Obrázky na stránke
PDF
ePub

Decurrens alio, neque si bene: quo fit, ut omnis
Votiva pateat veluti descripta tabella

Vita senis';

celuy là commettoit à son papier ses actions et ses pensees, et s'y peignoit tel qu'il se sentoit estre: nec in Rutilio et Scauro citra fidem, aut obtrectationi fuit".

sans esgard, elles sont sans effect. Entre les contenances desreiglees, n'oublions pas la morgue de l'empereur Constantius', qui en publicque tenoit tousiours la teste droicte, sans la contourner ou flechir ny çà ny là, non pas seulement pour regarder ceulx qui le saluoient à costé; ayant le corps planté immobile, sans se laisser aller au bransle de son coche, sans oser ny cracher, ny se moucher, ny essuyer le visage devant les gents. Ie ne sçay si ces gestes qu'on remarquoit en moy estoient de cette premiere condition, et si à la verité i'avoy quelque occulte propen

puis pas respondre des bransles du corps: mais quant aux bransles de l'ame, ie veulx icy confesser ce que i'en sens.

Il me souvient doncques que dez ma plus tendre enfance, on remarquoit en moy ie ne sçay quel port de corps, et des gestes tesmoignants quelque vaine et sotte fierté. I'en veulx dire premierement cecy, Qu'il n'est pas inconvenient d'avoir des conditions et des propensions3 si propression à ce vice, comme il peult bien estre; et ne et si incorporees en nous, que nous n'ayons pas moyen de les sentir et recognoistre; et de telles inclinations naturelles, le corps en retient volontiers quelque ply, sans nostre sceu et consentement c'estoit une certaine affetterie consente de sa beaulté, qui faisoit un peu pencher la teste d'Alexandre sur un costé, et qui rendoit le parler d'Alcibiades mol et gras. Iulius Cesar 5 se grattoit la teste d'un doigt, qui est la contenance d'un homme remply de pensements penibles; et Cicero, ce me semble, avoit accoustumé de rincer le nez, qui signifle un naturel mocqueur : tels mouvements peuvent arriver imperceptiblement en nous. Il y en a d'aultres artificiels, dequoy ie ne parle point, comme les salutations et reverences, par où on acquiert, le plus souvent à tort, l'honneur d'estre bien humble et courtois on peult estre humble de gloire. Ie suis assez prodigue de bonnetades, notamment en esté, et n'en receoy iamais sans revenche, de quelque qualité d'hommes que ce soit, s'il n'est à mes gages. Ie desirasse d'aulcuns princes que ie cognoy, qu'ils en feussent plus espargnants et iustes dispensateurs: car ainsin indiscrettement espan-et regente. Les polices, les mœurs loingtaines, me dues, elles ne portent plus de coup; si elles sont

[blocks in formation]

PLUTARQUE, Vie de César, c. 1, à la fin. On a dit la même chose de Pompée: SÉNÈQUE, Controv. III, 19; PLUTARQUE, De Putilité à retirer de ses ennemis, c. 6. C.

6 De ringere, selon Ménage, dans son Dictionnaire étymologique, où il cite ce passage de Montaigne. Je ne sais si fon pourrait trouver ailleurs le mot de rincer, pour signifier, comme ici, froncer, rider: il n'est pas, du moins, dans nos vieux dictionnaires. C.

Il y a deux parties en cette gloire : sçavoir est, de S'estimer trop, et N'estimer pas assez aultruy. Quant à l'une, il me semble premierement ces considerations debvoir estre mises en compte, Que ie me sens pressé d'une erreur d'ame qui me desplaist, et comme inique, et encores plus comme importune; i'essaye à la corriger, mais l'arracher ie ne puis c'est que ie diminue du iuste prix des choses que ie possede, et haulse le prix aux choses d'autant qu'elles sont estrangieres, absentes, et non miennes ; cette humeur s'espand bien loing. Comme la prerogative de l'auctorité faict que les maris regardent les femmes propres d'un vicieux desdaing, et plusieurs peres leurs enfants ainsi fois ie; et entre deux pareils ouvrages, poiseroy tousiours contre le mien; non tant que la ialousie de mon advancement et amendement trouble mon iugement, et m'empesche de me satisfaire, comme que, d'elle mesme, la maistrise3 engendre mespris de ce qu'on tient

flattent, et les langues; et m'apperceoy que le latin me pipe par la faveur de sa dignité, au delà de ce qui luy appartient, comme aux enfants et au vulgaire : l'œconomie, la maison, le cheval de mon voysin, en eguale valeur, vault mieulx que le mien, de ce qu'il n'est pas mien. Davantage que ie suis tres ignorant en mon faict, i'admire l'asseurance et promesse que chascun a de soy; au lieu qu'il n'est quasi rien que ie sçache sçavoir, ny que i'ose me respondre pouvoir faire. le n'ay point mes moyens en proposition et par estat, et n'en suis instruict qu'aprez l'effect; autant doubteux de ma force, que d'une aultre force.

1 AMMIEN MARCELLIN, XXI, 14. C.

2 Ed. de 1588, fol. 271: Il y a, ce me semble.
3 La possession. C.

D'où il advient, si ie rencontre louablement en une besongne, que ie le donne plus à ma fortune qu'à mon industrie; d'autant que ie les desseigne1 toutes au hazard et en crainte. Pareillement i'ay en general cecy, Que de toutes les opinions que l'ancienneté a eues de l'homme en gros, celles que i'embrasse plus volontiers, et ausquelles ie m'attache le plus, ce sont celles qui nous mesprisent, avilissent, et aneantissent le plus : la philosophie ne me semble iamais avoir si beau ieu, que quand elle combat nostre presumption et vanité, quand elle recognoist de bonne foy son irresolution, sa foiblesse, et son ignorance. Il me semble que la mere nourrice des plus faulses opinions, et publicques et particulieres, c'est la trop bonne opinion que l'homme a de soy. Ces gents qui se perchent à chevauchons sur l'epicycle de Mercure, qui veoyent si avant dans le ciel, ils m'arrachent les dents car en l'estude que ie fois, duquel le subiect c'est l'homme, trouvant une si extreme varieté de iugements, un si profond labyrinthe de difficultez les unes sur les aultres, tant de diversité et incertitude en l'eschole mesme de la sapience; vous pouvez penser, puis que ces gents là n'ont peu-se resouldre de la cognoissance d'eulx mesmes, et de leur propre condition, qui est continuellement presente à leurs yeulx, qui est dans eulx, puis qu'ils ne sçavent comment bransle ce qu'eulx mesmes font bransler, ny comment nous peindre et deschiffrer les ressorts qu'ils tiennent et manient eulx mesmes, comment ie les croiroy de la cause du flux et reflux de la riviere du Nil. La curiosité de cognoistre les choses a esté donnee aux hommes pour fleau, dict la saincte parole. Mais pour venir à mon particulier, il est bien difficile, ce me semble, qu'aulcun aultre s'estime moins, voire qu'aulcun aultre m'estime moins que ce que ie m'estime : ie me tiens de la commune sorte, sauf en ce que ie m'en tiens; coul

pable des defectuositez plus basses et populaires,

mais non desadvouees, non excusees; et ne me prise seulement que de ce que ie sçay mon prix. S'il y a de la gloire, elle est infuse en moy superficiellement par la trahison de ma complexion, et n'a point de corps qui comparoisse à la veue de mon iugement; i'en suis arrousé, mais non pas teinct: car, à la verité, quant aux effects de l'esprit, en quelque façon que ce soit, il n'est iamais party de moy chose qui me contentast; et l'approbation d'aultruy ne me paye pas. l'ay le iugement tendre et difficile, et notamment en mon

1 Je les détermine, j'en forme le dessein, etc. E. J.

et me sens

endroict: ie me desadvoue sans cesse, par tout flotter et flechir de foiblesse; ie n'ay rien du mien dequoy satisfaire mon iugement. l'ay la veue assez claire et reiglee, mais à l'ouvrer' elle se trouble: comme i'essaye plus evidemment en la poësie; ie l'ayme infiniement; ie me cognoy assez aux ouvrages d'aultruy; mais ie fois, à la verité, l'enfant quand i'y veulx mettre la main; ie ne me puis souffrir. On peult faire le sot par | tout ailleurs, mais non en la poësie;

Mediocribus esse poetis

Non di, non homines, non concessere columnæ2.

Pleust à Dieu que cette sentence se trouvast au front des boutiques de touts nos imprimeurs, pour en deffendre l'entree à tant de versificateurs!

Verum

Nil securius est malo poeta 3.

il

Que n'avons nous de tels peuples 4? Dionysius le pere n'estimoit rien tant de soy que sa poësie: à la saison des ieux Olympiques, avecques des chariots surpassants touts aultres en magnificence, il envoya aussi des poëtes et musiciens, pour presenter ses vers, avecques des tentes et pavillons dorez et tapissez royalement. Quand on veint à mettre ses vers en avant, la faveur et excellence de la prononciation attira sur le commencement l'attention du peuple; mais quand par aprez il veint à poiser l'ineptie de l'ouvrage, entra premierement en mespris, et continuant d'aigrir son iugement, il se iecta tantost en furie, et courut abbattre et deschirer par despit touts ses pavillons : et ce que ses chariots ne feirent non plus rien qui vaille en la course, et que la navire qui rapportoit ses gents faillit la Sicile, et feut par la tempeste poulsee et fracassee contre la coste de Tarente; ce mesme peuple teint pour certain que c'estoit un effect de l'ire des dieux irritez, comme luy, contre ce mauvais poëme 5; et les masecondant l'opinion de ce peuple, à laquelle l'oriniers mesmes eschappez du nauffrage alloient racle qui predit sa mort sembla aussi aulcunement soubscrire: il portoit, « que Dionysius seroit prez de sa fin, quand il auroit vaincu ceulx qui

Au travail, à l'ouvrage. E. J.

⚫ Tout défend la médiocrité aux poètes, et les dieux, et les hommes, et les colonnes des portiques où sont affichés leurs ouvrages. HOR. de Art. poet. v. 372.

3 Mais rien de si confiant qu'un mauvais poête. MARTIAL, XII, 63, 13.

4 C'est-à-dire, des peuples du génie de ceux qui, dans l'assemblée des jeux Olympiques, marquèrent si vivement le mòpris qu'ils faisaient de la mauvaise poésie du vieux Denys, tyran de Syracuse, et maître de la meilleure partie de la Sicile. C.

5. DIODORE DE SICILE, XIV, 104, éd. de Wesseling. J. V. L.

vauldroient mieulx que luy. » Ce qu'il interpreta | au bout, au moins si avant, qu'il m'est impossible

d'y aspirer. Quoy que i'entreprenne, ie dois
un sacrifice aux Graces, comme dict Plutarque
de quelqu'un ', pour practiquer leur faveur :
Si quid enim placet,

des Carthaginois, qui le surpassoient en puissance; et ayant affaire à eulx, gauchissoit souvent la victoire, et la temperoit, pour n'encourir le sens de cette prediction: mais il l'entendoit mal; car le dieu marquoit le temps de l'advantage que par Si quid dulce hominum sensibus influit, faveur et iniustice il gaigna à Athenes sur les Debentur lepidis omnia Gratiis. poëtes tragiques meilleurs que luy, ayant faict Elles m'abbandonnent par tout; tout est grossier iouer à l'envy la sienne, intitulee les Leneïens; chez moy; il y a faulte de gentillesse et de beaulté: soubdain aprez laquelle victoire il trespassa, et ie ne sçay faire valoir les choses pour le plus que en partie pour l'excessifve ioye qu'il en conceut'. ce qu'elles valent: ma façon n'ayde rien à la maCe que ie treuve excusable du mien, ce n'est tiere; voylà pourquoy il me la fault forte, qui pas de soy et à la verité; mais c'est à la compa- ayt beaucoup de prinse, et qui luise d'elle mesme. raison d'aultres choses pires, ausquelles ie veoy Quand i'en saisis des populaires et plus gayes, qu'on donne credit. le suis envieux du bonheur c'est pour me suyvre à moy, qui n'ayme point de ceulx qui se sçavent resiouïr et gratifier en une sagesse cerimonieuse et triste, comme faict leur ouvrage; car c'est un moyen aysé de se don- le monde; et pour m'esgayer, non pour esgayer ner du plaisir, puis qu'on le tire de soy mesme, mon style, qui les veult plustost graves et sespecialement s'il y a un peu de fermeté en leur veres au moins si ie dois nommer style un opiniastrise'. Ie sçay un poëte à qui, fort et foible, parier informe ct sans reigle, un iargon populaire, en foule et en chambre, et le ciel et la terre crient et un proceder sans definition, sans partition, qu'il n'y entend gueres : il n'en rabbat pour tout sans conclusion, trouble, à la guise de celuy cela rien de la mesure à quoy il s'est taillé; tous- d'Amafanius et de Rabirius3. Ie ne sçay ny plaire, jours recommence, tousiours reconsulte, et tous-ny resiouïr, ny chatouiller : le meilleur conte du iours persiste d'autant plus fort en son advis, et monde se seiche entre mes mains, et se ternit. plus roide, qu'il touche à luy seul de le main- Ie ne sçay paricr qu'en bon escient: et suis du tenir. tout desnué de cette facilité, que ie veoy en plusieurs de mes compaignons, d'entretenir les premiers venus, et tenir en haleine toute une trouppe, ou amuser, sans se lasser, l'aureille d'un prince de toute sorte de propos; la matiere ne leur faillant iamais, pour cette grace qu'ils ont de sçavoir employer la premiere venue, et l'accommoder à l'humeur et portee de ceulx à qui ils ont affaire. Les princes n'ayment gueres les discours fermes; ny moy à faire des contes. Les raisons les mieulx prinses, ie ne sçay pas les employer; premieres et plus aysees, qui sont communement mauvais prescheur de commune: de toute matiere ie dis volontiers les plus extremes choses que i'en sçay. Cicero estime que ez traictez de la phis'il est ainsi, ie me prens à la conclusion sagelosophie, le plus difficile membre soit l'exorde 4: ment. Si fault il sçavoir relascher la chorde a

Mes ouvrages, il s'en fault tant qu'ils me rient, qu'autant de fois que ie les retaste, autant de fois ie m'en despite ;

Qum relego, scripisse pudet; quia plurima cerno, Me quoque, qui feci, iudice, digna lini 3. l'ay tousiours une idee en l'ame et certaine image trouble, qui me presente comme en songe une meilleure forme que celle que i'ay mis en besongne; mais ie ne la puis saisir et exploicter: et cette idee mesme n'est que du moyen estage. Ce que i'argumente par là, que les productions de ces riches et grandes ames du temps passé sont bien loing au delà de l'extreme estendue de mon imagination et souhaict: leurs escripts ne me satisfont pas seulement et me remplissent, mais ils m'estonnent et transissent d'admiration; ie fuge leur beaulté, ie la veoy, sinon iusques

DIODORE DE SICILE, XIV, 74. Mais il y a ici une erreur singullère. On a pris les Lénéennes, fètes de Bacchus, célébrées par des concours dramatiques, pour le titre de la tragédie, qui s'appelait la Rançon d'Hector. Voyez TZETZÈS, Chiliad. V, 178. J. V. L.

2 Entétement, obstination. Quoique opiniastrise soit dans NICOT, c'est un mot purement gascon, qui, je pense, n'a jamais été français. C.

3 Quand je les relis, j'en ai honte; car j'y vois bien des choses qui, même aux yeux indulgents de leur auteur, méritent d'être effacées. OVIDE, de Ponto, I, 5, 15.

[blocks in formation]

:

toute sorte de tons; et le plus aigu est celuy qui | estroicts de son temps, et de la façon des bancs vient le moins souvent en ieu. Il y a pour le moins où les orateurs avoient à parler, qui affoiblissoient autant de perfection à relever une chose vuide, leur eloquence. qu'à en soustenir une poisante: tantost il fault superficiellement manier les choses, tantost les profonder. Ie sçay bien que la pluspart des hommes se tiennent en ce bas estage, pour ne concevoir les choses que par cette premiere escorce; mais ie sçay aussi que les plus grands maistres, et Xenophon et Platon, on les veoid souvent se relascher à cette basse façon et populaire de dire et traicter les choses, la soustenants des graces qui ne leur manquent iamais.

Au demourant, mon langage n'a rien de facile et poly; il est aspre et desdaigneux, ayant ses dispositions libres et desreiglees; et me plaist | ainsi, sinon par mon iugement, par mon inclination: mais ie sens bien que par fois ie m'y laisse trop aller, et qu'à force de vouloir eviter l'art et l'affectation, i'y retumbe d'une aultre part;

Obscurus fio".

Brevis esse laboro,

Platon dict3 que le long ou le court ne sont pas proprietez qui ostent ny qui donnent prix au langage. Quand l'entreprendroy de suyvre cet aultre style equable, uny et ordonné, ie n'y sçaurois advenir : et encores que les couppures et cadences de Salluste reviennent plus à mon humeur, si est ce que ie treuve Cesar et plus grand et moins aysé à representer; et si mon inclination me porte plus à l'imitation du parler de Seneque, ie ne laisse pas d'estimer davantage celuy de Plutarque. Comme à faire, à dire aussi, ie suy tout simplement ma forme naturelle: d'où c'est, à l'adventure, que ie puis plus à parler qu'à escrire. Le mouvement et action animent les paroles, notamment à ceulx qui se remuent brusquement, comme ie fois, et qui s'eschauffent: le port, le visage, la voix, la robbe, l'assiette, peuvent donner quelque prix aux choses qui d'elles mesmes n'en ont gueres, comme le babil. Messala se plainct, en Tacitus 5, de quelques accoustrements

Ou approfondir, comme on parle aujourd'hui. - Profonder, accurate investigare. NICOT.

a J'évite d'être long, et je deviens obscur.
BOILEAU, d'après Hos. Art poét. v. 25.

3 République, X, p. 887. C.
4 Et non pas, Comme à taire, leçon de la plupart des édi-
tions. Dans celle de 1588, fol. 273, cette idée est ainsi expri-
mée: Je suy la forme de dire qui est nee avecques moy,
simple et naifve autant que ie puis. L'auteur disait ensuite :
D'où c'est, à l'adventure, que i'ay plus d'advantage à parler
qu'à escrire. On voit que Montaigne, dans ses corrections,
cherche toujours une forme de phrase plus concise et plus

vive. J. V. L.

5 Vers la fin du dialogue de Oratoribus, que Montaigne,

Mon langage françois est alteré, et en la prononciation, et ailleurs, par la barbarie de mon creu ie ne veis iamais homme des contrees de deçà, qui ne sentist bien evidemment son ramage, et qui ne bleceast les aureilles pures françoises. Si n'est ce pas pour estre fort entendu en mon perigordin; car ie n'en ay non plus d'usage que de l'allemand, et ne m'en chault gueres; c'est un langage (comme sont autour de moy, d'une bande et d'aultre, le poittevin, xaintongeois, angoumoisin, limosin, auvergnat) brode', traisnant, esfoiré : il y a bien au dessus de nous, vers les montaignes, un gascon que ie treuve singulierement beau, sec, bref, signifiant, et à la verité un langage masle et militaire plus qu'aultre que i'entende, autant nerveux, puissant et pertinent, comme le françois est gratieux, delicat et abondant.

Quant au latin, qui m'a esté donné pour maternel2, i'ay perdu par desaccoustumance la promptitude de m'en pouvoir servir à parler; ouy, et à escrire en quoy aultrefois ie me faisois appeller maistre Iehan. Voylà combien peu ie vaulx de ce costé là.

La beaulté est une piece de grande recommendation au commerce des hommes; c'est le premier moyen de conciliation des uns aux aultres, et n'est homme si barbare et si rechigné, qui ne se sente aulcunement frappé de sa doulceur. Le corps a une grande part à nostre estre, il y tient un grand reng; ainsi sa structure et composition sont de bien iuste consideration. Ceulx qui veulent desprendre nos deux pieces principales, et les sequestrer l'une de l'aultre, ils ont tort: au rebours, il les fault raccoupler et reioindre; il fault ordonner à l'ame, non de se tirer à quartier, de s'entretenir à part, de mespriser et abbandonner le corps (aussi ne le sçauroit elle faire que par quelque singerie contrefaicte), mais de se rallier à luy, de l'embrasser, le cherir, luy assister, le contrerooller, le conseiller, le redresser, et ramener quand il fourvoye, l'espouser en somme, et luy servir de mary, à ce que leurs effects ne paroissent pas divers et contraires, ains accordants et uniformes. Les chrestiens ont une particuliere

comme on voit, attribue affirmativement à Tacite. Il est difficile de ne pas être de son avis. J. V. L.

Láche, languissant, dit Cotgrave dans son Dictionnaire françois et anglois. Brode, en ce sens, est un terme purement gascon. C.

2 Voyez liv. I des Essais, chap. 25.

instruction de cette liaison : car ils sçavent que | y a du respect pour ceulx qui le suyvent, et pour la iustice divine embrasse cette societé et ioinc- l'ennemy de l'effroy, de veoir à la teste d'une ture du corps et de l'ame, iusques à rendre le trouppe marcher un chef de belle et riche taille. corps capable des recompenses eternelles ; et que Ipse inter primos præstanti corpore Turnus Dieu regarde agir tout l'homme, et veult qu'en- Vertitur, arma tenens, et toto vertice supra est'. tier il receoive le chastiement, ou le loyer, selon Nostre grand roy divin et celeste, duquel ses demerites. La secte peripatetique, de toutes toutes les circonstances doibvent estre remarsectes la plus sociable, attribue à la sagesse ce quees avec soing, religion et reverence, n'a pas seul soing, de pourveoir et procurer en commun refusé la recommendation corporelle, speciosus le bien de ces deux parties associees : et monstrent forma præ filiis hominum 2 : et Platon 3, avecles aultres sectes, pour ne s'estre assez attachees ques la temperance et la fortitude, desire la beaulà la consideration de ce meslange, s'estre partia- té aux conservateurs de sa republique. C'est un lizees, cette cy pour le corps, cette aultre pour grand despit, qu'on s'addresse à vous parmy vos l'ame, d'une pareille erreur; et avoir escarté leur gents pour vous demander « Où est monsieur? » subiect, qui est l'Homme, et leur guide, qu'ils et que vous n'ayez que le reste de la bonnetade advouent en general estre Nature. La premiere qu'on faict à vostre barbier ou à vostre secretaire; distinction qui ayt esté entre les hommes, et la comme il adveint au pauvre Philopomen 4. Espremiere consideration qui donna les preemi- tant arrivé le premier de sa trouppe en un logis nences aux uns sur les aultres, il est vraysem- où on l'attendoit, son hostesse, qui ne le cognoisblable que ce feut l'advantage de la beaulté: soit pas, et le veoyoit d'assez mauvaise mine, Agros divisere atque dedere l'employa d'aller un peu ayder à ses femmes à puiser de l'eau, ou attiser du feu, pour le service de Philopœmen: les gentilshommes de sa suitte estants arrivés et l'ayants surprins embesongné à cette belle vacation, car il n'avoit pas failly d'obeïr au commandement qu'on luy avoit faict, luy demanderent ce qu'il faisoit là : « le paye, leur respondit il, la peine de ma laideur.» Les aultres beaultez sont pour les femmes : la beaulté de la taille est la seule beaulté des hommes. Où est la petitesse, ny la largeur et rondeur du front, ny la blancheur et doulceur des yeulx, ny la mediocre forme du nez, ny la petitesse de l'aureille et de la bouche, ny l'ordre et la blancheur des dents, ny l'espesseur bien unie d'une barbe brune à escorce de chastaigne, ny le poil relevé, ny la iuste rondeur de teste, ny la frescheur du teinct, ny l'air du visage agreable, ny un corps sans senteur, ny la proportion legitime des membres, peuvent faire un bel homme.

Pro facie cuiusque, et viribus, ingenioque; Nam facies multum valuit, viresque vigebant1. Or ie suis d'une taille un peu au dessoubs de la moyenne 2 : ce default n'a pas seulement de la laideur, mais encores de l'incommodité, à ceulx mesmement qui ont des commandements et des charges; car l'auctorité que donne une belle presence et maiesté corporelle en est à dire. C. Marius ne recevoit pas volontiers des soldats qui n'eussent six pieds de haulteur 3. Le Courtisan a bien raison de vouloir, pour ce gentilhomme qu'il dresse, une taille commune, plustost que toute aultre; et de refuser pour luy toute estrangeté qui le face monstrer au doigt. Mais de choisir, s'il fault à cette mediocrité, qu'il soit plustost au deçà qu'au delà d'icelle, ie ne le feroy pas à un homme militaire. Les petits hommes, dict Aristote, sont bien iolis, mais non pas beaux; et se cognoist en la grandeur la grande ame, comme la beaulté en un grand corps et hault : les Ethiopes et les Indiens, dict il 6, elisants leurs roys et magistrats, avoient esgard à la beaulté et procerité des personnes. Ils avoient raison; car il

Le partage des terres fut réglé à proportion de la beauté, de la force et de l'esprit; car la beauté et la force étaient les premières distinctions. LUCRÈCE, V, 1109.

2 Montaigne se traite lui-même de petit homme, liv. II, ch. 6. Dans son Voyage en Italie, t. I, p. 252, il remarque avec un certain plaisir que le grand-duc François-Marie de Médicis était de sa taille. J. V. L.

[blocks in formation]
[blocks in formation]
« PredošláPokračovať »