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souffle de ses vents, et que sans leur agitation | et si mobile, subiecte par sa condition à la maistrise du trouble, n'allant iamais qu'un pas forcé et emprunté? Si nostre iugement est en main à la maladie mesme et à la perturbation; si c'est de la folie et de la temerité qu'il est tenu de recevoir l'impression des choses, quelle seureté pouvons nous attendre de luy?

elle resteroit sans action, comme un navire en pleine mer, que les vents abbandonnent de leur secours et qui maintiendroit cela, suyvant le party des peripateticiens, ne nous feroit pas beaucoup de tort, puis qu'il est cogneu que la pluspart des plus belles actions de l'ame procedent et ont besoing de cette impulsion des passions. La vaillance, disent ils, ne se peult parfaire sans l'assistance de la cholere; semper Aiax fortis, fortissimus tamen in furore 1; ny ne court on sus aux meschants et aux ennemis assez vigoreusement, si on n'est courroucé; et veulent que l'advocat inspire le courroux aux iuges, pour en tirer iustice.

Les cupiditez esmeurent Themistocles, esmeurent Demosthenes, et ont poulsé les philosophes aux travaulx, veillees et peregrinations, nous meinent à l'honneur, à la doctrine, à la santé, fins utiles : et cette lascheté d'ame à souffrir l'ennuy et la fascherie, sert à nourrir en la conscience la penitence et la repentance, et à sentir les fleaux de Dieu pour nostre chastiement, et les fleaux de la correction politique : la compassion sert d'aiguillon à la clemence: et la prudence de nous conserver et gouverner est esveillee par nostre crainte; et combien de belles actions par l'ambition! combien par la presumption! aulcune eminente et gaillarde vertu enfin n'est sans quelque agitation desreiglee. Seroit ce pas l'une des raisons qui auroit meu les epicuriens à descharger Dieu de tout soing et solicitude de nos affaires; d'autant que les effects mesmes de sa bonté ne se pouvoient exercer envers nous, sans esbransler son repos par le moyen des passions, qui sont comme des picqueures et solicitations acheminants l'ame aux actions vertueuses? ou bien ont ils creu aultrement, et les ont prinses comme tempestes qui desbauchent honteusement l'ame de sa tranquillité? ut maris tranquillitas intelligitur, nulla, ne minima quidem, aura fluctus commovente: sic animi quietus et placatus status cernitur, quum perturbatio nulla est, qua moveri queat.

Quelles differences de sens et de raison, quelle contrarieté d'imaginations, nous presente la diversité de nos passions! Quelle asseurance pouvons nous doncques prendre de chose si instable

1 Ajax fut toujours brave; mais il ne le fut jamais tant que dans sa fureur. CIC. Tusc. IV, 23.

2 De même que l'on juge du calme de la mer quand sa surface n'est agitée par aucun souffle de vent, ainsi l'on peut assurer que l'âme est tranquille quand nulle passion ne peut l'émouvoir. CIC. Tusc. V, 6.

N'y a il point de hardiesse à la philosophie d'estimer des hommes, qu'ils produisent leurs plus grands effects et plus approchants de la Divinité, quand ils sont hors d'eux, et furieux, et insensez1? Nous nous amendons par la privation de nostre raison et son assopissement; les deux voyes naturelles pour entrer au cabinet des dieux, et y preveoir le cours des destinees, sont la fureur et le sommeil. Cecy est plaisant à considerer: par la dislocation que les passions apportent à nostre raison, nous devenons vertueux; par son extirpation, que la fureur ou l'image de la mort apporte, nous devenons prophetes et devins. Iamais plus volontiers ie ne l'en creus. C'est un pur enthousiasme que la saincte Verité a inspiré en l'esprit philosophique, qui luy arrache, contre sa proposition, que l'estat tranquille de nostre ame, l'estat rassis, l'estat plus sain que la philosophie luy puisse acquerir, n'est pas son meilleur estat: nostre veillee est plus endormie que le dormir; nostre sagesse moins sage que la folie; nos songes valent mieulx que nos discours; la pire place que nous puissions prendre, c'est en nous. Mais pense elle3 pas que nous ayons l'advisement de remarquer que la voix qui faict l'esprit, quand il est desprins de l'homme, si clairvoyant, si grand, si parfaict, et pendant qu'il est en l'homme, si terrestre, ignorant et tenebreux, c'est une voix partant de l'esprit qui est en l'homme terrestre, ignorant et tenebreux; et à cette cause, voix infiable et incroyable?

Ie n'ay point grande experience de ces agitations vehementes, estant d'une complexion molle et poisante, desquelles la pluspart surprennent subitement nostre ame, sans luy donner loisir de se recognoistre; mais cette passion, qu'on dict estre produicte par l'oysifveté au cœur des ieunes hommes, quoy qu'elle s'achemine avecques loisir et d'un progrez mesuré, elle represente bien evidemment, à ceulx qui ont essayé de s'opposer à son effort, la force de cette conversion et alteration que nostre iugement souffre. I'ay aultrefois entreprins de me tenir bandé pour la soustenir

I PLATON, Phédrus, pag. 244. C.
Cic. de Divinat. I, 57. C.

3 La philosophie.

4 Infidèle, peu digne de foi. E. J.

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i'oy me semble tousiours le plus roide; ie les treuve avoir raison chascun à son tour, quoy qu'ils se contrarient: cette aysance que les bons esprits ont de rendre ce qu'ils veulent vraysemblable, et qu'il n'est rien si estrange à quoy ils n'entreprennent de donner assez de couleur pour tromper une simplicité pareille à la mienne, cela monstre evidemment la foiblesse de leur preuve. Le ciel et les estoiles ont branslé trois mille ans; tout le monde l'avoit ainsi creu, iusques à ce que Cleanthes le Samien', ou, selon Theophraste, Nicetas Syracusien, s'advisa de maintenir que c'estoit la terre qui se mouvoit, par le cercle oblique du zodiaque tournant à l'entour de son aixieu; et de nostre temps, Copernicus a si bien fondé cette doctrine, qu'il s'en sert tres reiglee

et rabbattre; car il s'en fault tant que ie sois de ceulx qui convient les vices, que ie ne les suy pas seulement, s'ils ne m'entraisnent: ie la sentoy naistre, croistre, et s'augmenter en despit de ma resistance, et enfin, tout voyant et vivant, me saisir et posseder, de façon que, comme d'une yvresse, l'image des choses me commenceoit à paroistre aultre que de coustume; ie veoyois evidemment grossir et croistre les advantages du subiect que i'alloy desirant, et les sentois aggrandir et enfler par le vent de mon imagination; les difficultez de mon entreprinse s'ayser et se planir1; mon discours et ma conscience se tirer arriere mais ce feu estant evaporé, tout à un instant, comme de la clarté d'un esclair, mon ame reprendre une aultre sorte de veue, aultre estat et aultre iugement; les difficultez de la retraictement à toutes les consequences astrologiennes : me sembler grandes et invincibles, et les mesmes choses de bien aultre goust et visage que la chaleur du desir ne me les avoit presentees: lequel plus veritablement? Pyrrho n'en sçait rien. Nous ne sommes iamais sans maladie : les fiebvres ont leur chauld et leur froid; des effects d'une passion ardente, nous retumbons aux effects d'une passion frilleuse; autant que ie m'estoy iecté en avant, ie me relance d'autant en arriere :

Qualis ubi alterno procurrens gurgite pontus, Nunc ruit ad terras, scopulosque superiacit undam Spumeus, extremamque sinu perfundit arenam; Nunc rapidus retro, atque æstu revoluta resorbens Saxa, fugit, littusque vado labente relinquit". Or, de la cognoissance de cette mienne volubilité, i'ay, par accident, engendré en moy quelque constance d'opinion, et n'ay gueres alteré les miennes premieres et naturelles : car quelque apparence qu'il y ayt en la nouvelleté, ie ne change pas ayseement, de peur que i'ay de perdre au change; et puis que ie ne suis pas capable de choisir, ie prens le chois d'aultruy, et me tiens en l'assiette où Dieu m'a mis aultrement ic ne me sçauroy garder de rouler sans cesse. Ainsi me suis ie, par la grace de Dieu, conservé entier, sans agitation et trouble de conscience, aux anciennes creances de nostre religion, au travers de tant de sectes et de divisions que nostre siecle a produictes. Les escripts des anciens, ie dis les bons escripts, pleins et solides, me tentent et remuent quasi où ils veulent; celuy que

Diminuer et s'aplanir. C.

2 Ainsi la mer, dans son double mouvement, tantôt s'élance vers la terre, inonde les rochers d'écume, et va couvrir la grève la plus éloignée; tantôt retournant sur elle-même, entraine dans son reflux rapide les pierres qu'elle avait apportées, et abaissant ses eaux, laisse la plage à découvert. VIRG. Eneid. XI, 624.

que prendrons nous de là, sinon qu'il ne nous doibt chaloir lequel ce soit des deux ? et qui sçait qu'une tierce opinion, d'ici à mille ans, ne renverse les deux precedentes?

Sic volvenda ætas commutat tempora rerum : Quod fuit in pretio, fit nullo denique honore; Porro aliud succedit, et e contemptibus exit, Inque dies magis appetitur, floretque repertum Laudibus, et miro est mortales inter honore". Ainsi, quand il se presente à nous quelque doctrine nouvelle, nous avons grande occasion de nous en desfier, et de considerer qu'avant qu'elle feust produicte, sa contraire estoit en vogue; et comme elle a esté renversee par cette cy, il pourra naistre à l'advenir une tierce invention qui chocquera de mesme la seconde. Avant que les principes qu'Aristote a introduicts3 feussent en credit, d'aultres principes contentoient la raison humaine, comme ceulx cy nous contentent à cette heure. Quelles lettres ont ceulx cy, quel privilege particulier, que le cours de nostre invention s'arreste à eulx, et qu'à eulx appartienne pour tout le temps advenir la possession de nostre creance? ils ne sont non plus exempts du boutehors 4, qu'estoient leurs devanciers. Quand on me

PLUTARQUE, De la face de la lune, c. 4. Mais comme il n'y a point de Cléanthe Samien, et que cette opinion astronomique fut celle d'Aristarque de Samos, Coste propose avec raison d'adopter dans Plutarque la correction faite par Ménage, ad Diog. Laert. VIII, 85. Il aurait dû remarquer aussi que les meilleurs interprètes de Cicéron, Acad. II, 39, lisent Hicetas au lieu de Nicetas. J. V. L.

2 Ainsi le temps change le prix des choses : ce qui fut estimé tombe dans le mépris, tandis que l'objet d'un long dédain s'élève, et est estimé à son tour; on le désire de plus en plus, on le vante, on l'admire, et il se place au premier rang dans l'opinion des hommes. LUCRÈCE, V, 1275.

3 De matière, forme, et privation. Edit. de 1588, fol. 240

verso.

4 D'être déboutés, jetés dehors, chassés.

tre pour se ioindre, qu'il verifloit toutesfois ne pouvoir iamais, iusques à l'infinité, arriver à se toucher'. Et les pyrrhoniens ne se servent de leurs arguments et de leur raison, que pour ruyner l'apparence de l'experience: et est merveille iusques où la soupplesse de nostre raison les a suyvis, àce desseing de combattre l'evidence des effects; car ils verifient que nous ne nous mouvons pas, que nous ne parlons pas, qu'il n'y a point de poisant ou de chauld, avecques une pareille force d'argumentations que nous verifions les choses plus vraysemblables. Ptolemeus, qui a esté un grand personnage, avoit estably les bornes de nostre monde; touts les philosophes anciens ont pensé en tenir la mesure, sauf quelques isles escartees qui pouvoient eschapper à leur cognoissance; c'eust esté pyrrhoniser, il y a mille ans, que de mettre en doubte la science de la cosmographie, et les opinions qui en estoient receues d'un chascun; c'estoit heresie d'advouer des antipodes : voylà de nostre siecle une grandeur infinie de terre ferme, non pas une isle ou une contree particuliere, mais une partie eguale à peu prez en grandeur à celle que nous cognoissions, qui vient d'estre descouverte. Les geographes de ce temps. ne faillent pas d'asseurer que meshuy tout est trouvé, et que tout est veu;

presse d'un nouvel argument, c'est à moy à esti- | trouvé deux lignes s'acheminants l'une vers l'aulmer, que ce à quoy ie ne puis satisfaire, un aultre y satisfera : car de croire toutes les apparences desquelles nous ne pouvons nous desfaire, c'est une grande simplesse; il en adviendroit par là que tout le vulgaire (et nous sommes touts du vulgaire) auroit sa creance contournable comme une girouette; car son ame estant molle et sans resistance, seroit forcee de recevoir sans cesse aultres et aultres impressions, la derniere effaceant tousiours la trace de la precedente. Celuy qui se treuve foible, il doit respondre, suyvant la practique, qu'il en parlera à son conseil; ou s'en rapporter aux plus sages desquels il a receu son apprentissage. Combien y a il que la medecine est au monde? On dict qu'un nouveau venu, qu'on nomme Paracelse', change et renverse tout l'ordre des reigles anciennes, et maintient que iusques à cette heure elle n'a servy qu'à faire mourir les hommes. Ie croy qu'il verifiera ayseement cela mais de mettre ma vie à la preuve de sa nouvelle experience, ie treuve que ne seroit pas grand' sagesse. Il ne fault pas croire à chascun, dit le precepte, parce que chascun peult dire toutes choses. Un homme de cette profession de nouvelletez et de reformations physiques me disoit, il n'y a pas long temps, que touts les anciens s'estoient notoirement mescomptez en la nature et mouvements des vents, ce qu'il me feroit tres evidemment toucher à la main, si ie vouloy l'entendre. Aprez que l'eus eu un peu de patience à ouyr ses arguments qui avoient tout plein de verisimilitude: . Comment doncques! lui feis ie, ceulx qui navigeoient soubs les loix de Theophraste, alloient ils en occident, quand ils tiroient en levant? alloient ils à costé, ou à reculons? C'est la fortune, me respondit il: tant y a qu'ils se mescomptoient. » Ie luy repliquay lors, que l'aimoy mieulx suyvre les effects que la raison. Or ce sont choses qui se chocquent souvent : et m'a lon dict qu'en la geometrie (qui pense avoir gaigné le hault poinct de certitude parmy les sciences), il se treuve des demonstrations inevitables, subvertissants la verité de l'experience : comme Iacques Peletier' me disoit chez moy, qu'il avoit

D

■ Fameux alchimiste, né dans le canton de Schwitz en 1493. Appelé en 1526 à une chaire de l'université de Bâle, il commença par brûler publiquement les ouvrages d'Avicenne et de Galien, disant que les cordons de sa chaussure en savaient autant qu'eux. Il fut consulté par Erasme, et méprisé de presque tout le monde; il annoncait la pierre philosophale, et il mourut à l'hôpital de Saltzbourg, en 1541. Le recueil volumineux de ses œuvres est un grimoire qu'on ne lit plus. J. V. L. ⚫ Jacques Peletier, mathématicien, poëte et grammairien, naquit au Mans en 1517, et mourut à Paris en 1582. Il mérita

Nam quod adest præsto, placet, et pollere videtur 2.

Sçavoir mon3, si Ptolemee s'y est trompé aultrefois, sur les fondements de sa raison, si ce ne seroit pas sottise de me fier maintenant à ce que ceulx cy en disent; et s'il n'est plus vraysemblable que ce grand corps que nous appellons le Monde, est chose bien aultre que nous ne iugeons.

Platon dict qu'il change de visage à touts sens; que le ciel, les estoiles et le soleil renversent par fois le mouvement que nous y veoyons, changeants l'orient en occident. Les presbtres de son temps quelque célébrité, et fat lié aussi avec Théodore de Bèze, Ronsard, Saint-Gelais, Fernel, etc. J. V. L.

C'est l'hyperbole, et les lignes droites qui, ne pouvant arriver à se joindre à elle, ont été, pour cela même, nommées asymptotes. Voyez les Coniques d'Apollonius, liv. II, propos. I, et la propos. 14, où cet ancien mathématicien a démontré que les asymptotes et l'hyperbole ne peuvent jamais venir à se toucher, quoiqu'elles s'approchent l'une de l'autre à l'in fini. Les mathématiciens n'ont pas besoin qu'on leur développe cette démonstration, qu'ils reconnaissent tous pour incontestable; et ceux qui ne le sont pas doivent s'en rapporter à la décision des savants. C.

2 Car on se plait dans ce qu'on a, et on le croit préférable à tout le reste. LUCRÈCE, V, 1411.

3 C'est-à-dire, Il reste présentement à savoir.

4 Dans le dialogue intitulé le Politique, pag. 209. C.

ville de Saïs ont des memoires par escript de huict mille ans, et que la ville d'Athenes feut bastie mille ans avant ladicte ville de Saïs : Epicurus, qu'en mesme temps que les choses sont icy, comme nous les veoyons, elles sont toutes pareilles et en mesme façon en plusieurs aultres

eust veu les similitudes et convenances de ce nouveau monde des Indes occidentales avecques le nostre present et passé, en si estranges exemples.

En verité, considerant ce qui est venu à nostre science du cours de cette police terrestre, ie me suis souvent esmerveillé de veoir, en une tres grande distance de lieux et de temps, les rencontres d'un si grand nombre d'opinions populaires, monstrueuses, et des mœurs et creances sauvages, et qui, par aulcun biais, ne semblent tenir à nostre naturel discours. C'est un grand

aegyptiens dirent à Herodote ', Que depuis leur premier roy, dequoy il y avoit unze mille tant d'ans (et de touts leurs roys ils luy feirent veoir les effigies en statues tirees aprez le vif), le soleil | avoit changé quatre fois de route; Que la mer et la terre se changent alternatifvement l'une en l'aultre; Que la naissance du monde est indeter-mondes; ce qu'il eust dict plus asseureement, s'il minee: Aristote, Cicero, de mesme : et quelqu'un d'entre nous, Qu'il est de toute eternité, mortel, et renaissant à plusieurs vicissitudes, appellant à tesmoing Salomon et Esaïe; pour eviter ces oppositions, que Dieu a esté quelquesfois createur sans creature; qu'il a esté oysif; qu'il s'est desdict de son oysifveté, mettant la main à cet ouvrage; et qu'il est par consequent subiect au changement. En la plus fameuse des escholes grecques2, le monde est tenu pour un dieu, faict par un aultre dieu plus grand, et est composé d'un corps et d'une ame qui loge en son centre, s'es-ouvrier de miracles que l'esprit humain ! Mais pandant, par nombres de musique, à sa circonference; divin, tres heureux, tres grand, tres sage, eternel en luy sont d'aultres dieux, la terre, la mer, les astres, qui s'entretiennent d'une harmonieuse et perpetuelle agitation et dance divine; tantost se rencontrants, tantost s'esloingnants, se cachants, monstrants, changeants de reng, ores d'avant, et ores derriere. Heraclitus 3 establissoit le monde estre composé par feu; et par l'ordre des destinees, se debvoir enflammer et resouldre en feu quelque iour, et quelque iour encores renaistre. Et des horames dict Apuleius, sigillatim mortales, cunctim perpetui 4. Alexandre 5 escrivit à sa mere la narration d'un presbtre aegyptien, tiree de leurs monuments, tesmoignant l'antiquité de cette nation, infinie, et comprenant la naissance et progrez des aultres pays au vray. Cicero et Diodorus disent, de leur temps, que les Chaldeens tenoient registre de quatre cents mille tant d'ans: Aristote, Pline 7 et aultres, que Zoroastre vivoit six mille ans avant l'aage de Platon. Platon dict que ceulx de la

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1 HÉRODOTE, II, 142, 143, etc. J. V. L.

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2 Celle de Platon. Voy. le Timée. J. V. L 3 DIOGÈNE LAERCE, IX, 8. C.

4 Comme individus, ils sont mortels; comme espèce, immortels. APULÉE, de Deo Socratis.

5 Sur cette lettre d'Alexandre, aujourd'hui perdue, on peut consulter saint Augustin, de Civ. Dei, VIII, 5, XII, 10; de Consensu evangelist. I, 23; saint Cyprien, de Vanit. idol. c. 21; Minucius Félix, Octav. c. 21; J. A. Fabricius, Biblioth. græc. II, 10, 17. Le prêtre égyptien dont il était parlé dans cette lettre, se nommait Léon. Le savant Jablonsky, Prolegom. ad. Panth. @gypt. 15, 16, croit que la lettre même était un ouvrage apocryphe des premiers chrétiens. J. V. L.

6 CIC. de Divinat. I, 19; DIODORE, II, 31. C. 7 Nat. Hist. XXX, I. C.

8 Dans son Timée, pag. 524. C.

cette relation a ie ne sçay quoy encores de plus heteroclite; elle se treuve aussi en noms, et en mille aultres choses: car on y trouva des nations n'ayants, que nous sçachions, iamais ouy nouvelles de nous, où la circoncision estoit en credit 1; où il y avoit des Estats et grandes polices maintenues par des femmes, sans hommes; où nos ieusnes et nostre caresme estoit representé, y adioustant l'abstinence des femmes où nos croix estoient en diverses façons en credit; icy on en honnoroit les sepultures; on les appliquoit là, et nommeement celle de Sainct André, à se deffendre des visions nocturnes, et à les mettre sur les couches des enfants contre les enchantements; ailleurs, ils en rencontrerent une de bois, de grande haulteur, adoree pour dieu de la pluye, et celle là bien fort avant dans la terre ferme. On y trouva une bien expresse image de nos penitenciers; l'usage des mitres, le cœlibat des presbtres, l'art de deviner par les entrailles des animaulx sacrifiez, l'abstinence de toute sorte de chair et de poisson à leur vivre; la façon aux presbtres d'user, en officiant, de langue particuliere et non vulgaire; et cette fantasie, que le premier dieu feut chassé par un second, son frere puisné qu'ils furent creez avecques toutes com

Montaigne entasse ici tous ces rapports, tels qu'il les a trouvés dans certaines relations, sans se mettre en peine d'examiner s'ils sont réels, ou uniquement fondés sur l'ignorance et la prévention des Espagnols. On peut voir encore ces prétendus rapports, détaillés à peu près de la même manière que Montaigne nous les donne ici, dans l'Histoire de la Conquête du Mexique, écrite par Antonio Solis; dans l'Histoire des guerres civiles des Espagnols en Amérique, extraite du Commentaire royal de l'Inca Garcilaso de la Vega. G.

aulcunement insinuee en toutes les nations infideles de deçà par quelque imitation, mais à ces barbares aussi, comme par une commune et supernaturelle inspiration; car on y trouva aussi la creance du purgatoire, mais d'une forme nouvelle: ce que nous donnons au feu, ils le donnent au froid, et imaginent les ames et purgees et punies par la rigueur d'une extreme froidure. Et m'advertit cet exemple d'une aultre plaisante diversité; car comme il s'y trouva des peuples qui aimoient à deffubler le bout de leur membre, et en retrenchoient la peau à la mahumetane et à la iuifve, il s'y en trouva d'aultres qui faisoient si grande conscience de le deffubler, qu'à tout des petits cordons ils portoient leur peau bien soigneusement estiree et attachee au dessus, de peur que ce bout ne veist l'air : et de cette diversité aussi, que comme nous honnorons les roys et les festes en nous parant des plus honnestes vestements que nous ayons; en aulcunes regions, pour monstrer toute disparité et soubmission à leur roy, les subiects se presentoient à luy en leurs plus vils habillements, et entrants au palais, prenoient quelque vieille robbe deschiree sur la leur bonne, à ce que tout le lustre et l'ornement feust au maistre. Mais suyvons.

moditez, lesquelles on leur a depuis retrenchees | dignité et la divinité : non seulement elle s'est pour leur peché, changé leur territoire, et empiré leur condition naturelle qu'aultrefois ils ont esté submergez par l'inondation des eaux celestes; qu'il ne s'en sauva que peu de familles, qui se iecterent dans les haults creux des montaignes, lesquels creux ils boucherent, si que l'eau n'y entra point, ayants enfermé là dedans plusieurs sortes d'animaulx; que quand ils sentirent la pluye cesser, ils meirent hors des chiens, lesquels estants revenus nets et mouillez, ils iugerent l'eau n'estre encores gueres abbaissee; depuis en ayants faict sortir d'aultres, et les veoyants revenir bourbeux, ils sortirent repeupler le monde, qu'ils trouverent plein seulement de serpents. On rencontra, en quelque endroict, la persuasion du iour du iugement; de sorte qu'ils s'offensoient merveilleusement contre les Espaignols, qui espandoient les os des trespassez en fouillant les richesses des sepultures, disants que ces os escartez ne se pourroient facilement reioindre; la traficque par eschange, et non aultre; foires et marchez pour cet effect; des nains et personnes difformes pour l'ornement des tables des princes; l'usage de la faulconnerie selon la nature de leurs oyseaux; subsides tyranniques; delicatesses de iardinages; dances, saults batteleresques, musique d'instruments; armoiries; ieux de paulme, ieu de dez et de sort, auquel ils s'eschauffent souvent iusques à s'y iouer eulx mesmes et leur liberté; medecine non aultre que de charmes; la forme d'escrire par figures; creance d'un seul premier homme pere de touts les peuples; adoration d'un Dieu qui vesquit aultrefois homme en parfaicte virginité, ieusne et penitence, preschant la loy de nature et des cerimonies de la religion, et qui disparut du monde sans mort naturelle; l'opinion des geants; l'usage de s'enyvrer de leurs bruvages et de boire d'autant; ornements religieux peincts d'ossements et testes de morts, sur-l'ame; et plaga cœli non solum ad robur corpoplis, eau beneicte, aspergez; femmes et serviteurs qui se presentent à l'envy à se brusler et enterrer avecques le mary ou maistre trespassé; loy que les aisnez succedent à tout le bien, et n'est reservé aulcune part au puisné, que d'obeïssance; coustume, à la promotion de certain office de grande auctorité, que celuy qui est promeu prend un nouveau nom et quitte le sien; de verser de la chaulx sur le genouil de l'enfant freschement nay, en luy disant, « Tu es venu de pouldre, et retourneras en pouldre; l'art des augures. Ces vains umbrages de nostre religion qui se veoyent en aulcuns de ces exemples, en tesmoignent la

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Si nature enserre dans les termes de son progrez ordinaire, comme toutes aultres choses, aussi les creances, les iugements et opinions des hommes; si elles ont leur revolution, leur saison, leur naissance, leur mort, comme les choulx; si le ciel les agite et les roule à sa poste : quelle magistrale auctorité et permanente leur allons nous attribuant? Si, par experience, nous touchons à la main' que la forme de nostre estre depend de l'air, du climat et du terroir où nous naissons ; non seulement le teinct, la taille, la complexion et les contenances, mais encores les facultez de

rum, sed etiam animorum facit', dict Vegece; et que la deesse fondatrice de la ville d'Athenes choisit, à la situer, une temperature de païs qui feist les hommes prudents, comme les presbtres d'Aegypte apprindrent à Solon3; Athenis tenue cœlum; ex quo etiam acutiores putantur Attici: crassum Thebis; itaque pingues Thebani, et valentes 4; en maniere que, ainsi que les fruicts

Nous maintenons, nous prétendons.

Le climat ne contribue pas seulement à la vigueur du corps, mais aussi à celle de l'esprit. VÉGÈCE, I, 2.

3

PLATON, Timée. Voyez les Pensées de Platon, pag. 394. J. V. L.

4 L'air d'Athènes est subtil, et l'on croit que c'est ce qui

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