vero mensuram ullius rei possit agere, qui sui nes

! PLUTARQUE, Des opinions des philos. V, 3. Les citations suivantes sont prises dans le même chapitre. C.

2 Plutarque, ou l'auteur du traité Des opinions des philosophes, V, 5, joint sur cet article Zénon avec Aristote, et dit expressément que Démocrite était de l'opinion contraire. C.

On peut conclure de ce passage que la mère de Montaigne était ou croyait être accouchée de lui au onzième mois de sa grossesse. A. D.

ciat1. Vrayement, Protagoras nous en contoit de belles, faisant l'homme la mesure de toutes choses, qui ne sceut iamais seulement la sienne : si ce n'est luy, sa dignité ne permettra pas qu'aultre creature aye cet advantage; or luy estant en soy si contraire, et l'un iugement subvertissant l'aultre sans cesse, cette favorable proposition n'estoit qu'une risee, qui nous menoit à conclurre, par necessité, la neantise du compas et du compasseur. Quand Thales 3 estime la cognoissance de l'homme tres difficile à l'homme, il luy apprend la cognoissance de toute aultre chose luy estre impossible.

Vous, pour qui i'ay prins la peine d'estendre un si long corps, contre ma coustume, ne refuyrez point de maintenir vostre Sebond par la forme ordinaire d'argumenter dequoy vous estes touts les iours instruicte, et exercerez en cela vostre esprit et vostre estude: car ce dernier tour d'escrime icy, il ne le fault employer que comme un extreme remede; c'est un coup desesperé, auquel il fault abbandonner vos armes, pour faire perdre à vostre adversaire les siennes; et un tour secret, duquel il se fault servir rarement et reserveement 5. C'est grande temerité de vous perdre pour perdre un aultre : il ne fault pas vouloir mourir pour se venger, comme feit Gobrias; car estant aux prinses bien estroictes avecques un seigneur de Perse, Darius y survenant l'espee au poing, qui craignoit de frapper de peur d'assener Gobrias, il luy cria qu'il donnast hardiement, quand il debvroit donner au travers de touts les deux 6. I'ay veu reprouver pour iniustes des armes et conditions de combat singulier, desesperees, et ausquelles celuy qui les offroit mettoit luy et son compaignon en termes d'une fin à touts deux inevitable. Les Portugais prindrent, en la mer des Indes, certains Turcs prisonniers, lesquels, impatients de leur captivité, se resolurent, et leur succeda, de mettre et eulx et leurs maistres, et le vaisseau, en

I Comme si celui qui ignore sa propre mesure, pouvait entreprendre de mesurer quelque autre chose. PLINE, Nat. Hist. II, I.

2 SEXTUS EMPIR. Adv. math. pag. 148. C.

3 DIOG. LAERCE, I, 36. C.

4 On croit, comme nous l'avons dit plus haut, que Montaigne adressait cette Apologie de Sebond à la reine Marguerite de France, femme du roi de Navarre. J. V. L.

5 Cet aveu de Montaigne est très-remarquable. On peut conclure de ses propres paroles que, dans les disputes philosophiques en général, mais particulièrement dans celles où la religion est intéressée, il ne faut faire valoir l'incertitude de nos connaissances et se réfugier sous l'étendard du pyrrhonisme, que lorsque, pressé de toutes parts, on n'a plus aucune bonne raison à alléguer en faveur de son opinion. N. 6 HÉRODOTE, III, 78. J. V. L.

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